COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 22 MAI 2012
N°2012/340
YR
Rôle N° 11/10492
Société COTE D'AZUR ROUTAGE
C/
[Y] [I]
Grosse délivrée le :
à :
SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE
Me Cédric PEREZ, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 19 Avril 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1357.
APPELANTE
Société COTE D'AZUR ROUTAGE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par la SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE substituée par Me Estelle CIUSSI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Mademoiselle [Y] [I], demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Cédric PEREZ, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Yves ROUSSEL, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUSSEL, Président
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Brigitte PELTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Monique LE CHATELIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2012
Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Madame Monique LE CHATELIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 23 mai 2005, Madame [Y] [I] a été engagée suivant contrat à durée déterminée par la société DIRECT 1000 en qualité d'employée administrative puis ce contrat s'est transformé en un contrat à durée indéterminée à compter du 1er août 2008, Mme [I] percevant une rémunération de 1.450 € brut.
La société ROUTEX, actionnaire à 100 % de la société DIRECT 1000, a décidé de prononcer la dissolution par anticipation de cette dernière courant 2007, laquelle a eu pour conséquence l'intégration de tous les salariés de DIRECT 1000 chez ROUTEX.
Par jugement du 2 juin 2008, le Tribunal de Commerce d'EVRY a ouvert à l'égard de la SAS ROUTEX une procédure de redressement judiciaire et s'est prononcé sur la cession partielle de certaines entités du groupe ROUTEX .
Suivant courrier du 10 octobre 2008, Mme [I] a reçu notification de son licenciement économique motivé par le fait que les plans de cession s'étaient traduits par la non reprise des postes de travail, notamment au sein de sa catégorie professionnelle et qu'il était dans ces conditions impossible d'opérer un reclassement interne au sein de l'entreprise ROUTEX.
Faisant valoir que la société COTE D'AZUR ROUTAGE (CAR) , ayant un dirigeant commun avec son employeur, avait utilisé son travail salarié dans le cadre d'un lien de subordination et qu'elle avait ainsi été son employeur, sans officialiser de contrat de travail, puis qu'elle avait manqué à ses obligations à son égard, notamment au moment du licenciement, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes, de Grasse de différentes demandes, lequel statuant par jugement en date du 19 avril 2010, a condamné la Société COTE D'AZUR ROUTAGE, à lui payer la somme de 10.800 € à titre de dommages intérêts pour préjudice subi, par suite du prêt de main-d''uvre, et 750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les autres demandes étant rejetées.
Appelante, la société COTE D'AZUR ROUTAGE fait valoir que Mme [I] n'a pas contesté le motif économique de la rupture de son contrat de travail avec ROUTEX, son seul employeur et qu'elle n'a jamais employé cette dernière, comme celle-ci le prétend.
Elle soutient que le seul lien qui a existé entre la société employeur de Mme [I], et elle-même est un contrat de sous-traitance dans le cadre duquel cette salariée a eu des contacts avec la société CAR.
Elle demande à la cour de dire que Mme [I] ne remplit pas les critères du salariat à l'égard de CAR, de constater qu'en l'état de la relation commerciale de sous-traitance existant entre les sociétés DIRECT 1000, ROUTEX et COTE D'AZUR ROUTAGE, il n'existe aucun contrat de travail entre la société COTE D'AZUR ROUTAGE et Madame [Y] [I]; de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'absence d'existence d'un contrat de travail entre les parties ; de le réformer quant au surplus ; de juger qu'il n'existe pas de délit de marchandage et de rejeter la demande de dommages-intérêts de Mme [I] et ses autres demandes ; de la condamner à restituer à la société COTE D'AZUR ROUTAGE la somme de 5.500 euros versée ensuite de la décision de première instance ; de la condamner à lui payer la somme de 4500 € pour procédure abusive et celle de 5000 € au titre de l'article 700 du Code Procédure Civile, ainsi que les dépens.
Madame [Y] [I] affirme que durant l'exécution de son contrat de travail avec la société DIRECT 1000 elle n'a cessé de travailler pour la société CODE D'AZUR ROUTAGE ; que cependant, cette dernière société ne lui a jamais versé la moindre rémunération, alors pourtant qu'elle effectuait une prestation de travail sous la subordination du personnel dirigeant de cette société caractérisant ainsi l'existence d'un contrat de travail ; qu'après son licenciement économique et malgré le fait qu'elle travaillait depuis de nombreuses années au sein de la structure, la société COTE D'AZUR ROUTAGE n'a pas officialisé les relations contractuelles.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société COTE D'AZUR ROUTAGE, de condamner cette dernière société à lui payer la somme de 21 600 € à titre de rappel de salaire, celle de 2 160 € à titre de congés payés sur rappel de salaire, celle de 10 800 € a titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , celle de 3.600 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, celle de 360 € au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis ; celle de 720 € au titre de l'indemnité de licenciement ; celle de 10 800 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé et, subsidiairement, de confirmer le jugement entrepris qui a constaté l'absence de sous traitance entre la société COTE D'AZUR ROUTAGE et la société DIRECT 1000 et a condamné la société COTE D'AZUR ROUTAGE à lui payer la somme de 10 800 € à titre de dommages et intérêts, de condamner CAR à lui payer la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il est renvoyé au jugement, aux pièces et aux conclusions oralement reprises de l'audience.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'irrecevabilité,
L'appelante fait valoir que Mme [I] n'est plus recevable à discuter les prestations qu'elle a fournies dans le cadre de l'exercice de son contrat de travail avec DIRECT 1000 ; que les contacts réguliers qu'elle avait avec CAR s'inscrivaient seulement dans le cadre de l'exercice de son contrat de travail avec DIRECT 1000 et dans le cadre de missions de sous-traitance confiées par CAR à DIRECT 1000 ou par DIRECT 1000 à CAR ; qu'elle a perçu des indemnités correspondant au licenciement économique dont elle a fait l'objet suite à la liquidation judiciaire de la société DIRECT 1000 sans jamais en contester le motif ; que sa demande indemnitaire formée contre COTE DAZUR ROUTAGE est donc totalement irrecevable.
Mais le fait par Mme [I] de n'avoir pas contesté le motif économique de la rupture du contrat de travail qui la liait à la société DIRECT 1000 reprise par ROUTEX et d'en avoir accepté toutes les conséquences, ne lui interdit pas d'agir contre la société COTE D'AZUR ROUTAGE, qui a une personnalité distincte de celle de son ancien employeur, afin de se voir reconnaitre les droits découlant du contrat de travail qu'elle prétend avoir existé entre cette dernière société et elle-même.
Au fond,
La société CAR fait valoir qu'elle a entretenu des relations de sous-traitance avec la société DIRECT 1000 ; que la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour apprécier l'opportunité économique ou technique du choix de la sous-traitance ; qu'en conséquence des relations réciproques qu'entretenaient les deux sociétés, des factures ont été émises soit par CAR soit par DIRECT 1000 ; que l'extrait compte de tiers de CAR confirme l'existence de ces facturations de prestations diverses et d'affranchissement (1.431.977,68 € sur la période du 01/04/05 au 31/03/06 ; 2.098.628,41 € sur la période du 01/04/06 au 31/03/07 ; 2 187 638,27 € sur la période du 01/04/07 au 31/03/08) ; qu'il existe aussi des factures nombreuses de CAR à DIRECT 1000 ( 105.049,72 € facture 07050370 du 31/05/2007 ; 101.3372 € facture 07050373 du 31/07/2007 ; 15.910,22 € facture 0705037 du 31/07/2007 ; 19.277,98 € facture 08020374 du 29/02/2008) ; que ces éléments mettent à néant l'affirmation de Mme [I] selon laquelle elle a travaillé à plein temps pour CAR, tout en ayant travaillé à plein temps pour DIRECT 1000, ceci pendant 36 mois ; que le conseil de prud'hommes en a tiré la juste conséquence en refusant de reconnaître l'existence d'un contrat de travail entre CAR et Madame [I]; que les éléments qu'elle produit devant la cour ne prouvent pas l'existence d'un lien de subordination caractérisant un contrat de travail ; qu'en particulier, il n'importe que le nom de [Y] [I] soit mentionné sur des fiches clients de CAR, puisque celle-ci était chargée, dans le cadre de sa fonction au sein de DIRECT 1000 de procéder aux vérifications de certaines taches réalisées notamment entre les deux sociétés ; que, de même, le fait qu'elle ait reçu 10 e-mails en 3 années l'informant des opérations en cours ne caractérise pas l'existence d'un lien de subordination, ces message n'émanant pas des dirigeants de la société COTE D'AZUR ROUTAGE et que la sous-traitance ayant été licite, il n'existe pas de délit de marchandage.
Mais, Madame [I] qui était rémunérée par la société DIRECT 1000, à laquelle a succédé ROUTEX, a incontestablement accompli une prestation de travail au profit de la société COTE D'AZUR ROUTAGE, où elle avait la fonction d'assistante commerciale.
La preuve en résulte de la production de plus de trente fiches de clients différents de la société COTE D'AZUR ROUTAGE où son nom apparait suivi de ce titre.
C'est donc vainement que CAR, prétend que ces documents n'ont pas la portée que Mme [I] leur donne au motif allégué que « celle-ci était chargée, dans le cadre de sa fonction au sein de DIRECT 1000 de procéder aux vérifications de certaines taches réalisées notamment entre les deux sociétés », sans préciser la nature de ces tâches et sans expliquer la raison pour laquelle le rôle qu'elle dit avoir été le sien n'est pas mentionné sur ces fiches clients.
De plus, deux bordereaux de confirmation de booking LCL de la société DIMOTRANS pour deux transports par bateau à destination de [Localité 2] et de [Localité 5] portent la mention, le premier « attn COTE D'AZUR ROUTAGE à l'att de [Y] », le second « attn [Y] COTE D'AZUR a transmettre à votre client », le fait n'étant pas contesté que la personne concernée est Madame [I].
D'autre part, quoiqu'en dise la société CAR, Mme [I] a reçu des instructions qui lui ont été données par des salariés de CAR, dans l'exercice normal de l'activité de cette dernière société.
Ainsi, Monsieur [S] [C], investi de la responsabilité de directeur commercial , et Madame [B] [R], assistante de direction, lui ont adressé des instructions par e-mails.
Monsieur [S] [C] en atteste : « Je soussigné, Mr [C] [S], avoir donné à de nombreuses reprises des directives à Madame [I] [Y] pour qu'elle effectue des taches aux intérêts de ma société COTE D'AZUR ROUTAGE. J'étais le directeur commercial de la société « CAR » et en cette qualité il m'appartenait de contrôler et diriger Madame [I] sous la directive de mon employeur Mr [P] gérant de la société. A mes yeux, Madame [I] a toujours été considérée comme une employée de la société COTE D'AZUR ROUTAGE ».
Toutefois, Madame [I], qui n'apporte aucun élément sur les horaires de travail qui étaient les siens, qui ne conteste pas qu'elle était effectivement en poste chez DIRECT 1000, qui a d'ailleurs implicitement admis l'existence et la validité du contrat de travail rompu par le licenciement économique et qui ne prétend ni n'établit qu'elle était employée à temps plein par CAR, aucun élément du dossier n'établissant qu'il y a eu transfert permanent du lien de subordination, ne peut obtenir ce qu'elle réclame par référence au contrat de travail qu'elle dit avoir existé entre elle-même et CAR.
En revanche, ainsi qu'elle le soutient à titre subsidiaire et que l'a admis le conseil de prud'hommes, elle a été incontestablement mise à la disposition de la société COTE D'AZUR ROUTAGE par son employeur, dans le cadre d'un prêt de main-d''uvre , le conseil de prud'hommes ayant considéré, quant à lui, que la présence de dirigeants communs aux deux sociétés expliquait pour une part ce type de fonctionnement.
Certes, la société CAR prétend avoir eu une relation de sous-traitance avec DIRECT 1000.
Mais elle n'établit pas le caractère licite de cette relation.
En particulier, elle ne produit pas de contrat commercial ayant pour objet l'exécution par DIRECT 1000 et sous sa propre responsabilité, d'une tâche nettement définie.
Elle n'indique pas en quoi les tâches confiées en sous-traitance à la société DIRECT 1000, qui avait la même activité qu'elle-même, présentaient un caractère d'originalité par rapport à ses propres activités.
Elle ne prouve pas l'existence d'une rémunération forfaitaire de la prestation dite de sous-traitance, les éléments comptables qu'elle produit établissant seulement l'existence de mouvements de fonds entre les deux sociétés relatifs à des échanges de produits.
Dans ces conditions, Mme [I] est fondée à soutenir que cette situation lui a été préjudiciable en raison du travail accompli en dehors de tout cadre légal au profit de la société COTE D'AZUR ROUTAGE.
Il sera donc fait droit à sa demande subsidiaire, en intégralité, telle qu'elle a été accueillie par le conseil de prud'hommes, soit l'octroi de la somme de 10 800 € à titre de dommages-intérêts, l'intéressée ayant connu, après la perte de son emploi, une période de chômage ayant duré jusqu'au mois d'octobre 2009.
Les demandes de CAR seront rejetées. Elle sera condamnée aux dépens et devra verser une indemnité à Madame [I], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale.
REÇOIT l'appel,
CONFIRME le jugement entrepris,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société COTE D'AZUR ROUTAGE à payer à Mme [I] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,
CONDAMNE la société COTE D'AZUR ROUTAGE aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT