COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 11 AVRIL 2013
N°2013/203
Rôle N° 10/03343
SARL SNOW LAND SEA
C/
SCI SOPHIMAR
Grosse délivrée
le :
à : Me Maud DAVAL-GUEDJ
la SCP MAYNARD SIMONI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 12 Janvier 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 08/1096.
APPELANTE
SARL SNOW LAND SEA, prise en la personne de son gérant en exercice, dont le siège est [Adresse 2]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-
PROVENCE,
plaidant par Me François GARGAM, avocat au barreau d'AIX-EN- PROVENCE
INTIMEE
SCI SOPHIMAR, agissant poursuites et diligences de son gérant Mr [K] [B],
dont le siège est [Adresse 3]
représentée par la SCP MAYNARD SIMONI, avocats au barreau d'AIX-EN- PROVENCE,
plaidant par Me Brigitte FASSI, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 26 Février 2013 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre, et Monsieur Michel JUNILLON, Conseiller, chargés du rapport.
Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre
Monsieur Michel JUNILLON, Conseiller
Mme Anne CAMUGLI, Conseiller
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2013.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2013.
Signé par Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre et Mme Anaïs ROMINGER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La SCI SOPHIMAR a donné à bail à la SARL SNOW LAND SEA pour une durée de 23 mois à compter du 1° janvier 2004 expirant le 30 novembre 2005. des locaux situés [Adresse 1].
Ce bail portait sur le magasin hormis le premier étage et un hangar hormis la partie B, il avait été précédé d'une période de trois mois d'occupation gratuite en échange de travaux de remise en état.
Un deuxième bail de 23 mois a été conclu entre les mêmes parties le 1° janvier 2006 pour se terminer le 30 novembre 2007 portant sur le magasin et son premier étage, la partie A et B du hangar le loyer étant porté à 4.000 euros.
Le 5 mai 2008 les locaux étaient détruits par un incendie
Par arrêt du 26 février 2009 la cour d'appel Aix-en-Provence a confirmé l'ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Draguignan du 19 mars 2008 qui avait constaté la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire pour impayé de loyers, notifiée selon commandement de payer délivré le 10 avril 2007.
A la suite de l'incendie, M.[N] a été désigné comme expert pour investiguer sur l'origine et les conséquences du sinistre et une instance est pendante devant le Tribunal de Grande Instance de Draguignan.
Parallèlement la SARL SNOW LAND SEA a saisi le juge du fond pour se voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux.
Par jugement du 12 janvier 2010 le Tribunal de Grande Instance de Draguignan a déclaré cette demande prescrite par application de l'article L 145-60 du code de commerce en constatant que plus de deux ans s'était écoulé entre la signature du bail précaire du 1° janvier 2006 et l'assignation délivrée le 11 février 2008, a considéré que le preneur n'apportant pas la preuve d'un cas de force majeure exonératoire était tenu des conséquences dommageables résultant de l'incendie et a condamné la SARL SNOW LAND SEA à payer à la SCI SOPHIMAR la somme de 48.000 euros arrêtée au 1° juin 2009 pour la perte de loyers outre 4.000 euros mensuels jusqu'à la reconstruction.
Le premier juge a également condamné la SARL SNOW LAND SEA à payer à la SCI SOPHIMAR la somme de 14.500 euros arrêtée au mois de juin 2008 soit 500 euros par mois pour occupation illicite d'une zone de 500 m² non comprise dans les lieux loués et 5.950,40 euros au titre des frais d'évacuation outre 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL SNOW LAND SEA a relevé appel de cette décision par acte du 19 février 2010
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL SNOW LAND SEA par conclusions déposées et signifiées le 21 mai 2012 conclut à l'infirmation de la décision.
Elle s'oppose à la demande de sursis à statuer présentée par la SCI SOPHIMAR au motif que cette demande a été présentée tardivement.
Elle invoque la fraude à la loi pour écarter le jeu de la prescription biennale, et soutient que la demande en re-qualification du bail précaire en bail commercial relève de la prescription de droit commun la fraude ayant consisté à tenter d'éluder l'application du statut par la conclusions de baux précaires dont rien ne justifiait la précarité.
Outre la re-qualification du bail précaire en bail commercial et elle demande la suspension de la clause résolutoire par l'octroi de délai et l'autorisation de réintégrer les lieux, elle demande en outre:
- la restitution du top perçu constitué par le différentiel de loyers entre le loyer d'origine de 2.500 euros et le loyer du nouveau bail précaire porté à 4.000 euros,
- la réduction du loyer à un euro à compter de l'incendie,
- la condamnation sous astreinte de la SCI SOPHIMAR à remettre les locaux en état, sa condamnation à lui payer la somme de 45.000 euros de dommages et intérêts outre 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu'elle a été laissée dans les lieux à l'issue du premier bail précaire , qu'elle n'a pas renoncé en pleine connaissance de cause au bénéfice du statut , qu'en tout état de cause le premier bail a duré plus de 24 mois puisqu'il a été précédé d'une période d'occupation gratuite de 3 mois et s'agissant de la condamnation à indemniser le bailleur de la perte de loyer, elle fait valoir que le rapport d'expertise de M.[N] a mis en évidence des agissements criminels à l'origine de l'incendie, ce qui constitue un fait exonératoire.
La SCI SOPHIMAR par conclusions déposées et signifiées le 24 janvier 2013 demande à titre principal le sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal de Grande Instance de Draguignan saisi en lecture du rapport de M.[N] sur les causes de l'incendie ait statué, en soutenant que sa demande n'est pas une exception de procédure qui doit être soulevée in limine litis.
Au fond elle soutient
- qu'il n'y a plus de bail car les locaux ont été détruits,
- que l'action est prescrite et que la fraude n'existe pas car il s'agit de baux dérogatoires et non de baux précaires,
- que la SARL SNOW LAND SEA a renoncé en connaissance de cause au statut, que les deux baux ne portaient pas sur les mêmes locaux, le deuxième bail incluant le premier étage du magasin mais excluant le hangar,
- que le bailleur a fait sommation d'avoir à libérer les lieux par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 octobre 2005, ce qui fait obstacle à la tacite reconduction
- que l'incendie ne relève pas de la force majeure car les incendiaires ont utilisés le produits inflammables entreposés sur place alors que la société Snow Land Sea se maintenait fautivement dans les lieux en méconnaissance de la décision déférée ayant constaté la résiliation du bail et alors qu'elle n'avait pas sécurisé suffisamment les locaux.
Elle conclut à la confirmation des condamnations financières prononcées par le premier juge.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de sursis à statuer.
La demande de sursis à statuer est une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile, lequel impose que l'exception soit présentée avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
Tel n'a pas été le cas en l'espèce puisque La SCI SOPHIMAR a conclu au fond le 13 avril 2011, avant de solliciter le sursis à statuer par conclusions signifiées le 14 mai 2012.
La demande de sursis à statuer sera déclarée irrecevable.
Sur la demande tendant au bénéfice du statut des baux commerciaux
Les parties ont conclu entre elles un premier bail qualifié de bail précaire prenant effet au 1° janvier 2004 et expirant le 30 Novembre 2005.
Nonobstant la qualification donnée par les parties, il appartient aux juges de lui restituer son exacte qualification par application de l'article 12 du code de procédure civile
Le bail précaire se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est indépendant de la seule volonté des parties, il se distingue du bail dérogatoire qui est un bail de courte durée, relevant de l'application de l'article L 154-5 du code de commerce et qui déroge explicitement à l'application du statut des baux commerciaux .
En l'espèce la convention litigieuse ne vise aucune circonstance exceptionnelle justifiant la précarité, ne prévoit aucune faculté de résiliation à la discrétion de l'une ou l'autre des parties, et déroge expressément au bénéfice de l'application du statut des baux commerciaux.
La convention litigieuse ne saurait donc recevoir la qualification de bail précaire et doit s'analyser comme un bail dérogatoire, dont la conclusion ne présente aucun caractère frauduleux.
La même qualification de bail dérogatoire, liée à la même interprétation des clauses de la convention, s'applique également à la seconde convention prenant effet au 1° janvier 2006 pour expirer au 30 novembre 2007.
Dans ces conditions, l'action en re-qualification de ces conventions est gouvernée par le délai biennal prévu à l'article L 145-60 du code de commerce.
S'agissant de la première convention expirant au 30 novembre 2005, la SARL SNOW LAND SEA se prévaut du fait que lors de la conclusion du contrat elle était déjà entré dans les lieux depuis 3 mois, de sorte que le bail excédait une durée de 23 mois . Toutefois ce bail dont la SARL SNOW LAND SEA demande la requalification étant parvenu à son terme le 30 novembre 2005, l'action en requalification était prescrite à la date de l'assignation délivrée plus de deux ans après, le 11 février 2008.
Il en est de même de la conclusion du second bail, ayant pris effet au 1° janvier 2006, le premier juge ayant à bon droit déclaré acquise la prescription à ce titre étant relevé au surplus que le second bail n'a pas la même assiette, et ne porte pas sur les mêmes locaux, puisqu'il porte à la différence du premier bail sur l'étage du magasin , en supplément du rez de chaussée, qu'il englobe les parties A et B du hangar, et les parties C et D soulignées en jaune.
Enfin, après l'expiration du second bail le 30 novembre 2007 la SARL SNOW LAND SEA ne peut prétendre qu'elle continuait à occuper les lieux avec l'accord du bailleur puisqu'un commandement de payer notifiant la clause résolutoire avait été notifié le 10 avril 2007, et que La SCI SOPHIMAR avait introduit une instance en validation de ce commandement et en expulsion qui avait donné lieu le 19 mars 2008 à une ordonnance de référé constatant la résiliation du bail, décision ultérieurement confirmée par arrêt de la cour d' appel d' Aix-en-Provence du 26 février 2009.
En conséquence le chef de décision qui déclare irrecevable comme prescrite les prétentions de la SARL SNOW LAND SEA au bénéfice du statut des baux commerciaux sera confirmé.
Il s'en suit que la demande de la SARL SNOW LAND SEA tendant à voir suspendre les effets de la clause résolutoire est sans objet, le bail dérogatoire ayant pris fin par l'arrivée du terme.
Sur les demandes reconventionnelles concernant les conséquences de l'incendie.
L'incendie ayant détruit les lieux loués est survenu le 5 mai 2008, alors que la SARL SNOW LAND SEA occupait toujours les lieux.
Il résulte du rapport d'expertise de M.[N] daté du 30 octobre 2009, que l'incendie perpétré dans les lieux a été causé par des malfaiteurs qui après avoir neutralisé la télé surveillance ont arraché deux barreaux de la fenêtre du secrétariat et ont allumé plusieurs foyers, avec un accélérant de combustion consistant dans de l'essence de voiture.
Pour être exonératoire, l'origine criminelle de l'incendie doit présenter les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité propre à la force majeure.
Or la SARL SNOW LAND SEA avait notamment entreposé dans les lieux des jet ski et des quads en cours de réparation, tous véhicules contenant du carburant; le laboratoire Lavoue, qui a procédé à des prélèvements, conclut que les incendiaires ont utilisé des bidons d'essence présents sur place, conclusions confirmées par le rapport d'analyse du laboratoire de police scientifique de [Localité 1].
L'expert [N] a d'autre part mis en évidence la vulnérabilité de l'installation de télé surveillance dont le cable a pu être aisément sectionné, et l'absence de sécurisation des lieux qui avaient déjà fait l'objet précédemment d'un cambriolage selon le même processus.
En conséquence l'incendie ayant été alimenté par des matériaux trouvés sur place et dont la protection s'avérait insuffisante, le premier juge a retenu à juste titre que la SARL SNOW LAND SEA n'apportait pas la preuve d'un cas de force majeure exonératoire propre à combattre la présomption de responsabilité prévue à l'article 1733 du code civil dont aucune des parties ne conteste l'application à l'espèce.
En conséquence la décision déférée qui retient la responsabilité de la SARL SNOW LAND SEA sera confirmée, et la demande de dommages et intérêts de celle ci qui succombe dans sa prétention sera par voie de conséquence également rejetée.
Le dédommagement arbitré par le premier juge, au titre de la perte de loyer n'est pas discuté dans son quantum et sera confirmé.
S'agissant de l'occupation illicite reprochée à la SARL SNOW LAND SEA, celle ci est justifiée par le constat d'huissier établi le 10 avril 2007, dont les constatations ne sont pas utilement combattues.
La SCI SOPHIMAR sollicite désormais une indemnisation sur la base d'une évaluation de 2 euros le m² par mois, toutefois l'évaluation faite par le premier juge sur la base d'une indemnité mensuelle de 500 euros (soit un euro le m²) constitue une indemnisation suffisante du préjudice de la SCI SOPHIMAR causée par cette occupation indue, cette évaluation sera confirmée.
Par ailleurs le chef de décision concernant le remboursement des frais d'évacuation de ces voies, qui ne fait pas l'objet de contestation sera confirmé.
La SARL SNOW LAND SEA dont l'appel est rejeté supportera les dépens d'appel sans qu'il y ait lieu d'y inclure le coût du commandement de payer visant la clause résolutoire, qui n'était pas procéduralement nécessaire à l'instance, et supportera en outre une indemnité de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la Cour statuant contradictoirement
Déclare irrecevable la demande de La SCI SOPHIMAR tendant au sursis à statuer,
dit que les conventions conclues entre les parties sont des baux dérogatoires et non des conventions d'occupation précaire,
Déclare prescrite par application de la prescription biennale l'action de la SARL SNOW LAND SEA tendant à se voir reconnaître le bénéfice d'un bail commercial,
dit sans objet la demande de la SARL SNOW LAND SEA tendant à voir constater la suspension des effets de la clause résolutoire,
condamne la SARL SNOW LAND SEA à supporter les conséquences dommageables de l'incendie survenu le 5 mai 2008,
confirme en conséquence la décision déférée en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
rejette les demandes de dommages et intérêts présentées par la SARL SNOW LAND SEA,
condamne la SARL SNOW LAND SEA à payer à La SCI SOPHIMAR la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL SNOW LAND SEA aux dépens d'appel, sans qu'il y ait lieu d'y inclure le coût du commandement de payer dénonçant la clause résolutoire .
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT