COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 20 DÉCEMBRE 2012
N° 2012/963
S. K.
Rôle N° 12/02369
SYNDICAT CGT DES MARINS DE MARSEILLE
C/
S.A. S.N.C.M.
Grosse délivrée
le :
à :
SELARL GOBAILLE
SCP BOISSONNET
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 25 Janvier 2012 enregistrée au répertoire général sous le N° 12/54.
APPELANT :
SYNDICAT CGT DES MARINS DE MARSEILLE,
dont le siège est [Adresse 1]
représenté par la SELARL GOBAILLE & SARAGA-BROSSAT, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Yann ARNOUX-POLLAK, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
S.A. S.N.C.M.,
dont le siège est [Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Frédéric LECLERCQ, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Novembre 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Serge KERRAUDREN, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Serge KERRAUDREN, Président
Madame Catherine ELLEOUET - GIUDICELLI, Conseiller
Monsieur André JACQUOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Décembre 2012.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Décembre 2012,
Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, Président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*-*
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Le 20 janvier 2012 le syndicat CGT des marins de Marseille a déposé simultanément trois avis d'arrêt de travail dont deux concernant le navire 'Le Corse'. Estimant que l'un de ces avis était manifestement illicite et que l'autre était frauduleux, la société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) a saisi en référé d'heure à heure le président du tribunal de grande instance de Marseille qui, par une ordonnance du 25 janvier 2012, a statué comme suit :
' Jugeons qu'est illicite l'appel à la grève du syndicat CGT des Marins de Marseille en date du 20 janvier 2012 ainsi libellé :
' Notre organisation syndicale appelle l'ensemble de l'équipage du Corse à cesser le travail, à compter de sa date et de son horaire d'appareillage à venir dans les prochains jours et ce d'heure en heure, pour une durée illimitée, dans le Port de [Localité 2]',
Ordonnons au syndicat CGT des Marins de Marseille de retirer cet appel à la grève ainsi rappelé supra,
Constatons que la grève qui a débuté suite à cet appel à la grève est illicite,
Disons n'y avoir lieu à prononcer d'astreinte,
Jugeons licite l'appel à la grève du syndicat CGT des Marins de Marseille en date du 20 janvier 2012 ainsi libellé :
'Notre organisation syndicale appelle l'ensemble de l'équipage du Corse à cesser le travail pour une durée de 24 heures reconductibles, à compter du 26 janvier 2012 à 6 heures, dans tous les ports de la continuité territoriale ainsi que [Localité 9], [Localité 8] et [Localité 7], également pour toutes autres destinations'.
Ordonnons qu'il soit mis fin à tous les obstacles et entraves qui gênent la manoeuvre et empêche la liberté de manoeuvre du navire Le Corse,
Rejetons le surplus des demandes,
Disons que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.'
Le syndicat CGT des Marins de Marseille a relevé appel de cette ordonnance et il a conclu en dernier lieu le 28 août 2012.
La SNCM, quant à elle, a conclu le 29 juin 2012.
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS
Attendu que l'appelant fait valoir que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, le premier avis d'arrêt de travail, déposé au même moment que les deux autres, ne relève pas des dispositions de l'article L 2512-2 du code du travail, au motif notamment que le navire 'Le Corse' n'était pas en exploitation commerciale et qu'il n'est pas affecté à une mission de service public ;
Attendu que, de son côté, la SNCM estime que, compte tenu de la mission de service public qui lui a été confiée, ses activités sont 'étroitement entremêlées', qu'il n'est pas possible d'opérer une distinction entre elles et que l'arrêt de travail l'a désorganisée ;
Attendu que le texte précité, qui prévoit le dépôt d'un préavis selon des modalités définies, concerne les personnels mentionnés à l'article L 2512-1, à savoir notamment ceux des entreprises, organismes et établissements publics ou privés lorsqu'ils sont chargés de la gestion d'un service public ;
Attendu qu'en l'espèce le premier avis d'arrêt de travail du 20 janvier 2012 concernait uniquement et expressément l'équipage du 'Corse', à compter de sa date et de son horaire d'appareillage à venir, d'heure en heure, pour une durée illimitée, dans le port de [Localité 2] ;
Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats et qu'il n'est pas discuté que, le 20 janvier 2012, le navire 'Le Corse' se trouvait au port de [Localité 2], qu'il devait, selon le programme prévisionnel produit, quitter [Localité 2] le 23 janvier vers 16 heures pour une arrivée à [Localité 9] à 20 heures au plus tard au pilote (essai en mer) et que le retour à l'exploitation n'était prévu que pour le 27 janvier 2012 avec un départ à 20 heures pour [Localité 4] ;
Attendu en outre et surtout, que la convention de délégation de service public passée entre la collectivité territoriale de Corse et la SNCM se rapporte à la fourniture de services maritimes réguliers entre le port de [Localité 2] et des ports de Corse et non entre celui de [Localité 9] et des ports de Corse ;
Attendu que, en admettant même que, comme l'affirme la SNCM, le personnel navigant ne soit pas affecté de manière pérenne sur un navire déterminé, il n'est pas discutable qu'en l'espèce l'équipage du Corse concerné par l'avis d'arrêt de travail était parfaitement identifiable ; que, d'ailleurs, la SNCM se réfère elle-même à cet équipage et aux 'collègues embarqués' dans sa lettre du 23 janvier 2012 adressée au syndicat CGT;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que, contrairement à ce que soutient la SNCM, il était particulièrement aisé de distinguer en l'espèce parmi ses salariés ceux dont l'activité ne relevait pas de sa mission de service public, à savoir ceux affectés au navire 'Le Corse', visés par l'avis d'arrêt de travail litigieux ;
Attendu par ailleurs que la SNCM, dans un 'point d'actualité' du 3 février 2012, indiquait que tous ses navires naviguaient normalement, hormis 'Le Corse', que la situation était grave mais que la très grande majorité des collaborateurs de la compagnie remplissaient leurs missions pour confirmer les succès de la saison dernière, que les réservations se portaient très bien ;
Attendu en conséquence que le trouble généré par l'avis précité ne peut être considéré comme manifestement illicite au sens de l'article 809 du code de procédure civile, puisqu'il ne concernait que le personnel de la SNCM non affecté à sa mission de service public et qu'il n'est pas démontré qu'il ait, de quelque manière, provoqué une interruption de ce service ou une désorganisation de l'entreprise du chef des lignes reliant [Localité 2] à la Corse ; que l'ordonnance déférée sera donc réformée, étant au surplus observé que le trouble a cessé puisque le navire a depuis repris son activité ;
Attendu, s'agissant du second avis d'arrêt de travail, que la SNCM admet qu'il respecte les dispositions légales mais prétend qu'il a été déposé de manière frauduleuse, pour anticiper les conséquences de l'annulation du premier avis ;
Mais attendu que l'appelant expose à bon droit que l'envoi de plusieurs avis d'arrêt de travail successifs, pour le même motif, n'est pas fautif ; que, dès lors que le premier avis n'est pas manifestement illicite, le moyen soulevé par l'intimée devient inopérant pour le second ; que l'ordonnance sera donc confirmée de ce chef ;
Attendu enfin qu'il n'est pas contraire à l'équité que chaque partie supporte ses frais irrépétibles de procédure ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Réformant partiellement l'ordonnance déférée et statuant à nouveau,
Dit que l'appel à la grève du syndicat CGT des Marins de Marseille du 20 janvier 2012 ainsi libellé : 'Notre organisation syndicale appelle, l'ensemble de l'équipage du Corse, à cesser le travail, à compter de sa date et de son horaire d'appareillage à venir dans les prochains jours et ce d'heure en heure, pour une durée illimitée, dans le port de [Localité 2]' n'est pas manifestement illicite,
Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus, à l'exception de ses dispositions relatives à la liberté de manoeuvre du navire 'Le Corse' et aux dépens,
Rejette les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Société nationale maritime Corse Méditerranée aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct, pour ces derniers, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT