COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 FEVRIER 2014
N° 2014/70
Rôle N° 11/15108
[V] [K]
C/
[T] [L]
[M] [P] épouse [L]
Grosse délivrée
le :
à :
JAUFFRES
BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 03 Juin 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 09/00914.
APPELANT
Monsieur [V] [K], agissant en qualité d'exploitant d'un fonds de commerce de restauration rapide situé à [Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Jean-marie JAUFFRES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Xavier GARRIOT, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMES
Monsieur [T] [L]
né le [Date naissance 2] 1936 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me François QUILICHINI, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [M] [P] épouse [L]
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me François QUILICHINI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Anne CAMUGLI, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre
Mme Anne CAMUGLI, Conseiller
M. Jean-Jacques BAUDINO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anaïs ROMINGER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Février 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Février 2014,
Signé par Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre et Mme Anaïs ROMINGER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 20 janvier 2009, M. [V] [K] a fait assigner Mme [M] et M. [T] [L] devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de voir juger qu'il a acquis la propriété commerciale sur les locaux situés [Adresse 1] qui ont fait l'objet de baux successifs de courte durée depuis 1994.
Il sollicitait en outre la somme de 4.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutenait que bien que chacun des baux de courte durée ait contenu une clause de renonciation au bénéfice de la propriété commerciale, l'occupation permanente et renouvelée des locaux dans lesquels il exploitait toujours son activité ainsi que son maintien dans les lieux après le terme du dernier bail dérogatoire lui ouvrait droit au bénéfice d'un bail commercial de 9 ans.
Mme [M] et M. [T] [L] faisaient valoir que M. [K] avait formellement renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux et qu'il avait toujours exécuté ses baux dérogatoires sans réserve.
Subsidiairement, ils demandaient le bénéfice de la clause du bail prévoyant qu'en cas d'obtention du statut des baux commerciaux, le locataire devrait s'acquitter d'un droit d'entrée et d'un loyer majoré.
Ils sollicitaient la somme de 5.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, M. [V] [K] invoquait une fraude de ses bailleurs en affirmant que le bail daté du 8 décembre 2008 avait été établi en réalité le 27 novembre 2008, date à laquelle il n'avait pas acquis le droit à la propriété commerciale de sorte qu'il ne pouvait y renoncer.
Il faisait valoir d'autre part que la clause prévoyant le paiement droit d'entrée et d'un loyer majoré était contraire à l'ordre public comme dénaturant l'économie générale du contrat.
Par jugement contradictoire du 3 juin 2011, le tribunal de grande instance de Marseille a débouté M. [V] [K] de toutes ses demandes et l'a condamné au paiement d'une somme de 1.200 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La décision a retenu la validité de la clause par laquelle M. [V] [K] avait renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux.
Elle a également écarté comme insuffisamment démontrée la fraude alléguée par M. [V] [K] sur la date du dernier bail et retenu que celui-ci y avait en tout état de cause participé, de sorte qu'il était malvenu à l'invoquer . Elle a également retenu que tous les baux précédents avaient été établis en décembre de l'année du renouvellement et que le locataire avait signé deux chèques le 8 décembre 2008.
M. [V] [K] a relevé appel de la décision le 29 août 2011.
Par conclusions déposées et signifiées le 4 décembre 2013, il conclut à l'infirmation du jugement rendu et entend voir à nouveau voir juger qu'il a acquis la propriété commerciale sur les locaux dans lesquels il exploite son restaurant et qu'il bénéficie par conséquent du statut des baux commerciaux.
Il entend voir également le cas échéant:
-déclarer toutes dispositions imposant le paiement d'indemnité particulière pour son maintien dans les lieux comme non écrite et
-fixer le montant du loyer annuel à la somme de 18.300 EUR hors taxes et charges à compter du 1er décembre 2008.
À titre subsidiaire il sollicite la désignation d'un expert avec mission de recueillir tous les éléments d'information permettant de déterminer la valeur locative des lieux litigieux tels que définies par les articles R 145-3 à R 145-6 du code de commerce.
Il sollicite enfin la somme de 5.000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il répète qu'il n'a pas renoncé au statut des baux commerciaux , qu'il ne pouvait pas avoir signé le bail dérogatoire et les chèques le 8 décembre 2008 soutenant qu'il était absent du territoire français entre le 6 décembre et le 12 décembre 2008 (en produisant notamment son passeport dont il résulte qu'il était à cette date aux états-Unis et une déclaration de main courante).
Il fait valoir que de jurisprudence établie, il y a fraude à la loi à faire signer un bail post daté et que sont nulles et de nul effet qu'elle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations ou arrangements ayant pour effet de faire échec aux droits de renouvellement institué par le décret du 30 septembre 1953, que le bail dérogatoire du 27 novembre 2008 constitue une fraude orchestrée par le bailleur pour échapper aux dispositions d'ordre public régissant les baux commerciaux à laquelle il n'a pu que se soumettre au risque de perdre son fond de commerce,
que les parties ne peuvent déroger conventionnellement à cet ordre public avant que le droit ne soit né, qu'il n'avait aucun intérêt à conclure des baux dérogatoires sur un local qu'il exploite depuis aussi longtemps et que la signature de ces baux lui a été imposée par le bailleur qui est le seul à avoir intérêt à déroger aux règles d'ordre publiques prescrites pour protéger le preneur.
Il soutient qu'il n'a pas été en mesure de renoncer à la propriété commerciale des lors que le droit à celle-ci n'avait pas été acquis lors de la signature du bail dérogatoire.
Il soutient d'autre part qu'il s'est maintenu dans les lieux à l'expiration des baux dérogatoires de manière permanente et continue et que, laissé en possession sans opposition du bailleur, il bénéficie par application de l'article L 145-5 alinéa 2 du code de commerce, d'un nouveau bail d'une durée de 9 ans.
Il maintient que la clause prévoyant un loyer plus élevé et un droit d'entrée au cas où il bénéficierait de la propriété commerciale, est en contradiction avec l'économie générale de la convention et doit être considérée comme non écrite car totalement étrangère à l'objet et à la cause du contrat, contraire de surcroît à l'ordre public de protection institué par l'article L 145-15 du code de commerce, et aux dispositions de l'article L 145-33 du même code qui dispose que le loyer doit être déterminé en fonction de la valeur locative, soit à la somme de 18.300 EUR hors taxes et charges par an. Il invoque la fraude et la contrainte économique.
Par conclusions déposées et signifiées le 1er février 2013, Mme [M] et M. [T] [L] concluent à la confirmation du jugement déféré à raison de l'intention des parties de déroger aux dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce, au fait qu'elles sont liées par un bail dérogatoire de courte durée, que M. [V] [K] a valablement renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux, qu'il ne rapporte pas la preuve de ce que le bail aurait été poste daté, qu'il ne conteste pas avoir lui-même signé et rédigé des chèques datés du 8 décembre de sorte qu'à cette date le bail dérogatoire était instauré entre les parties et qu'il a par conséquent renoncé à cette date à un droit qu'il avait acquis.
À titre subsidiaire, ils soutiennent que la convention signée le 7 décembre 2006 prévoit que dans l'hypothèse où M. [V] [K] revendiquerait le bénéfice du statut des baux commerciaux il verserait un droit d'entrée fixée à 535.000 EUR hors-taxes et un loyer mensuel porté à 4.500 EUR hors taxes pour tenir compte du fait que le loyer d'un bail de durée limitée était minoré.
Ils entendent en conséquence , dans cette hypothèse, voir :
dire que le montant du loyer dû par M. [V] [K] est de 4.500 EUR hors taxes mensuel et condamner M. [V] [K] à leur verser avec exécution provisoire
-la somme de 639 860 EUR à titre d'indemnité d'entrée
-la somme de 248 112 EUR au titre des loyers dus entre le 1er décembre 2008 et le 30 mars 2013.
-celle de 5000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 janvier 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le fond
Aux termes de l'article L 145-5 du code de commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans.
Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même , à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local. Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Il n'est pas discuté et il ressort au demeurant expressément du bail daté du 8 décembre 2008 que le locataire a acquis, au terme du précédent bail dérogatoire du 1er décembre 2006, venu à expiration le 30 novembre 2008, le droit de bénéficier du statut des baux commerciaux.
Le nouveau bail dérogatoire comporte cependant une clause aux termes de laquelle le preneur renonce au droit au bénéfice de ce statut .
M. [V] [K] conteste la validité de sa renonciation , soutenant que ce bail prétendument daté du 8 décembre 2008 a été en réalité rédigé et signé le 27 novembre 2008, qu'à cette date , son droit à la propriété commerciale n'était pas acquis de sorte qu'il n'avait pu y renoncer.
Il affirme qu'il ne se trouvait pas le 8 décembre 2008 sur le territoire français ce que démontreraient notamment les dates d'entrée aux USA apposées sur son passeport .
Or, outre que les tampons figurant au passeport de M. [V] [K] émanent du Canada et non des États-Unis comme il le soutient et comme l'huissier qu'il a mandaté prétend l'avoir constaté, les dates considérées ne peuvent ainsi que le font observer les intimés, être identifiées comme des dates d'entrée ou de sortie.
Il est encore justement observé que M. [V] [K] a établi 2 chèques qu'il a lui-même datés du 8 décembre, le premier à l'ordre du rédacteur du bail, le 2e à l'ordre des bailleurs en règlement du loyer de décembre.
La singularité de la démarche du preneur consistant à déposer le 27 novembre 2008 une main courante pour dénoncer le bail daté du 8 décembre qu'il venait selon lui de signer a été justement relevée par le premier juge qui n'a pas exclu l'hypothèse d'une remise d'un projet de bail avant le 8 décembre 2008.
Les bailleurs font au surplus exactement observer que M. [V] [K] ne fait pas lors de sa déclaration de main courante des 2 chèques précités dont la date corrobore celle portée au bail. La décision déférée a en outre rappelé à bon droit que tous les baux précédents avaient été établis au mois de décembre de l'année de renouvellement.
M [K] évoque une situation de contrainte qu'il ne démontre cependant nullement au sens de l'article 1111 et suivant du Code civil, le premier juge ayant rappelé qu'il avait déjà, à 5 reprises auparavant, renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux.
La contrainte alléguée ne saurait se déduire de simples affirmations alors que l'article L 145-5 précité du code de commerce valide la renonciation dénuée d'équivoque au bénéfice de la propriété commerciale en présence, comme en l'espèce, de baux dérogatoires successifs d'une durée non supérieure à 2 ans.
La renonciation de M. [V] [K] doit être considérée comme expresse et éclairée à raison de la précision, du caractère particulièrement explicite et dénué d'équivoque de la clause de renonciation qu'il a signée.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] [K] de ses demandes.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
La décision critiquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de Mme [M] et M. [T] [L] l'intégralité de leurs frais irrépétibles d'appel.
La somme de 1.500 EUR leur sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [V] [K] qui succombe, supportera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant.
Condamne Mme [M] et M. [T] [L] à payer à M. [V] [K] la somme de 1.500 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [M] et M. [T] [L] aux dépens, distraits au profit de la SCP Badie Simon Thibaud et Juston ,conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT