COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 10 OCTOBRE 2013
N° 2013/ 328
Rôle N° 11/14995
Société HANSE YACHTS AG
C/
SA COVEA RISKS
[D] [R]
Grosse délivrée
le :
à :
CHERFILS
BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 29 Janvier 2009 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 08/1604.
APPELANTE
Société HANSE YACHTS AG,
dont le siège social est [Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, constituée aux lieu et place de la SCP BLANC CHERFILS, avoué, précédemment constituée
plaidant par Me Axel ENGELSEN, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
S.A. COVEA RISKS,
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, constituée aux lieu et place de la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL avoué, précédemment constituée plaidant par Me Olivier RAISON, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [D] [R]
né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, constituée aux lieu et place de la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL avoué, précédemment constituée plaidant par Me Olivier RAISON, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Septembre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur PRIEUR, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Octobre 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Octobre 2013
Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Le voilier type HANSE 371 dénommé SO LONG, appartenant à M. [R] et assuré à la société COVEA RISKS a été victime d'un démâtage du fait de la rupture du tirant de cadène bâbord, alors qu'il naviguait dans la[Localité 1]l.
Ce navire avait été vendu courant de l'année 2000 par la société HANSE YACHTS son fabriquant à une société FIRROS YACHTS importateur exclusif, qui elle-même l'avait cédé à M. [I], qui l'avait revendu à M. [R].
Par jugement du 29 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Toulon s'est déclaré territorialement compétent pour statuer, a estimé que la société HANSE YACHTS était responsable du sinistre, et l'a condamnée à payer la somme de 32 887,10 euros à la société COVEA RISKS et celle de 16 065,58 euros à M. [R]. Ce jugement a rejeté pour partie la demande présentée au titre du préjudice de jouissance par M. [R] lui accordant 2.000 euros à ce titre.
La société HANSE YACHTS a relevé appel de cette décision et soutient une exception d'incompétence au profit des juridictions allemandes. Elle fait aussi valoir que l'assignation est nulle du fait de l'incompétence territorial de l'huissier qui l'a délivrée.
Elle prétend aussi que la compagnie d'assurances est irrecevable à agir en l'absence de subrogation valable.
La société appelante fait valoir que l'expertise n'a pas été contradictoire à son égard, et soutient que les dégâts constatés résultent d'un abordage survenu en avril 2006 au cours duquel le gréement n'avait été ni examiné ni réparé.
Elle demande d'infirmer l'ordonnance d'incident rendue le 21 septembre 2010 par le conseiller de mise en état l'ayant déboutée de sa demande de communication de pièces au titre de l'événement mer précité.
La société HANSE YACHTS prétend aussi qu'elle n'a pas été convoquée aux réunions d'expertise de M. [G] mandaté par l'assureur, et que celle-ci qui n'est pas contradictoire lui est inopposable.
Elle estime que sa responsabilité n'est pas engagée, conclut au rejet des réclamations formulées à son encontre et demande 20 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société COVEA RISKS et M. [R] soutiennent la compétence de la présente juridiction ainsi que la validité de l'assignation, et la compagnie d'assurances fait valoir qu'elle est légalement subrogée dans les droits de son assuré en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances.
Sur le fond, les intimées invoquent de l' article 1386-1 du Code civil en rappelant que cette dernière disposition est applicable aux chantiers de construction navale et qu'il s'agit d'une responsabilité de plein droit.
Ils ajoutent que la société appelante n'a pas produit d'expertise contredisant le rapport de M. [G].
En conséquence, ils concluent à la confirmation du jugement sur les condamnations prononcées mais demandent pour M. [R] la somme supplémentaire de 8000 euros au titre de la perte de jouissance de son voilier avec intérêts au taux légal à compter l'assignation.
Les intimés réclament en outre la publication de la présente décision dans trois revues ainsi que 8000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient d'observer que la société HANSE YACHTS ne justifie pas avoir effectué un déféré sur la décision rendue par le conseiller de mise en état le 29 septembre 2010.
La demande présentée à ce titre est donc irrecevable.
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge à la motivation duquel il convient expressément de se référer, par application de l'article 5.3 du règlement 44/2001, les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur le présent litige.
L'état français, pour l'application du règlement CE 1348/2000 qui prévoit en son article 2 que «chaque Etat membre désigne les officiers ministériels, autorisés ou autres personnes, ci-après dénommés «entités d'origine» compétents pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou notification dans un autre Etat membre» a désigné «les huissiers de justice» sans autre précision.
En conséquence, la signification de l'assignation délivrée le 26 février 2008 par un huissier dont la compétence territoriale est «[Localité 2]», pour attraire la société de droit allemand HANSE YACHTS devant le tribunal de grande instance de Toulon est valable.
La société COVEA RISKS régulièrement subrogée dans les droits de son assuré en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances est recevable à agir. En outre, elle produit aux débats une quittance subrogative signée par M. [R].
Le rapport de mer établi à la suite du sinistre du 16 mai 2007 fait apparaître que le mât est tombé perpendiculairement au bateau côté tribord et s'est ensuite plié à 90° sous l'effet de la houle le long de la coque.
L'expert de la société COVEA RISKS, M. [G], a tenu une première réunion d'expertise le 4 juin 2007 en présence de l'expert mandaté par l'importateur exclusif de la société HANSE YACHTS la société FIRROS, M. [K]. A la demande de celui-ci, une seconde expertise a été réalisée à terre le 12 juin 2007 en sa présence.
La société appelante ne peut donc soutenir que le rapport lui serait inopposable, étant en toute hypothèse précisé que celui-ci étant versé aux débats, il peut être discuté et que le principe du contradictoire est donc parfaitement respecté.
M. [G] indique dans son rapport du 24 octobre 2008 que les soudures des tirants de cadène étaient sous échantillonnées ou mal réalisées et précise que le tirant est considéré comme un élément structurel du bateau, qu'il est normalement étudié pour encaisser des contraintes très largement supérieures à ce qu'un voilier subit tout au long de sa vie, et qu'il n'a pas vocation à casser dans un délai aussi court sans la survenance d'un événement extraordinaire.
Un rapport de l'institut de soudure du 28 septembre 2007 fait ressortir que l'endommagement résulte d'un mécanisme de fissuration progressive par fatigue imputable à des contraintes cycliques et précise que la conception de cet assemblage n'est pas adaptée aux conditions de service du navire.
Il n'est pas inutile de relever qu'à la suite d'un démâtage d'un autre voilier HANSE 401 survenu en juin 2004, l'expert judiciaire M. [Y] dans un rapport du 18 janvier 2007 avait relevé la faiblesse de la pièce qui avait cédé, dont la technologie de fabrication par moulage présentait des caractéristiques mécaniques médiocres et inapropriées à l'usage décidé par le constructeur.
Consciente de ces défauts, la société HANSE YACHTS dans un message du 6 décembre 2007 avait pris l'engagement de changer les tirants de cadène de la classe des voiliers HANSE 371 avec des pièces plus résistantes et adaptées aux contraintes du navire.
La société HANSE YACHTS ne remet aucun document pertinent permettant d'infirmer les conclusions catégoriques de M. [G]. Elle ne se livre qu'à des supputations en soutenant que le sinistre litigieux aurait pour origine un accident survenu en 2006.
C'est donc par une exacte application de l'article 1386-1 du Code civil, que le tribunal, à la motivation duquel il convient de se référer, a déclaré que la société HANSE YACHTS est responsable de l'événement de mer survenu le 16 mai 2007 et l'a condamnée à payer la somme de 32 887,10 euros à la société COVEA RISKS et celle de 16 065,58 euros à M. [R], outre la somme de 1200 euros au titre des frais irrépétibles.
Le bateau a fait l'objet d'un remâtage en février 2008. M. [R] justifie que celui-ci n'a pas pu être utilisé du 16 mai au 28 juin 2007, du 2 juillet au 3 août 2007, et du 5 septembre 2007 à février 2008. Il a donc subi un préjudice de jouissance qui sera indemnisé par la somme complémentaire à celle accordée par le tribunal d'une montant de 5.000 euros, somme qui produira intérêts à compter de la présente décision avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil.
Il n'y a lieu d'ordonner la publication de la présente décision ainsi que le sollicitent les intimés.
La société HANSE YACHTS, dont les demandes sont rejetées, est condamnée à payer à la société COVEA RISKS et à M. [R] une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevable la demande présentée par la société HANSE YACHTS visant à voir infirmer l'ordonnance rendue par le conseiller de mise en état le 29 septembre 2010,
Rejette la fin de non recevoir soulevée par la société HANSE YACHTS,
Rejette la demande de nullité de l'assignation présentée par la société HANSE YACHTS,
Confirme le jugement attaqué sauf en ce qu'il a rejeté pour partie la demande de M. [R] visant être indemnisé de son préjudice de jouissance,
L'infirmant à ce titre et statuant à nouveau,
Condamne la société HANSE YACHTS à verser à M. [R] la somme de 5.000 euros complémentaire à celle de 2.000 euros accordée par le tribunal au titre du préjudice de jouissance avec intérêts à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil,
Condamne la société HANSE YACHTS à verser à la société COVEA RISKS et à M. [R] une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société HANSE YACHTS aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,