COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 11 AVRIL 2012
N°2012/ 492
Rôle N° 10/17259
SAS Société 1633
C/
[P] [D]
Grosse délivrée le :
à :
Me Muriel COHEN-ELKAIM, avocat au barreau de PARIS
Me Nicolas FRANCOIS, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 15 Septembre 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/374.
APPELANTE
SAS Société 1633, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Muriel COHEN-ELKAIM, avocat au barreau de PARIS
([Adresse 3])
INTIME
Monsieur [P] [D], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Nicolas FRANCOIS, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Février 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine VINDREAU, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre
Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller
Madame Catherine VINDREAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2012.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2012
Signé par Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
[P] [D] a été embauché par la SA 1633 le 1er avril 2008 selon contrat à durée indéterminée en qualité de rédacteur en chef du magazine MAXIMAL et de ses suppléments au coefficient 185 catégorie B de la convention collective des journalistes.
La SA 1633 possédait la licence de plusieurs titres de presse dont elle assurait l'exploitation en FRANCE : MAXIMAL, PLAYBOY, ROLLING STONE, MEN'S HEALTH ainsi que la propriété du magazine NEWLOOK.
La rémunération annuelle brute était de 36 000 € pour un horaire hebdomadaire de 39 heures.
A l'issue d'une période d'essai de 3 mois, [P] [D] a été confirmé dans ses fonctions.
La société a convoqué [P] [D] pour un entretien préalable fixé au 28 octobre 2008,et l'employeur lui a notifié, par lettre du 5 novembre 2008 son licenciement pour motif personnel.
Le 10 février 2009, [P] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de MARSEILLE pour contester cette mesure et demander à l'encontre de son employeur le règlement des sommes dues.
Par jugement en date du 15 septembre 2010, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE a :
- dit que le licenciement de [P] [D] est sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la SA 1633 au paiement des sommes suivantes :
- 36 760 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SA 1633 de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à 3 000 €,
- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 27 000 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné le défendeur aux dépens.
Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 24 septembre 2010 et reçue au greffe de la cour d'appel le 27 septembre 2010, la SA 1633 a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la SA 1633 demande de :
- infirmer le jugement,
- dire et juger le licenciement de [P] [D] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- condamner [P] [D] à lui rembourser la somme de 27 000 € versée en exécution forcée du jugement entrepris,
- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 20 octobre 2010,
- condamner [P] [D] à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner [P] [D] aux dépens.
En réplique, au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués , [P] [D] demande de :
- confirmer dans son intégralité le jugement,
- dire et juger le licenciement abusif,
- ordonner la fixation des intérêts de droit courant à compter de la demande en justice, avec capitalisation en application de l'article 1154 du code civil,
- condamner la SA 1633 à une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement du 5 novembre 2008 est libellée en ces termes :
'Nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour motif personnel.
Lors de l'entretien précité, M.[R] vous a exposé les griefs qui ont amené la société à envisager l'arrêt de votre collaboration et que nous vous rappelons ci-après.
Engagé le 1er avril 2008 en qualité de rédacteur en chef du mensuel MAXIMAL, vous avez été chargé de la conception et de la réalisation du magazine. En vous confiant cette mission à la tête de l'équipe rédactionnelle, la société attendait, pour le moins, que votre action conforte la diffusion du titre. Force est de constater, malheureusement, que depuis votre prise de fonctions les ventes de « Maximal » se sont effondrées, traduisant le désaveu profond du lectorat à l'égard de la ligne éditoriale telle qu'elle de dégage sous votre direction.
Votre attention a été attirée sur l'inadéquation entre le projet éditorial dans le cadre duquel vous avez été recruté et le rendu de votre contribution. Il vous est reproché notamment de sensibles divergences entre les sujets présentés en réunion de rédaction et, validés par le directeur éditorial sous réserve de leur traitement sous un angle précis et leur réalisation finale.
Le directeur éditorial vous a rappelé à l'ordre à de multiples reprises par écrit ou oralement en présence de l'équipe de rédaction, et reproché la faiblesse du contenu éditorial du magazine, l'absence d'enquêtes, de sujets à intérêt local susceptibles d'intéresser des lecteurs français, la médiocrité de certains titres, ou relances de textes. Ces observations, sérieuses et non contestées lors des différentes réunions, n'ont pourtant pas été prises en compte par vous, aucun changement notable n'ayant été observé à ce jour, si ce n'est la suppression pure et simple de rubriques jugées sans intérêt pour le magazine (tourisme, pages soirées, etc.) et ce seulement parce que le Directeur éditorial vous en avait fait la demande expresse.
Vous n'avez que très modestement réagi à l'énoncé de ces reproches lors de l'entretien préalable reconnaissant même que vous étiez d'accord avec certaines de ces observations ; rien dans votre position n'a laissé entrevoir une possibilité de changement dans l'approche de vos responsabilités et le contenu de votre travail.'
La société appelante dit s'être placée sur le terrain de l'insuffisance professionnelle et non de la faute.
Elle soutient à juste titre qu'il suffit à l'employeur d'invoquer l'insuffisance professionnelle, motif matériellement vérifiable, pour que la lettre de licenciement soit dûment motivée.
Elle considère que les chiffres des ventes du magazine, les nombreux mails produits démontrent la réalité de ce grief.
Force est de constater que l'employeur n'a pas invoqué le grief de l'insuffisance professionnelle dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et dans laquelle il est reproché au salarié une insuffisance de résultats et il est fait état de vaines mises en garde.
Il est constant que lors de l'embauche de [P] [D] en avril 2008 à la suite de M. [Y], le magazine, comme l'ensemble de la presse écrite, connaissait déjà une crise des ventes, son objectif étant de le ' sortir de l'ornière' en trouvant ' une accroche' quitte à changer la ligne éditoriale.
Il était précisé au contrat que '[P] [D] aura notamment pour attribution la conception et la réalisation du magazine et l'organisation de sa rédaction', 'il exercera ses fonctions sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par son supérieur hiérarchique, le Directeur des rédactions'.
Le dernier numéro de MAXIMAL (le 87) dont M.[Y] était le rédacteur en chef s'est vendu à 31 096 exemplaires.
Les numéros dont [P] [D] était le rédacteur en chef se sont vendus à 30 600 exemplaires en moyenne des numéros 89 à 96.
Le numéro 97 ne s'est vendu qu'à 15 327 exemplaires.
De nombreux mails de M.[R] adressés à [P] [D] sont versés par l'employeur.
Il est demandé à [P] [D] plus 'd'accroche'.
On peut lire en substance ' n'hésitez pas à faire une couv atomique, pas lisse et proprette comme Marie Claire ou ELLE pour garçons', ' ne me parlez plus du contenu US fade et chiant à mourir'.
Le désaccord sur la surenchère voulue par M.[R] que traduisent ces courriels ne démontre pas une insuffisance professionnelle du salarié et n'aurait pu qu'être sanctionné disciplinairement si ce dernier avait passé outre.
Il n'est pas contesté qu'après le départ de [P] [D], le contenu éditorial a été changé à 80% sans pour autant de résultat significatif sur les ventes.
Les deux premiers numéros sous la rédaction de M. [H] vont se vendre à 22 000 exemplaires, les numéros 100 à 107 à 27 000 en moyenne.
M. [H] a été licencié pour motif économique le 30 juin 2009. Il est indiqué dans la lettre de licenciement,' dans la période particulièrement dure que traverse la presse périodique, le niveau des ventes du magazine MAXIMAL dont vous êtes le rédacteur en chef connaît une chute constante depuis des mois (..).'
La cour ne retiendra pas la thèse de [P] [D] selon laquelle son licenciement reposait en réalité sur un motif économique, dans la mesure où son poste n'a pas été supprimé et qu'il a été remplacé par M. [H].
Pour autant, il n'est pas établi que le fait que [P] [D] n'ait pas réussi à redresser les ventes du magazine et qu'elles aient même chuté à la fin de la relation contractuelle soit du à une insuffisance professionnelle de sa part eu égard au contexte économique extérieur.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de [P] [D] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences indemnitaires de la rupture
[P] [D] était âgé de 27 ans et ne comptait qu'une ancienneté de 7 mois au moment du licenciement.
Au visa de l'article L.1235-5 du code du travail applicable en l'espèce, un salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Le salarié justifie avoir été indemnisé par Pôle Emploi jusqu'en septembre 2009.
Il produit en outre des certificats médicaux indiquant que son licenciement l'a atteint psychologiquement et qu'un traitement anxiolytique a du lui être prescrit.
Le préjudice subi sera indemnisé par l'allocation de la somme de 10.000 €, le jugement devant être réformé dans ce sens.
Cette somme ayant déjà été versée au titre de l'exécution provisoire du jugement, il n'y pas lieu à statuer sur les intérêts.
La demande de remboursement par le salarié est sans objet, le présent arrêt valant titre.
Sur les autres demandes des parties
L'équité en la cause commande de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la société à verser à [P] [D] la somme de 1 000 € sur fondement de ce même article en cause d 'appel et de la débouter de sa demande de ce chef.
La SA 1633, qui succombe, supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Réforme partiellement le jugement déféré rendu le 15 septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de MARSEILLE,
Statuant à nouveau,
Condamne la SA 1633 à verser à [P] [D] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirme pour le surplus la décision entreprise,
Y ajoutant,
Condamne la SA 1633 à payer à [P] [D] une somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d 'appel,
Condamne la SA 1633 aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT