COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 13 JUIN 2012
N°2012/599
Rôle N° 11/10005
Société M + MATERIAUX
C/
[Y] [O] [M]
CPCAM DES BOUCHES DU RHONE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Alain DE ANGELIS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE
CPCAM DES BOUCHES DU RHÔNE
copie certifiée conforme
délivrée
le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 14 Avril 2011,enregistré au répertoire général sous le n° 20902513.
APPELANTE
Société M + MATERIAUX, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Alain DE ANGELIS, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [Y] [O] [M], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE
CPCAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 5]
représenté par Mme [R] [L] en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 2]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette AUGE, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2012
Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[Y] [O] [M] a saisi le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale (TASS) des Bouches du Rhône d'un recours tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, société M+ Matériaux, dans le cadre de l'accident en date du 28 février 2007, à la majoration de sa rente à son taux maximum, à la désignation d'un expert aux fins de déterminer ses préjudices, et à l'allocation d'une somme de 10 000 € à titre de provision.
Le Tribunal par jugement en date du 14 avril 2011, a fait droit au recours, accordé 5 000 € de provision, et dit que la caisse fera l'avance de toutes les sommes devant être dues au titre de la faute inexcusable.
La société M+ MATERIAUX a relevé appel de cette décision, le 1er juin 2011.
Le conseil de l'appelant expose tout d'abord que les demandes sont irrecevables à son encontre, la société M+ MATERIAUX n'étant pas l'employeur du requérant au moment des faits allégués, que subsidiairement la faute inexcusable ne peut être réunie en l'absence de démonstration de toute description des faits et de la réalité de l'accident allégué, ainsi que de la réunion des éléments constitutifs de la faute inexcusable, et sollicite le rejet des demandes complémentaires du requérant.
Il sollicite donc l'infirmation du jugement en ce sens, et une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
[Y] [O] [M] demande la confirmation de la reconnaissance de la faute inexcusable et sollicite l'évocation des points non jugés en première instance relatifs aux préjudices complémentaires.
Il sollicite également une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
De son côté la Caisse entend s'en remettre à justice sur la détermination éventuelle de la faute inexcusable, s'oppose à la demande du requérant relative à l'indemnisation du préjudice pouvant résulter de la perte de chances de promotion professionnelle, et demande la confirmation de la décision d'opposabilité à l'employeur, de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident en cause.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures des parties reprises oralement à l'audience.
La DRJSCS régulièrement convoquée n'a pas comparu.
SUR CE
Sur la recevabilité de l'action à l'encontre de la société M+ MATERIAUX
Attendu que la société M+ MATERIAUX soutient qu'elle n'était plus l'employeur du requérant au moment de l'accident allégué en date du 28 février 2007, celui-ci étant devenu depuis le 1er novembre 2006 salarié de la SARL PACA MATERIAUX ; que cette dernière société a été dissoute le 10 octobre 2008 mais qu'alors [Y] [O] [M] a été transféré sur l'établissement de [Localité 6] du Groupe M+, dépendant juridiquement toujours de la SARL PACA MATERIAUX ;
Attendu certes, qu'il n'est pas contesté que la SAS M+ MONTPELLIER est devenue par la suite la société M+ DEVELOPPEMENT, la société GROUPE+, puis la société M+ MATERIAUX ;
Que toutefois, tel que relevé par le premier juge, la société appelante ne produit aucun document justifiant du transfert du salarié auprès de la société PACA MATERIAUX, au sens des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, et en outre informant le salarié de ce transfert ;
Que dans le même temps, il est à observer que l'ensemble des bulletins de salaire fournis ont été rédigés à l'entête de la société M+ MATERIAUX ; qu'en outre, un document intitulé « certificat de travail », en date du 31 décembre 2009, est produit au dossier, et fait apparaître : « je soussigné GROUPE M+ agence [Localité 6] ' certifie qu'[Y] [O] [M] ' a été employé dans l'entreprise en qualité de chauffeur magasinier du 3 juillet 2006 au 31 décembre 2009 » ;
Qu'en conséquence, l'absence de continuité de l'embauche du requérant par la société M+ MATERIAUX n'est pas prouvée ; qu'ainsi, c'est à juste titre que le premier juge a dit que l'action d'[Y] [O] [M] est recevable ;
Sur la faute inexcusable
Attendu que le requérant expose que le 28 février 2007, il a conduit un véhicule-grue pour le compte de son employeur ; que sur un chantier de maisons individuelles, lieu de livraison, le salarié a procédé au déchargement de palettes de tuiles et de fermettes ; que dans le cadre de ces man'uvres de déchargement, il a été blessé ;
Que la déclaration d'accident du travail du 28 février 2008 mentionne « en déchargeant le camion, une fermette a glissé et percuté Mr [O] » ;
Que le certificat médical en date du 19 mars 2007 mentionne : « à la suite d'un accident de la voie publique ' une fracture transversale du cotyle ' au niveau du membre supérieur droit ' une fracture non déplacée de la tête radiale et une fracture du scaphoïde carpien » ;
Attendu, concernant la faute inexcusable, que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ou de l'activité confiée à celui ci ;
Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Qu'il importe de rappeler que pour faire retenir la faute inexcusable de l'employeur, le salarié doit nécessairement établir de manière circonstanciée, d'une part l'imputabilité de l'accident à son activité au sein de l'entreprise et donc qualifier l'exposition au risque et d'autre part la réalité de la conscience du danger auquel l'employeur l'exposait, ne l'ayant pas malgré cela amené à prendre les mesures de prévention utiles ;
Attendu qu'ainsi l'exposition au risque soulève la question du caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident ; qu'il va de soi qu'il ne saurait y avoir reconnaissance d'une faute inexcusable imputable à l'employeur, s'il devait être admis que l'affection du salarié n'est pas d'origine professionnelle ; que la juridiction saisie d'une action en reconnaissance d'une faute inexcusable est ainsi en mesure de rechercher si la maladie ou l'accident a un caractère professionnel et si le salarié a été exposé au risque dans des conditions constitutives d'une telle faute ;
Attendu en l'espèce que l'imputabilité de l'accident à l'activité au sein de l'entreprise est contestée, l'employeur fondant précisément ses premières démonstrations sur l'absence de description des faits ; qu'il précise : « en l'espèce, le tribunal n'a absolument pas décrit les circonstances de l'accident ' qu'il s'est contenté d'entériner les faits tels que décrits par Mr [O] dans ses écritures, sans vérifier l'existence d'une quelconque preuve venant étayer les faits et les circonstances de l'accident » ;
Que le requérant répond que lors de la déclaration d'accident du travail l'employeur n'a émis aucune réserve sur les faits ;
Attendu qu'il est à rappeler que l'absence de réserves portées par l'employeur sur la déclaration qu'il adresse à la Caisse quant au caractère professionnel de l'accident ne vaut pas reconnaissance tacite de sa part d'un tel caractère et ne le prive pas de la possibilité de le contester par la suite ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L 452-4 du code de la sécurité sociale que le caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident peut être ainsi remis en cause lors d'une action en reconnaissance de faute inexcusable ; que dans ce cas le bénéfice de la reconnaissance du caractère professionnel de l'affection reste toutefois acquis au salarié, en ce qui concerne ses relations avec la caisse, mais il va de soi qu'il ne saurait y avoir reconnaissance d'une faute inexcusable imputable à l'employeur, s'il était admis au cours de cette instance que l'affection du salarié n'est pas d'origine professionnelle ;
Attendu par ailleurs que selon les dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, notamment l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail ;
Que toutefois, il est évidemment nécessaire que la matérialité de cet accident soit préalablement établie, soit par le témoignage de personne ayant assisté à l'accident, soit par des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'avoir la certitude de la réalité des faits invoqués ;
Que la présomption d'imputabilité ne peut résulter des seules allégations de la victime non corroborées par des éléments objectifs ;
Qu'en l'espèce, la déposition des faits est fournie sans témoignage extérieur ; qu'en effet les deux témoignages livrés au dossier par Mrs [N] et [U], en date respectivement des 25 février et 6 octobre 2008, ne concernent aucunement une quelconque description directe de l'accident allégué, mais des conditions générales de travail ;
Attendu, comme rappelé ci-dessus, que doit être remplie l'exigence de réunir des présomptions précises, graves et concordantes permettant d'obtenir une certitude, ou à tout le moins d'établir la réunion d'éléments objectifs venus corroborer les déclarations de la victime ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la certitude des faits invoqués n'est pas démontrée par un faisceau de présomptions suffisamment précises et concordantes ;
Attendu en conséquence que la recherche des éléments constitutifs de la reconnaissance d'une faute inexcusable imputable à l'employeur est en l'espèce devenue sans objet, dans la mesure où il vient d'être établi que la preuve de l'origine professionnelle de l'affection du salarié, fait défaut ;
Que de même, sont devenues sans objet les demandes relatives à la réparation des préjudices complémentaires ;
Attendu qu'il convient donc de considérer qu'en faisant droit au recours sur l'action du chef de faute inexcusable, le premier juge n'a pas fait une juste appréciation des faits de la cause, et que sa décision doit être infirmée ;
Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, il est équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la procédure devant les juridictions de la sécurité sociale est gratuite et sans frais conformément aux dispositions de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale, il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale,
Déclare recevable l'appel de la société M+ MATERIAUX,
Confirme le jugement en sa seule disposition déclarant recevable l'action de [Y] [O] [M],
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Dit que les éléments constitutifs de la faute inexcusable de la société M+ MATERIAUX ne sont pas réunis, et ce, avec toutes conséquences de droit,
Rejette les autres demandes des parties,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT