COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 29 MAI 2015
N°2015/421
Rôle N° 14/01010
SAS SOPHED
C/
[B] [K]
SARL POLYURBAINE DERICHEBOURG
Grosse délivrée le :
à :
Me Julien DUFFOUR, avocat au barreau de PARIS
Me Jérôme TERTIAN, avocat au barreau de MARSEILLE,
Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Cécile DEFAYE, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 11 Décembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1924.
APPELANTE
SAS SOPHED, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Julien DUFFOUR, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Monsieur [B] [K], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Jérôme TERTIAN, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE
SARL POLYURBAINE DERICHEBOURG, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Cécile DEFAYE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard JACOB, Président de Chambre et Madame Pascale MARTIN, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Bernard JACOB, Président de Chambre
Madame Pascale MARTIN, Conseiller
Madame Annick CORONA, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Mai 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Mai 2015
Signé par Monsieur Bernard JACOB, Président de Chambre et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS- PROCÉDURE-PRÉTENTIONS DES PARTIES
A compter du 1er août 2006, M [B] [K] était embauché selon contrat à durée indéterminée, par la SA Derichebourg-Polyurbaine dont le siège social est à [Localité 2] (92), en qualité de conducteur PL , statut ouvrier niveau III position 2 coefficient 118, avec une rémunération mensuelle brute de 1444,32 €; son lieu de travail était situé à [Localité 1] et la convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000 était applicable.
Par lettre recommandée du 8 juin 2010, le responsable d'agence de la société Polyurbaine 13 indiquait à M [B] [K] :
Suite à la perte de marché de collecte des colonnes en point d'apport volontaire de la Communauté Urbaine de Marseille Provence Métropole, conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail et de l'Annexe V de la convention collective nationale des activités du déchet, nous vous avons informé de votre transfert au sein de la société Sophed, à compter du 1er juillet 2010.
Cette société vous établira un contrat de travail prenant effet à cette date, et vous précisera les modalités de votre reprise.
En conséquence, vous cesserez de faire partie des effectifs de notre entre entreprise le 30 juin 2010.$gt;$gt;
La société phocéenne d'enlèvement des déchets dite Sophed , nouvel attributaire du marché public de collecte des colonnes en point d'apport volontaire, faisait savoir les 2 et 23 juin 2010 à la société Polyurbaine 13 qu'elle n'entendait pas reprendre le personnel , indiquant appliquer la convention collective nationale de la récupération et non la convention collective nationale de l'activité du déchet .
Le 24 juin 2010, la société Sophed adressait un courrier à chacun des salariés dont le nom avait été transmis par l'entreprise sortante , indiquant les raisons de l'absence de transfert et précisant :
'comme nous l'avons dit à votre employeur, nous offrirons aux salariés volontaires une priorité d'embauche chez nous, mais sans reprise de l'ancienneté et avec signature d'un nouveau contrat de travail aux conditions en vigueur au sein de la société Sophed '.
Selon requête du 1er juillet 2010, M [B] [K] saisissait le conseil des prud'hommes de Marseille tant en référé qu'au fond aux fins de contester la rupture de la relation contractuelle et d'obtenir la condamnation de la société Polyurbaine 13 à lui payer avec exécution provisoire les sommes suivantes :
- 2467,94 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- 29.615,28 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Ayant fait constater par huissier le 7 juillet 2010 la présence de M [B] [K] au volant d'un camion relevant de la flotte de la société Sophed, la société Polyurbaine 13 notifiait au salarié le 8 juillet 2010 une mise à pied à titre conservatoire avec convocation pour un entretien préalable prévu le 19 juillet 2010 en vue de son licenciement.
Par lettre recommandée du 11 août 2010, la société Polyurbaine 13 notifiait à M [B] [K] son licenciement pour faute grave .
Après partage de voix constaté le 22 juin 2012 par le conseil des prud'hommes de Marseille , lors des débats du 9 octobre 2013, M [B] [K] réclamait selon indications données par le conseil des prud'hommes de Marseille dans son jugement, les sommes suivantes :
- 29.615,28 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 1974,35 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 4565,91 € à titre d'indemnité de préavis outre 456,59 € pour les congés payés y afférents,
- 2124,10 € au titre de l'indemnité de congés payés,
- 2467,94 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- 2467,94 € à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
- 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Par jugement de départage du 11 décembre 2013, le conseil des prud'hommes de Marseille a dit la faute grave reprochée au salarié, non caractérisée et dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse , condamnant la société Polyurbaine 13 à payer à M [B] [K] les sommes suivantes :
- 17.275,58 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 1974,35 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 2467,94 € à titre d'indemnité de préavis outre 246,79 € pour les congés payés y afférents,
- 2124,10 € au titre de l'indemnité de congés payés,
- 2467,94 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- 2467,94 € à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
- 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a fixé la date de départ des intérêts au taux légal , ordonné l'exécution provisoire , débouté les parties de leurs autres demandes, condamné la société Polyurbaine 13 aux dépens.
Il a rejeté les fins de non recevoir opposées par la société Sophed et 'dit y avoir lieu à garantie de la société Polyurbaine-Derichebourg par la SAS Sophed', déboutant cette dernière de ses demandes.
La société Sophed a interjeté appel le 7 janvier 2014 et les parties ont été convoquées devant la cour pour l'audience du 8 septembre 2014, l'affaire étant renvoyée à leur demande à celle du 9 mars 2015.
La société Polyurbaine 13 dans ses conclusions reprises à l'audience, demande une expertise, s'il subsiste un doute sur la convention collective applicable à la Sophed.
Elle demande la réformation de la décision déférée et le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire .
Elle sollicite le débouté de M [B] [K] et réclame la condamnation de ce dernier à payer la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Elle demande que son appel en garantie soit déclaré recevable et que la société Sophed soit condamnée à régler les éventuelles condamnations prononcées, lui réclamant la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
La société Sophed , aux termes de ses écritures reprises à l'audience, demande l'infirmation de la décision déférée, le débouté de la société Polyurbaine 13 et la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Dans ses écritures et oralement, M [B] [K] sollicite la réformation partielle du jugement, sollicitant les sommes suivantes :
- 29.615,28 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 1974,35 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 4935,89 € à titre d'indemnité de préavis,
- 2124,10 € au titre de l'indemnité de congés payés,
- 2467,94 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- 2467,94 € à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
- 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Le litige principal oppose le salarié à son ancien employeur quant au motif et à la procédure de licenciement, de sorte que la situation de la société Sophed , appelée en garantie par la seule société Polyurbaine 13, ne peut être envisagée que dans un second temps.
Sur le licenciement
En vertu des dispositions de l' article L 1232-1 du Code du travail , tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail , la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :
Il est avéré au regard des constatations formulées par huissier de justice en date du 7 juillet 2010 que : le 7 juillet 2010 à 6 h05, [Adresse 3], à proximité immédiate de l'entrée de la société 3S SOPHED, vous avez été identifié au volant d'un camion immatriculé [Immatriculation 1] portant un logo à l'effigie de cette société.
Suite à la perte du marché de collecte des PAV de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole sur lequel vous étiez affecté, la société 3S SOPHED nous a signifié sa décision de ne pas opérer le transfert du personnel prévu par l'annexe V de la convention collective nationale des activités du déchet.
Ainsi, vous restez lié à notre société par le contrat à durée indéterminée que vous avez signé le 26 juillet 2006.
D'autre part, suivant les dispositions de l'article 12 de votre contrat de travail , vous vous êtes engagé 'à travailler exclusivement pour la société et à n'exercer, sous peine de faute grave, aucune activité concurrente de celle de la société' pendant la durée de votre contrat.
Vous n'étiez donc pas autorisé à travailler dans une autre entreprise.
Cette situation s'analyse comme un manquement grave à l'obligation de loyauté envers votre employeur.
D'autre part, comme vous le savez, votre contrat de travail à temps plein ne vous permettait aucunement de vous engager pour une durée équivalente au sein d'une autre société sans méconnaître les durées maximales impératives de travail.
En conséquence, au regard des faits qui vous sont reprochés, lesquels rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail , nous sommes donc amenés à prendre à votre égard une mesure de licenciement pour faute grave, sans indemnité ni préavis, effective à la date de première présentation du présent courrier. (...)$gt;$gt;
Le salarié considère que n'ayant pas eu de nouvelle de son employeur entre le 24 et le 30 juin 2010, il était libre de tout engagement à cette date, la société Polyurbaine 13 ayant pris l'initiative de la rupture par sa lettre non équivoque du 8 juin 2010 ; il fait valoir en outre que le licenciement est postérieur à sa saisine de la juridiction prud'homale.
Il souligne que ce choix a été dicté par l'état de nécessité dans lequel il s'est trouvé alors même que le contrat offert par la société Sophed était économiquement à son désavantage.
La société Polyurbaine 13 indique que le courrier envoyé le 8 juin 2010 ne pouvait être considéré comme mettant fin à la relation contractuelle qu'à la condition par nature suspensive que le transfert du personnel s'effectue auprès de la société Sophed, en application de l'annexe V de la convention collective nationale de l'activité du déchet.
Elle relève le fait que le salarié , a eu connaissance de l'absence de transfert par cette dernière société le 24 juin 2010 et a , en travaillant pour la société Sophed, enfreint les obligations de son contrat de travail dont il n'était pas délié.
Il convient de constater que la lettre du 8 juin 2010 visait une rupture du contrat de travail en cas de transfert du personnel à la société Sophed , transfert qui a été encore en discussion entre les deux sociétés et l'inspection du travail jusqu'au début du mois de juillet 2010.
La société Polyurbaine 13 ayant tiré les conséquences du refus de transfert de la part de la société Sophed, a ensuite diligenté à l'égard de bon nombre de ses salariés une procédure de licenciement économique; dès lors, M [B] [K] n'est pas fondé à lui reprocher une rupture consommée à fin juin 2010.
Le fait d'avoir saisi la juridiction prud'homale le 1er juillet 2010 en vue de contester la légitimité de la rupture prétendue n'avait pas pour effet de délier M [B] [K] de sa relation contractuelle avec la société Polyurbaine 13, le salarié ayant eu connaissance dès la réception de la lettre de Sophed du 24 juin 2010 de l'absence de transfert, et n'ayant pas notifié à son seul employeur une lettre de démission.
Les faits reprochés sont établis par le constat d'huissier et corroborés par la production par M [B] [K] du contrat de travail daté du 24 juin 2010 et à effet du 1er juillet 2010 démontrant une relation de travail à temps plein avec un autre employeur que la société Polyurbaine 13 .
Ce manquement avéré à l'obligation de loyauté rappelée à l'article 12 du contrat était suffisamment grave pour justifier le départ immédiat du salarié, sans indemnité ni préavis, M [B] [K] ne justifiant d'aucun élément pour invoquer l'état de nécessité.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré et de dire le licenciement pour faute grave fondé.
Sur les conséquences financières du licenciement
Le salarié ne justifie d'aucune circonstance vexatoire ayant entouré le licenciement, la procédure de référé initiée par M [B] [K] ayant été déclarée sans objet puisque l'employeur a assumé l'ensemble de ses obligations au titre de la rémunération, après la perte du marché.
C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes de Marseille a rejeté la demande de dommages et intérêts, faute de démonstration de l'existence d'un préjudice distinct.
Le jugement sera infirmé dans toutes ses dispositions indemnitaires et salariales subséquentes à la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse , y compris celles relatives à l'indemnité de congés payés, l'employeur justifiant par le bulletin de salaire final, avoir rempli de ses droits le salarié.
Par ailleurs, c'est à tort que le conseil des prud'hommes de Marseille a condamné l'employeur à une indemnité pour méconnaissance de la procédure, le salarié ayant été convoqué régulièrement à un entretien préalable lors de la procédure disciplinaire.
Le présent arrêt , infirmatif sur les condamnations prononcées, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement , et dès lors il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Polyurbaine 13 en restitution des sommes versées du fait de l'exécution provisoire. Sur l'action en garantie
Il convient de noter que la société Sophed ne soulève plus de fins de non recevoir .
En l'état d'un licenciement déclaré fondé et n'emportant pas de condamnation pécuniaire pour la société Polyurbaine 13 , l'appel en garantie est devenu sans objet, la décision étant infirmée sur ce point.
Sur les frais et dépens
Le salarié qui succombe au principal supportera les dépens de 1ère instance et d'appel.
Les circonstances de la cause justifient de rejeter les demandes respectives des parties faites sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ,
*Infirme le jugement déféré sauf dans ses dispositions ayant rejeté la demande relative au préjudice distinct ,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
*Dit le licenciement pour faute grave , fondé,
*Déboute M [B] [K] de l'ensemble de ses demandes,
*Dit l'appel en garantie dirigé contre la société Sophed devenu sans objet,
*Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
*Laisse les dépens de 1ère instance et d'appel à la charge de M [B] [K].
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT