COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 04 FEVRIER 2014
N° 2014/
MV/FP-D
Rôle N° 11/22349
EARL PETTINATI FRERES
C/
[K] [U]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Daniel GIANNELLI, avocat au barreau de NICE
Me Valentin CESARI, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE - section A - en date du 06 Décembre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 11/701.
APPELANTE
EARL PETTINATI FRERES, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Daniel GIANNELLI, avocat au barreau de NICE,
INTIME
Monsieur [K] [U]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/003321 du 19/03/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Valentin CESARI, avocat au barreau de NICE, substitué par Me Eric SCALABRIN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Décembre 2013 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Madame Martine ROS, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Février 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Février 2014.
Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE
Monsieur [K] [U] a été engagé en qualité d'ouvrier agricole par l'EARL PETTINATI FRERES à compter du 1er janvier 1986.
Le 9 janvier 2002 il était victime d'un accident du travail à la suite duquel une pension d'invalidité catégorie 1 (15 %) lui a été attribuée par la Mutualité sociale agricole des Alpes-Maritimes.
Dans le cadre d'une rechute d'accident du travail le 31 janvier 2006 le taux d'invalidité était porté à 20 %.
Lors d'une première visite de reprise le 11 juin 2007 le médecin du travail rendait l'avis suivant :
« travail à temps partiel moins de 2 heures par jour. Pas de port de charges supérieures 12 kg ».
Le 14 juin 2007 l'EARL PETTINATI FRERES communiquait à Monsieur [U] son nouvel horaire de travail à compter du 18 juin 2007.
À compter du 21 juin 2007 Monsieur [U] était à nouveau en arrêt de travail .
Le 26 février 2008 il passait la première visite de reprise et le 11 mars 2008 la seconde visite de reprise à l'issue de laquelle le médecin du travail rendait l'avis suivant :
« inaptitude définitive du poste de travail d'ouvrier horticole à temps plein. Postes possibles : temps partiel une heure par jour maximum, petit nettoyage et rangement des locaux, petit désherbage à la main et à la bidet ergonomique. Port de charges limitées à 3 kg ».
Sollicitant des rappels de salaire, le paiement d'heures supplémentaires et de dommages et intérêts Monsieur [U] a le 8 octobre 2008 saisi le conseil des prud'hommes de Grasse, lequel, par jugement du 6 décembre 2011, l'a débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 6705 €, a ordonné à l'EARL PETTINATI FRERES le paiement des salaires du 11 avril 2008 au 30 septembre 2011 soit la somme de 8152,10 euros correspondant à 42 mois de travail à 22 heures de travail par mois selon l'évolution du SMIC horaire brut,
a débouté Monsieur [U] et l'EARL PETTINATI FRERES de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et a condamné l'EARL PETTINATI FRERES aux dépens.
Par lettres recommandées postées respectivement le 24 décembre 2011 et le 19 janvier 2012 l'EARL PETTINATI FRERES et Monsieur [U] ont tous deux régulièrement relevé appel de cette décision.
L'EARL PETTINATI FRERES conclut à l'infirmation du jugement déféré aux fins de voir débouter Monsieur [U] de l'ensemble de ses demandes, de le condamner à lui verser la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi outre la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [U], au visa des articles L 1226. 2, L 1226. 4 et R4624. 31 du code du travail et 700 du code de procédure civile conclut à la réformation partielle du jugement déféré aux fins de voir dire et juger que l'employeur a sciemment violé les dispositions régissant la médecine du travail, que la proposition de l'employeur sur les horaires de travail éparpillés dans la journée à l'issue de la dernière visite du médecin du travail ne peut en aucun cas correspondre aux dispositions légales et l'empêchait en outre d'exercer en même temps un autre emploi chez un autre employeur conformément à ses droits et que dès lors la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur.
Il sollicite la condamnation de l'EARL PETTINATI FRERES à lui verser les sommes de :
6705 € nets à titre de rappel de salaire du mois de juin 2007 au mois de mars 2008,
37 080 € nets au titre des salaires du 11 avril 2008 au 1er avril 2011,
5039,63 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
6611,39 euros nets au titre des heures supplémentaires accomplies d'août 2007 à avril 2008,
24 720 € à titre de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de travail,
2200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et le rejet de toutes les demandes formées par l'EARL PETTINATI FRERES.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 16 décembre 2013.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la première période d'inaptitude,
Attendu qu'à la suite de sa rechute le 31 janvier 2006 de l'accident du travail dont il avait été victime le 9 janvier 2002 Monsieur [U] a passé la première visite de reprise le 11 juin 2007 à l'issue de laquelle le médecin du travail a rendu l'avis suivant :
« travail à temps partiel moins de 2 heures par jour.
Pas de port de charges supérieures 12 kg » ;
Attendu que dès le 14 juin 2007 le médecin du travail écrivait à l'EARL PETTINATI FRERES :
« suite à la visite médicale du 11 juin 2007 et de l'étude de poste que j'ai effectuée de votre entreprise le jeudi 14 juin 2007, je vous confirme que l'état de santé de Monsieur [U] [K] ne lui permet pas de reprendre son poste de travail antérieur d'ouvrier agricole.
Un aménagement de travail est nécessaire pour une reprise du travail à savoir :
- travail à temps partiel maximum 2 heures par jour,
- pas d'utilisation d'engins motorisés,
- pas de produits phytosanitaires,
- pas de port de charges supérieures 12 kg,
- il pourrait effectuer un travail d'entretien des terrains en vue de plantation de fleurs, des plantations à la main, des cueillettes à la main, un désherbage avec outils à la main »,
et il apparaît qu'afin de se conformer aux préconisations du médecin du travail l'EARL PETTINATI FRERES à dès le 14 juin 2007 écrit à Monsieur [U] :
« suite à notre entretien de ce jour avec le Docteur[L], nous vous informons que vous devez reprendre votre poste au sein de notre société, à compter du lundi 18 juin 2007, et ceci à temps partiel.
Veuillez trouver ci-dessous vos nouveaux horaires de travail.
Lundi : 8 heures à 9 heures,
mardi : 10 heures à 11 heures,
mercredi : 15h30 à 16h30,
jeudi : 16h30 à 17h30,
vendredi : 17 heures à 18 heures.
Veuillez noter que les horaires ci-dessus seront susceptibles d'être modifiés chaque semaine, en fonction des besoins de l'entreprise.
Vous serez avisé des modifications éventuelles tous les jeudis.
Vous trouverez également ci-joint copie de la conclusion d'aptitude délivrée par le médecin du travail en la personne de Monsieur [L] vous concernant »
de sorte que c'est à tort que Monsieur [U] avait invoqué de façon inopérante par le biais de son syndicat que ses horaires l'empêcheraient « d'avoir une vie privée » alors que précisément ces horaires correspondaient aux préconisations du médecin du travail ( « maximum 2 heures par jour ») et étaient fixés par l'entreprise en fonction de ses besoins avec indication que l'intéressé serait informé de toutes modifications éventuelles chaque jeudi, soit dans un délai de prévenance suffisant ;
Attendu que c'est en outre à tort que Monsieur [U] indique que son employeur « refusait violemment de le reclasser sans pour autant procéder à son licenciement » ou que l'horaire de travail aurait été « éparpillé et différent chaque jour sans aménagement de poste » puisque précisément l'employeur l'a reclassé au poste préconisé par le médecin du travail ;
Attendu que Monsieur [U] n'a repris son travail que les 18,19 et 20 juin 2007 et a été à nouveau en arrêt de travail pour maladie du 21 juin 2007 au 1er juillet 2007 puis en prolongation d'arrêt de travail pour accident du travail à compter du 2 juillet 2007 jusqu'au 3 février 2008, empêchant en conséquence l'employeur d'organiser dans les 15 jours suivant la première visite (11 juin 2007) la seconde visite de reprise prévue le 27 juin 2007 ;
Attendu que Monsieur [U] ne peut donc nullement prétendre à un rappel de salaire pour la période de juin 2007 à mars 2008 ;
Sur la seconde période d'inaptitude,
Attendu que le 26 février 2008 puis le 11 mars 2008 Monsieur [U] a passé les 2 visites de reprise à l'issue desquelles le médecin du travail a rendu l'avis suivant :
« inaptitude définitive au poste de travail d'ouvrier horticole à temps plein.
Poste possible: temps partiel une heure par jour maximum. Petit nettoyage et rangement des locaux, petit désherbage à la main et à la binette ergonomique.
Port de charges limité à 3 kg » ,,
et il apparaît que dès le 18 mars 2008 par courrier recommandé non retiré par Monsieur [U] l'EARL PETTINATI FRERES lui proposait « un poste de travail égal à une heure par jour'soit petit nettoyage et rangement des locaux, petit désherbage à la main et à la binette ergonomique sur l'exploitation agricole, sachant que ce poste correspond aux indications données par le médecin.
Nous nous tenons à votre disposition pour un entretien dans les locaux de l'entreprise afin de fixer ensemble vos horaires de travail »
répondant ainsi aux préconisations du médecin du travail ;
Attendu que Monsieur [U] n'a pas repris son travail, ne s'est pas manifesté auprès de son employeur, obligeant ce dernier à lui indiquer tant par courrier recommandé du 26 avril 2012 réceptionné par l'intéressé le 30 avril 2012 que par courrier recommandé du 24 mai 2012 non réclamé que son poste de travail à horaires aménagés était toujours à sa disposition au sein de l'entreprise ;
Attendu qu'il est exact qu'au bout du délai d'un mois suivant la seconde visite de reprise, soit à compter du 11 avril 2008 l'entreprise EARL PETTINATI FRERES aurait dû soit reclasser Monsieur [U] soit le licencier et il apparaît que si elle a proposé à Monsieur [U] un poste de reclassement dès le 18 mars 2008, courrier que Monsieur [U] n'a pas pris la peine de retirer, et a donc de ce fait respecté son obligation de tentative de reclassement, il apparaît en revanche qu'elle a omis de le licencier et cela en infraction à l'article L 1226. 11 du code du travail qui dispose que « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail » ;
Attendu toutefois que Monsieur [U] ne justifie pas à compter du 11 avril 2008 s'être tenu à la disposition de son employeur puisqu'il n'est pas allé chercher le courrier recommandé du 18 mars 2008 lui proposant un reclassement et n'a pas déféré davantage aux courriers de son employeur du 26 avril 2012 et 24 mai 2012 lui demandant de reprendre son poste aménagé, de sorte qu'il ne peut prétendre obtenir le paiement de ses salaires pour la période du 11 avril 2008 au 1er avril 2011 ni aux congés payés y afférents ;
Attendu toutefois que l'inertie de l'employeur qui ne l'a pas licencié lui a nécessairement causé un préjudice qu'il convient d'évaluer à la somme de 3000 € ;
Attendu que le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a condamné l'EARL PETTINATI FRERES à payer à Monsieur [U] les salaires du 11 avril 2008 au 30 septembre 2011 soit la somme de 8152,10 euros ;
Sur la demande au titre des heures supplémentaires,
Attendu que Monsieur [U] sollicite des heures supplémentaires pour la période du 1er août 2007 au 10 avril 2008 alors qu'il était en arrêt de travail ininterrompu ainsi que l'établissent les documents médicaux produits du 2 juillet 2007 au 3 février 2008 inclus de sorte que sa demande concernant cette période est dénuée de tout fondement et doit être rejetée ;
Attendu que Monsieur [U] ne s'est pas présenté à la première convocation du médecin du travail le 4 février 2008 et n'a pas travaillé jusqu'au 26 février 2008 date de la première visite de reprise de sorte qu'il ne peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires pour cette période ;
Attendu que concernant la période courant à compter du 26 février 2008 date de la première visite de reprise à l'issue de laquelle le médecin du travail a dit que Monsieur [U] était « inapte au poste de travail d'ouvrier horticole à plein temps. Étude de poste de travail prévue le 28 février 2008 » jusqu'à la seconde visite de reprise du 11 mars 2008 Monsieur [U] n'a pas travaillé et n'a donc pu par définition effectuer d'heures supplémentaires, de sorte que sa demande concernant la période du 26 février 2008 au 11 mars 2008 doit également être rejetée ;
Attendu que Monsieur [U] n'ayant ensuite pas récupéré le courrier de son employeur du 18 mars 2008 lui proposant un reclassement il ne peut prétendre, n'ayant pas travaillé, obtenir le paiement d'heures supplémentaires postérieurement au 18 mars 2008 ;
Attendu enfin que les attestations produites par Monsieur [U] au soutien du paiement des heures supplémentaires sans aucune indication de périodes sont insusceptibles d'étayer sa demande et ce d'autant qu'elles sont totalement incompatibles avec l'ensemble de ses périodes d'arrêt de travail ;
Attendu que c'est en conséquence à juste titre qu'il a été débouté de cette demande par le jugement déféré ;
Attendu qu'il n'y a pas d'atteinte suffisante au principe d'équité justifiant qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 6705 € et de sa demande en paiement d'heures supplémentaires ainsi que dans ses dispositions relatives aux dépens,
Infirme pour le surplus,
Déboute Monsieur [U] de sa demande en paiement des salaires du 11 avril 2008 au 30 septembre 2011,
Condamne l'EARL PETTINATI FRERES à verser à Monsieur [U] la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.
LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT FONCTION
DE PRESIDENT
G. BOURGEOIS