COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 03 FEVRIER 2015
G.T
N° 2015/
Rôle N° 14/04675
[F] [E]
C/
Association SECOURS CATHOLIQUE
Grosse délivrée
le :
à :Me DAVAL GUEDJ
Me TROIN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 28 Janvier 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05689.
APPELANT
Monsieur [F] [E], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Stéphane GIANQUINTO, avocat au barreau de NICE,
INTIMEE
Association SECOURS CATHOLIQUE Association reconnue d'utilité publique prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 2] / FRANCE
représentée par Me Thierry TROIN, avocat au barreau de NICE,
assistée par Me Emilia BULICH, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Décembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, M.TORREGROSA, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Georges TORREGROSA, Président
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Février 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Février 2015,
Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Les faits, la procédure et les prétentions :
Par acte d'huissier en date du 5 octobre 2010, [F] [E] a fait citer devant le tribunal de grande instance de Nice l'association du secours catholique, pour obtenir le prononcé de la nullité du testament olographe de son frère [H]-[X] [E] en date du 22 décembre 1995 déposé en l'étude notariale [I], notaire à [Localité 4] , instituant comme unique héritier la cité [1] à [Localité 3].
Par jugement contradictoire en date du 28 janvier 2014, le tribunal a prononcé un débouté de la demande de nullité et une irrecevabilité de l'action en révocation du testament.
Le legs consenti par [H]-[X] [E] au profit de la cité [1] bénéficie à l'association du secours catholique, à charge pour elle d'en affecter le produit au budget de la cité [1], établissement secondaire de cette association.
[F] [E] a relevé appel le 5 mars 2014. Il sera fait application de l'article 455 du code de procédure civile. L'appel est régulier et non contesté.
L'appelant a conclu le 1er décembre 2014 à la réformation, au visa des articles 411 ' 4,901,906,969 et 970 du Code civil.
Le testament est nul en l'absence de personnalité juridique et d'existence légale de la cité [1], et en l'absence d'identification de l'association du secours catholique en sa qualité de légataire, mais également et surtout en l'absence de faculté de l'association secours catholique de se substituer à la fondation cité [1], eu égard au fait que le legs litigieux ne lui était pas expressément destiné.
Le testament est nul en l'état d'un doute sur l'identité du testateur, et en l'état de l'insanité d'esprit du testateur.
A titre subsidiaire, au visa des articles 954 et suivants du Code civil, le testament sera révoqué pour défaut d'exécution des conditions imposées par le testateur.
Une somme de 5000 € est réclamée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le secours catholique, intimé, a conclu le 12 décembre 2014 à la confirmation , avec allocation d'une somme de 10'000 € au titre des frais inéquitablement exposés.
Avant l'ouverture des débats , les parties ont convenu d'une cause grave tenant au respect de la règle du contradictoire et justifiant le Rabat de l'ordonnance de clôture, et ont accepté expressément les écritures précitées, l'ordonnance de clôture initiale du 2 décembre 2014 étant portée au 16 décembre .
SUR CE :
Attendu qu'il convient de rappeler que le testament litigieux a fait l'objet d'un acte authentique de dépôt établi par le notaire [Q] [I] , en date du 19 octobre 2010, suite au décès de [H] [X] [Y] [E] le [Date décès 1] 2010 ;
Attendu que cet acte authentique indique que le testament se trouvait dans le coffre-fort de l'Office notarial sous enveloppe, qu'il est en date du 22 décembre 1995 et comporte 100 lignes en sus de la signature et de la date ;
Attendu que le premier argument de l'appelant au soutien de la nullité de ce testament consiste à affirmer que « la fondation cité [1] » en tant que telle n'a pas de personnalité, et qu'elle ne pouvait bénéficier d'un legs, n'ayant pas d'existence au moment du décès ;
Attendu que le testateur a légué tous ses biens à :
« la cité [1], [Localité 3] (France), laquelle fondation devient de par ma volonté expresse mon unique héritière de tous mes biens dont je donne ci-contre l'état complet... » ;
Attendu qu'il n'est pas sérieusement contesté que la cité [1] à [Localité 3] constitue dans cette ville une antenne du secours catholique, qui accueille et nourrit les pèlerins pendant leur séjour à [Localité 3] ; que telle et la présentation qui en est faite par le secours catholique dans la pièce numéro huit qu'il produit aux débats et qui n'est pas autrement commentée par l'appelant;
Attendu que la traduction juridique de cet état de fait consiste d'une part dans l'inscription du secours catholique, domiciliée [Adresse 1] et ayant pour activité principale l'action sociale sans hébergement, sous le numéro d'identifiant SIREN 775666696 , et un numéro d'identifiant SIRET 775666696 00015 « du siège » ;
d'autre part , par un identifiant SIRET distinct, reprenant le numéro SIRENE du secours catholique , 775666696, mais avec de une terminaison différente numéro 12 86 , correspondant à une adresse « secours catholique cité [1] ... [Localité 3] » et avec une activité principale d'hébergement social pour adultes et familles en difficulté et autre hébergement social ;
Attendu que ces pièces du secours catholique, numéro neuf de son bordereau, établissent de façon certaine que sous le vocable commun d'antenne , dans la pièce numéro huit, la cité [1] constitue juridiquement un établissement secondaire du secours catholique ;
Attendu que le rapport d'observation de la Cour des Comptes ne fait que corroborer l'existence de « démembrements » ,au nombre de trois ,du secours catholique qui seul possède la personnalité juridique , « l'antenne » de la cité [1] à [Localité 3] étant plus spécialement dédiée à l'accueil des personnes ;
Attendu que la seule question juridique n'est donc pas celle de l'inexistence juridique de la cité [1] , mais celle de la qualité héréditaire du secours catholique pour bénéficier du legs, sachant qu'aucune autre cité [1] ou fondation [1], termes utilisés par le testateur, n'existent à [Localité 3] ou ailleurs , contrairement à ce qu'affirme appelant ;
Attendu qu'en l'absence de la moindre ambiguïté , la cour estime que le secours catholique démontre sa qualité héréditaire , dès lors qu'il constitue l'établissement principal d'une association ,dotée de la personne été juridique , ayant un établissement secondaire expressément désigné comme légataire par testament ;
Attendu que le premier juge sera donc confirmé sur ce point, à charge pour le secours catholique d'affecter le produit du legs au budget de la cité [1] son établissement secondaire ;
Attendu que l'appelant soutient ensuite qu'il existe un doute sur l'identité du testateur à cause de la mention du prénom [U] et d'une signature sur le testament qu'il estime « non conforme »;
Mais attendu que l'écriture du testateur tout au long du testament n'est pas contestée , de même que la réalité et l'exactitude des détails qui y sont contenus , comme les mentions d'État civil, l'identité de l'épouse divorcée , les adresses , et même les noms des animaux domestiques ;
Attendu qu'en outre, il n'est pas sérieusement contestable que [H], [X], [Y] [E], ainsi déclaré à l'État civil français , a pu utiliser le prénom [U] dans les rapports avec telle administration ou organisme (pièces médicales par exemple ) et même le prénom de [D] [S] en Italie , prénom qui apparaît dans son acte de décès ;
Attendu que par ailleurs, la production de sa carte d'identité (sans date certaine), de son diplôme de bachelier en date du 6 mai 1959 ,de son diplôme d'État de docteur en chirurgie dentaire en date du 8 février 1984, d'un courrier en date du 28 avril 2004, d'un contrat de transaction en date du 11 novembre 1994 en réalité inexploitable car ne comportant que la signature du traducteur (pièce 31) ou même d'un acte italien en date du 18 novembre 1982 qui semble comporter la signature des deux frères (pièce 35) , ne démontre nullement qu'à la date du testament en décembre 1995 , la signature lisible qui y apparaît ne soit pas celle du scripteur non contesté du texte la précédant , une signature pouvant varier au cours des années et tout laissant penser au contraire qu'à l'occasion d'un acte aussi important, le testateur ait voulu que sa signature soit lisible , ce qui ne saurait constituer en toute hypothèse la démonstration pour le moins péremptoire de sa fausseté, affirmée mais nullement démontrée par l'appelant ;
Attendu que l'argumentation relative au doute sur l'identité du testateur ne saurait donc prospérer;
Attendu que l'appelant soutient ensuite l'insanité d'esprit du testateur , en versant aux débats des éléments médicaux, et une expertise médico-légale du Docteur [R] en date du 9 février 2012 ;
Attendu que la cour n'entend pas relativiser la gravité des pathologies dont à été victime [H] [X] [E], y compris à partir de janvier 1995 , mais doit rappeler qu'en droit , l'insanité d'esprit s'apprécie au jour de l'acte contesté (soit en décembre 95) , sachant que les pathologies dont il souffrait à l'époque n'ont pas empêché sa survie jusqu'en mai 2010 , et que rien n'indique avec certitude que les adénomégalies jugulaires décelées en janvier 95, et le carcinome de la base de la langue ayant fait l'objet d'une exérèse en mai 95, aient pu affecter à la date du testament ses facultés mentales ou son discernement ;
Attendu que l'expertise qualifiée de médico-légale a eu lieu sur pièces, dont aucune au vu de la traduction versée au dossier n'est antérieure à juillet 2003;
Attendu que cette absence de démonstration d'une insanité d'esprit en décembre 1995 qui résulterait d'une pathologie ayant pu à l'époque altérer les facultés de l'intéressé, n'est nullement suppléée par les éléments intrinsèques du testament, puisque l'écriture est parfaitement lisible , d'une police à l'évidence maîtrisée et correspondant au niveau intellectuel de l'intéressé qui était docteur en chirurgie dentaire, la cour voyant dans cette formation un lien avec la précision de la pensée exprimée et l'absence par exemple de la moindre faute d'orthographe ;
attendu que la volonté expresse de ne pas avantager son frère ou son ex épouse divorcée participe du fond du testament et ne démontre nullement une quelconque insanité d'esprit, la nécessité de désigner un légataire, en l'absence d'héritier direct, démontrant au contraire la parfaite conscience des conséquences de son choix ,y compris s'agissant des modalités relatives aux animaux domestiques , dont l'appelant lui-même reconnaît qu'ils avaient pris beaucoup d'importance dans la vie de son frère ;
Attendu que l'absence de droit successif de l'ex épouse divorcée a pu parfaitement échapper au testateur, non juriste, la précaution consistant à exclure expressément l'ex-épouse ne pouvant constituer la démonstration d'une quelconque insanité d'esprit et pouvant aussi bien relever d'un ressentiment personnel et persistant à l'égard de cette dame ;
Attendu que restent les erreurs affectant selon l'appelant la liste des biens apparaissant dans le testament, erreurs qu'il énumère en page 10 de ses conclusions ;
Mais attendu qu'il convient de rappeler qu'un acte de transaction et de division héréditaire est intervenu entre les frères le 11 novembre 1994, donnant acte entre autres de la gestion des patrimoines des parents [E] , « même après la mort de ces derniers », par le seul [F] [E] ; qu'il suffit de lire cet acte pour se convaincre de l'importance des biens immobiliers partagés, de leur nombre et surtout des relatives imprécisions , la cour relevant par exemple des formules du type :
« les parties rappellent à toutes fins utiles les déclarations de succession de leurs parents dont ils ont connaissance et auxquelles ils se reportent pour tout opportune intégration de la description des immeubles à assigner aux co-indivisaires » (page six) ou bien :
« durant la vie des parents, chacun des contractants s'était porté acquéreur de biens immobiliers, pour [F] ... à [Adresse 4] ... et pour [H] [X], des biens sis en France. Entre les parties a été soulevé la question de la réelle appartenance de ces immeubles, souhaitant chacun et réciproquement que les relatives propriétés devaient être rapportées à la masse héréditaire de [T] [E] et de [B] [C] , s'agissant d'achats dissimulés des « de quorum » ou tout au plus d'achats effectués avec l'argent des mêmes « de quorum » (page huit) ;
Attendu que dans ce contexte reprécisé , et à admettre que la comparaison de l'acte de partage de 1994 et des biens énumérés au testament en décembre 95 établisse des erreurs, en ce que le testateur aurait énuméré dans sa liste des biens échus en partage son frère, ou qui ont toujours appartenu à ce dernier depuis 1982 et 84 (un bureau à [Localité 5] et 12 appartements à [Localité 2] ) , et des comptes bancaires qui étaient clos où appartenant à l'appelant, il n'en demeure pas moins que la liste du testament énumère pas moins de 46 appartements ou studios, trois fonds commerciaux, trois comptes bancaires, une propriété à [Localité 1] , et que les erreurs relevées par l'appelant portent sur le troisième étage de la résidence Torre Cantore, et sur 16 unités qualifiées de bureaux ou d'appartements , dont il n'est pas contesté que le testateur n'a eu aucune administration ni maîtrise jusqu'en décembre 1994 ;
Attendu qu'au-delà des conditions du partage qui était récent et de l'abondance des biens partagés qui peut expliquer les erreurs ou imprécisions dans l'énumération des lots respectifs,
il n'en demeure pas moins que le testament comporte des mentions essentielles en marge de la plupart des biens énumérés, notamment ceux en Italie, à savoir :
« biens indivis... Biens encore indivis » , ce qui est exclusif de la démonstration d'une véritable erreur, a fortiori d'une insanité d'esprit, puisque le testateur ne pouvait qu'avoir conscience par ces mentions de droits de propriété indivis , à tout le moins jusqu'en novembre 1994, sachant qu'il a ajouté la mention :
« sur tous ces biens en indivision, tant en France qu'en Italie, ma part et de 50 % » ;
Attendu qu'en conclusion sur ce volet, les conséquences qu'entend tirer l'appelant de la comparaison de l'acte italien de partage de novembre 1994 et de la liste des biens décrits dans le testament comme indivis ou encore indivis à 50 % ne suffit nullement à démontrer une quelconque insanité d'esprit au moment de la rédaction du testament en décembre 1995 , mais bien au contraire un souci de rigueur par rapport aux intérêts de son frère, sachant qu'en toute hypothèse l'énumération litigieuse ne pouvait constituer un titre et ne pouvait que renvoyer au partage intervenu ou à parfaire , ce qui sera nécessairement le cas dans les rapports futurs entre le secours catholique et l'appelant ;
Attendu que toute autre analyse revient à à avaliser les seules affirmations non démontrées de l'appelant, selon lesquelles le testateur aurait dû nécessairement adapter son testament en fonction de l'évolution de son patrimoine et de l'adoption de nouveaux animaux, ce qui démontrerait qu'ils n'avait aucune souvenance de l'avoir rédigé , l'absence de mise sous protection juridique s'expliquant par la protection naturelle exercée par son frère, ce dont la cour de disconvient pas, mais qui laisse entière la question de l'absence de démonstration d'une insanité d'esprit qui existait lors de la rédaction du testament en décembre 1995 ;
Attendu que l'appelant sollicite ensuite la révocation du testament, car le secours catholique n'a pas satisfait aux charges relatives à la sépulture et à l'entretien des animaux domestiques énumérés, le secours catholique s'étant par ailleurs déchargé sur un administrateur judiciaire de l'administration des biens de son frère, sans se soucier de l'impact financier ;
Attendu que cette administration a été judiciairement ordonnée ;
Attendu que l'article 1046 du Code civil autorise en matière de dispositions testamentaires la révocation pour les mêmes causes d'ingratitude énumérées par l'article 955 en matière de donation entre vifs, à savoir l'atteinte à la vie du donateur, les sévices, délits dont se rendrait coupable le donataire , aucun de ces critères n'étant allégué ni a fortiori démontré à l'encontre du secours catholique ;
Mais attendu qu'en toute hypothèse, [F] [E] a eu connaissance du testament à tout le moins à la date de son assignation initiale de 5 octobre 2011, qui ne fait pas mention d'une demande de révocation du testament, mais seulement d'une demande de nullité ;
que la demande de révocation n'a été formée que par conclusions récapitulatives du 7 août 2013, soit plus d'un an à compter du jour où l'irrespect des charges testamentaires a pu être connu , alors que les articles 956 et 957 du Code civil s'appliquent qui prescrivent ce délai d'un an pour intenter l'action en révocation , à partir du moment où l'irrespect des charges grevant le testament a pu être connu ;
Attendu que l'action en révocation du testament est donc prescrite ;
Attendu que c'est donc une confirmation du jugement de premier ressort qui s'impose, avec application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'intimé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR statuant contradictoirement :
Déclare l'appel infondé ;
Confirme le jugement de premier ressort ;
Condamne l'appelant aux entiers dépens qui seront recouvrés au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile, outre le paiement à l'intimé d'une somme de 3000 € au titre des frais inéquitablement exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT