COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 30 JUIN 2015
N°2015/536
Rôle N° 14/03782
SNC LE LERY
C/
URSSAF DU VAR
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Julien CURZU, avocat au barreau de TOULON
URSSAF DU VAR
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VAR en date du 03 Juin 2013,enregistré au répertoire général sous le n° 21100492.
APPELANTE
SNC LE LERY, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Julien CURZU, avocat au barreau de TOULON
INTIMÉE
URSSAF PROVENCE ALPES COTE D'AZUR, intervenant pour l'URSSAF DU VAR, demeurant [Adresse 1]
représenté par Mme [Q] [Z] (Inspectrice du contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE INTERVENANTE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant Antenne de [Localité 2] - CS 433 - [Localité 1] [Localité 2] CEDEX 08
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2015 et prorogé au 30 juin 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Juin 2015
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La SNC LE LERY, qui avait fait l'objet d'un contrôle de l'URSSAF portant sur les années 2005 à 2009 et avait reçu une lettre d'observation du 21 juillet 2009 suivie d'une mise en demeure du 27 novembre 2009 de payer la somme de 108498 euros (cotisations et majorations de retard), a fait appel d'un jugement du Tribunal des Affaires de sécurité sociale du Var du 3 juin 2013 qui l'a déboutée de son recours contre la décision de la Commission de recours amiable du 14 décembre 2010 ayant rejeté ses contestations, a validé le redressement de l'URSSAF et a constaté que les sommes avaient été versées à l'URSSAF.
Par ses dernières conclusions développées à l'audience de plaidoirie du 27 mai 2015, la société Le Léry a demandé à la Cour d'infirmer le jugement, d'annuler la lettre d'observation et le redressement du 21 juillet 2009 et de condamner l'URSSAF à lui rembourser la somme de 71005 euros représentant le montant des sommes versées à l'URSSAF, (avec intérêts au taux légal et avec capitalisation), ainsi que la somme de 272,92 euros (intérêts sur 19619 euros entre juillet 2010 et avril 2013), la somme de 200000 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice, et la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions développées à l'audience, l'URSSAF a demandé à la Cour de confirmer le jugement et de condamner la SNC Le Léry à lui payer la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La MNC régulièrement avisée n'a pas comparu.
MOTIFS DE LA DECISION
A l'époque du contrôle, M.[R] était le gérant de la SNC Le Léry, exploitant un commerce de bar et restaurant et employant notamment trois salariés: une aide cuisinière (Mme [E]), un plongeur (M.[D]) et une serveuse (Mme [C])
I - Sur le travail dissimulé
L'URSSAF avait procédé à l'audition de M.[R], gérant de la société Le Léry, qui avait reconnu que les trois salariés de la société travaillait selon une amplitude horaire supérieure à ce que prévoyaient leurs contrats. Madame [R] avait procédé à la même déclaration. M.[R] a signé sa déclaration.
La procédure pénale engagée du chef de travail dissimulé sur plainte de l'URSSAF et couvrant la période allant de mars 2006 à mars 2009, a fait l'objet, le 11 octobre 2012, d'une ordonnance de non-lieu qui n'a pas été frappée d'appel.
La société appelante a fait valoir que cette décision de non-lieu s'imposait au juge civil et que le redressement devait donc être annulé, mais que, nonobstant cette ordonnance, les trois salariés n'avaient jamais remis en cause les plannings qu'ils avaient tous signés et qui correspondaient à leurs contrats de travail respectifs.
La Cour constate que, si la société appelante conteste les déclarations faites par les époux [R] devant le contrôleur de l'URSSAF le 4 mars 2009, alors qu'ils étaient en présence de leur comptable, et qu'ils n'allèguent aucune pression de la part de l'inspecteur, elle n'explique pas pour quelle raison le gérant a signé le procès-verbal de son audition, ces mêmes déclarations ayant été réitérées le 20 mars 2009, dans les locaux de l'URSSAF par Madame [R] et par « conférence » téléphonique avec son mari.
Ce faisant, les épopux [R] ont validé tous les éléments qui ont ensuite servi à l'établissement de la lettre d'observation du 21 juillet 2009.
C'est ainsi que le contrôleur a noté les amplitudes horaires reconnues:
- pour Madame [E]: 9h30-14h (au lieu de 12-14) pendant 6 jours par semaine;
- pour M.[D]: 10h30-15h (au lieu de 11-15) soit 117 heures par mois au lieu de 65 déclarées;
- pour Madame [C]:11h -15h (au lieu de 13-14);
- la présence au bar: 169 heures par mois au lieu de 86,63 déclarées;
- le service:82,4 heures minorées par mois.
Par ailleurs, le jour du passage de l'inspecteur, le 19 février 2009, l'inspecteur avait constaté qu'à 9 heures, il y avait déjà deux hommes au travail derrière le bar (dont le père du gérant) et deux femmes au travail dans la cuisine, et qu'à 10h30 était arrivée une serveuse. Il a constaté qu'il n'y avait pas de caisse enregistreuse et que l'argent des consommations était placé directement en caisse, sans remise de ticket.
Le contrôle comptable d'assiette qui avait été programmé pour le 4 mars suivant a eu lieu en présence de la comptable de la société et dans son audition, M.[R] a déclaré qu'il ne tenait pas le registre des états des présence des salariés permettant de connaître leurs heures d'entrée et de sortie.
Le 20 mars 2006, sa femme s'est présentée dans les bureaux de l'URSSAF avec les « décomptes de la durée du travail » de chaque personne travaillant dans l'entreprise (qui sont versés aux débats).
Ces documents reprennent les durées prévues par les contrats de travail respectifs des trois salariés ci-dessus nommés.
La Cour constate qu'en plus de ces trois salariés, et pendant la période du contrôle, cinq ou six autres salariés (ou apprentis) intervenaient dans le commerce Le Léry, dont un cuisinier, une aide cuisinière, une autre serveuse et le « barman », M.[J], dont le nom est cité dans les documents de l'URSSAF.
La Cour constate que les fiches mensuelles se composent de tableaux hebdomadaires remplis selon un graphisme très régulier et de la même main, les signatures des salariés concernés étant parfaitement présentées.
Suite à la plainte pénale avec constitution civile du 10 février 2011 de l'URSSAF pour travail dissimulé, le juge d'instruction a procédé aux auditions des salariés ci-dessus nommés, ce qui n'avait pas été fait au moment du contrôle.
Les salariés ont tous déclaré que leurs horaires de travail correspondaient à leurs contrats respectifs et à leur paye, et qu'ils avaient cessé de travailler dans le restaurant après la vente du fonds de commerce en raison du comportement des nouveaux gérants.
C'est ainsi que les auditions des salariés menées par le magistrat instructeur entre 2011 et 2012 ont révélé que:
- M.[D] travaillait de 10h30 à 15 h avec une pause de 30 minutes pour se restaurer;
- Madame [E] travaillait de 12 h à 14 h mais arrivait un peu avant pour se restaurer sur place; en outre, son employeur lui permettait de rattraper ses heures s'il lui arrivait de devoir partir plus tôt (trajet en voiture avec son père);
- Madame [C] travaillait de 12 h à 13 h ou de 13 h à 14 h et elle récupérait le lendemain si elle devait rester un peu plus longtemps.
Pourtant, le 19 février 2009, l'inspecteur avait constaté qu'à 9 heures, il y avait déjà deux hommes au travail derrière le bar (dont le père du gérant) et deux femmes au travail dans la cuisine, et qu'à 10h30 était arrivée une serveuse.
Ces horaires ne correspondaient à aucun des contrats de ces trois salariés, les contrats des autres salariés n'ont pas été versés aux débats et la société appelante n'a fait aucun commentaire sur ce point.
Restait la possibilité qu'en ce 19 février les salariés aient été en situation de récupération d'horaires antérieurs.
Or, au moment du contrôle, ni M.[R] ni Madame [R] n'avaient évoqué ni cette éventualité, limitée au 19 février, ni même la possibilité plus générale de récupérer des heures en fonction des nécessités du commerce, ni oralement pendant l'enquête ni dans la réponse à la lettre d'observation de l'URSSAF.
Ils avaient au contraire admis que les heures effectivement travaillées étaient minorées.
La société appelante n'a pas commenté ces contradictions.
L'existence d'un contentieux antérieur ayant opposé la société Le Léry à une ancienne salariée (licenciée en juillet 2004) qui, bénéficiant d'un contrat de travail fixant des horaires similaires à ceux des contrats en vigueur à l'époque du contrôle, avait engagé une action dans laquelle elle avait obtenu gain de cause (arrêt de cette Cour en date du 13 mars 2007), aurait pu avoir valeur d'avertissement, mais elle consacre à tout le moins le caractère volontaire et intentionnel de la dissimulation constatée entre 2005 et 2009.
La Cour considère, au vu des éléments de fait du dossier que la dissimulation de la durée réelle du travail des salariés ne résulte pas d'une simple négligence mais avait été faite en toute connaissance de cause et de manière intentionnelle, ainsi que l'exige le dernier alinéa de l'article L324-10 du code du travail.
L'ordonnance de non lieu rendue par le juge d'instruction précise que « les salariés et employeur apportaient à l'appui de leurs déclarations des documents justifiant » qu'il n'y avait pas eu de minorations des heures de travail.
Ce magistrat a donc considéré que les indices matériels recueillis au cours de son instruction et les déclarations des salariés affirmant ne pas avoir été privés des salaires correspondant à leur travail effectif étaient suffisants pour constater que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas réunis.
Toutrefois, les éléments de fait recueillis par le contrôleur de l'URSSAF (faisant foi jusqu'à preuve contraire), ainsi que les premières déclarations du gérant et de son épouse étaient différents et justifiaient, en dehors de toute intention délictuelle, le redressement engagé à l'encontre de la société.
La Cour écarte les critiques de l'appelante sur ce point.
L'existence du travail dissimulé a pour conséquence l'exclusion du bénéfice des « réductions Fillon ».
II ' Sur la taxation forfaitaire
La société Le Léry n'avait pas de caisse enregistreuse et aucune comptabilité permettant d'établir le chiffre exact des rémunérations du personnel, dont il était établi que les heures de travail étaient minorées.
L'article R242-5 du code de la sécurité sociale permet en ce cas le recours à la taxation forfaitaire sur la base des salaires pratiqués dans la profession, dans la région ou par tout autre moyen de preuve.
En l'espèce, le contrôleur a repris les déclarations des époux [R] concernant le prix moyen d'un repas (12 euros), le nombre de couverts (100 puis 80 en 2008 et 2009) servis pendant 6 jours ouvrables chaque semaine et toute l'année sans interruption, ainsi que le service au bar .
Le calcul figure dans la lettre d'observation à laquelle la Cour renvoie.
L'appelante n'a pas commenté ces tableaux autrement qu'en faisant valoir que l'administration fiscale qui avait également engagé un contrôle avait conclu sa vérification sans rectification.
Il a été souligné par l'URSSAF que les années contrôlées n'étaient pas les mêmes et que son contrôle, plus étendu puisque débutant à l'année 2005 avait permis de constater une minoration des chiffres d'affaires annuels jusqu'en 2009, alors que le contrôle fiscal avait porté sur 2007, 2008 et 2009 uniquement.
Par ailleurs, rien ne justifiait une rectification fiscale puisque les salaires déclarés et payés correspondaient aux salaires prévus par les contrats de travail.
La Cour écarte les critiques de l'appelante sur ce point.
III ' Sur l'emploi de M.[R], père du gérant
L'appelante a soutenu que la présence de M.[R] relevait de l'entraide familiale et que son âge et son état de santé ne lui auraient jamais permis d'assurer une présence constante dans le commerce de son fils.
L'URSSAF a contesté ces arguments.
L'intéressé a déclaré qu'il venait voir son fils et boire des consommations avec ses amis mais que sa santé (grave hernie discale) ne lui aurait jamais permis de travailler derrière le bar.
Le fait d'avoir une hernie discale depuis 2007 ne rendait pas M.[R] impotent et ne semblait pas l'empêcher de se déplacer jusqu'au commerce tenu par son fils où le contrôleur de l'URSSAF a bien constaté qu'il se tenait derrière le bar en situation de travail et non pas assis dans la salle comme un consommateur ordinaire.
Au surplus, la présence de M.[R] a été constatée le 19 février 2009 derrière le bar à 9 heures du matin (cf.supra § I ), horaire plutôt matinal pour un homme disant souffrir de hernie discale et ne venir voir son fils qu'épisodiquement pour prendre quelques consommations avec des amis.
D'ailleurs, il avait alors déclaré lui-même qu'il venait aider son fils, lequel a déclaré que son père venait tenir le bar (sans rémunération), lorsqu'il était absent, élément sans relation avec les données de fait qui avaient été soumises au juge d'instruction puis au tribunal et enfin à la Cour.
Il convient de rappeler que l'entraide familiale ne peut être retenue lorsque la présence de l'intéressé participe à la réalisation d'un profit dans une structure à but lucratif relevant du secteur marchand.
Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que le redressement était justifié et écarte les critiques de l'appelante sur ce point.
*******
La demande de dommages-intérêts fondée sur les préjudices allégués par la société appelante suite à l'opposition au prix de vente de son fonds de commerce opérée par l'URSSAF entre les mains du notaire pour être payée des sommes à recouvrer, est rejetée car la preuve d'un comportement fautif de l'URSSAF n'est pas rapportée.
La Cour confirme le jugement déféré, déboute l'appelante de ses demandes et fait droit à la demande de l'intimée.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement en matière de sécurité sociale,
Confirme le jugement du Tribunal des Affaires de sécurité sociale du Var du 3 juin 2013,
Déboute la SNC Le Léry de ses demandes,
Condamne la SNC Le Léry à payer à l'URSSAF la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT