COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 18 NOVEMBRE 2014
N° 2014/ 575
Rôle N° 13/04889
SA ADRENALINE
C/
DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECT S DES ALPES MARITIMES
Grosse délivrée
le :
à :
Me Joseph-Paul MAGNAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal d'Instance de NICE en date du 15 Février 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11-10-3271.
APPELANTE
SA ADRENALINE Société de Droit Luxembourgeois, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Joseph-paul MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Jacques-Max LASSEZ, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marie-Laure VIGOUROUX, avocat au barreau de PARIS,
INTIMEE
Organisme DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECT S DES ALPES MARITIMES agissant par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Mme [G] [Z] (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Véronique BEBON, Présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Véronique BEBON, Présidente
Madame Frédérique BRUEL, Conseillère
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2014
MINISTÈRE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2014,
Signé par Mme Véronique BEBON, Présidente et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 15 octobre 2008, les agents des douanes de la cellule d'intervention spécialisée (CIS) ont procédé au contrôle du navire « Cheetah », amarré au port [1] à [Localité 1] et appartenant à la société ADRÉNALINE SHIPPING de droit Luxembourgeois.
Ce contrôle a donné lieu à six procès-verbaux établis comme suit :
N° UN en date du 16 octobre 2008 relatant le contrôle initial,
N° DEUX en date du 3 décembre 2008 pour réquisition de documents,
N° TROIS en date du 9 décembre 2008 pour réception de documents,
N° QUATRE en date du 25 mai 2009 pour contrôle complémentaire à bord,
N° CINQ en date du 2 juin 2009 pour réquisitions complémentaires de documents,
N° SIX en date du 29 septembre 2009 relevant l'infraction.
L'infraction relevée est celle d'un détournement de produits pétroliers du point de vue fiscal, par utilisation de carburants exonérés à des usages autres que ceux prévus par la loi, infraction qualifiée « d'importation sans déclaration de marchandises prohibée par l'article 427§6 du code des douanes ».
Considérant sur cette base que la société ADRENALINE avait bénéficié indûment d'avitaillements en gazole hors taxes dans le cadre d'une activité qui n'était pas exclusivement commerciale, l'Administration des douanes lui a notifié le 14 octobre 2009 un avis de mise en recouvrement (AMR) pour un montant de 32 567 € représentant le redressement des droits à acquitter.
Saisi par la société ADRENALINE d'une demande d'annulation de cet avis de mise en recouvrement, le tribunal d'instance de NICE a, par jugement du 15 février 2013, constaté la régularité et le bien-fondé de l'avis de mise en recouvrement du 14 octobre 2009, et débouté en conséquence la société de l'ensemble de ses demandes.
APPEL
La SA ADRÉNALINE, société de droit luxembourgeois, a relevé appel de la décision par déclaration en date du 6 mars 2013.
Dans ses dernières conclusions en date du 22 août 2014 auquel il est expressément fait référence pour plus ample exposé, la société ADRENALINE demande à la cour de:
Vu notamment les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, vu la décision du conseil constitutionnel du 29 novembre 2013, vu l'article 64 du code des douanes,
- réformer le jugement entrepris,
- dire que la procédure douanière a été engagée irrégulièrement et en conséquence, - prononcer la nullité de l'avis de mise en recouvrement,
- subsidiairement dire que cet avis est dépourvu de fondement, qu'il est contraire aux articles 91 et 94 de la convention de Montego Bay et prononcer de plus fort son annulation,
- débouter Monsieur le Ministre du budget et l'administration des douanes de toutes leurs demandes,
- les condamner à payer la somme de 2.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance :
- que les opérations de contrôle relevé de l'article 64 du code des douanes et non des article 62 et 63 dudit code, s'agissant de la recherche et de la constitution des délits douaniers visés aux articles 414 à 429 et 459 du présent code, l'infraction reprochée étant incriminée par l'article 427§6 du code des douanes,
- que dans ces conditions, hormis le cas de flagrant délit, la visite aurait dû être autorisée par une ordonnance préalable du juge des libertés de la détention, d'autant que les agents ont perquisitionné le navire et à cette occasion fouiller également ses parties privées,
- qu'à supposer l'article 63 du code des douanes applicable, il a été abrogé par la décision du conseil constitutionnel du 29 novembre 2013, et que même à considérer la disposition de report pour permettre au législateur français de remédier à cette inconstitutionnalité, il demeure contraire au principe posé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme posant le principe du respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance,
- que subsidiairement sur le fond, et en application de la convention internationale de Montego Bay, seul l'État du Luxembourg demeure juge des conditions dans lesquelles il immatricule ses navires qui relèvent de sa nationalité,
- que les opérations n'ont pas mis en évidence que le navire aurait une activité privée et non commerciale.
Dans ses dernières conclusions en date du 24 juillet 2014 auxquelles il convient également de faire expressément référence, l'administration des douanes demande à la cour de confirmer la décision entreprise et de rejeter l'ensemble des demandes présentées par la société ADRENALINE.
Elle soutient notamment :
- que les opérations ont eu lieu dans le cadre des pouvoirs généraux de visites de contrôle prévus aux articles 60,62 63 et 65 du code des douanes concernant les navires en mer ou à quai et qu'en l'absence d'indices d'infraction préalable, le contrôle ne nécessitait pas le recours de la procédure de l'article 64,
- que les articles 62 et 63 spécifiques aux contrôles maritimes et tiennent compte de la particularité née de la mobilité des navires permet de visiter les écoutilles, chambres et armoires du bâtiment, sans autorisation préalable du juge de la détention des libertés, et prévoit les modalités permettant de passer outre au refus du capitaine pour faire ouvrir les écoutilles, chambres et armoires, cas qui ne s'est pas présenté puisque le marin représentant le capitaine, puis le capitaine lors du second contrôle à bord, n'ont manifesté aucune opposition aux opérations entreprises,
- que les articles 62 et 63 en vigueur au moment du contrôle ont certes été déclarés inconstitutionnels, mais que la nouvelle loi n°2014-742 du 1er juillet 2014 qui les a modifiés pour répondre aux exigences du conseil constitutionnel, ne prévoit la nécessité de l'autorisation du juge des libertés de la détention que dans le cas où l'occupant refuse le contrôle des parties privatives,
- que les documents retenus ont été communiqués sur la base de l'article 65 du code des douanes et concernent des documents dont la présentation est requise dès la montée à bord du service des douanes, qu'aucun document ou objet personnel n'a été saisi dans le cadre de l'inspection des parties dites privatives et que seule l'ouverture des placards du poste de pilotage, non privatif, a permis de découvrir les contrats de charter, qui ont mis en évidence un usage quasi exclusif réservé à des membres apparentés à la société Adrénaline, ce qui a induit un contrôle de vérification du statut fiscal et douanier du navire, ainsi que la retenue et les réquisitions de documents concernant la qualité des utilisateurs du navire et son ravitaillement en gazole,
- que la validité du certificat d'immatriculation des navires n'est pas en cause, mais l'usage détourné qui en a été fait et qui a permis au navire de bénéficier des exonérations fiscales et douanières instituées par l'État français.
L'affaire a été communiquée au Ministère public qui a conclu le 16 septembre 2013 à la confirmation du jugement entrepris.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la nullité de l'avis de mise en recouvrement
La société ADRENALINE soutient que la procédure utilisée relève de l'article 64 du code des douanes, qui prévoit une procédure spécifique pour la recherche et la constatation des délits douaniers en tous lieux, et oblige les agents de contrôle, hormis le cas de flagrant délit, à solliciter préalablement l'autorisation du juge des libertés et de la détention.
Il résulte cependant des articles 62 et 63 du code des douanes qu'en matière de contrôle maritime, qui tient compte nécessairement des paramètres liés à la mobilité des navires, l'administration des douanes dispose d'un pouvoir plus général de contrôle et de visite des navires, sans qu'il soit besoin de suspecter l'existence d'un quelconque délit pour y procéder , et peut ainsi selon l'article 62, visiter tous navires se trouvant dans la zone maritime de son rayon d'action, y compris lorsqu'ils sont à quai.
En vertu de l'article 63, les capitaines et commandants doivent, à cette occasion recevoir les agents des douanes, les accompagner et s'ils le demandent, faire ouvrir les écoutilles, les chambres et armoires de leur bâtiment, ainsi que les colis désignés pour la visite ; en cas de refus, les agents peut demander l'assistance d'un juge, ou s'il n'y en a pas un pas sur le lieu, d'un officier municipal dudit lieu ou d'un officier de police judiciaire, qui est tenu de faire ouvrir les écoutilles, chambres, armoires et colis ; il est dressé procès-verbal de cette ouverture et des constatations, faite aux frais des capitaines commandant.
C'est donc sur le fondement de ces articles alors en vigueur, que les agents des douanes ont légalement effectué le contrôle du navire appartenant à la société Adrenaline, dès lors qu'il se trouvait amarré à quai dans leur rayon d'action.
Ces articles ne peuvent plus être contestés sur la base de l'inconstitutionnalité dans le cadre de la présente procédure, dès lors que le conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-357 du 29 novembre 2013, a décidé de reporter au 1er janvier 2015 la date de leur abrogation pour inconstitutionnalité et précisé que toutes les mesures accomplies avant cette date ne pourraient être contestées sur ce fondement.
Ces articles sont également contestés par la société ADRENALINE sur la base de
l'inconventionnalité pour violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que les opérations de contrôle en date du 16 octobre 2008 ont consisté pour les agents des douanes, à visiter et à fouiller outre les parties communes du bâtiment, les cabines privées réservées aux passagers où ils ont constaté « que les placards et tiroirs n'étaient pas vides, que les effets personnels et en cours d'usage, et que les affaires de toilette des utilisateurs s'y trouvent au moment du contrôle ».
Il convient de rappeler que ces textes qui organisent le droit de visite et de contrôle des agents des douanes sur des navires naturellement mobiles doivent assurer la conciliation du principe de la liberté individuelle avec les nécessités de la lutte de la fraude fiscale ou des délits douaniers, de sorte que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée ou du domicile est justifiée dès lors qu'elle reste proportionnée au but légitime poursuivi.
À supposer que les opérations de contrôle du 16 octobre 2008 soient pour partie irrégulières en ce qu'elle ont consisté à visiter les cabines privées, il s'avère que l'avis de mise en recouvrement en cause ne repose aucunement sur des objets ou des documents qui auraient été trouvés ou saisis à l'intérieur de ces parties privées mais sur l'ensemble des contrats de charters découverts dans les placards non privatifs du poste de pilotage en présence du marin le plus ancien ou du capitaine lorsqu'il était à bord ( PV 1 et PV 4) , soit obtenus sur les réquisitions de documents complémentaires effectués en application de l'article 65 du code des douanes ( PV 2 PV 3 PV 5 ).
En effet, la constatation que des effets ou objets personnels se trouvent dans les parties privées reste indifférente pour caractériser la fraude dès lors que l'identité des propriétaires n'a pas été recherchée lors de l'examen de ces pièces et qu'elle ne peut avoir de conséquences juridiques en ce que ces effets ou objets auraient pu appartenir à des passagers externes à la société et titulaires de charter de location (usage commercial) et non à des membres de la société (suspicion d'usage privé).
La validité de l'article 65 sur la base duquel les documents ont été requis ou retenus n'est pas utilement critiquée par la société appelante, sauf à l'affirmer « plus que douteuse » sans autre argumentaire ; au demeurant, ce texte permettant d'exiger la communication des papiers et documents relatifs aux opérations intéressant le service des douanes ne saurait tomber sous le coup de l'inconventionnalité, dès lors que les documents retenus ou réclamés sont des documents dont l'existence est prescrite par la loi et qui doivent sinon se trouver à bord ou du moins pouvoir être fournis à tout moment à l'administration, et ce d'autant qu'en l'espèce, ils ont été requis soit directement à bord , soit par correspondance auprès des représentants de la société ou de l'entreprise générale d'avitaillement, lesquels ne se sont pas opposés à leur remise et les ont communiqués volontairement.
Par conséquent, l'avis de recouvrement du 14 octobre 2009 n'ayant pas pour support exclusif ni même essentiel l'opération critiquée, n'encourt pas la nullité et la décision sera confirmée de ce chef.
Sur le bien fondé de l'avis de mise en recouvrement
L'article 91 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer dispose que chaque Etat détermine lui même les conditions auxquelles il subordonne l'octroi de son pavillon et qu'il délivre les documents à cet effet.
Il s'en déduit que le service des douanes ne peut contester les modalités d'établissement du document que l'Etat du pavillon considère comme un acte de nationalité.
Mais il s'avère qu'en l'espèce, le service des douanes ne discute pas le certificat d'immatriculation commerciale qui a été conféré par l'État du Luxembourg du navire appartenant à la société ADRENALINE répertorié comme « navire de croisière commercial» mais l'usage qui en a été réellement fait sur les années contrôlées, à savoir l'usage détourné de ce navire commercial à des fins privées qui aboutissent à le faire bénéficier frauduleusement d'avitaillements en gazole exonérés de TVA.
Il résulte des contrôles effectués par l'administration des douanes sur la période de 2006 à 2009 :
- que sur les 21 charters réalisés, 18 le sont au bénéfice de [R] [N] et de sa famille, étant précisé que [R] [N] est associé de la société ADRENALINE et un des 3 membres du conseil d'administration ,
- qu'un des charters non répertorié porte la signature de [R] [N],
- que Monsieur et Madame [R] [N] se trouvaient encore à bord le jour du second contrôle du 25 mai 2009
- que la tenue d'un journal de bord est une obligation pour les navires de commerce qui doivent mentionner les informations relatives aux opérations de charter ainsi que l'identité des passagers, que l'absence de ce journal de bord avant le 14 avril 2009 ne justifie pas de l'utilisation commerciale du navire,
- que pour les locations quasi exclusivement conférées à SCHROEDER à sa famille la justification du paiement du prix est soit absente, la société n'ayant donné que des avis de crédit bancaire sans justifier de l'organisme payeur, soit très en decà des deux autres charters extérieurs, quand bien même la société conteste le seuil de la différence,
- que M [N], client, a réglé lui même en numéraire et par virement l'avitaillement en gazole, ce qui est incompatible avec le principe d'une exonération de TVA qui ne peut bénéficier qu'à la société, la défense selon laquelle le locataire paie habituellement le carburant n'étant pas pertinente à cet égard,
- que l'avitaillement en gazole pour 2000L effectué le 28 octobre 2006 est une période hors charter et donc incompatible avec une immobilisation prétendue à cette date, la nécessité de garantir un avitaillement minimum « pendant la période d'hibernation » ne pouvant être sérieusement retenue alors que cet avitaillement correspond en moyenne à celui d'une croisière ( PV 6 p.5) , et entraînant de facto la conséquence, que le bateau a été utilisé à des fins privées,
Il résulte de ces seuls éléments et, sans qu'il soit nécessaire d'aborder l'ensemble des points, que sur les trois dernières années contrôlées, Monsieur [R] [N] s'est réservé la quasi exclusivité des 21 contrats de charters effectués par le navire , soit 18 croisières, soit sans justifier d'un paiement réel soit à un tarif personnalisé permettant ainsi de caractériser l'usage privé qui a été fait de ce navire sur cette période, ce qui n'autorisait pas à bénéficier de l'exonération de TVA pour les ravitaillements en gazole réservés aux navires affectés aux besoins d'une activité commerciale selon l'article 2° du II de l'article 262 du code général des impôts .
Le montant des droits fraudés n'est pas discuté dans son calcul fixé,en fonction des dates et des montants figurant sur les factures d'avitaillement, et sur un récapitulatif soumis au contradictoire des parties dans le procès verbal n° 6 pour un total de 32.567€.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris et de rejeter l'ensemble des demandes de la société appelante.
PAR CES MOTIFS
La cour , statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,
REJETTE toutes autres demandes,
DIT n'y avoir lieu à dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,