COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 11 SEPTEMBRE 2014
N° 2014/608
L. B.
Rôle N° 13/17526
[H] [S]
C/
[Y] [X] [X]
ONIAM
Grosse délivrée
le :
à :
Maître FIORENTINI-GATTI
SCP LATIL
Maître MAGNAN
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le président du tribunal de grande instance de Toulon en date du 16 juillet 2013 enregistrée au répertoire général sous le N° 13/00680.
APPELANT :
Monsieur [H] [S],
demeurant [Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Maître Sandra FIORENTINI-GATTI, avocat au barreau de MARSEILLE,
plaidant par Maître Claude-André CHAS, avocat au barreau de NICE, substitué par Maître Sandra FIORENTINI-GATTI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS :
Monsieur [Y] [X] [X]
né le [Date naissance 1] 1938,
demeurant [Adresse 1]
représenté par la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS
ONIAM,
dont le siège est [Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Maître Joseph-Paul MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Olivier SAUMON, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître Benoit MENUEL, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 juin 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Laure BOURREL, conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Serge KERRAUDREN, président
Madame Laure BOURREL, conseiller
Monsieur Hugues FOURNIER, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 septembre 2014.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 septembre 2014,
Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*-*
EXPOSE DE L'AFFAIRE
M. [Y] [X] a subi trois interventions chirurgicales effectuées par le docteur [H] [S] à la clinique [2] à [Localité 3] :
-le 14 février 2012 pour une lamino-arthrectomie lombaire décompressive L4 et biopsie osseuse transpédiculaire L5 gauche,
-le 1er juin 2012 pour une décompression médullaire par corporotomie antérieure avec arthrodèse intersomatique C5-C6,
-le 2 juin 2012 pour une sténose cervicale C5-C6 post-chirurgicale, reprise arthrodèse cervicale C5-C6 avec exploration du contenu canalaire.
Au réveil, M. [Y] [X] a présenté une paraplégie flasque des membres inférieurs et une parésie des membres supérieurs 3/5 symétrique avec un Babinski bilatéral.
Il a alors été transféré dans la nuit à l'hôpital [3] où il a été réopéré par le docteur [O] en urgence pour une laminectomie et décompression du fourreau dural.
Par ordonnance de référé du 1er décembre 2012, le président du tribunal de grande instance de Toulon a ordonné, au contradictoire de la clinique [2] et de M. [H] [S], une expertise médicale confiée par ordonnance de remplacement du 21 janvier 2013, au Dr [B] [Q], neurochirurgien.
Les opérations expertales ont été étendues à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) par ordonnance du 12 mars 2013.
Le docteur [B] [Q] a clôturé son rapport le 15 avril 2013 en précisant que l'état de M. [Y] [X] n'était pas consolidé et qu'une nouvelle expertise serait nécessaire.
Par exploit des 30 avril, 6, 7 et 13 mai 2013, M. [Y] [X] a assigné la clinique [2], M. [H] [S], l'ONIAM, la CPAM [1] et l'UGIPS Gestion afin que lui soit allouée une provision de 616'326 € à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice corporel, outre une somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance de référé du 9 juillet 2013, le président du tribunal de grande instance de Toulon a condamné M. [H] [S] à payer à M. [Y] [X] une provision de 250'000 € ainsi que la somme de 900 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a dit que l'ONIAM devrait supporter une provision à hauteur de 15% des préjudices, soit la somme de 24'163,39 €, a débouté les parties du surplus de leurs demandes, et a condamné M. [H] [S] aux entiers dépens.
M. [H] [S] a relevé appel de cette décision à l'encontre de M. [Y] [X] et de l'ONIAM.
Par conclusions du 22 novembre 2013, qui sont tenues pour entièrement reprises, M. [H] [S] demande à la cour de :
« Vu les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article 1142 ' 1 du code de la santé publique,
Réformer l'ordonnance déférée.
Constater qu'aucune faute n'est relevée à l'encontre du docteur [S].
Dire qu'il n'existe aucune obligation réparatrice à la charge du docteur [S].
Rejeter les demandes formulées à l'encontre du docteur [S].
À tout le moins, dire que le fait que l'expert conclut uniquement à une mauvaise appréciation sans que celle-ci soit qualifiée de fautive, est constitutif d'une contestation très sérieuse.
Rejeter les demandes formulées à l'encontre du docteur [S].
Vu les contestations sérieuses opposées aux conclusions de l'expert tant pour ce qui est de ses réserves que de l'évaluation des préjudices imputables,
Rejeter les demandes formulées à l'encontre du docteur [S].
À titre infiniment subsidiaire et si pas extraordinaire la cour confirmait le principe d'une provision, n'accorder aucune somme supérieure à 50'000 €. »
Par conclusions du 17 janvier 2014, qui sont tenues pour entièrement reprises, M. [Y] [X] demande à la cour de :
« Vu l'article L.1142 ' 1 du code de la santé publique,
Vu les opérations successives subies par M. [Y] [X] à la clinique [2] de Toulon et pratiquées par le docteur [H] [S],
Vu l'ordonnance de M. le président du tribunal de grande instance de Toulon du 11 décembre 2012,
Vu l'ordonnance de remplacement du 21 janvier 2013,
Vu l'ordonnance de M. le président du tribunal de grande instance de Toulon du 12 mars 2013,
Vu le rapport définitif de l'expert commis le docteur [Q], en date du 15 avril 2013,
Vu les articles 808 et 809 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirmer l'ordonnance de M. le président du tribunal de grande instance de Toulon du 16 juillet 2013 en ce que le docteur [S] a été condamné à verser à M. [Y] [X] une somme provisionnelle de 250'000 € à valoir sur son préjudice définitif.
Condamner le docteur [S] à une somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, dont distraction au profit de Me Jérôme Latil. »
Par conclusions du 14 janvier 2014, qui sont tenues pour entièrement reprises, l'ONIAM demande à la cour de :
« Vu les dispositions des articles L. 1142 ' 1 II et suivants du code de la santé publique,
Vu les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile,
Constater que l'ONIAM n'entend pas contester son obligation d'indemnisation de 15 % des préjudices subis par M. [X] en lien avec l'intervention du 1er juin 2012.
Constater que l'indemnisation de la tierce personne s'effectue déduction faite des prestations de toute nature versées à ce titre.
Constater l'existence de contestations sérieuses concernant le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel et la tierce personne.
En conséquence :
Dire et juger qu'il existe une contestation sérieuse concernant la tierce personne, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel et en conséquence, débouter M. [X] de sa demande de provision sur ces points.
Dire et juger que la provision à hauteur de 15 % des préjudices ne saurait être supérieure à 24'163,39 €.
Réserver les dépens. »
MOTIFS
Il résulte du rapport du 15 avril 2013 du docteur [B] [Q], que M. [Y] [X] né le [Date naissance 1] 1938, présente à cette date une tétraplégie complète basse sous le niveau C6 avec en particulier, aucune motricité ou sensibilité des membres inférieurs, une spasticité des quatre membres modérée par un traitement médicamenteux, aucune possibilité de préhension des membres inférieurs, perte du fonctionnement automatique et des contrôles des sphincters vésicaux et anaux, des douleurs fessières et péri-anales, une impotence fonctionnelle et douloureuse de l'épaule gauche.
Cet état entraîne une dépendance totale et permanente pour tous les actes de la vie quotidienne ainsi qu'un état de détresse psychologique.
Le médecin expert explique que M. [Y] [X] présentait un trouble de la marche en relation avec une myélopathie cervicarthrosique dû à une étroitesse canalaire constitutionnelle étendue de C2 à C7 avec souffrance médullaire chronique.
L'indication opératoire était non urgente mais incontournable.
Les suites opératoires de l'intervention du 1er juin 2012 ont été compliquées par l'apparition post-opératoire d'un déficit moteur de l'hémicorps droit associé à des troubles sphinctériens.
Le docteur [Q] conclut que ces complications constituent un aléa thérapeutique.
Cette complication a été prise en charge par le docteur [S] par l'intervention du 2 juin 2012.
Le docteur [Q] considère qu'il n'y avait pas urgence à intervenir et surtout que le choix du geste opératoire est discutable.
Il conclut que cette deuxième intervention qui s'est soldée par une aggravation des troubles neurologiques à type de tétraplégie constitue un défaut de soins qui a eu pour conséquences la perte de chances de récupération du déficit neurologique secondaire à la première intervention qui était un aléa thérapeutique.
Il conclut que l'état neurologique actuel du patient est le résultat de trois composantes, soit l'état antérieur pour 10 %, l'aléa thérapeutique pour 15 %, et le défaut de la prise en charge thérapeutique pour 75 %.
Or aux termes de l'article L. 1142 ' 1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ainsi que tout établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
En l'état du rapport du docteur [Q], qui n'a jamais qualifié le choix du geste opératoire de M. [H] [S] de faute, son obligation à indemniser la victime est sérieusement contestable.
Par ailleurs, dans le cas où une faute serait retenue à l'encontre de ce praticien, la quantification de la perte de chance compte tenu de l'état antérieur de M. [Y] [X], nécessite aussi indéniablement une discussion au fond.
Même dans cette hypothèse, l'obligation de M. [H] [S] d'indemniser M. [Y] [X] à hauteur de 75 % de son préjudice corporel est donc sérieusement discutable.
En conséquence, M. [Y] [X] sera débouté de sa demande de provision, en référé.
En ce qui concerne l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, conformément à la proposition de l'ONIAM, l'ordonnance de référé sera confirmée en ce qu'elle l'a condamnée à verser à la victime la somme de 24'163,39 €.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à M. [Y] [X] la somme provisionnelle de 24 163,39 € au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel à hauteur de 15 %,
Réforme pour le surplus, statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute M. [Y] [X] de ses demandes de provisions dirigées à l'encontre de M. [H] [S],
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT