COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 31 JANVIER 2012
A.V.
N° 2012/
Rôle N° 11/07287
SARL JALINVEST
C/
SCP [I]
SCP [K]
Grosse délivrée
le :
à :Me JAUFFRES
la SCP COHEN-GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 11 Mars 2008 enregistré au répertoire général sous le n° 06/03615.
APPELANTE
SARL JALINVEST, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège sis, [Adresse 8]
représentée par Me Jean Marie JAUFFRES, avoué à la Cour,
assistée par Me Jean-jacques PETRACCINI, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEES
SCP [I], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 7]
représentée par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour,
assistée par Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE
SCP [K], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 6]
représentée par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour,
assistée par Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Décembre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme VIDAL, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président
Monsieur Jean VEYRE, Conseiller
Madame Anne VIDAL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Janvier 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Janvier 2012,
Signé par Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
A la suite de la vente d'un terrain à bâtir réalisée par acte en date du 25 février 2003 et suivant acte d'huissier en date du 8 juin 2006, la SARL JALINVEST a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Grasse la SCP [I], notaires associés à [Localité 3] et la SCP [K], notaires associés à [Localité 3], pour voir dire que leur responsabilité était engagée dans la rédaction de cet acte de vente en qu'il y était prévu que la TVA serait payée par l'acquéreur alors que l'administration fiscale lui en réclamait le paiement en qualité de vendeur et pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 129.977,99 € outre intérêts et pénalités de retard réclamés par l'administration fiscale, avec intérêts capitalisés sur le tout, et celle de 30.000 € en réparation de son préjudice. Subsidiairement, elle sollicitait qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal administratif saisi d'un recours contre la réclamation fiscale.
Par jugement en date du 11 mars 2008, le tribunal de grande instance de Grasse a déclaré l'action en responsabilité engagée par la SARL JALINVEST recevable sur le fondement de l'article 1382 du code civil mais a débouté la requérante de sa demande en responsabilité et paiement de dommages et intérêts. Il a également dit n'y avoir lieu à sursis à statuer. Il a condamné la SARL JALINVEST à payer à chacune des SCP notariales une somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL JALINVEST a interjeté appel de cette décision suivant déclaration au greffe en date du 13 mars 2008.
Par arrêt en date du 3 mars 2009, la cour a ordonné le sursis à statuer sur les demandes de la SARL JALINVEST jusqu'à la décision définitive de la juridiction administrative sur le redressement fiscal et l'affaire a été radiée. Elle a été réenrôlée à l'initiative de la SARL JALINVEST le 19 avril 2011 à la suite de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 15 décembre 2010.
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La SARL JALINVEST, par conclusions en date du 16 novembre 2011, sollicite la réformation du jugement et demande à la cour :
De dire que la SCP [I] et la SCP [K] ont engagé leur responsabilité in solidum à son égard à l'occasion de l'établissement de l'acte du 25 février 2003 en ayant prévu que le versement de la TVA relative à la vente incombait à l'acquéreur alors que c'est bien le vendeur qui en était redevable,
De condamner en conséquence les deux SCP de notaires in solidum à lui verser la somme de 118.133 € avec intérêts au taux légal capitalisés et celle de 30.000 € à titre de dommages et intérêts, outre 15.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle invoque l'obligation de conseil du notaire à l'égard de son client sur les conséquences des engagements qu'il contracte, même à l'égard d'un client professionnel et même à l'égard d'un client assisté, le devoir d'information étant absolu, notamment en matière fiscale, le notaire devant vérifier le régime fiscal applicable, et elle prétend qu'il n'est pas démontré par les notaires qu'ils auraient donné des conseils à la SARL JALINVEST. Elle ajoute qu'ils ont rédigé un acte au régime fiscal contraire à l'ordre public car ils lui ont fait renoncer par anticipation au régime de la TVA sans vérifier la légalité de cette renonciation, et ont désigné l'acquéreur comme le redevable, ce qui a été jugé illégal par le tribunal administratif et la cour administrative d'appel.
Elle soutient que son préjudice est égal au montant de la TVA qu'elle a dû payer sur ses propres deniers, n'en ayant pas reçu le montant de son acquéreur ; qu'elle a également eu des fonds immobilisés depuis 2006 et que certains projets ont été bloqués ; que ce préjudice est bien en lien avec la faute des notaires et qu'il est inexact de prétendre, comme le font les notaires, que le redressement fiscal serait dû au non paiement des droits d'enregistrement, la poursuite fiscale portant sur le non versement de la TVA.
La SCP [I] et la SCP [K], aux termes de leurs écritures déposées le 16 mai 2011, concluent à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demandent à la cour :
De dire que la SARL JALINVEST ne rapporte pas la preuve d'une faute avérée de Me [I] et de Me [K] en relation avec un préjudice né, certain et actuel de nature à engager leur responsabilité professionnelle et celles des SCP sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
De dire qu'elle est seule responsable du dommage allégué par suite du non respect des engagements convenus avec son acquéreur pour permettre l'application du régime fiscal choisi,
De la condamner à leur verser une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et celle de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles font valoir que la question de la fiscalité de l'opération a été débattue entre la SARL JALINVEST, les deux notaires et l'expert comptable de la société avant la rédaction de l'acte en tenant compte, d'une part du fait que celle-ci serait inévitablement déchue de son régime de faveur, en raison de l'impossibilité d'obtenir le permis de construire dans le délai de 4 ans de l'acte d'acquisition du terrain revendu et du fait qu'elle devrait acquitter les droits de mutation avec le 1% supplémentaire, d'autre part de ce que la SCI NAXOS, marchand de biens acquéreur du terrain, voulait bénéficier du régime de la TVA ; que c'est en fonction du régime fiscal choisi par les parties que les notaires ont indiqué que la mutation entrait dans le champ d'application de la TVA qui serait payée par l'acquéreur ; que l'expert-comptable de la SARL JALINVEST a attesté que sa cliente n'avait pas récupéré la TVA sur l'acquisition du terrain, de sorte qu'il n'a pas été procédé à un prélèvement des sommes dues par la SARL JALINVEST sur le prix de vente, mais qu'en réalité celle-ci n'avait pas payé la TVA et en a sollicité le remboursement, ce qui a généré la vérification.
Elles soutiennent que le préjudice subi par la SARL JALINVEST n'est que la conséquence de ses errements et qu'au demeurant la TVA réclamée par l'administration fiscale n'est que le rétablissement de la fiscalité normalement applicable à la vente.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 novembre 2011.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que la SARL JALINVEST a acquis deux terrains à bâtir cadastrés section G Lieudit [Localité 4], n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2] à [Localité 5], le 8 février 2000, moyennant le prix de 1.500.000 F soit 228.673,53 € ; que l'acquisition a été réalisée sous le régime de la TVA, l'acquéreur, marchand de biens, ayant pris l'engagement d'édifier dans le délai de quatre ans une construction non affectée à l'habitation ;
Qu'elle a acquis auprès de l'Etat un autre terrain situé à [Localité 5] au prix de 25.916 € et a déclaré faire cette acquisition en qualité de marchand de biens en vue de le revendre dans les quatre ans ;
Qu'elle a revendu les trois terrains à la SCI NAXOS suivant acte notarié reçu par la SCP [I], notaire de l'acquéreur, en date du 25 février 2003 au prix de 663.153 € HT, soit 793.130,99 € TTC ; qu'il a été déclaré dans l'acte que la SCI NAXOS s'engageait à construire dans le délai de quatre ans à compter de ce jour et était redevable, aux termes de l'article 285-3° du Code Général des Impôts de la TVA sur le prix ; que la SARL JALINVEST a alors reçu paiement du prix HT, soit 663.153 €, et que la SCI NAXOS a réglé à l'administration fiscale la somme de 127.455 € au titre de la TVA ;
Qu'elle a été l'objet d'une vérification de comptabilité par l'administration fiscale dont il est résulté un rappel de TVA au titre de la vente des terrains pour un montant de 129.978 €, outre intérêts de retard et pénalités ; que le bien fondé de ce rappel de TVA a été confirmé par le tribunal administratif de Toulon et par la cour administrative d'appel de Marseille qui ont retenu que la SARL JALINVEST, en sa qualité de vendeur, était bien redevable de la TVA, au regard des dispositions combinées des articles 257-7 et 285-3° du Code Général des Impôts, nonobstant son paiement par l'acquéreur ;
Attendu que la SARL JALINVEST recherche la responsabilité des deux SCP de notaires ayant collaboré à la rédaction de l'acte de vente, leur reprochant d'avoir commis une faute en désignant la SCI NAXOS, acquéreur, comme redevable de la TVA et en la privant ainsi de la possibilité de percevoir un prix TTC et de reverser la TVA à l'administration fiscale ;
Mais qu'il ressort de l'examen des éléments du dossier et notamment de la promesse d'achat conclue entre la SARL JALINVEST et la SCI NAXOS le 30 juin 2002 et des correspondances échangées entre les notaires :
- que l'acquéreur entendait régler un prix HT de 663.153 € en s'engageant à régler la TVA, ce qu'avait accepté le vendeur, et que les parties s'étaient donc entendues préalablement à la rédaction de l'acte pour placer la mutation sous le régime de l'article 257-7° du Code Général des Impôts, l'acquéreur prenant l'engagement d'obtenir un permis et de construire dans le délai de quatre ans ; mais qu'en application de l'article 285-3°, la TVA est due par l'acquéreur lorsque la mutation porte sur un immeuble qui, antérieurement à ladite mutation, n'était pas placé dans le champ d'application du 7° de l'article 257, or, lors de la précédente mutation, la SARL JALINVEST avait placé l'opération sous le régime de la TVA prévu par l'article 257-7°;
- que la SARL JALINVEST avait pris l'engagement de construire dans le délai de quatre ans, soit avant le 8 février 2004, mais qu'il ressortait d'un échange avec le maire de [Localité 5] qu'il lui serait impossible d'obtenir le permis de construire et d'édifier une construction dans le délai d'une année qui lui restait, en raison de l'implantation à venir de réseaux routiers et de ronds points ; et qu'aux termes de l'article 1594-0 G, lorsque l'acquéreur d'un terrain à bâtir n'a pas respecté son engagement de construire dans le délai de quatre ans, l'opération d'acquisition est assujettie rétroactivement à la taxe de publicité foncière ou au droit d'enregistrement ;
- que les parties ont cherché à concilier ces différents éléments et que les notaires ont proposé, en revenant au régime de droit commun pour l'acquisition faite par la SARL JALINVEST en février 2000, soit de séquestrer le complément de droits et la pénalité à payer par la SARL JALINVEST au titre de cette acquisition, soit de noter dans l'acte que le vendeur s'acquitterait du complément de droit et de la pénalité, permettant ainsi à la SCI NAXOS, acquéreur, de bénéficier du régime de la TVA ;
Que le choix ainsi fait permettait à la vente de se réaliser selon les conditions posées par les parties dans la promesse de vente, l'acquéreur n'étant pas disposé à être privé du bénéfice du régime de la TVA et n'ayant aucun intérêt à verser au vendeur un prix TTC qui le priverait de la possibilité de récupérer la TVA ;
Que les notaires, qui avaient envisagé de séquestrer les fonds nécessaires au paiement des droits dus par la SARL JALINVEST, ont modifié leur projet à réception de l'attestation établie par l'expert comptable de la SARL JALINVEST du 18 février 2003 puisqu' aux dires de celui-ci, la venderesse disposait d'un crédit de TVA de 47.106,75 € susceptible de se compenser avec les droits à payer ;
Que, contrairement à ce qui est prétendu par la SARL JALINVEST, le régime fiscal adopté par les notaires dans l'acte de vente n'était pas contraire à l'ordre public, le redressement fiscal n'ayant été opéré qu'en raison de la manifestation par la SARL JALINVEST de sa volonté de conserver, malgré les dispositions envisagées, le bénéfice du régime de la TVA ;
Qu'il convient en conséquence de retenir, en considération de ces éléments, d'une part que les parties avaient choisi, d'un commun accord et en connaissance de cause, de placer la mutation sous le régime de la TVA au bénéfice de l'acquéreur, ce qui ne constituait pas un régime contraire à l'ordre public, d'autre part que la SARL JALINVEST, par l'intervention de son expert-comptable, avait conservé le soin de régulariser sa situation fiscale au regard de son crédit de TVA, ce qui n'a pas été fait et a été à l'origine du redressement ;
Que l'appel interjeté par la SARL JALINVEST sera donc rejeté et le jugement confirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu qu'il n'est pas établi qu'en interjetant appel de la décision de 1ère instance, la SARL JALINVEST a commis une faute de nature à rendre l'exercice de cette voie de recours ordinaire abusif et à justifier la demande en dommages et intérêts présentées par les SCP de notaires à son encontre ;
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article 696 du Code de Procédure Civile,
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
en matière civile et en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Grasse en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute la SCP [I] et la SCP [K] de leur demande en paiement de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne la SARL JALINVEST à payer à la SCP [I] et la SCP [K] ensemble une somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
La condamne aux dépens d'appel ;
En autorise le recouvrement direct par la SCP COHEN GUEDJ, avoués, dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT