COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUILLET 2014
N°2014/442
BP
Rôle N° 13/00439
Société JMB
C/
[T] [N]
Grosse délivrée le :
à :
Me Laurent LE GLAUNEC, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE - section I - en date du 20 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/593.
APPELANTE
Société JMB, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Laurent LE GLAUNEC, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
Mademoiselle [T] [N], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte PELTIER, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Brigitte PELTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2014
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les conclusions des parties, déposées et développées oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions ;
Mme [T] [N] a été engagée à compter du 4 décembre 2005 en qualité de vendeuse de boulangerie, son contrat de travail étant transféré, à compter de la fin du mois d'avril 2009, à la société JMB, gérée par M. [X] ; Elle a été en arrêt maladie à compter du 1er février 2009, puis en congé maternité jusqu'au 29 mars 2010, puis en congé parental devant prendre fin le 14 octobre 2010 ; à cette date elle a été en arrêt maladie ; elle a été licenciée par courrier du 2 mars 2011 ;
Par requête en date du 8 avril 2011, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse, lequel a condamné l'employeur par jugement du 20 novembre 2012 au paiement des sommes de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour « rupture abusive ' nullité du licenciement », 1.501 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 600 euros à titre d'indemnité de licenciement, 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre remise des documents sociaux rectifiés ainsi qu'entiers dépens.
Par déclaration enregistrée le 21 décembre 2012, la société JMB a interjeté appel de ce jugement ;
Après audience en date du 27 juin 2013, la cour de céans, a par arrêt avant dire droit en date du 12 septembre 2013, constaté qu'il était produit des photocopies illisibles d'arrêts maladie, et a invité les parties à justifier des arrêts médicaux délivrés et périodes de suspension de contrat de travail au titre du congé maternité de la salariée pour les années 2009 à 2011 ;
M. [X] es qualité qui produit de nouvelles copies des arrêts médicaux précédemment produits, maintient ses conclusions initiales ; il conclut à l'infirmation du jugement déféré qu'il prétend rendu alors qu'il n'avait pas reçu la convocation, au débouté adverse outre paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'entiers dépens.
Il soutient que Mme [N] a été en congé maladie puis maternité depuis l'année 2009 et devait reprendre le travail le 14 octobre 2010 ; qu'elle même puis son conjoint sont venus, au mois d'août et octobre, lui demander de procéder à la rupture de son contrat de travail à l'issue de la période d'arrêt ; qu'après avoir justifié d'un arrêt maladie jusqu'au 14 novembre, qu'il a cru en lien avec sa précédente grossesse, elle ne s'est pas présentée à son travail et ne lui a plus donné de nouvelles ; qu'il a vainement adressé un courrier recommandé en date du 8 décembre 2010 pour l'inviter à justifier de son absence ; que par courrier du 25 janvier 2011, il l'a convoquée à un entretien préalable de licenciement au motif qu'il était sans nouvelle ; que considérant que sa convocation n'avait peut-être pas laissé un délai suffisant à la salariée, il a délivré le 8 févier 2011 une nouvelle convocation pour le 17 février, puis a licencié Mme [N] par courrier du 3 mars 2011 pour faute grave résultant de son absence injustifiée depuis le 14 novembre 2010 ; que par courrier du 17 mars 2011 Mme [N] lui a fait connaître son état de grossesse ; que dès réception de ce courrier, il a renoncé à la procédure de licenciement ; qu'il n'a reçu aucune réponse à ce courrier mais a été avisée de la saisine du conseil de prud'hommes enregistrée le 8 avril 2011 ; que jusqu'à réception du courrier du 17 mars, il n'avait pas connaissance d'une seconde grossesse ; que face au mutisme de la salariée, il n'avait pas d'autre choix que d'engager une procédure de licenciement ;
Mme [N] qui produit un relevé des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie, conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement frappé de nullité et condamné l'employeur de ce chef au paiement de dommages et intérêts à concurrence de la somme de 18.000 euros outre frais irrépétibles, et à la rectification de l'attestation pôle emploi, et sollicite condamnation de la société JMB au paiement des sommes de 3.002 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1.551,02 euros à titre d'indemnité de licenciement, 8.305,53 euros outre congés payés y afférents au titre des salaires pour la période du 2 mars au 14 août 2011, 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'entiers dépens.
Elle fait valoir que son contrat de travail a été suspendu pour maladie liée à son état de grossesse du 16 mai au 23 novembre 2009, prolongé jusqu'au 29 mars 2010, suivi d'un congé parental du 1er avril au 1er octobre 2010 ; qu'elle a bénéficié d'un nouvel arrêt médical pour cause de maladie liée à son état de grossesse à compter du 14 octobre 2010 jusqu'au 14 novembre 2010, prolongé jusqu'au 13 février 2011, la suspension du contrat de travail se poursuivant pour cause de maternité jusqu'au 14 août 2011 ; qu'elle a été licenciée par courrier du 2 mars 2011, alors qu'elle se trouvait en congé de maternité, ce qu'elle avait indiqué à l'employeur au cours de l'entretien préalable ; que par courrier du 17 mars, elle a justifié de son état de grossesse et que le licenciement est donc nul ; que l'employeur n'était pas en droit de poser des conditions à cette annulation ; que ses demandes sont dès lors fondées ;
SUR CE
En application de l'article L 1225-5 du code du travail : « Le licenciement d'une salariée est annulé lorsque, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, l'intéressée envoie à son employeur, dans des conditions déterminées par voie réglementaire, un certificat médical justifiant qu'elle est enceinte. / Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le licenciement est prononcé pour une faute grave non liée à l'état de grossesse ou par impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. » ;
Il résulte de ces dispositions que si, rendu destinataire d'un certificat de grossesse dans les 15 jours suivant la notification du licenciement prononcé pour faute grave, l'employeur ayant licencié sa salariée dans l'ignorance de son état de grossesse, renonce à se prévaloir de la gravité de la faute, la rupture est nulle et la salariée doit alors réintégrer l'entreprise, sauf si l'employeur est revenu tardivement sur sa décision de la licencier ; ce n'est en conséquence que dans le cas où l'employeur ne renonce pas au licenciement, que la salariée peut saisir le conseil de prud'hommes pour faire constater la dite annulation ;
Au cas d'espèce, M. [X] justifie avoir reçu courant octobre 2010, un courrier recommandé de Mme [N] aux termes duquel elle lui indiquait qu'elle s'était rendue à la boulangerie courant août, accompagnée de son conjoint, pour l'aviser de la reprise de son poste au début du mois d'octobre, et qu'il lui avait indiqué qu'il ne pouvait la reprendre et qu'elle lui avait alors proposé de « faire un licenciement à l'amiable », qu'elle avait repris contact avec lui le 13 octobre « pour obtenir mes papiers de licenciement (...) », qu'il l'avait menacé, et lui demandait « encore une fois de ne pas revenir sur vos décisions du mois d'août (') » ; il produit son courrier en réponse, dont la teneur n'est pas discutée, aux termes duquel, il contestait les affirmations de la salariée, lui déclarait avoir déposé plainte contre le nommé « [D] » venu lui remettre un arrêt maladie la concernant, et lui demandait enfin de bien vouloir justifier de sa situation depuis le 30 mars 2010 ;
Il justifie également avoir dénoncé auprès de la gendarmerie des faits de menaces sur sa personne proférées par un nommé [D], « le copain » d'[T] [N] qui « veut que sa copine soit licenciée pour toucher les avantages sociaux. Je ne veux pas la licencier car sa situation auprès de la CPAM n'est pas clair, et que je ne veux pas me mettre en faute devant un tribunal » ;
Il démontre également avoir adressé :
- le 8 décembre 2010 une lettre recommandée réceptionnée le 10 décembre, demandant à la salariée de justifier de son absence postérieure au 14 novembre,
- le 25 janvier 2011, une nouvelle lettre recommandée réceptionnée le 29, la convoquant à un entretien préalable de licenciement fixé au 3 février, précisant « malgré mes diverses relances, je suis sans nouvelle de votre situation actuelle » ;
- le 8 février 2011, une nouvelle convocation à entretien préalable fixé au 17 février ;
Or, si Mme [N] affirme avoir informé son employeur au cours de cet entretien préalable de son congé maternité, cette affirmation ne peut résulter de la seule circonstance qu'elle en ait fait mention dans le courrier du 17 mars par lequel elle a justifié de cet état de grossesse, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle n'avait à cette date, toujours pas justifié de ses arrêts de travail et qu'elle n'allègue pas lui avoir transmis avant cette date son arrêt pour congé de maternité, lequel avait pourtant débuté le 14 février 2011 ;
A cet égard, il sera observé que si elle produit des attestations de salaires pour le paiement des indemnités journalières, datées du 2 juillet 2009, pour la période déclarée en maladie du 1er février au 30 avril 2009 (pièces 16 et17), puis du 3 septembre 2009 pour la période déclarée en maternité du 24 au 30 avril 2009 (pièce 19), puis du 15 octobre 2010 pour la période déclarée en maladie du 1er février au 30 avril 2010, ces régularisations a posteriori ne permettent pas de considérer qu'elle avait régulièrement avisé son employeur de ses arrêts médicaux ; il sera encore observé qu'il ressort de l'attestation de « premier examen médical prénatal » qu'elle produit, mentionnant la date surchargée du 17 septembre 2010 et la date présumée de grossesse au 11 juillet, qu'à la date de reprise fixée au mois d'octobre, date à laquelle elle sollicitait son licenciement, elle n'ignorait pas son état de grossesse ;
Or, après avoir reçu le 20 mars 2011 le justificatif de l'état de grossesse de Mme [N], transmis par courrier du 17 mars, l'employeur a écrit à la salariée le 24 mars 2011, par courrier recommandé réceptionné le 25 « Après étude de votre situation, seule une rupture de décision de licenciement doit pouvoir vous permettre de percevoir vos indemnités. / Le droit de rétractation unilatérale de l'employeur n'existant pas, je ne peux revenir seul sur la décision de renoncement à ce licenciement. / cela signifie qu'il me faut votre accord formalisé par écrit en spécifiant que d'un commun accord chacune des parties renonce au licenciement » ;
Il s'en déduit d'une part qu'aucune des pièces du dossier ne permet de considérer que l'employeur a été informé de la situation de grossesse avant le courrier du 17 mars 2011, d'autre part que l'employeur a manifesté, dès réception du justificatif, sa volonté de rétracter le licenciement ; or, si l'employeur ne peut en principe rétracter un licenciement qu'avec l'accord de la salariée, cette conséquence n'est pas opposable à un employeur ayant licencié sa salariée dans l'ignorance de son état de grossesse ; le licenciement étant dès lors annulé de plein droit, la circonstance résultant de ce qu'il ait indiqué à la salariée que son consentement à ce renoncement était nécessaire, est inopérante ;
Il suit de ce qui précède que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a accueilli la demande en dommages et intérêts au motif que Mme [N] a clairement fait part de sa volonté de ne pas réintégrer les effectifs ; le jugement déféré sera donc réformé et Mme [N] déboutée de toutes ses prétentions ;
Les dépens seront supportés par Mme [N] qui succombe, sans qu'il n'y ait lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en matière prud'homale, et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau,
Déboute Mme [T] [N] de ses prétentions.
Condamne Mme [T] [N] aux entiers dépens.
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT