COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 07 SEPTEMBRE 2012
N° 2012/346
Rôle N° 11/11156
[O] [E]
[J] [G] épouse [E]
C/
Association GEMINNUTZIES ERHOLUNGSWERK EINGETRAGENER
Grosse délivrée
le :
à :SELARL BOULAN
SCP BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 19 Mai 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 09/2711.
APPELANTS
Monsieur [O] [E]
né le [Date naissance 2] 1933 à [Localité 5] (ALGERIE), demeurant [Adresse 3]
Madame [J] [G] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 5] (ALGERIE), demeurant [Adresse 3]
représentés par Me CHERFILS de la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, aux lieu et place de la SCP BLANC-CHERFILS, avoués, ayant la SCP SCHRECK, avocats au barreau de DRAGUIGNAN,
INTIMEE
Association GEMINNUTZIES ERHOLUNGSWERK EINGETRAGENER, pris en la personne de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège sis, [Adresse 8]
représentée par la SCP BADIE, SIMON-THIBAUT et JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE aux lieu et place de la SCP DE SAINT FERREOL TOUBOUL ,avoués, plaidant par Me Thibaut POZZO DI BORGO, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Paul ASTIER, Président
Monsieur André FORTIN, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie AUDOUBERT.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Septembre 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Magistrat rédacteur : Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Septembre 2012,
Signé par Monsieur Jean-Paul ASTIER, Président et Madame Sylvie AUDOUBERT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits et procédure :
Monsieur et Madame [E] sont propriétaires à [Localité 9], depuis 1984, d'une maison, où ils ont pour voisin, au sud de leur parcelle, les installations d'un centre de vacances, appartenant à une association allemande dite GEE, implantée dans les lieux depuis 1967.
Monsieur et Madame [E] se plaignant de diverses nuisances sonores dues à l'installation d'un complexe aquatique ont obtenu, en référé, la désignation d'un expert qui a déposé son rapport le 1er décembre 2008.
Les époux [E] ont alors fait assigner l'association GEE par-devant le tribunal de grande instance de Draguignan sur le fondement du trouble anormal de voisinage afin que l'association GEE soit, notamment, condamnée, sous astreinte, à réaliser les travaux préconisés par l'expert afin de faire cesser les troubles nocturnes et diurnes qu'ils subissent, et ils ont également sollicité l'octroi de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 3.000 € à chaque constatation du dépassement de seuils réglementaires de bruit.
Par jugement du 19 mai 2011, le tribunal de grande instance de Draguignan a statué ainsi qu'il suit :
- dit que Monsieur et Madame [E] ont subi pendant les saisons estivales 2007 et 2008 des troubles de voisinage résultant du bruit du système de filtration et de renouvellement d'eau des piscines de l'association GEE,
- condamne l'association GEE à réparer ces troubles par le paiement de la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts,
- dit que les bruits résultant de l'utilisation de la piscine par les résidents du centre de vacances ne constituent pas un trouble anormal de voisinage,
- rejette les demandes en exécution de travaux et de cessation des troubles sous astreinte,
- rejette la demande en réparation d'un préjudice moral,
- rejette la demande d'exécution provisoire de la décision,
- condamne l'association GEE à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 2.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejette la demande de l'association GEE par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne l'association GEE à supporter les dépens qui comprendront les honoraires de l'expert judiciaire.
Par déclaration du 24 juin 2011, Monsieur et Madame [E] ont relevé appel de cette décision.
Par conclusions déposées le 19 avril 2012, Monsieur et Madame [E] demandent à la Cour de :
- confirmer la décision attaquée en ce que le trouble du voisinage pour les saisons 2007 et 2008 du fait de la filtration de la piscine a été retenu, mais le réformer en sa disposition qui a rejeté le trouble anormal du fait des résidents utilisant la piscine
- réformer le jugement sur les dommages et intérêts accordés et condamner le défendeur à réparer le trouble subi depuis mai 2007 et jusqu'à l'arrêt à intervenir à hauteur de 1.100 € par semaine en pleine saison, du 15 juin au 15 septembre, et 550 € par semaine en moyenne saison, du 15 mai au 15 juin et du 15 septembre au 15 octobre,
- réformer le jugement qui a rejeté la demande d'exécution des travaux et condamner la défenderesse sous astreinte de 500 € par jour courant de la signification de l'arrêt à intervenir à réaliser les travaux nécessaires à faire cesser le trouble diurne préconisés par l'expert judiciaire,
- réformer le jugement qui a rejeté la demande en réparation du préjudice moral et condamner l'intimé à leur payer la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 6.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'intimé aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les honoraires de l'expert judiciaire, distraits au profit de Me Cherfils.
Par conclusions déposées le 25 mai 2012, l'association GEE demande à la Cour de :
Vu l'article 544 du Code civil,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes des époux [E] au titre de l'exécution de travaux prétendument nécessaires à la cessation d'un trouble de voisinage devenu inexistant depuis le mois de mai 2009,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande des époux [E] en réparation d'un préjudice moral,
en conséquence,
- débouter pour le surplus les époux [E] leurs demandes,
en tout état de cause,
- condamner les époux [E] au paiement de la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la S.C.P. Badie.
L'ordonnance de clôture a été prise le 12 juin 2012, avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée ; rien au dossier ne conduit la Cour à le faire d'office. L'appel sera donc déclaré recevable.
Sur le fond :
L'expert, qui a procédé aux constatations et mesures, dans le cadre de l'ordonnance de référé qui l'a désigné, retient :
-que la villa de Monsieur et Madame [E] occupe la parcelle [Cadastre 4] du plan cadastral, dont le jardin est directement mitoyen de la zone de baignade de l'association,
- que l'association a réalisé une piscine conforme aux normes d'hygiène et réglementaires d'urbanisme suivant un permis en date du 25 avril 2006,
- et qu'il existe deux types de nuisances sonores :
* celles concernant le bruit d'écoulement de l'eau liée à la filtration de la piscine dont le fonctionnement est permanent de jour comme de nuit, ainsi qu'au fonctionnement de la cascade
* et celles provenant de l'activité touristique du centre de vacances et plus particulièrement des baigneurs fréquentant la piscine pendant les périodes d'ouverture entre 9:00 et 18:00.
L'expert a par ailleurs effectué diverses investigations techniques :
- le 2 août 2008, il procède à la mesure du bruit de l'écoulement d'eau dans les goulottes depuis le balcon de la villa des époux [E] hors la présence du public. Il retient que le fonctionnement de la filtration est permanent et que la limite fixée par le code de la santé publique, qui est de 3 dBA la nuit et de 5dBA le jour, est dépassée, se situant en l'espèce au moment de ses mesures, entre 7 H 20 et 7 H 50, à 4,4 dBA, soit (44,6 - 37,2) - 3.
- le 6 août 2008, l'expert mesure la contribution de la présence du public au niveau du bruit ambiant. Il retient que lorsque la piscine est ouverte, il y a une émergence de 11,1dBA et un dépassement de 6,1 dBA en valeur énergétique globale moyenne, et que lorsque la piscine est fermée, il n'y a pas de dépassement d'émergence du bruit.
L'expert précise encore que les pics de ces bruits peuvent atteindre couramment les 65 dBA mesurés sur la terrasse de la villa des époux [E], couvrant le niveau d'une conversation normale jusque dans le salon portes ouvertes, que cela peut constituer 'une gêne réelle du fait de la situation de la piscine entourée d'immeubles dont les façades réfléchissent le bruit vers le haut du vallon', occupé par les époux [E].
- Enfin, le 13 août 2008,l' expert procède à la mesure du bruit engendré par la circulation de l'eau des bassins vers les goulottes et de l'eau des goulottes vers les réseaux gravitaires de la filtration ainsi qu'à la mesure de la contribution de la cascade.
Il retient que lorsque les machines sont arrêtées, le bruit résiduel est de 41,4 dB sur la plage ; que la mise en route de la filtration sur les goulottes fait passer ce niveau à 55dBA, ce qui représente une différence de 13,6dBA pour un bruit de clapotis et de succion au droit des siphons d'évacuation ; que la cascade du bassin supérieur augmente le bruit global de 3,3 dBA en le faisant passer de 55 à 58,3 dB, ce qui signifie que le bruit de la cascade seule est équivalent au bruit des goulottes, et ce qui rend nécessaire le traitement du bruit des goulottes ainsi que celui de la cascade.
L'association GEE a pris, suite à ces constatations de l'expert, diverses mesures techniques pour pallier aux bruits de l'eau, puis, elle a fait revenir l'expert, à titre privé et de façon non contradictoire, le 6 mai 2009 pour de nouvelles mesures, dont il résulte après que l'expert ait calculé 'l'amortissement spatial entre la piscine et la terrasse des époux [E], que 'les travaux d'amélioration entrepris... sur la filtration nocturne de la piscine permettent de considérer que l'installation respecte les dispositions réglementaires de nuisances acoustiques vis à vis du voisinage', le niveau de pression acoustique qui était de 55 dBA le 13 août 2008 étant passé à 49,5 dBA ; (qu)' 'en régime de jour (filtration à grand débit) la tolérance passe à 5 dB, (que) l'augmentation du niveau mesuré est de... 2,9 dB, qu'il convient d'ajouter à l'émergence de nuit 2,9 + 1,9 = 4,8 dBA', l'expert retenant que 'le bruit perçu depuis la terrasse de M. [E] dans ces conditions de jour reste acceptable'.
L'expert observe par ailleurs que 'par contre, la mise en place de la cascade ajoute 4 dBA aux 4,8 mesurés ce qui donne un dépassement de 3,8 dBA la valeur susceptible d'entraîner une gêne de voisinage'.
Le 16 mai 2009, l'expert est à nouveau revenu après que l'association ait réalisé une seconde tranche de travaux, destinés à amoindrir le bruit provenant de la succion de l'eau en fond de goulotte. La mesure qui était de 49,5dBA le 6 mai est alors de 41,4 dBA.
Par suite, l'expert conclut que désormais, en régime de jour, avec filtration à grand débit et cascade, « le niveau mesuré au droit de la piscine est de 55 dBA ; (que) le niveau de pression acoustique au droit de la terrasse de M. [E] est diminué de l'atténuation spatiale calculée ci-dessus à 10,4 dBA, soit 55 - 10,4 = 44,6 dBA pour un bruit ambiant de 41,4 dBA, soit une émergence de 3,2 dBA pour une tolérance de 5 dBA. Le bruit perçu depuis la terrasse de M. [E] dans ces conditions de jour est conforme à la réglementation sur le bruit de voisinage.... , et le fonctionnement hydraulique de la piscine en régime de jour et de nuit respecte le code de la santé publique. »
Il s'en déduit, ainsi que le premier juge l'a retenu, que le trouble de voisinage, généré par les bruits de l'eau, qui a effectivement existé pour Monsieur et Madame [E] pendant les 2 premières années d'exploitation de la piscine a désormais disparu.
Ce préjudice ayant cependant perduré, de jour comme de nuit, de façon constante, avec une intensité perturbante de la vie et du sommeil des époux [E] et ce entre les mois de mai à octobre, pendant les 2 premières saisons d'exploitation, la cour réformera le jugement sur le quantum de leur indemnisation qu'elle fixera à 10.000 €.
Aucune preuve n'est faite d'un préjudice moral distinct subi par les époux [E]. La Cour ne fera donc pas droit à la réclamation de ce chef.
La demande de condamnation sous astreinte de l'association GEE en réalisation des travaux préconisés par l'expert sera également rejetée en l'état des observations faites ci-dessus relativement à la cessation du trouble.
Sur le trouble généré par le comportement des baigneurs, l'expert a relevé un dépassement moyen de 6,1 dBA pour des bruits résiduels et particuliers, respectivement mesurés pour 42,6 dBA et 53,7 dBA, avec des pics variables.
Sur l'antériorité de l'exploitation par l'association, il sera retenu que si en 1984, date d'achat de leur bien par les époux [E], l'association était déjà installée, mais sans la piscine, et si à ce jour, le trouble allégué provient donc d'un complexe qui n'était alors pas construit, il n'en demeure pas moins que le centre de vacances pré-existait, avec un mode d'hébergement et de fonctionnement collectif, inhérent à son principe, nécessairement générateur de bruits supérieurs à une habitation individuelle, ce que les époux [E] pouvaient donc envisager compte tenu de la situation des lieux, et de l'évolution normale des modalités de la fréquentation touristique dans cette région, (diverses autres piscines ayant d'ailleurs été installées dans le quartier).
La Cour retiendra, par ailleurs, les conditions, non contestées, d'utilisation des bassins, qui sont ouverts de 9H à 18H et qui sont surveillés, ainsi que l'intensité et la durée des bruits de l'activité humaine litigieuse, qui ne sont permanents, ni dans l'année, ni dans une même journée (les valeurs mesurées par l'expert allant de 45,5 à 75,2 dBA) pour juger, eu égard à l'ensemble de ces considérations, que le trouble généré par le comportement des vacanciers ne revêt pas, en soi, le caractère anormal d'un trouble de voisinage, susceptible de donner lieu à réparation.
Les demandes présentées de ce chef par les époux [E] seront donc rejetées.
En raison de sa succombance sur l'existence du trouble, retenue par la cour, l'association GEE supportera les dépens de la procédure d'appel, et versera, en équité, à Monsieur et Madame [E] la somme supplémentaire de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de la demande formée sur ce même fondement
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Reçoit l'appel,
Réforme le jugement sur le seul montant des dommages et intérêts alloués à Monsieur et Madame [E] pour réparer le trouble anormal de voisinage subi pendant les années 2007 et 2008, résultant du bruit du système de filtration et de renouvellement d'eau des piscines et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne l'association GEE à verser à Monsieur et Madame [E] en réparation de ces troubles la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts,
Le confirme pour le surplus de ses dispositions
Y ajoutant :
Condamne l'association GEE à verser à Monsieur et Madame [E] la somme de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes plus amples des parties,
Condamne l'association GEE à supporter les dépens de la procédure d'appel et en ordonne la distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
S. AUDOUBERTJ-P. ASTIER