COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUIN 2014
N° 2014/1303
Rôle N° 12/12301
[C] [U]
C/
SA SOCIETE INDUSTRIELLE TRAFIC MARITIME (INTRAMAR)
SA SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA)
M° [Q], Liquidateur judiciaire de la Société UNION PHOCEENNE D'ACCONAGE (UPA)
AGS - CGEA DE [Localité 1] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST
GRAND PORT MARITIME DE [1]
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES
[K] [J]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Cyril MICHEL
Me Frédéric MARCOUYEUX
Me Eric SEMELAIGNE
Me Nicolas FALQUE
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 21 Juin 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1125.
APPELANT
Monsieur [C] [U], demeurant [Adresse 4]
comparant en personne, assisté de Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
SA SOCIETE INDUSTRIELLE TRAFIC MARITIME (INTRAMAR), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
SA SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA), demeurant [Adresse 12]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
M° [Q], Liquidateur judiciaire de la Société UNION PHOCEENNE D'ACCONAGE (UPA), demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
AGS - CGEA DE [1] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant [Adresse 11]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me AIMINO-MORIN Colette, avocat au barreau de MARSEILLE
et
Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me CAPPE DE BAILLON avocat au barreau de PARIS
GRAND PORT MARITIME DE [1], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de [1]
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES, demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [K] [J] liquidateur sociétaire de la SOCIETE MODERNE DE TRANSBORDEMENTS (SOMOTRANS), demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 Mars 2014 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Christine LORENZINI, Conseiller
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2014.
Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Monsieur [C] [U] a travaillé en qualité de docker professionnel intermittent sur le port de [1] du 1er février 1962 au 29 avril 1993. Il a saisi le Conseil des Prud'hommes de [1] le 1er avril 2009 aux fins de réparation des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante à l'encontre de :
- la [Adresse 8] ( CCCP) à titre personnel et aux droits du Service Auxiliaire de la manutention (SAM),
- l'Union Phocéenne d'Acconage (UPA), représentée par Maître [Q], mandataire liquidateur désigné par jugement de liquidation judiciaire du 20 novembre 2000,
- la société SOMOTRANS, représentée par Maître [J], mandataire ad hoc, société qui a débuté son activité d'acconier en 1969, l'a cessée en 1997 par cession de ses actifs, la société ayant été placée en règlement judiciaire le 18 avril 1996 a prononcé sa dissolution le 14 décembre 2007, la procédure collective ayant été clôturée le 21 novembre 2007 ; Maître [J] a été désigné mandataire ad hoc, 'liquidateur sociétaire' par décision de l'assemblée Générale du 14 décembre 2007,
- le GRAND PORT MARITIME de [1] ( GPMM), établissement public de l'Etat,
- le CGEA de [1].
Par acte en date du 8 juin 2010, Maître [J], es qualité, a assigné en intervention forcée, le Bureau Central de la Main d'Oeuvre ( BCMO).
Par jugement en date du 21 juin 2012, mentionnant dans son chapeau et/ou dans l'exposé du litige : - en qualité de défendeurs : la [Adresse 8], pour elle-même et aux droits du Service Auxiliaire de la Manutention (S.A.M.), la société INTRAMAR, la société SOCOMA, la société Union Phocéenne d'Acconage (U.P.A.) représentée par Me [Q], liquidateur judiciaire, la société SOMOTRANS représentée par Me [J], mandataire ad hoc et liquidateur sociétaire, et le Grand Port Maritime de [1], établissement public, - en qualité d'intervenant forcé : le Bureau Central de la Main d'Oeuvre (B.C.M.O.), - et en qualité d'intervenant volontaire : le CGEA gestionnaire de l'AGS du Sud-Est, le Conseil des Prud'hommes de MARSEILLE, EN formation de départage :
- s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes dirigées contre la CCCP, tant pour elle-même que venant aux droits de l'Association SAM,
- a renvoyé le demandeur à se pourvoir, le cas échéant, devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE,
- a rejeté les exceptions d'incompétence au profit du TASS et au profit du FIVA,
- s'est déclaré compétent pour connaître des demandes soutenues à l'égard des autres défendeurs,
- a déclaré recevable l'intervention forcée délivrée à l'encontre du BCMO,
- l'a déclaré non fondée et a mis hors de cause le BCMO,
- a constaté que le demandeur s'est désisté de ses demandes à l'encontre du GPMM, déclaré ce désistement parfait et dit qu'il mettait fin à l'instance entre les parties,
- a déclaré les sociétés UPA et SOMOTRANS solidairement responsables du préjudice causé au demandeur,
- a fixé la créance du demandeur au passif de la liquidation des sociétés à la somme de 8000€,
- a dit que le CGEA doit sa garantie dans les limites et conditions prévues par le code du travail,
- a rejeté toutes les autres demandes comme étant injustifiées ou infondées,
- a dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire complémentaire,
- a condamné les sociétés UPA, représentée par Maître [Q], et SOMOTRANS, représentée par Maître [J], son mandataire ad hoc, solidairement tenues, à payer au demandeur la somme de 250€ au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- les a condamnées dans les mêmes conditions de solidarité aux dépens .
Monsieur [U] a relevé appel de cette décision le 4 juillet 2012 .
Le CGEA et Maître [J] ont respectivement relevé appel de cette décision les 20 et 17 juillet 2012 .
Enregistrées sous les numéros 12/12301, 1213859 et 12/ 14204, les procédures ont été jointes sous le numéro 12/12301 par ordonnances du 24 août 2012.
Prétentions et moyens des parties :
' Exposant qu'il n'avait formulé aucune demande en première instance à l'encontre des sociétés SOCOMA et INTRAMAR, confirmant par ailleurs son désistement d'instance et d'action à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et déclarant également se désister à l'égard de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention, Monsieur [U] a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à l'ensemble des affaires du rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :
- confirmer ce jugement en ce qu'il a déclaré les sociétés UPA. et SOMOTRANS solidairement responsables de son préjudice d'anxiété résultant de la situation d'inquiétude permanente dans laquelle il se trouve face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ;
- fixer sa créance au passif de la liquidation de chacune d'elles aux sommes de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice et de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA.
Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de [2], pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du 1er février 1962 au 29 avril 1993, en congé conversion du 29 avril 1993 au 26 mars 1999 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports Maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992 ; qu'il a bénéficié de l'ACAATA à partir du 1er mars 2001; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés UPA. et SOMOTRANS, qui sont mentionnées sur la liste établie par la [Adresse 10] dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que la preuve de l'existence de ses relations contractuelles avec ces sociétés résulte des bulletins de salaire et/ou des attestations versées aux débats ; que la cour pourra ordonner si nécessaire à celles-ci de produire les D.A.D.S depuis 1977 ; qu'il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret de 1977) ; que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le Port de [1] comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture des procédures collectives à l'encontre des sociétés UPA et SOMOTRANS, qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et que la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.
' Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, déclarant représenter la société SOMOTRANS en qualité de liquidateur sociétaire, Monsieur [K] [J] demande à la cour, à titre liminaire, de :
- dire bien fondée et justifiée la mise en cause du B.C.M.O. de [1], venant aux droits des B.C.M.O. de Port-de-Bouc et de Port [3], dès lors que ceux-ci ont exercé les prérogatives d'employeurs à l'égard des dockers pendant la période 1957-1993 visée dans l'arrêté du 7 juillet 2000 ;
- mettre la société SOMOTRANS hors de cause, d'une part en ce qu'elle n'a pas revêtu la qualité d'employeur du demandeur pendant la période d'exposition potentielle à l'amiante, l'employeur étant l'un des deux B.C.M.O., et d'autre part, en raison de sa dissolution du fait de la cession totale de ses actifs, puis de la clôture subséquente de la procédure collective dont elle a fait l'objet.
Il observe à ce sujet que, faute pour la société SOMOTRANS d'avoir été l'employeur du demandeur, celui-ci ne pourrait invoquer à son encontre qu'une créance étrangère au contrat de travail, laquelle aurait dû alors faire l'objet d'une déclaration entre les mains du représentant des créanciers, et que toutefois, si la cour considère qu'elle a bien été l'employeur, la demande en réparation devrait être présentée au CGEA-AGS de [1].
Subsidiairement sur le fond, Monsieur [J], ès qualités, demande d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger que le demandeur ne démontre pas avoir travaillé régulièrement pour SOMOTRANS, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il a subi un préjudice, d'écarter la solidarité de même que la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires, et en conséquence, de débouter l'intéressé de ses prétentions.
Il fait valoir que l'exposition à l'amiante, lorsqu'elle constitue une maladie professionnelle, est indemnisée par la sécurité sociale, et à défaut par l'ACAATA ; que si le port de [1] a été classé comme 'port amiante', la situation des dockers doit être distinguée de celle des salariés ayant travaillé dans un établissement nommément identifié et inscrit sur une liste établie par arrêté, ce qui n'est pas le cas de la société SOMOTRANS ; que le demandeur ne prouve pas que cette société lui ait demandé de manipuler des produits amiantés, ni même qu'elle ait réalisé la manutention de tels produits, ni en conséquence qu'elle l'ait exposé à l'amiante ; que les attestations versées aux débats, établies longtemps après les faits, par des proches ou par d'autres dockers demandeurs, en termes quasiment identiques, à partir d'un modèle préétabli produit de manière probablement fortuite dans l'un des dossiers, et qui ne mentionnent aucune date de début ni de fin de contrat, ni ne rapportent aucun fait précis, sont dépourvues de force probante ; que la société SOMOTRANS n'était pas tenue de conserver les DADS, qu'elle est dans l'incapacité de produire ces documents, et que les salariés renversent la charge de la preuve en demandant d'ordonner cette production si nécessaire, alors même qu'il leur appartient de produire leurs bulletins de paie afin de prouver une activité régulière pour le compte de cette société ; qu'à supposer même qu'une exposition à l'amiante du fait de la société SOMOTRANS soit démontrée, elle n'aurait pu être en tout état de cause que très marginale et irrégulière et n'aurait pu intervenir qu'en plein air ou dans un espace très aéré, ce qui limiterait ou exclurait le risque de contamination ; que le demandeur ne précise d'ailleurs pas les moyens de protection dont il aurait dû bénéficier ; qu'il ne démontre pas que la société SOMOTRANS ait été consciente du danger, ni qu'elle ait enfreint la réglementation alors applicable ; que le risque a été évoqué pour la première fois lors de la réunion du [Adresse 9], tenue le 22 décembre 1999 ; que le préjudice invoqué est donc purement éventuel, que le lien de causalité avec une faute imputable à SOMOTRANS n'est pas établi, et qu'au surplus le demandeur ne justifie d'aucun suivi médical.
A titre infiniment subsidiaire, Monsieur [J], ès qualités, demande d'apprécier le préjudice réellement subi par le demandeur et imputable à la société SOMOTRANS, d'écarter la solidarité et la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires, de rejeter toute indemnisation forfaitaire, d'ordonner une expertise et de dire et juger que le CGEA AGS devra garantir toute condamnation susceptible d'être prononcée à l'encontre de la société SOMOTRANS.
Enfin, il demande reconventionnellement de condamner Monsieur [U] à lui payer la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre au paiement des dépens.
' Le CGEA Délégation Régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à l'ensemble des affaires du rôle, aux termes desquelles il demande à la cour, à titre liminaire, de :
- de se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de sécurité sociale, seul compétent pour statuer sur les demandes des salariés bénéficiaires de l'ACAATA, qui tendent à contester le montant de l'allocation ;
- déclarer les demandes des autres salariés irrecevables au motif qu'elles doivent être portées devant le fonds spécifique créé par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.
- prononcer sa mise hors de cause concernant la société SOMOTRANS pour laquelle sa garantie ne peut intervenir, dès lors qu'après avoir été placée en redressement judiciaire par jugement du 18 avril 1996 et suite à la cession de ses actifs, cette société a fait l'objet d'un jugement de clôture des opérations de la procédure, prononcé le 21 novembre 2007, suivi d'un procès-verbal de décision de l'actionnaire unique en date du 14 décembre 2007, désignant Me [K] [J] en qualité de 'liquidateur sociétaire' ;
- prononcer sa mise hors de cause concernant la société U.P.A., qui n'a pas employé les dockers demandeurs avant 1993, l'employeur étant alors le B.C.M.O. auquel ils se présentaient quotidiennement pour être affectés sur des missions de manutention portuaire ;
- prononcer sa mise hors de cause en ce qu'aucun élément ne permet d'établir pour quelle(s) société(s) certains demandeurs ont travaillé, ni pendant quelles périodes ;
- déclarer irrecevables les demandes de condamnation solidaire à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire.
Sur le fond, le CGEA demande de débouter le salarié aux motifs qu'il ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice d'anxiété, lequel ne résulte pas du dispositif légal ni d'une simple relation de travail avec les sociétés concernées, mais du fait d'avoir travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1988 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et qu'il ne justifie pas avoir subi des contrôles et examens médicaux réguliers ; que l'obligation de sécurité de résultat n'était pas applicable à l'époque des faits, puisqu'elle découle de dispositions de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, aujourd'hui codifiées à l'article L. 4121-1 du code du travail ; que l'adhésion à l'ACAATA n'implique pas la faute de l'employeur ; que le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat pour ses carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante ; que le salarié ne démontre pas avoir été personnellement victime d'une violation des dispositions d'hygiène et de sécurité alors en vigueur, ni ne prouve l'existence d'un lien de causalité direct entre une telle faute et le préjudice allégué.
Subsidiairement, le CGEA demande de dire et juger qu'en application de l'article L.3253-8 du code du travail, la créance ne lui est pas opposable comme étant née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
À titre encore plus subsidiaire, il demande de réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions et de faire application des dispositions du code du travail concernant la mise en oeuvre et le plafonnement de sa garantie, laquelle ne couvre pas l'astreinte ni les frais irrépétibles.
' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux autres affaires inscrites au rôle, au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker, Maître [Q], ès qualités, de liquidateur judiciaire de la société U.P.A. soulève in limine litis l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale et demande de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie.
Subsidiairement sur le fond, Maître [Q] demande d'infirmer le jugement déféré, de débouter les salariés de leurs prétentions et de les condamner à payer la somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs qu'ils ont eu de multiples employeurs et qu'ils ne justifient pas avoir travaillé pour la société U.P.A., ou alors à de très rares occasions ; que les attestations qu'ils produisent ont été établies pour les besoins de la cause, qu'elles sont imprécises et sans valeur probante ; qu'ils ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante par la société U.P.A., ni que cette société a commis une faute, ni qu'il existe en un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué ; que la société U.P.A. justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits.
A titre infiniment subsidiaire, Maître [Q] soutient que le préjudice d'anxiété allégué n'est pas indemnisable ni justifié et qu'il n'existe en l'espèce aucune obligation solidaire ou in solidum..
' Aux termes de leurs écritures plaidées à l'audience, faisant valoir qu'elles n'étaient pas parties en première instance et que le préalable obligatoire de conciliation n'a pas eu lieu, les sociétés INTRAMAR et SOCOMA demandent à la cour :
- in limine litis, de se déclarer incompétente rationae materiae au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches-du-Rhône et de déclarer l'appel de Monsieur [U] irrecevable en application de l'article 547 du code de procédure civile ;
- à titre très subsidiaire sur le fond, par des motifs analogues à ceux développés par Maître [Q] ès qualités, de débouter l'intéressé de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner à payer à chacune d'elles une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
' Par la voix de son conseil à la barre, la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention déclare accepter en tant que de besoin le désistement d'instance et d'action du salarié.
' Dans ses conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, observant qu'il n'a jamais été l'employeur de Monsieur [U], comme celui-ci l'a d'ailleurs admis, le Grand Port Maritime de [1] demande également de lui donner acte en tant que de besoin de ce qu'il accepte sans réserve le désistement du demandeur.
' Aux termes de ses écritures développées à la barre, le Bureau Central de la Main d'Oeuvre demande :
- au principal, de constater qu'il n'a pas la personnalité juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation, et en conséquence, d'inviter Monsieur [J] ès qualités à mieux se pourvoir ;
- subsidiairement, de constater l'absence de tentative de conciliation obligatoire à son encontre, de dire et juger que l'action de Monsieur [J] ès qualités est irrecevable et en toute hypothèse infondée, puisqu'il n'a jamais eu la qualité d'employeur, et en tout état de cause, de condamner ce dernier à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
sur l'exception d'incompétence :
Selon l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
En l'espèce, dès lors que le salarié ne fonde pas sa demande sur l'existence d'une maladie professionnelle mais sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail, que le préjudice d'anxiété correspond à un état d'inquiétude permanente face à un risque ( celui de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante) et non à une altération de son état de santé et que ni le droit au bénéfice du du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont Monsieur [U] a été attributaire à compter du 1er mars 2001, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente et le jugement sera confirmé à ce titre.
Sur le désistement à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et de la Caisse de Compensation des Congés Payés :
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté le désistement de Monsieur [U] à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et dit ce désistement parfait.
Il sera en outre donné acte à l'intéressé de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes à l'encontre de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention et ce désistement sera également déclaré parfait.
Sur la mise hors de cause des sociétés SOCOMA et INTRAMAR :
Aucune demande n'ayant été formée à leur encontre, tant en première instance qu'en cause d'appel, les sociétés SOCOMA et INTRAMAR seront purement et simplement mises hors de cause .
Sur la recevabilité de l'action à l'encontre de SOMOTRANS :
La personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et la société SOMOTRANS est représentée à l'instance par son liquidateur sociétaire.
Dès lors par ailleurs que les ouvriers dockers étaient unis à diverses entreprises d'acconage (environ quatre-vingts sur le port de [1], entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire), par un lien de subordination, en sorte que celles-ci ont donc été leurs employeurs, à la différence du B.C.M.O., organisme paritaire dépourvu de la personnalité juridique, et que la créance invoquée trouve son origine dans l'exécution d'un contrat de travail dont l'existence résulte du certificat de travail et des bulletins de paie versés aux débats, le jugement sera confirmé en ce qu'il a reçu l'action de Monsieur [U] contre cette société.
Sur l'intervention forcée du BCMO :
Il résulte des explications du BCMO, confirmées par les pièces versées aux débats et non sérieusement contredites par la société SOMOTRANS, que cet organisme paritaire, au service des entreprises de manutention portuaire, est dépourvu de la personnalité juridique .
En conséquence, son intervention forcée sur assignation délivrée par le liquidateur de la société SOMOTRANS, et la demande formée par cette société en vue de lui voir reconnaître la qualité d'employeur, seront déclarées irrecevables en application de l'article 32 du code de procédure civile.
Le jugement réformé en ce sens.
Sur le fond :
En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.
Cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L. 230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.
Au demeurant, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.
En l'espèce, pour preuve de sa relation contractuelle avec les sociétés UPA et SOMOTRANS et de son exposition fautive à l'amiante par ces sociétés, Monsieur [U] communique essentiellement :
- le certificat de travail établi par la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention des Ports de [1], le 3 novembre 2008, mentionnant qu'il a été inscrit le 1er février 1962, radié le 29 avril 1993, en congé de conversion de cette date au 26 mars 1999 ;
- divers bulletins de salaire ( dont plusieurs illisibles) dont il résulte qu'il a travaillé :
* pour la société SOMOTRANS (code entreprise 15) un jour en août 1988, un jour en décembre 1992,
* pour la société U.P.A.(code 28) un jour en novembre 1992,
- les attestations, pareillement datées du 21 novembre 2008, établies par d'autres dockers professionnels ( Messieurs [N], [Y] ), certifiant, brièvement et en termes quasi-identiques, qu'ils ont travaillé ensemble, dans différentes entreprises sur le port de [1] (dont SOMOTRANS, [G], UPEA de 1976 à 1986 selon Monsieur [Y], UPA, SOMOTRANS, EUROMA, RODRIGUE au cours de la même période, selon Monsieur [N]), sans protection (gants, masques, combinaisons), et sans être informés sur les dangers de l'amiante, étant observé que la société SOMOTRANS justifie que ces témoignages ont été rédigés selon un modèle pré-établi, qu'elle verse aux débats, en indiquant, sans être contredite, que cette pièce a été produite, de manière probablement fortuite, dans le dossier d'un autre demandeur, et qu'en conséquence, ces attestations, dont la crédibilité est ainsi entachée, sont dépourvues de valeur probante ;
- la lettre du Directeur Général du Port de [1] au Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :
'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.
Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établi : - Société Industrielle de Trafic Maritime (INTRAMAR) - Union Phocéenne d'Acconage (UPA) - Société Moderne de Transbordements (SOMOTRANS) - Société MANUCAR - Etablissements MAIFFREDY - Société CARFOS.
Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991 ;
- les témoignages de Madame [R], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société SOMOTRANS, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', de Monsieur [D] retraçant en qualité d'ancien contrôleur payeur chez MANUCAR et INTRAMAR de 1962 à 1989, qui fait état de manipulation d'amiante, et de Monsieur [X] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS, de 1956 à 1988 (sans autre précision sur ses périodes d'emploi au sein de cette dernière société), qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait, du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne, étant observé qu'aucun de ces témoins ne mentionne le nom de Monsieur [U] .
Si Monsieur [U] prouve par le certificat de travail délivré par la CCCP qu'il était uni aux entreprises d'acconage (environ quatre-vingt sur le port de [1], entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire), par un lien de subordination, et que celles-ci étaient donc bien ses employeurs, il n'en demeure pas moins que les témoignages et autres pièces qu'il verse aux débats ne suffisent pas à faire la preuve qu'il a travaillé pour les sociétés UPA et SOMOTRANS de manière régulière, ni qu'il a été exposé de manière habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante par ces sociétés pendant la période d'exposition au risque visé dans l'arrêté .
En conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande en réparation d'un préjudice d'anxiété à l'encontre des sociétés U.P.A. et SOMOTRANS, et Monsieur [U] sera débouté.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
Les demandes sur ce fondement seront rejetées et Monsieur [U], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance.
Ces dispositions du jugement seront également infirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au Greffe, le six juin deux mille quatorze,
REÇOIT les appels,
CONFIRME le jugement déféré sur la compétence de la juridiction prud'homale, le désistement du salarié à l'égard du Grand Port Maritime de [1], la recevabilité de son action à l'encontre de la société SOMOTRANS et la mise hors de cause des sociétés INTRAMAR, SOCOMA,
INFIRMANT pour le surplus et y ajoutant,
DONNE ACTE à Monsieur [U] de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes à l'égard de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention et déclare ce désistement parfait,
DÉCLARE IRRECEVABLES l'intervention forcée du Bureau Central de la Main d'Oeuvre et la demande formée par la société SOMOTRANS à son encontre,
DÉBOUTE Monsieur [U] de sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété à l'encontre des sociétés U.P.A et SOMOTRANS,
REJETTE les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [U] aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.