COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUILLET 2015
N° 2015/1364
Rôle N° 12/24359
INTRAMAR
C/
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES
PORT AUTONOME DE [Localité 1]
[H] [K]
[X] [J]
CGEA [Localité 1]
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Frédéric MARCOUYEUX
Me Cyril MICHEL
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de [Localité 1] - section CO - en date du 15 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1160.
APPELANTE
INTRAMAR, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de [Localité 1]
INTIMES
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de [Localité 1]
PORT AUTONOME DE [Localité 1], demeurant [Adresse 3]
non comparante ni représenté
Monsieur [H] [K], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Albert HINI, avocat au barreau de [Localité 1]
Maître Me Simon LAURE, mandataire liquidateur de la société UPA, demeurant [Adresse 7]
représenté par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de [Localité 1]
CGEA [Localité 1], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de [Localité 1], Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de [Localité 1] substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de [Localité 1]
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 Mai 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre
Madame Christine LORENZINI, Conseiller
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2015.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2015.
Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
M. [H] [K] a travaillé en qualité de docker professionnel intermittent pour le compte de diverses entreprises de manutention sur le port de [Localité 1] du 14 juin 1982 au 31 décembre 2006.
Il a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 1] le 2 avril 2009 aux fins de réparation de divers préjudices liés à son exposition à l'amiante à l'encontre :
- du Grand Port maritime de [Localité 1] (ci-après GPMM), établissement public,
- de l'Union Phocéenne d'Acconage (ci-après Upa), représentée par Maître [J], mandataire liquidateur désigné par jugement de liquidation judiciaire du 20 novembre 2000,
- de la société Industrielle de Trafic Maritime (Intramar)
- de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention du Port de Marseille (ci-après CCCP) à titre personnel et aux droits du Service Auxiliaire de la manutention (Sam)
- et en présence du CGEA de [Localité 1].
Par jugement de départage en date du 15 novembre 2012, mentionnant en outre et par erreur la société Somotrans et en conséquence, le Bureau central de la main d'Oeuvre (BCMO), appelé en intervention forcée par celle-ci, le conseil de prud'hommes de [Localité 1], après avoir pris acte du désistement de M. [H] [K] à l'égard du GPMM et déclaré ce désistement parfait, s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes dirigées à l'encontre de la CCCP, et a :
- rejeté les exceptions d'incompétence au profit de tribunal des affaires de sécurité sociale et au profit du Fiva,
- déclaré recevable l'intervention forcée délivrée à l'encontre du BCMO mais non fondée,
- déclaré la société Intramar responsable du préjudice causé à M. [H] [K],
- condamné celle-ci à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, cette somme portant intérêts au taux légal à compter de cette décision,
- rejeté toutes autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des défenderesses mises hors de cause,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire complémentaire,
- condamné la société Intramar à payer à M. [H] [K] la somme de 250 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et ce, sans statuer sur ses demandes à l'encontre de la société Upa.
La société Intramar a interjeté appel de ce jugement le 24 décembre 2012.
Par arrêt du 14 novembre 2014, la question prioritaire de constitutionnalité posée par le CGEA-Ags a été déclarée recevable mais il a été dit n'y avoir lieu à transmission de celle-ci à la Cour de cassation.
Prétentions et moyens des parties :
' Dans ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, la société Intramar, concluant à l'infirmation du jugement, soulève à titre liminaire l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale au titre de la demande relative au préjudice d'anxiété en faisant valoir que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et demande à la cour de renvoyer M. [H] [K] à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'il ait sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie.
A titre subsidiaire, sur le fond, elle conclut au rejet de l'ensemble des demandes formées par M. [H] [K], qui a connu une multiplicité d'employeurs et qui ne justifie nullement :
- de la qualité d'employeur de la société Intramar à son égard,
- de son exposition à l'amiante du fait de celle-ci, étant rappelé que la présence d'amiante était marginale sur le port de [Localité 1] et qu'elle n'était nullement un professionnel de l'amiante,
- d'une quelconque faute de sa part et d'un lien entre cette prétendue faute et son préjudice,
- de la réalité de ce préjudice, que ce soit en son principe ou en son quantum, étant ajouté en tout état de cause, qu'il ne pourrait ouvrir droit à une multiplication d'indemnisations,
Elle demande en outre qu'il soit constaté qu'elle justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité et qu'il ne peut exister aucune obligation solidaire ou in solidum.
Elle sollicite sa condamnation à lui verser la somme de 500 euros en compensation de ses frais irrépétibles.
' Monsieur [H] [K] a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions dans lesquelles il demande à la cour de :
- lui donner acte de son désistement à l'encontre du BCMO, de la CCCP et du GPMM,
vu l'article 11 du code de procédure civile, avant dire droit, en tant que de besoin,
- ordonner aux sociétés défenderesses la production de leurs DADS entre 1977 et 1993 ou à défaut, à la CCCP,
sur le fond, confirmant le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Intramar mais l'infirmant en ce qu'il a implicitement écarté celle de la société Upa,
- constater qu'il a été employé par les sociétés Upa et Intramar, qu'elles n'ont pas respecté les dispositions du décret n°77-949 du 17 août 1977 et qu'elles l'ont exposé aux poussières d'amiante sans protection,
en conséquence,
- déclarer les sociétés Upa et Intramar solidairement responsables des préjudices qu'il subit,
- condamner les sociétés Upa et Intramar à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat,
- condamner la société Intramar à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat,
- fixer au passif de la société Upa la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat,
- condamner les sociétés Upa et Intramar à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
- condamner la société Intramar à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
- fixer au passif de la société Upa la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété
- condamner la société Intramar à lui verser la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA,
- condamner le CGEA à lui payer la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de [Localité 2], pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du 14 juin 1982 au 31 décembre 2006, et que dans l'exercice de cette activité, il a été exposé à l'inhalation des poussières d'amiante, n'ayant jamais bénéficié de protections individuelles ; que ce port est d'ailleurs inscrit sur la liste des ports 'amiante' permettant aux dockers de bénéficier de l'Acaata pour la période d'exposition de 1957 à 1993 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles
L. 511-2 et suivants du code des ports maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992, et se trouvait donc employé sous la forme d'un contrat à durée déterminée par l'acconier qui disposait d'un véritable pouvoir de direction à son égard et devait assurer sa sécurité ; que celui-ci était par ailleurs tenu d'adhérer à la CCCP et avait pour obligation de l'y déclarer ; qu'il a été mensualisé à compter du 3 mai 1993 jusqu'au 4 décembre 2000 par la société Upa ; qu'il a bénéficié de l'Acaata à partir du 1er février 2006 ; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés Intramar et Upa, mentionnées sur la liste établie par la direction générale du port de [Localité 1] dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports
le 21 décembre 1999 ; que même s'il est susceptible de justifier, dans la plupart des cas, de ses relations contractuelles avec ces sociétés notamment par la communication de bulletins de salaire et d'attestations émanant d'anciens collègues, valables et probantes, il appartient à la cour, eu égard à l'impasse probatoire dans laquelle il se trouve, de procéder à l'aménagement de la charge de la preuve par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les victimes d'une contamination d'origine transfusionnelle ayant subi des transfusions sanguines multiples en considérant que le seul fait pour un docker, par ailleurs bénéficiaire de l'Acaata, d'avoir travaillé sur le port de [Localité 1] pendant la période visée à l'arrêté suffit à caractériser l'existence du préjudice subi, en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'apporter tant la preuve de sa relation de travail avec l'une ou l'autre société du fait des modalités d'organisation du travail de l'époque que celle de son exposition à l'amiante sans aucune protection, fait non mentionné sur les documents en sa possession et dont seul l'employeur détient la preuve ; qu'il convient en conséquence d'imputer aux société mises en cause la charge de prouver qu'elles ne l'ont pas employé, ni exposé à l'amiante sans protection ; que la cour pourra ordonner si nécessaire, avant dire droit, à celles-ci de produire les DADS entre 1977 et 1993 et, à défaut, en tirer les conséquences, voire enjoindre à la CCCP de les communiquer ; que, dans le cadre de son activité pour le compte des sociétés Intramar et Upa , il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret du 17 août 1977) et que ce faisant, les employeurs - qui ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante - ont délibérément maintenu leurs salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel qu'il représentait, les privant ainsi d'une chance de s'y soustraire, et n'ont pas respecté leur obligation de sécurité de résulta et d'exécution de bonne foi du contrat de travail ce qui lui fait nécessairement subir un préjudice qu'il convient d'indemniser ; que l'indemnisation du préjudice autonome d'anxiété est ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le port de [Localité 1] comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société Upa dont le redressement judiciaire est en date du 27 janvier 2000, même si elle ne lui a été révélée que postérieurement, qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et qu'en conséquence, la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.
' Le CGEA délégation régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, qui concernent d'autres demandeurs et en conséquence, certaines sociétés non dans la cause, aux termes desquelles il demande à la cour de :
à titre liminaire,
- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Upa en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur de certains demandeurs dont M. [H] [K],
- prononcer sa mise hors de cause en ce que certains demandeurs ne démontrent pas avoir travaillé pour une société aujourd'hui en liquidation judiciaire,
- déclarer irrecevables les demandes de condamnation solidaires à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire,
- dire et juger que la jurisprudence citée par les dockers et relative aux contaminations au VIH et aux autres maladies n'est pas applicable à l'amiante,
sur le fond,
* sur le préjudice d'anxiété
- dire et juger que les sociétés en cause en sont pas nominativement classées Acaata et que par conséquence, M. [H] [K] ne peut prétendre au préjudice d'anxiété,
- dire et juger que la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'exposition à l'amiante au sein de sociétés classées Acaata est inapplicable aux sociétés du Port de [Localité 1], non classées comme telles,
en tout état de cause,
- dire et juger que seuls les salariés dont la situation correspond aux critères de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sont susceptibles de se voir reconnaître un préjudice d'anxiété et en conséquence, débouter ceux, dont M. [H] [K], n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata de leur demande relative à leur exposition à l'amiante,
- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata date de 2000 et que les procédures collectives datent au plus tard de 1996, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,
* sur les nouveaux fondements invoqués,
- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L.4121-1 du code du travail, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que les salariés apportent la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, leurs demandes seraient, dès lors, prescrites,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que M. [H] [K] ne démontre pas individuellement avoir été victime de la violation d'une règle de protection liée à l'amiante,
- dire et juger que la faute de l'employeur n'est pas démontrée et que M. [H] [K] ne démontre aucune violation des dispositions d'hygiène et de sécurité applicables aux sociétés de l'époque,
à titre très subsidiaire,
- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,
- dire que la garantie de l'Ags est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,
- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner le demandeur aux dépens.
' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, Maître [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Upa, reprenant pour partie les moyens développés par la société Intramar, soulève également à titre liminaire l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et demande à la cour de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L.1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie.
Subsidiairement sur le fond, Maître [J] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté de M. [H] [K] et demande qu'il soit condamné à lui payer la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, soutenant que les arrêtés portant liste des ports dans lesquels les personnels peuvent bénéficier de l'Acaata ne suffisent pas à justifier de la qualité d'employeur de la société Upa, ni de l'exposition au risque par celle-ci et que les salariés ne démontrent pas avoir travaillé pour celle-ci, ou alors à de très rares occasions ; que les attestations qu'ils produisent ont été établies pour les besoins de la cause, qu'elles sont imprécises et sans valeur probante ; qu'ils ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante par la société Upa, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il existe un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué, d'autant que l'amiante a représenté une part infime des marchandises manutentionnées sur l'ensemble du port de [Localité 1] (moins de 0.1 % des volumes hors liquides répartis sur plus de quatre-vingts entreprises employant des dockers) et que les acconiers ne peuvent être considérés comme des professionnels, voire des utilisateurs de l'amiante, aucune entreprise de manutention n'étant visée dans les listes établies par décret relatives aux entreprises et établissements où étaient fabriqué ou traité de l'amiante ; que si la cour venait à retenir la qualité d'employeur de la société Upa, celle-ci justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter qui étaient invitées à chacune des réunions du CHSCT, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un rappel à la loi, ni d'une injonction et encore moins d'une sanction en raison d'un défaut dans la prise en compte et la gestion d'un risque professionnel, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits.
A titre infiniment subsidiaire, Maître [J] soutient que le préjudice d'anxiété allégué n'est pas indemnisable ni justifié, à défaut de preuve tant d'un suivi spécifique aux allocataires Acaata que de l'absence d'un comportement à risque (tabagisme...). Il fait encore valoir qu'il n'existe en l'espèce aucune obligation solidaire ou in solidum.. Enfin, il demande à ce qu'il soit dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
' Aux termes de ses écritures développées à la barre, le BCMO, exposant que le Conseil d'Etat l'a, dans une décision de principe, qualifié de 'section professionnelle du service départemental de la main d'oeuvre', demande à la cour de constater qu'il n'a pas la personnalité juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation, qu'il n'est pas l'employeur des ouvriers dockers, qu'aucune demande de condamnation n'est formulée à son encontre, et en conséquence, de déclarer irrecevable la demande formulée par la société Somotrans à son encontre aux fins de lui voir reconnaître la qualité d'employeur.
Le GPMM, régulièrement convoqué, n'était ni présent, ni représenté à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le désistement de M. [H] [K] de ses demandes formées à l'encontre du GPMM a déjà été acté par le premier juge qui a déclaré ce désistement parfait. Il est inutile de lui en donner acte une nouvelle fois.
Il lui sera donné acte de son désistement à l'encontre de la CCCP et du BCMO, étant cependant observé que cet organisme s'est trouvé dans la cause du seul fait d'une erreur matérielle contenue dans le jugement déféré alors même qu'il n'y était pas partie.
Sur l'exception d'incompétence :
Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
Dès lors que les demandes en réparation d'un préjudice extra-patrimonial formées par M. [H] [K] sont fondées sur l'inexécution par le ou les employeurs de l'obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail qui les aurait liés, que le préjudice d'anxiété correspond non pas à une maladie professionnelle répertoriée mais à l'inquiétude de déclencher à tout moment une maladie en rapport avec une exposition à l'amiante et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont il a été attributaire le 1er février 2006, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige et le jugement sera confirmé à ce titre.
Sur le fond :
M. [H] [K], se prévalant du fait qu'il a été admis au régime de l'Acaata, invoque une impasse probatoire devant conduire selon lui et par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la contamination transfusionnelle, à faire peser la charge de la preuve sur les sociétés en cause, tant de leur absence de la qualité d'employeur que du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.
A titre liminaire, il sera rappelé que si le site du port de [Localité 1] est inscrit sur la liste des ports permettant aux dockers de bénéficier de l'allocation anticipée des salariés de l'amiante, liste fixée par arrêté du 7 juillet 2000 modifié, aucune des sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et qu'en conséquence, il ne peut prétendre bénéficier de l'Acaata au titre de son activité supposée au bénéfice de l'une ou l'autre d'entre elles.
Par ailleurs, il doit être relevé qu'il :
- ne conteste pas avoir reçu en contrepartie de son activité de docker auprès de chacune des sociétés pour lesquelles il dit avoir travaillé des bulletins de salaire qu'il lui appartenait de conserver ;
- ne produit aucun élément de nature à établir que la manutention de l'amiante a constitué une part significative de l'activité de ces sociétés au cours de la période pendant laquelle il a été employé sur le port de laquelle on pourrait déduire qu'il a été nécessairement exposé à l'amiante par leur fait, étant observé que si, comme vu supra, l'intégralité du site du port est concernée par le classement Acaata, et bien que quatre-vingts acconiers exerçaient une activité sur ce site entre 1957 et 1993 (cf. attestation établie le 15 juin 2010 par le syndicat des entrepreneurs de manutention portuaire), il n'a fait le choix d'agir que contre deux d'entre-elles (alors même que cinq sont visées dans la lettre du directeur du Port du 21 décembre 1999 dont il se prévaut, rédigée en termes hypothétiques, et d'autres encore dans les attestations qu'il produit), admettant ainsi que le seul fait pour une entreprise de manutention d'avoir exercé une activité dans un port classé au cours de la période de classement ne suffit pas à établir qu'elle a nécessairement exposé ses salariés à l'inhalation de fibres ou de poussières d'amiante.
En conséquence, il appartient à M. [H] [K] de justifier tout à la fois de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés de manutention portuaire attraites dans la cause et du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.
Sur la qualité d'employeur des sociétés Intramar et Upa à l'égard de M. [H] [K]
La loi du 6 septembre 1947 a défini un statut de docker et a réduit la fonction des organismes antérieurs, comme le BCMO, qui a été chargé d'identifier et de classer les ouvriers dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche dans le port au service des différentes sociétés manutentionnaires, de répartir numériquement le travail entre les ouvriers, d'effectuer la paie à la journée, d'établir les certificats de travail et les bulletins de salaire quand ils existaient et de régler les cotisations aux organismes sociaux pour le compte des entreprises de manutention.
Cette organisation a affecté le recrutement et les embauches journalières mais n'a pas supprimé les entreprises de manutention portuaire ; les chefs d'équipe de ces entreprises fixaient, eux-mêmes, le nombre des dockers et leurs qualifications nécessaires aux déchargements, les taches affectées à chacun sur les navires, donnaient les instructions sur les opérations à entreprendre, surveillaient le déroulement de celles-ci et fournissaient également des matériels (tracteurs, chariots élévateurs, auto grues, transporteurs et norias).
Ainsi, si la loi de 1947 a réduit l'étendue des attributions patronales dans la relation de travail, elle n'a pas supprimé totalement celle-ci ; la loi du 9 juin 1992 a modifié le régime de travail dans les ports maritimes, en autorisant le recrutement de dockers par des entreprises de manutention portuaire par des contrats de travail de droit commun qui étaient au nombre de quatre-vingts entre les années 1957 et 1993.
Pour faire la preuve de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés Intramar et Upa, M. [H] [K] communique :
- deux certificats de travail établis les 1er mars 2001 et 22 octobre 2008 par la CCCP qui mentionnent qu'il a été inscrit le 14 juin 1982 et successivement radié le 3 mai 1993, mensualisé le 3 mai 1993 par l'entreprise Upa, réintégré le 5 décembre 2000 et radié le 31 décembre 2006 mais sans préciser les sociétés qui l'ont employé, à l'exception de la société Upa pour la période postérieure à l'arrêté de classement du port, insuffisants à établir l'existence d'un lien avec l'ensemble des acconiers, nonobstant les termes de l'attestation rédigée par le directeur de cet organisme le 1er septembre 2010,
- 42 bulletins de salaire dont il résulte qu'il a travaillé 13 jours pour la société Intramar (code 10) et 30 jours pour la société Upa (code 28) pendant la période couverte par l'arrêté susvisé,
- trois attestations établies par d'autres dockers professionnels (Messieurs [R] [O], [U] [I] et [Y] [C]) qui certifient brièvement et dans des termes quasiment identiques qu'ils ont travaillé ensemble, pour le compte des entreprises Upa, Euroma, Intramar et Somotrans (sans plus de précision quant aux périodes d'emploi dans chacune de ces sociétés), 'sans protections individuelles ni collectives et sans avoir été avertis des dangers de l'amiante alors qu'ils manipulaient des sacs qui laissaient passer l'amiante'.
Ces différents élément, s'ils sont insuffisants à démontrer une relation de travail continue ou habituelle entre M. [H] [K] et les sociétés Upa et Intramar, établissent néanmoins le fait qu'il a travaillé de façon ponctuelle pour le compte de celles-ci pendant la période concernée par l'arrêté susvisé, sans qu'il apparaisse par ailleurs nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, aucun texte ne faisant obligation aux entreprises concernées, voire à la CCCP, de conserver les DADS, sur une période aussi longue.
Sur les préjudices allégués
L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Elle n'est donc pas contraire aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de la séparation des pouvoirs.
Il doit être rappelé qu'aucune des sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, qu'elles ne sont ni des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante, ni des établissement de construction et de réparation navales et qu'elles ne fabriquaient ni ne traitaient l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et ne peuvent en conséquence être considérées comme des entreprises utilisatrices d'amiante.
M. [H] [K] qui invoque l'existence d'une prime de salissure accordée au titre de la manipulation de l'amiante ne justifie nullement avoir perçu cette prime des sociétés concernées, prime qui en tout état de cause correspondait à la manipulation de très nombreux produits non différenciés.
En l'espèce, il produit essentiellement pour preuve de son exposition fautive à l'amiante parles société Upa et Intramar, outre les attestations précitées dont les termes imprécis ne permettent pas de déterminer que ces sociétés l'ont réellement exposé à l'amiante, ni quels auraient été la durée et le caractère de l'exposition alléguée, la lettre du directeur général du port de [Localité 1] au Ministère de l'Equipement, des transports et du logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :
'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.
Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établi : - Société Industrielle de Trafic Maritime (INTRAMAR) - Union Phocéenne d'Acconage (Upa) - Société Moderne de Transbordements (SOMOTRANS) - Société MANUCAR - Etablissements MAIFFREDY - Société CARFOS.
Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991.
Ces pièces sont insuffisantes à établir tout à la fois qu'une part significative de l'activité des sociétés Intramar et Upa a concerné le transbordement de l'amiante, que M. [H] [K] a été amené à en manipuler de façon régulière pour le compte de celles-ci et en conséquence, qu'il a été exposé de manière habituelle à l'amiante de leur fait, pendant la période concernée par l'arrêté susvisé alors même qu'il ne conteste pas que l'amiante manipulé sur le port, pendant cette même période, n'a pas représenté plus de 0.1 % de l'activité de manutention globale de solides du port.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à sa demande au titre du préjudice d'anxiété à l'encontre de la société Intramar et il y sera ajouté en déboutant M. [H] [K] de celle-ci à l'encontre de la société Upa . En l'absence d'exposition fautive à l'amiante établie, il sera par ailleurs débouté de sa demande nouvelle au titre de l'indemnisation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par ces deux sociétés de leur obligation de sécurité de résultat.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les demandes formulées à ce titre seront rejetées et M. [H] [K], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance. Le jugement sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire,
Donne acte à M. [H] [K] de ce qu'il se désiste de ses demandes en indemnisation à l'encontre de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention et du Bureau central de la main d'oeuvre, ce dernier se trouvant dans la cause par erreur,
Constate qu'il s'est d'ores et déjà désisté de ses demandes à l'encontre du Grand Port maritime de [Localité 1] devant la juridiction du premier degré qui a déclaré ce désistement parfait,
Infirme le jugement déféré sauf sur ce dernier chef et en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. [H] [K] de l'ensemble de ses demandes,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [H] [K] aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIERLE PRESIDENT