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23/05/2014 | FRANCE | N°13/04129

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 23 mai 2014, 13/04129


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2014



N° 2014/1178













Rôle N° 13/04129





[Y] [X]



C/



CGEA IDF OUEST



SELAFA MJA,



























Grosse délivrée

le :

à :



Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON
>

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section IN - en date du 31 Juillet 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1910.







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COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2014

N° 2014/1178

Rôle N° 13/04129

[Y] [X]

C/

CGEA IDF OUEST

SELAFA MJA,

Grosse délivrée

le :

à :

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section IN - en date du 31 Juillet 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1910.

APPELANT

Monsieur [Y] [X],

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Capucine DARCQ, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

CGEA IDF OUEST,

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

SELAFA MJA, prise en la personne de Me [D] [T] mandataire liquidateur de la SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MEDITERRANNEE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Février 2014 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Elise RAYSSEGUIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [Y] [X] a été employé par la société CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM), devenue SA CHANTIERS DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE ( NORMED), sur le site de [Localité 1] en qualité de tuyauteur du 1er février 1970 au 5 septembre 1980.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France Dunkerque (FD), Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM), devenue la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée à compter du 24 décembre 1982, la NORMED a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 30 juin 1986, puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989 désignant successivement Maître [M], et, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA en la personne de Maître [T], en qualité de mandataire liquidateur.

Les sociétés Forges et Ateliers de la Méditerranée/Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM)/Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), et Chantiers du Nord et de la Méditerranée (NORMED), ont été inscrites, par arrêté du 7 juillet 2000, sur la liste des établissements et métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (de 1946 à 1989).

Le 30 décembre 2010, Monsieur [Y] [X] a saisi le Conseil de Prud'hommes de TOULON pour réclamer la réparation de son préjudice d'anxiété, puis également du préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence, subis du fait de son exposition à l'amiante.

Le CGEA AGS Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement du 31 juillet 2012, le conseil de prud'hommes a renvoyé le salarié à mieux se pourvoir.

Le 21 février 2013, Monsieur [Y] [X] a interjeté appel de cette décision, qui lui a été notifiée le 6 février 2013..

' Dans ses conclusions écrites déposées et plaidées à l'audience, communes à l'ensemble des affaires du rôle, répliquant pour l'essentiel que la juridiction prud'homale est compétente en tant que juge du contrat de travail, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection contre les dangers de l'amiante, en omettant notamment de procéder aux analyses atmosphériques prévues par le décret du 17 août 1977, de prendre les mesures de protection individuelle et collective nécessaires et de l'informer des risques encourus, que cette faute ne lui a été révélée qu'à partir de la loi du 23 décembre 1998 et que sa demande n'est donc pas prescrite, qu'en application de l'article 1147 du code civil, il est fondé à réclamer la réparation de son préjudice d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer une maladie grave, et que l'AGS doit garantir sa créance, laquelle est née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque que son fait générateur réside dans le comportement fautif de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail, Monsieur [Y] [X], qui ne maintient pas en cause d'appel sa réclamation relative au bouleversement dans les conditions d'existence, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré de reconnaître l'existence de son préjudice d'anxiété, d'évaluer sa créance à la somme 30.000 € à titre de dommages et intérêts, comprenant à la fois l'inquiétude permanente et le bouleversement dans ses conditions d'existence, de déclarer l'arrêt opposable au CGEA et de condamner ce dernier à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

' Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, le CGEA Ile de France Ouest et Me [T] ès qualités demandent à la cour, à titre principal, de :

- dire et juger que les demandes des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sont irrecevables en ce qu'elles tendent en réalité à contester le montant de l'allocation et se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Boulogne-sur-Mer ;

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985 et non contesté par les salariés en temps utile ;

- déclarer irrecevables les demandes des salariés dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 (date de l'assemblée générale de la société SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été employés par la NORMED ;

- dire que les demandes relatives aux contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale sont prescrites ;

Ils concluent subsidiairement :

- au débouté des prétentions, aux motifs d'une part, que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice, d'autre part, que l'article 1150 du Code civil limite l'indemnisation en matière contractuelle au seul dommage prévisible

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

- sur l'exception d'incompétence

Selon l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, que le salarié ait ou non bénéficié du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice de ce dispositif, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente.

- sur les fins de non-recevoir

* sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998

L'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement à ces salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions.

S'il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal, il est néanmoins recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, lequel n'est pas de nature économique, mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA.

Ce moyen d'irrecevabilité sera rejeté.

* sur l'irrecevabilité tirée de l'irrévocabilité de l'état des créances

Il résulte de l'article L. 625-125 al.2 ancien du code de commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévu à l'alinéa précédent.

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non-recevoir, nouvelle en appel, sera donc rejetée.

* sur l'absence de contrat de travail avec la NORMED :

Le traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre les sociétés CNIM et SPCN (devenue la NORMED) stipule en préambule que :

' CNIM apporte à SPCN (...) les éléments actifs et passifs constituant à la date du 1er janvier 1982, sa branche complète et autonome d'activité division navale' et que 'conformément à la faculté offerte par l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966, l'apport est placé sous le régime juridique des scissions'.

Selon l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 dans sa rédaction alors applicable, la société qui apporte son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles 382 à 386.

Aux termes des articles 385 et 386 de cette loi, les sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission sont débitrices solidaires des obligataires et des créanciers non obligataires de la société scindée au lieu et place de celle-ci sans que cette substitution emporte novation à leur égard, mais que, par dérogation à ces dispositions, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mises à la charge respective et sans solidarité entre elles.

Or il est prévu au traité :

'Passif pris en charge :

L'apport effectué à SPCN est fait à la charge pour cette dernière société d'acquitter la partie du passif de CNIM correspondant à la branche d'activité apportée.

Ce passif comprend :

1. Le passif exigible tel qu'il ressort du bilan au 31 décembre 1981 (...)

2. Une provision libre pour risques d'exploitation et éventualités diverses (...) couvrant notamment des charges non comptabilisées pouvant se révéler après le 1er janvier 1982 (...)

Charges et conditions :

(...) Les éléments du passif de CNIM relatifs à la branche d'activité apportée, tels que définis précédemment, seront transmis à SPCN qui les prendra en charge aux lieu et place de CNIM sans qu'il en résulte de novation à l'égard des créanciers.

Il est à cet égard précisé (...) que s'il venait à se révéler ultérieurement une différence en plus ou en moins entre le passif pris en charge par SPCN au 1er janvier 1982 et les sommes effectivement réclamées par des tiers et concernant l'activité apportée, y compris celles qui seraient générées par des faits antérieurs au 1er janvier 1982, SPCN serait tenue d'acquitter tout excédent de passif et profiterait de toute réduction de passif, sans recours ni revendication possible de part et d'autre. Ce qui précède s'entend aussi bien pour les éléments d'activités existant au 1er janvier 1982 que pour les éléments soldés au cours des exercices antérieurs (...)

SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du Code du Travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée. Une liste nominative du personnel affecté à la branche d'activité apportée sera établie au plus tard à la date de réalisation définitive des apports (...)

SPCN aura tous pouvoirs pour intenter ou suivre aux lieu et place de la société apporteuse toutes actions judiciaires relatives à l'activité apporté et en assumera les conséquences financières (...).'

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, même si son contrat de travail a pris fin avant la date d'effet du traité d'apport partiel d'actif ou s'il n'a pas été transféré à la Normed en application de l'ancien article L. 122-12 du code du travail, tout salarié de la CNIM prouvant qu'il a réellement été employé dans la branche d'activité apportée est recevable à réclamer réparation à la Normed d'un préjudice d'anxiété trouvant sa cause dans cette activité.

En l'espèce, Monsieur [Y] [X] verse aux débats le certificat de travail établi le 5 septembre 1980 par la CNIM et les témoignages de Monsieur [S] [V] et de Monsieur [Z] [A], anciens collègues de travail, qui indiquent que Monsieur [Y] [X] travaillait à la CNIM branche navale en qualité de tuyauteur bord où il était exposé à l'amiante, son travail consistant à mettre en place les tuyauteries dans les machines et à retirer le tissu et les coquilles amiantées pour réparer ces tuyaux, qu'il oeuvrait parmi les calorifugeurs, les soudeurs et les chalumistes qui utilisaient des plaques d'amiante, et que Monsieur [Y] [X] a ainsi inhalé journellement des fibres d'amiante.

Bien que son contrat de travail avec la société CNIM ait pris fin le 5 septembre 1980, le salarié établit ainsi qu'il a été employé, au moins partiellement, dans la branche d'activité division navale apportée.

Il est donc recevable à réclamer à la NORMED, société bénéficiaire de l'apport, la réparation d'un préjudice d'anxiété résultant selon lui de manquements commis par l'employeur dans le cadre de cette activité et le jugement sera infirmé.

* sur la prescription

En application des dispositions des articles 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action personnelle ou mobilière ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelle que soit la date de fin de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les sociétés CNIM et NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

- sur le fond

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise .

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail et le dommage allégué n'était pas imprévisible lors de la conclusion de ce contrat.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'.

En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 5 septembre 1980 par la CNIM et des témoignages susvisés, qu'il a produit aux débats, que Monsieur [Y] [X] a travaillé sur le site de la CNIM à [Localité 1] en qualité de tuyauteur du 1er février 1970 au 5 septembre 1980.

Les sociétés FORGES ET CHANTIERS DE LA MÉDITERRANÉE (FCM) / CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES (CNIM) / CHANTIERS NAVALS DE LA CIOTAT (CNC) / CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000.

Le poste occupé par Monsieur [Y] [X] est l'un de ceux visés à l'arrêté.

Les témoignages précités suffisent à démontrer, non seulement que le salarié a été employé, au moins en partie, dans la branche d'activité division navale, avant que celle-ci ne soit apportée à la Normed, ce qui rend son action recevable, mais également qu'il a été exposé de manière habituelle, dans l'exercice de cette activité, au risque de développer une maladie liée à l'amiante.

Pour confirmer son exposition au risque, le salarié, qui soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à la liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, produit plus particulièrement aux débats :

- la notification le 27 août 2012 par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de sa prise en charge au titre de la maladie professionnelle liée à l'amiante (MP du 15 mai 2012)

- diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence dans les poussières d'amiante,

- un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante,

- un courrier du 9 octobre 1981 de la section syndicale CGT menuiserie Bord et Ateliers des CNIM et adressé au directeur de la société sur la persistance de présence d'amiante dans les panneaux utilisés dans la construction du paquebot 1432 ainsi que l'absence de mise en pratique des dispositions du décret loi de 1977,

- une note de service du 27 mars 1981 quant aux bénéficiaires des 'bons de douche', au nombre desquels les personnels travaillant sur de l'amiante, complétée par une note du 29 septembre 1983 rappelant l'application de cette note de 1981.

En conséquence, le salarié démontre qu'il a été exposé au risque de développer une pathologie liée à l'amiante et qu'il se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

Soutenant que l'employeur a pris toutes les mesures de protection nécessaires et n'a commis aucune faute, compte tenu des règles alors applicables, et se prévalant des arrêts du Conseil d'Etat en date du 3 mars 2004 qui ont reconnu la responsabilité de l'Etat pour ses carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, le liquidateur et l'AGS versent principalement aux débats, dans leur dossier commun soumis à la cour :

- des extraits des procès-verbaux des réunions du C.H.S. de la CNIM établissement de La Seyne-sur-Mer, tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr [R], qui avait préconisé, en sus du port du masque, de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, s'est entendu répondre : 'les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller' ;

- le rapport 1977 de ce C.H.S., daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : 'usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du Médecin d'Usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969" ;

- le rapport 1978 indiquant que l'activité du C.H.S au cours de l'année a porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle ont été distribués et que des actions collectives de prévention ont été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne mentionnant pas l'amiante au titre des dangers de maladies d'origine professionnelle ;

- des extraits des bilans 1980, 1981 et 1982, mentionnant les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux ;

- un compte-rendu d'analyses établi par la CRAM du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisée sur les chantiers de la CNIM à [Localité 1] contient un taux d'amiante inférieur à 2% et préconisant certaines mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques) ;

- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail, datée du 22 octobre 1981, indiquant que 'ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite', mais 'seulement que le dosage précis n'a pas été effectué', 'qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées', et qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières ;

- un document de la CGT daté de septembre 1982, formulant plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invitant ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...) ;

- un document manuscrit sous forme de 'questions-réponses', daté du 23 février 1982, dans lequel il est indiqué, au titre 'aspiration (soudeurs) changements de roulements', que 'ceux-ci sont souvent à changer du fait que cette aspiration marche en permanence' ;

- les lettres adressées par la Caisse Régionale d'Assurance Maladie du Sud-Est au directeur de la Normed et au secrétaire du C.H.S établissement de [Localité 1], le 17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposent plus puisque l'amiante n'est plus utilisé sur ce site, mais que les salariés qui ont été antérieurement exposés au risque et qui sont encore présents dans l'entreprise peuvent bénéficier d'une surveillance complémentaire par le Médecin du Travail ;

- l'extrait d'un rapport établi par Mme [C] au mois d'avril 2005 et intitulé 'les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise' ;

- l'arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 15 novembre 1985, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai en date du 15 juin 2004 ayant confirmé l'ordonnance de non-lieu du chef d'homicide et blessures par imprudence dans le cadre d'une procédure concernant la société Sollac-Dunkerque, et rapportant les déclarations du médecin salarié des Chantiers de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante.

Ces éléments, dont certains sont produits par le salarié lui-même au soutien de sa demande, qui sont pour le surplus sérieusement contredits par ce dernier et qui ne démontrent pas que toutes les mesures nécessaires ont été prises sur le site de [Localité 1] pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle des salariés, absence de contre-indication et surveillance médicales), ni ne révèlent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur, ne sont pas de nature à exonérer la NORMED de sa responsabilité.

Le salarié est donc fondé à réclamer à cette société la réparation de son préjudice d'anxiété et ce, au titre de la période travaillée jusqu'au 5 septembre 1980, étant précisé qu'en l'état des attestations versées aux débats, il ne justifie pas, ni même ne prétend, avoir consacré toute son activité à la branche division navale de cette société jusqu'à son apport à la Normed, ni partant, avoir été quotidiennement exposé au risque de l'amiante pendant l'ensemble de la période considérée.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, (fonctions occupées, durée d'exposition au risque, attestations de Monsieur [B] [W] et de Monsieur [L] [P] sur l'état d'anxiété), ce préjudice spécifique sera justement réparé par une somme de 4 000 € à titre de dommages intérêts.

- sur la garantie de l'AGS

En application des articles L.3253-6 et L. 3253-8 du code du travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés en exécution du contrat de travail à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

En l'espèce, même révélée postérieurement, dès lors qu'elle a pour origine un manquement de l'employeur commis pendant l'exécution du contrat de travail et que son fait générateur est antérieur à l'ouverture de la procédure collective, la créance du salarié est garantie par l'AGS.

- Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :

La demande du salarié au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile dirigée contre le CGEA sera rejetée.

Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré,

Statuant de nouveau,

Rejette l'exception d'incompétence

Déclare l'action recevable,

Dit que la société NORMED est responsable du préjudice d'anxiété du salarié,

Fixe la créance de Monsieur [Y] [X] au passif de la liquidation judiciaire de la NORMED à la somme de 4 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice,

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA Ile de France Ouest et dit qu'en application des articles L.3253-6 à L. 3253-8 du code du travail, celui-ci devra procéder à l'avance de ladite créance, selon les termes et conditions et dans la limite des plafonds résultant des articles L.3253-15 et L.3253-17 du même code, sur présentation d'un relevé et justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles,

DIT n'y avoir lieu à condamnation de l'UNEDIC AGS CGEA Ile de France Ouest sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 13/04129
Date de la décision : 23/05/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-05-23;13.04129 ?
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