COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 19 FEVRIER 2013
J.V
N° 2013/
Rôle N° 12/08395
[R] [B]
C/
L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
DIRECTION REGIONALE DOUANES ET DROITS INDIRECTS
Grosse délivrée
le :
à :ME DAVAL GUEDJ
ME BREU LABESSE
ME BAFFERT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 20 Mars 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 08/11405.
APPELANT
Monsieur [R] [B]
né le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 9] (ALGERIE), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Bernard BOUQUET, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMES
L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR domicilié en ses bureaux au MINISTERE DE L'ECONOMIE DES FINANCES et de L'INDUSTRIE, MINISTERE DU BUDGET des comptes publics , de la fonction Publique et de le Réforme de L'ETAT, Direction des Affaires Juridiques, [Adresse 4].
assistée par Me Marie-laure BREU-LABESSE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
DIRECTION REGIONALE DOUANES ET DROITS INDIRECTS prise en la personne de son directeur général en exercice, DIRECTION INTERREGIONALE DES DOUANES DE MEDITERRANEE - [Adresse 3]
plaidant par Me Mathieu BAFFERT, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 Janvier 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, M.VEYRE, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président
Monsieur Jean VEYRE, Conseiller
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Février 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Février 2013,
Signé par Monsieur Jean-Paul LACROIX-ANDRIVET, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement rendu le 20 mars 2012 par le tribunal de grande instance de Marseille dans le procès opposant Monsieur [R] [B] à la Direction régionale des douanes et droits indirects et à l'Agent judiciaire du Trésor ;
Vu la déclaration d'appel de Monsieur [B] du 09 mai 2012 ;
Vu les conclusions déposées par l'agent judiciaire du trésor le 20 septembre 2012 ;
Vu les conclusions déposées par Monsieur [B] le 26 décembre 2012 ;
Vu les conclusions déposées par la Direction régionale des douanes et droits indirects le 04 janvier 2013.
SUR CE
Attendu que le 28 janvier 1981, l'administration des Douanes a procédé à la saisie dans les locaux de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL, dont Monsieur [B] était le gérant, de 1.543 appareils d'une valeur hors taxe de 766.650 euros ;
Que par arrêt en date du 10 janvier 1992, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé que l'administration des Douanes avait commis une voie de fait au préjudice de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL en procédant à cette saisie, a condamné l'agent judiciaire du Trésor à verser une somme de trois millions de francs à titre de provision sur le préjudice subi par la société et a ordonné une expertise ; que l'expert désigné, Madame [Z], a déposé son rapport le 17 novembre 2000 et que par arrêt en date du 30 avril 2002, la Cour a fixé le préjudice subi par la société à la somme de 906.457 euros ;
Que sur pourvoi intenté par la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL, la Cour de Cassation a partiellement cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence par décision en date du 07 juillet 2004, et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Montpellier ; que par arrêt du 25 novembre 2008, cette juridiction a constaté le désistement de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL suite à la signature d'un accord transactionnel en date du 21 mai 2008 ;
Attendu que Monsieur [B], qui soutient qu'il existe un lien de causalité entre la saisie illégale et les préjudices qu'il a personnellement subis, sollicite la condamnation des intimés à lui payer 6.138,44 euros au titre de ses pertes de rémunération en sa qualité de gérant pour la période du 1er janvier 1981 au 21 mai 2008, outre intérêts, 746.297 euros au titre des parts de points de retraite, outre intérêts, 4.191.712 euros au titre de 'la perte de chance patrimoniale', outre intérêts, 503.081,76 euros au titre de la perte de redevances de marque, outre intérêts, 100.000 euros au titre de son préjudice physique, outre intérêts et 1.500.000 euros au titre de son préjudice moral, outre intérêts ;
Attendu, s'agissant de la mise en cause de l'agent judiciaire du Trésor, qu'il fait valoir qu'elle est conforme à l'article 38 de la loi 55.366 du 3 avril 1955 relatif au mandat légal de l'AJE dès lors que les dispositions de l'article 26 de la loi de finances rectificative N° 86.1318 du 30 décembre 1986 qui donnent compétence à l'administration des Douanes pour toutes les contestations relatives aux droits de douanes et toutes action engageant la responsabilité de l'Etat à l'occasion d'une action de saisie douanière, ont cessé d'être applicables à compter du 1er septembre 2007;
Attendu cependant que ces dispositions sont toujours applicables puisqu'elles ont été codifiées à l'article L 252 du Livre des Procédures Fiscales qui inclut les droits de douane dans la notion d'impôt, et que, parmi les actions liées indirectement au recouvrement des créances fiscales, doivent être rangées non seulement les contestations concernant l'assiette et le recouvrement des droits de douane mais encore les actions en responsabilité qui peuvent être engagées par les redevables contre l'Etat à raison des faits afférents à des opérations d'assiette et de recouvrement de ces droits ou de saisie effectuées dans le cadre d'infractions douanières ;
Qu'ainsi, seule l'administration des Douanes est compétente pour représenter l'Etat dès lors que l'action de Monsieur [B] a pour objet l'indemnisation d'un préjudice lié à une saisie douanière et s'assimile aux actions liées au recouvrement des créances fiscales ; que le jugement entrepris qui a mis hors de cause l'agent judiciaire du Trésor, doit être confirmé de ce chef ;
Attendu sur l'existence d'un lien de causalité entre la saisie et les préjudices invoqués, que Monsieur [B] soutient que la déconfiture de la société, qui est directement à l'origine de ses préjudices, a été causée par cette saisie, constitutive d'une voie de fait, 'comme l'a relevé la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 10 janvier 1992 en prononçant la condamnation de l'administration des Douanes' ; qu'il convient cependant de relever que si dans cet arrêt, la Cour a déclaré que l'administration avait 'commis une voie de fait lors de la saisie des appareils émetteur récepteurs 'CITIZEN BAND' le 28 janvier 1981 et en maintenant la saisie de ces marchandises pendant quarante mois sans faire juger les prétendues infractions douanières', et déclaré l'administration des Douanes responsable du préjudice subi par la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL à la suite de la saisie, elle n'a cependant pas caractérisé le préjudice, mais ordonné une expertise à l'effet de recueillir les éléments permettant d'apprécier ce préjudice ; qu'après le dépôt du rapport de l'expert, la Cour, par arrêt du 20 avril 2002, a débouté la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL de sa demande tendant à la réparation du préjudice causé par le dépôt de bilan au motif que 'les pièces versées aux débats ne permettent pas de constater l'existence d'un lien direct entre la saisie de janvier 1981 et le dépôt de bilan de décembre 1984 alors que le gérant de la SOCIETE PRODUIJAMS a attribué le dépôt de bilan notamment à des actes de concurrence déloyale et à des vols par des salariés, et que le rapport de Monsieur [O] révèle des anomalies de gestion de la SOCIETE PRODUIJAMS' ;
Que la cassation intervenue le 07 juillet 2004 ne concerne pas cette disposition, qui n'a néanmoins pas l'autorité de chose jugée à l'égard de Monsieur [B], qui n'était pas partie à ce procès ;
Qu'il convient en conséquence de rechercher dans le cadre de la présente instance, s'il existe un lien direct entre la saisie et la déconfiture de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL;
Attendu que le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 12 décembre 1984 qui a prononcé la liquidation de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL a retranscrit ainsi l'argumentation développée par celle-ci :
'Attendu que Monsieur [B], Gérant, a comparu devant le Tribunal assisté de ses conseils ; qu'ils ont indiqué que la Société PRODUIJAMS importe et vend notamment du matériel électronique ; qu'elle a été créée par l'actuel gérant qui était jusqu'en 1975, commerçant en ALGERIE et qui a apporté tous ses capitaux personnels, soit 4.000.000,- - FRS; que malgré une structure presque exclusivement familiale, un travail important fourni par le gérant et son épouse, et un personnel très réduit, les résultats à compter de 1983 se sont révélés très mauvais et ce en raison d'une concurrence déloyale très importante, de vols en quantité considérable et notamment celui commis par un salarié indélicat et de nombreux impayés : que parallèlement à ces trois éléments, une incidence judiciaire importante a aggravé la situation; qu'à l'occasion d'un litige avec Monsieur [L] [N], Gérant de la S.A.R.L. LABORATOIRE SERVICE TELE COULEUR, le Tribunal de céans a rendu en date du 11 juin 1981 un jugement faisant droit à la thèse de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL, prononçant la résolution d'une vente litigieuse, faite par L.S.T. et condamnant cette dernière à lui payer la somme de FRS : 654.580,40, outre accessoires ; qu'alors qu'elle comptait sur cette recette, la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE infirmait la décision du tribunal de céans, inversait les responsabilités et condamnait la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL à payer à L.S.T. une somme de FRS : 1.529.659, - - avec intérêts de droit à compter du 24 février 1984;'
Attendu qu'il apparaît ainsi que la société était, d'après les explications fournies par Monsieur [B] lui-même en sa qualité de gérant, selon toute vraisemblance en état de cession des paiements dès 1983, soit avant la décision de la Cour du 24 février 1984 condamnant la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL à payer diverses sommes à la société LST et faisant supporter à la première les conséquences de la saisie litigieuse ;que le jugement du 12 décembre 1984 se borne à indiquer dans sa motivation que la liste des dettes de la société fait apparaître un passif fournisseurs de 7.000.000 francs , que les explications de fournisseurs laissent présumer que le passif est en réalité supérieur et qu'aucune situation comptable récente n'est fournie ; que Monsieur [O], expert comptable, désigné par le juge commissaire, a par ailleurs mis en évidence des anomalies graves dans la gestion, et estimé que des transactions notamment financières intervenues avec diverses sociétés constituées entre Monsieur [B] et des membres de sa famille étaient peu crédibles, et qu'il y avait eu des interférences constantes et importantes avec le patrimoine personnel de l'appelant et des initiatives critiquables dans le souci de préserver ses intérêts au détriment de ses créanciers ;
Attendu dans ces conditions qu'ainsi que l'avait déjà estimé la Cour dans son arrêt du 30 avril 2002, il n'est pas établi l'existence d'un lien direct entre d'une part les voies de fait de l'administration des Douanes et la condamnation de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL prononcée au profit de la société LST le 24 février 1984, et d'autre part la déconfiture de la société PRODUIJAMS INTERNATIONAL qui paraît avoir été antérieure à cet arrêt, et avoir eu des causes étrangères à la saisie litigieuse et aux condamnations prononcées par l'arrêt du 24 février 1984 ;
Attendu dans ces conditions que Monsieur [B] ne peut qu'être débouté de ses demandes au titre des pertes de salaires, des pertes de points de retraite, de la perte de chance patrimoniale, de la perte de redevance de marque, et en réparation de son préjudice moral ; qu'il ne prouve pas par ailleurs que les problèmes de santé invoqués soient en relation de cause à effet avec la saisie litigieuse, les pièces produites étant soit vagues et peu circonstanciées sur les troubles dont peut souffrir Monsieur [B], et les traitement suivis, soit, pour celles qui sont plus précises, relatives à des pathologies apparues très postérieurement à la saisie et à la procédure qui s'en est suivie, et qu'il convient également de le débouter de sa demande de ce chef ;
Attendu que Monsieur [B], qui succombe, doit supporter les dépens et qu'il apparaît équitable de le condamner à payer 1.500 euros à chacun des intimés en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirmant pour partie le jugement entrepris, le réformant pour le surplus et statuant à nouveau,
Met hors de cause l'agent judiciaire du Trésor,
Déboute Monsieur [B] de l'ensemble de ses demandes contre la Direction régionale des Douanes et droits indirects,
Condamne Monsieur [B] à payer à chacun des intimés 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Monsieur [B] aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT