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26/03/2015 | FRANCE | N°14/05619

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 6e chambre c, 26 mars 2015, 14/05619


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

6e Chambre C



ARRÊT AU FOND

DU 26 MARS 2015



N° 2015/ 342









Rôle N° 14/05619







[F] [D] [L]





C/



[Y] [U] [O]

































Grosse délivrée

le :

à :



Me Brigitte DE BIGAULT CASANOVE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN P

AUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Juge aux affaires familiales de DRAGUIGNAN en date du 04 Février 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05310.





APPELANTE



Madame [F] [D] [L]

née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6]
...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

6e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 26 MARS 2015

N° 2015/ 342

Rôle N° 14/05619

[F] [D] [L]

C/

[Y] [U] [O]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Brigitte DE BIGAULT CASANOVE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge aux affaires familiales de DRAGUIGNAN en date du 04 Février 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05310.

APPELANTE

Madame [F] [D] [L]

née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

comparante en personne,

représentée par Me Brigitte DE BIGAULT CASANOVE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [Y] [U] [O]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 4]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Jean Pierre HAUSSMANN, avocat au barreau d'ESSONNE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 03 Février 2015 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Chantal MUSSO, président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Chantal MUSSO, Présidente

Madame Corinne HERMEREL, Conseiller

Mme Michèle CUTAJAR, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Mandy ROGGIO.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2015.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2015 après prorogation.

Signé par Madame Chantal MUSSO, Présidente et Madame Mandy ROGGIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

[Y] [O] et [F] [L] ont contracté mariage le [Date mariage 1] 2000 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune d'[Localité 1] sans contrat préalable.

Aucun enfant n'est issu de cette union.

[F] [L] a déposé une requête en séparation de corps le 24 juin 2011.

[Y] [O] a déposé une requête en divorce le 26 juillet 2011.

Les deux instances ont fait l'objet d'une jonction.

Par ordonnance de non conciliation en date du 11 octobre 2011, le juge aux affaires familiales de Draguignan a autorisé les époux à introduire l'instance et statué sur les mesures provisoires sollicitées, à savoir :

- attribué à l'épouse la jouissance du domicile conjugal à titre gratuit, au titre du devoir de secours

- dit que l'époux prendrait en charge le crédit immobilier grevant le domicile conjugal sans récompense à la communauté, au titre du devoir de secours

- dit que l'époux prendrait en charge le crédit immobilier relatif à l'appartement de [Localité 2] (2016€) et le crédit automobile pour le compte de la communauté

- condamné [Y] [O] à verser à son épouse une avance sur communauté de 12 000€.

- débouté [F] [L] de sa demande de pension alimentaire

Par acte d'huissier en date du 6 mars 2012, [F] [L] a assigné son conjoint en séparation de corps sur le fondement de l'article 242 du Code Civil. A titre reconventionnel, [Y] [O] a sollicité le prononcé du divorce aux torts exclusifs de son conjoint.

Par jugement en date du 4 février 2014, le juge aux affaires familiales de Draguignan a :

- prononcé le divorce aux torts partagés des époux

- ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux

- rejeté la demande de [F] [L] tendant à voir statuer sur l'attribution du domicile conjugal à titre gratuit jusqu'à la vente de ce bien, la jouissance des véhicules et le remboursement des prêts immobiliers

- condamné [Y] [O] à payer à son épouse une prestation compensatoire en capital de 50 000€, sous forme de versements mensuels de 833€ pendant 5 ans

- ordonné l'exécution provisoire des dispositions relatives à la prestation compensatoire

- débouté [F] [L] de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

- constaté que l'épouse ne souhaitait pas conserver l'usage du nom marital

- dit que le jugement prendrait effet dans les rapports des époux en ce qui concerne leurs biens à compter du 11 octobre 2011

[F] [L] a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'appel de céans en date du 19 mars 2014.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 24 octobre 2014 , [F] [L] demande à la cour de :

- Prononcer la séparation de corps des époux [O] aux torts exclusifs de [Y] [O] et au profit de l'épouse ;

- Condamner [Y] [O] à payer la somme de 3500 euros par mois au titre du devoir de secours et ce avec indexation ;

- Condamner [Y] [O] au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de

dommages et intérêts tant sur la base de l'article 266 que de l'article 1382 du Code civil

- le débouter de toutes ses demandes ;

- Condamner [Y] [O] au paiement de la somme de 5000 euros au titre de

l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si par impossible la Cour entendait prononcer le divorce des époux :

- Prononcer le divorce aux torts exclusifs de l'époux

- Condamner le mari au paiement de la somme de 288.000€ sous forme de capital

à titre de prestation compensatoire en sa faveur en application des articles 270 et 271 du Code Civil.

- Condamner Mr [O] au paiement de la somme de 50.000€ à titre de dommages et intérêts tant sur la base de l'article 266 que de l'article 1382 du Code civil

- Condamner Mr [O] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Sur les griefs invoqués à l'appui de sa demande en séparation de corps, elle fait valoir les violences physiques et morales de l'époux et son intempérance, l'abandon du domicile conjugal, l'adultère du mari avec une certaine [Z] [V], l'abandon moral et financier, ainsi que la prodigalité de l'époux.

Sur la demande reconventionnelle présentée par [Y] [O], [F] [L] réfute les allégations d'alcoolisme avancées par la partie adverse. Les nombreuses pièces qu'elle produit, résultant notamment du suivi médical dont elle fait l'objet suite à de nombreuses interventions chirurgicales, démontrent bien qu'elle n'a nullement de dépendance à l'alcool.

En outre, dans son entreprise de dénigrement de son épouse, [Y] [O] n'a pas hésité à produire des attestations irrecevables et même pour certaines, obtenues par menaces et violences ou fraude. Les attestations produites émanent pour certaines de personnes que Mme [O] ne connaît pas ou peu, ou de personnes qui ne font que rapporter des conversations qu'elles auraient eues avec Mronsieur[O] sans avoir été témoins des faits.

Toutes les personnes qui attestent contre Mme [O] sont en réalité des connaissances de [Y] [O] , habitués des bars avoisinants qui n'ont nullement constaté l'alcoolisme de l'épouse et relatent des propos de leur ami.

[Y] [O] insinue également que la cure thermale suivie par le couple en avril 2011 était liée aux problèmes d'alcool de son épouse, alors que cette cure avait été prescrite dans le cadre d'une rééducation de traumatisme suite à deux hernies discales et une tendinite de la hanche.

Sur les demandes accessoires, elle expose sa situation financière : elle est sans emploi et sans revenus et compte tenu de son âge (56 ans) a peu de chance de retrouver un emploi à la hauteur du poste qu'elle occupait avant que son époux exige sa démission.

Elle était directrice d'un groupement d'intérêt public et percevait en poste de mission, la somme de 5500€ par mois. Fin 2003, après son retour de Guyane, et après avoir touché des indemnités ASSEDIC pendant deux ans, n'a pas repris de travail à la demande de son époux pour venir s'installer dans le sud de la France et acquérir une maison à [Localité 7]. Compte tenu des exigences de son époux, Mme [O] a dû renoncer à une brillante carrière professionnelle et, à ce jour, devra compter neuf ans de défaut de cotisation retraite et à ces neuf années devront s'ajouter les années à venir durant lesquelles elle ne travaillera probablement pas

Elle explique que l'époux est retraité et rentier. Il a des revenus fonciers importants, étant précisé qu'il détient notamment un immeuble de rapport constitué en SCI lequel est dédié exclusivement à la location commerciale. Il est d'ailleurs porteur de 1997 parts dans cette SCI

Son patrimoine personnel est important puisqu'il est assujetti à l'impôt sur la fortune. Il perçoit une rente mensuelle de l'ordre de 10 000 € provenant de revenus fonciers et une petite retraite de 300 €.

Elle précise que les biens immobiliers dont Mr [O] tire ses revenus sont situés [Adresse 3]. Cet emplacement privilégié de la capitale garantit assurément à son propriétaire des revenus stables et importants.

Sur la prestation compensatoire, elle fait valoir que les époux se sont mariés le [Date mariage 1] 2000 sans contrat préalable. Elle avait alors une très bonne situation professionnelle puisqu'elle était directrice d'un groupement d'intérêt public en Guyane et percevait un salaire de 5500€ par mois. A son retour de Guyane, elle n'a pas repris de travail à la demande de son époux et le couple est venu s'installer dans le sud de la France. Mr [O] prétextait qu'avec les revenus de son épouse en plus de ses propres revenus fonciers, le couple payait trop d'impôts et qu'il n'était donc pas rentable que Mme [O] travaille. Il voulait également que Mme [O] soit à ses côtés plus souvent et partager ainsi avec lui son mode de vie de rentier.

A l'heure actuelle, elle bénéficie seulement d'une pension de retraite de réversion qui s`élève à la somme de 262,61€ par mois En effet, elle ne bénéficie plus du RSA depuis le mois de décembre 2013 puisqu'elle est dans l'attente d'une décision concernant l'Allocation supplémentaire d'invalidité.

Elle ne bénéficie d'aucun autre revenu.

Pour survivre, elle a été contrainte de solliciter l'aide de proches, ses modestes revenus ne lui permettant pas de subvenir entièrement et convenablement à ses besoins.

L'interruption de sa carrière professionnelle a donc eu des conséquences désastreuses pour Mme [O]. Ses droits à retraite s'en trouvent donc très diminués puisque selon l'estimation réalisée par l'assurance retraite le 24/04/2014, le montant mensuel brut de sa retraite au 1ER janvier 2025 sera de 664,90€.

Par conclusions notifiées le 4 novembre 2014, [Y] [O] demande à la cour de :

- Confirmer partiellement le jugement entrepris,

- Prononcer le divorce d'entre les époux [O] aux torts de [F] [L]

- Débouter cette dernière de sa demande principale en séparation de corps comme infondée, et à titre subsidiaire, prononcer le divorce aux torts partagés des époux, conformément à l'article 297--1 alinéa 2 du Code Civil,

- Rejeter la demande de pension alimentaire de Madame [O] née [L] comme étant infondée,

- La débouter de sa demande de prestation compensatoire comme infondée,

- Si la Cour devait confirmer le principe de la prestation compensatoire et de son montant, voir dire et juger que cette prestation compensatoire ne peut être soumise à indexation, s'agissant d'un capital.

- La débouter également de sa demande de dommages et intérêts,

- La condamner aux entiers dépens et dire que la SCP MAGNAN pourra se prévaloir

des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile

Sur les griefs avancés par l'épouse à l'appui de sa demande de séparation de corps, il les réfute un à un.

Relativement à l'abandon du domicile conjugal qui lui est reproché, il précise ne l'avoir pas quitté de manière volontaire. Il l'a quitté sur les conseils de la Police, après la plainte déposée par Madame [O], pour éviter tout nouvel incident.

Il précise qu'il n'a jamais contraint son épouse à arrêter de travailler. Cette dernière a un caractère bien trempé et autoritaire. Elle a toujours fait ce qu'elle avait envie de faire sans en référer à son mari. En outre, Madame [O] est une personne diplômée qui a occupé des postes à responsabilité. Elle a été directrice d'une association. Elle a effectué des missions très intéressantes. Elle a exercé ses dernières fonctions en Guyane durant deux ans et elle avait de très bons revenus. Madame [O] a choisi de s'arrêter de travailler à 45 ans. C'est un choix personnel dont il n'a pas à assumer les effets.

Il conteste la présentation misérabiliste que [F] [L] fait de sa situation actuelle. Elle est restée dans un lieu très agréable comprenant une villa, une piscine et un jardin, plus précisément, une maison d'environ l30 m2, avec une dépendance de 39 m2,édifiée sur un terrain entièrement paysagé, aménagé de l971 m2 , avec un séjour salon de 47 m2, quatre chambres, deux salles d'eau, atelier de peinture, une terrasse véranda et une dépendance avec une pièce à vivre, cuisine, salle d'eau et WC, une superbe piscine avec pool- house et bassin d'ornement. Pour parfaire son train de vie, elle possède un 4X4.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 novembre 2014.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la Cour lui permettant de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera déclaré recevable

Au fond

Sur les demandes principales

Aux termes de l'article 297-1 du Code Civil, lorsqu'une demande en divorce et une demande en séparation de corps sont concurremment présentée, le juge examine en premier lieu la demande en divorce. Il prononce celui-ci dès lors que les conditions en sont réunies. A défaut, il statue sur la demande en séparation de corps.

Toutefois, lorsque ces demandes sont fondées sur la faute, le juge les examine simultanément, et s'il les accueille, prononce à l'égard des deux conjoints le divorce aux torts partagés.

En l'espèce, les deux demandes sont fondées sur la faute qui se caractérise selon l'article 242 du Code Civil en des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage imputables au conjoint, et rendant intolérable le maintien de la vie commune.

La demande présentée par [F] [L]

A l'appui de sa demande de séparation de corps, [F] [L] fait valoir à l'encontre de son mari :

- Des violences physiques et morales ainsi que son intempérance

- L'abandon du domicile conjugal

- Une relation adultère

- L'abandon moral et financier et la prodigalité de l'époux.

Elle produit à l'appui de ses prétentions :

- Une plainte qu'elle a déposée le 17 juin 2011 à l'encontre de son mari pour des violences exercées la veille à son encontre au cours d'une dispute. Cette plainte est accompagnée d'un certificat médical du même jour, qui fait état d'une suspicion d'hématome dans le dos. Par ailleurs, Madame [N] [X] atteste que [F] [L] l'a appelée en pleurs le soir du 16 juin 2011, qu'elle est venue à la maison avec son ami et que là [Y] [O] a reconnu avoir port é un coup de pied à son épouse. Mais le témoin rajoute que cela ne devait pas être le seul coup administré par le mari car elle a pu constater des hématomes et une omoplate enflée dans les 2 jours qui ont suivi car elle a hébergé chez elle [F] [L]

- De nombreux témoignages d'amis ou relations qui indiquent que [Y] [O] a quitté le domicile conjugal le 24 juin 2011(pièces 29, 30, 33, 35 à 40). Les assertions de [Y] [O] selon lesquelles il aurait été conseillé d'agir ainsi par la police ne sont aucunement étayées. Il n'est absolument pas démontré en revanche que le mari serait parti pour une autre femme, et plusieurs amis de [Y] [O] expliquent lui avoir proposé des solutions de logement dans la région parisienne lorsqu'il y est revenu fin juin 2011. L'un d'eux, concubin de Madame [Z] [V], à laquelle [F] [L] prête des relations privilégiées avec son mari, explique que cette dernière a prêté son appartement à [Y] [O], ce qui explique qu'il ait pu donner très vite une nouvelle adresse à [Localité 8]. Le même témoin, [I] [M] affirme également en 2013 que Mme [V] est toujours sa compagne et que les échanges de mots tendres entre [Y] [O] et cette dernière, ne constituaient que des pièges tendus à [F] [L] qui était soupçonnée par son mari de piratage de son ordinateur.

- Des pièces financières qui montrent que dès son départ, le mari a vidé une grande partie des comptes de communauté ce qui a conduit [F] [L] à devoir solliciter l'aide financière d'amis puis l'octroi du revenu de solidarité active, et qu'il a résilié dès le 29 juin 2011 la mutuelle santé de son épouse (pièce 57), ce qui l'a contrainte à faire une demande de CMU.

Par ailleurs, de nombreux amis témoignent de l'attitude dénigrante et humiliante du mari à l'égard de son épouse devant des tiers (pièces 66, 80, 85, 91, 92, 107)

Ces faits sont constitutifs d'un comportement fautif du mari au sens de l'article 242 du Code Civil.

Sur la demande reconventionnelle du mari

Ce dernier invoque l'alcoolisme de [F] [L] .

Cette dernière produit de nombreux témoignages d'amis qui réfutent les assertions du mari sur ce point, indiquant pour la plupart que [F] [L], si elle ne refusait pas d'absorber des boissons alcoolisées au cours de réunions amicales ou de fêtes familiales, n'avait pas d'addiction pour l'alcool. (pièces,77, 78, 79, 81, 82, 107).

Elle verse également des résultats d'analyse biologique, mais qui datent au mieux de 2012, ce qui ne vient pas contredire les affirmations de [Y] [O].

Toutefois, [Y] [O] appuie ses affirmations sur de nombreux témoignages de personnes qui donnent des détails très précis sur les circonstances dans lesquelles elles ont été conduites à constater l'intempérance de [F] [L]. Ainsi plusieurs d'entre elles ont vu l'épouse à son domicile ou chez des tiers, titubante et tenant des propos incohérents (pièce 1, 3, 9, 11), se mettant en colère contre son mari parce que ce dernier refusait de lui servir un apéritif car elle avait suffisamment consommé d'alcool (pièce 9), ou, en état d'ébriété manifeste, se montrant agressive à l'égard de son mari si bien que les invités quittaient les lieux avant même le dîner (pièce 7). Un restaurateur de [Localité 3] où le couple avait ses habitudes, indique que l'épouse buvait régulièrement et qu'une fois elle avait tant abusé de l'alcool qu'elle avait chuté par terre (pièce 10) . Cette addiction à l'alcool paraît être ancienne si l'on en croit le témoignage de [B] [K], qui a connu le couple en Guyanne, et qui indique qu'il avait vu souvent [F] [L] ivre dès qu'elle arrivait en visite chez lui et que son mari coupait les bouteilles de vin blanc avec de l'eau (pièce 56).

Il ressort de ces différents témoignages qu'à l'évidence, [F] [L] buvait seule à son domicile, et en cachette. Son mari, d'après de nombreux amis, souffrait de cette situation et s'en plaignait beaucoup, envisageant la séparation si l'épouse ne voulait pas se faire soigner (pièces 4, 5) Il avait d'ailleurs fait un séjour sans son épouse dans la région parisienne en novembre 2010 pour faire le point sur la situation (pièces 5, 6, 7)

Il s'ensuit que le grief est parfaitement établi. Il répond à la définition de l'article 242 dans la mesure où malgré la souffrance que son comportement occasionnait pour son mari, [F] [L] n'a pas cherché à résoudre son problème.

Par application de l'article 297-1 du Code Civil, c'est à bon droit que le premier juge a prononcé le divorce des époux à leurs torts partagés.

Sur la demande de dommages-intérêts

Aux termes de l'article 266 du Code Civil, sans préjudice de l'application de l'article 270 du Code Civil, des dommages-intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage, soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu'il n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.

Le divorce des époux étant prononcé à leurs torts partagés, [F] [L] n'est pas recevable en sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Aux termes de l'article 1382 du Code Civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. En matière de divorce, ce texte permet de réparer un dommage distinct de celui causé par la dissolution du mariage. Il est applicable quelle que soit la répartition des torts.

Comme il vient d'être vu ci-avant, les griefs articulés par [F] [L] à l'encontre de [Y] [O] sont tous fondés hormis l'adultère. Le comportement fautif du mari ne peut qu'en partie trouver une explication dans l'addiction par l'épouse pour l'alcool. [F] [L] est donc bien fondée à demander des dommages-intérêts à ce titre.

La décision du premier juge sera réformée, et il sera alloué à [F] [L] la somme de 5000€ en réparation du préjudice subi.

Sur la prestation compensatoire

Il résulte des articles 270 et suivants du Code Civil que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du Code Civil, à savoir :

- la durée du mariage

- l'âge et l'état de santé des époux

- leur qualification et leur situation professionnelle

- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne

- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial

- leurs droits existants et prévisibles

- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

La situation des parties se présente comme suit.

[Y] [O] est âgé de 64 ans et [F] [L] de 57 ans.

Le mariage a été célébré le [Date mariage 1] 2000 et le couple s'est séparé à la fin du mois de juin 2011. La vie commune dans les liens du mariage a donc duré 11 ans.Il s'agissait pour l'un et pour l'autre d'une seconde union, contracté pour l'un à l'âge de 50 ans et pour l'autre à l'âge de 42 ans.

Le couple n'a pas eu d'enfants.

[Y] [O] n'exerçait aucune profession au moment du mariage. A l'époque de son premier mariage, il possédait en indivision avec sa première épouse un fonds de commerce de bar, qu'il exploitait. Il percevait déjà à l'époque des revenus fonciers.

A l'heure actuelle, il perçoit, selon son dernier avis d'imposition (avis d'imposition 2014 des revenus 2013) :

- des retraites versées par la CARSAT Sud Est, Humanis et le RSI pour un montant de 4229€

- des revenus fonciers à hauteur de 137 519€, issus de la location d'un bien que possède à [Adresse 3], une SCI dénommée Madeleine de Grouchy, et dont il est porteur de 1997 parts.

soit un revenu mensuel de 11 812€

.

Il est redevable de l'IRPP et de la CSG : 55 403€.

Il fait valoir diverses charges dont la plupart (appels de fonds, taxe foncière) sont relatives à un bien immobilier sis à [Localité 2], et qui est mis en location. Or ces diverses dépenses et les intérêts de l'emprunt contracté pour l'acquisition de ce bien sont déjà déduits des revenus pour le calcul du revenu imposable.

Il a pris en charge le remboursement des prêts immobiliers grevant les biens communs (soit des mensualités de 505€ pour le domicile conjugal, et de 2106€ pour le bien loué à [Localité 2]) et la taxe foncière de la villa de [Localité 7] : 1736€ en 2013.

[F] [L] occupait au moment du mariage un poste de directrice de la mission locale [Localité 5] et ce depuis 1992. En 2001, elle a été embauchée pour une durée de deux années en qualité de directrice, à la mission locale de Guyanne, et percevait à l'époque un salaire de 5200€. A son retour en métropole, elle a cessé toute activité professionnelle, sur l'insistance de son mari selon des témoins (pièces 32, 82) qui indiquent que le mari ne travaillait pas à l'époque et qu'il estimait qu'il percevait suffisamment d'argent pour faire vivre le couple. Elle a perçu pendant deux ans des indemnités ASSEDIC (du 6 mars 2003 au 2 février 2005).

Au moment de la séparation, [F] [L] n'avait aucun revenu.

Par la suite, malgré les formations entreprises, et les multiples demandes d'embauches, elle n'a pas retrouvé du travail. Ses ressources actuelles se résument en la perception du revenu de solidarité active : 165.18€ et d'une pension de réversion : 283.58€.

Elle occupe le domicile conjugal à titre gratuit, mais cet avantage disparaîtra lorsque le divorce sera passé en force de chose jugée.

La retraite que [F] [L], qui a validé pour l'heure, 114 trimestres, s'élèvera en 2025 à la somme de 1645€

Sur le plan patrimonial, le couple possède en commun :

- une villa avec jardin et piscine à [Localité 7]. Ce bien a été acquis le 1erseptembre 2003 pour la somme de 304 898€, financé pour partie au comptant et pour partie par trois emprunts consentis par le Crédit Agricole. [F] [L] a vendu une maison qu'elle possédait à [Localité 1] pour acquérir ce bien. Cette villa a été mise en vente en juin 2014 pour la somme de 464 000€ net vendeur et a fait l'objet d'un mandat de recherches d'un acquéreur auprès d'un notaire pour une somme un peu moindre : 462 700€. En mars 2015, le capital restant dû sur ce bien s'élève à la somme de 18 852.62€

- un appartement de type 3, un emplacement de parking et deux box en sous-sol acquis en 2010 à [Localité 2], vraisemblablement dans le cadre d'une opération de défiscalisation, comme le démontre l'avis d'imposition 2014 qui vise un investissement locatif Scellier en 2010. Le prix d'acquisition s'élevait à 309 000€. L'appartement et l'emplacement de parking ont été mis en vente en mai 2014 pour la somme de 297 000€, les deux box pour 18 000 et 20 000€. En mars 2015, le capital restant dû sur ces biens s'élève à la somme de 215 595.14€

- des valeurs mobilières (selon [Y] [O] ) : 15 000€

[Y] [O] possède en propre 1997 parts de la SCI Madeleine de Grouchy. Il n'en communique pas la valeur, non plus que celle de l'immeuble qu'elle possède, occupé par des sociétés (avocats, experts comptables, France Telecom, société de bourse.. ainsi qu'au rez-de-chaussée par un café bar restaurant et une boutique Orange). Les revenus que rapporte cette SCI constituent l'essentiel des ressources de [Y] [O] et varient en fonction des travaux à effectuer pour la conservation de ce bien suivant les années (ainsi il a perçu en 2009, 131 549€, en 2010, 105 951€, 74 433€ en 2011, 99 102€ en 2012).

Il déclare sur l'honneur une épargne propre à hauteur de 12 000€ (Codevi).

La communauté lui devra récompense pour la prise en charge pendant la procédure du crédit immobilier grevant le bien de [Localité 2], et un crédit automobile.

L'étude de ces divers éléments montre une évidente disparité dans les conditions de vie des époux du fait de la rupture du lien conjugal. Certes [F] [L] n'a pas sacrifié sa carrière au détriment de celle de son mari, mais elle a interrompu la sienne parce que ce dernier ne travaillait plus et vraisemblablement pour pouvoir partager avec lui les moments agréables que leur procuraient les revenus fonciers de [Y] [O]. Cette interruption de carrière, quelle qu'en soit la cause, intervenue sur une période de 8 années s'est avérée catastrophique pour elle, à l'heure de la crise économique et de la réticence des employeurs à embaucher des « séniors ».

Par ailleurs, la disparité est également flagrante en manière de patrimoine, même si [F] [L] pourra demander à la communauté une récompense pour l'argent propre investi dans l'acquisition de [Localité 7];

La disparité constatée justifie de l'octroi à [F] [L] d'une prestation compensatoire en capital de 150 000€.

Les dépens

Le divorce étant prononcé aux torts partagés, chacun des époux assumera la charge des dépens par lui engagés.

L'équité commande d'allouer en l'espèce à [F] [L] la somme de 3000€ au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant en audience publique, contradictoirement, après débats en chambre du conseil

Reçoit l'appel.

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions hormis les dommages-intérêts et la prestation compensatoire

Et statuant de ces seuls chefs

Condamne [Y] [O] à payer à [F] [L] :

-la somme de 5000€ à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil

-une prestation compensatoire sous forme de capital de 150 000€.

Condamne [Y] [O] à payer à [F] [L] la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle engagés.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 6e chambre c
Numéro d'arrêt : 14/05619
Date de la décision : 26/03/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 6C, arrêt n°14/05619 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-26;14.05619 ?
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