COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 SEPTEMBRE 2015
DT
N° 2015/407
Rôle N° 14/12583
[E] [K] épouse [M]
[J] [M]
[I] [M] épouse [U]
C/
[D] [W]
[R] [C]
SCI JANUS
Grosse délivrée
le :
à :
SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON
SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 26 Mai 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 10/03747.
APPELANTS
Madame [E] [K] épouse [M]
née le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 3]
Monsieur [J] [M],
né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 5]
Madame [I] [M] épouse [U]
née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 5]
représentés par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON , avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistés par Me Robin EVRARD, avocat au barreau de NICE, plaidant.
INTIMES
Monsieur [D] [W]
né le [Date naissance 4] 1943 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 1]
Monsieur [R] [C]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 4]
SCI JANUS,
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistés par Me Stéphane IMBERT, avocat au barreau de NICE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Juin 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Septembre 2015.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Septembre 2015,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
La SCI Janus a été créée en septembre 1992 et Messieurs [D] [W] et [Z] [M] en ont été les principaux associés de 2002 à 2008 comme ils étaient les principaux associés de la locataire des locaux propriété de la SCI, la SA Audit Conseil Gestion, société d'expertise comptable et de commissaires aux comptes.
Jusqu'en 1998, les principaux associés de la SA Audit Conseil Gestion étaient Messieurs [D] [W] et [X] [F], lequel a été contraint de quitter la société suite à des détournements, laissant alors à titre transactionnel l'intégralité de ses parts dans la SCI Janus à M. [W] qui les a immédiatement recédés à M. [M] pour l'euro symbolique. M. [M] est ainsi devenu propriétaire en 2002 de 12 parts sociales de la SCI Janus.
Fin 2002, en désaccord avec M. [W] sur la gestion du cabinet d'expertise comptable, M. [M] a demandé le 2 février 2006 la réunion d'un tribunal arbitral composé de trois experts-comptables qui a rendu une sentence le 27 mars 2007 au terme de laquelle la SA Audit Conseil Gestion devait lui verser à compter du 1er juillet 2007 une rémunération sous forme de rente mensuelle HT de 3500 € que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulée au motif que le paiement d'une rente à un associé est contraire à l'ordre public.
Arrivé à l'âge de la retraite, M. [W] a vendu toutes ses actions dans la SA Audit Conseil Gestion au groupe TRIAL qui n'était pas intéressé par le rachat des parts sociales de la SCI Janus.
M. [M] a saisi le tribunal de commerce statuant en référé pour obtenir la désignation d'un expert avec pour mission de rendre rapport sur les opérations de gestion réalisées au sein de la SA Audit Conseil pour les exercices clos de 2006 à 2008. Il a été débouté de sa demande par ordonnance du 5 novembre 2009 confirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 janvier 2011.
En novembre 2008, M. [Z] [M] a fait donation à Mme [E] [K] épouse [M] et [J] [M] et [I] [M] des parts qu'il détenait dans la SCI Janus.
Le 16 juin 2014, Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] ont fait assigner M. [D] [W], M. [R] [C] et la Sci Janus devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de révoquer les gérants de la SCI Janus.
Les consorts [M] reprochaient aux gérants d'avoir commis des fautes de gestion :
1 - en ne révisant jamais le loyer comme le prévoit le bail commercial,
2 - en ne réclamant pas de dépôt de garantie au preneur ,
3 - en consentant une diminution du loyer lors du renouvellement de bail en 2008 ,
4 - en ne répercutant pas au preneur la totalité des charges lui incombant,
5 - en lui accordant des délais de paiement sans contrepartie,
6 - en ne tenant pas les assemblées générales .
Par jugement contradictoire eu date du 26 mai 2014, le tribunal de grande instance de Grasse a :
- vu les articles 122 et 515 du code de procédure civile,
- vu les articles 1843-5 et 1851 du code civil,
- constaté que les consorts [M] ont la qualité d'associés de la Sci Janus,
- dit qu'ils ont qualité et intérêt pour agir,
- déclaré leur action à de M. [W], M. [C] et de la Sci Janus recevable,
- constaté que les co-gérants [W] et [C] n'ont pas commis de faute de gestion causant un préjudice à le Sci Janus,
- débouté les consorts [M] de leurs demandes de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à révocation des gérants,
- rappelé aux gérants qu'ils sont tenus de convoquer chaque année les associés pour l'assemblée générale ordinaire,
- débouté les parties de leurs demandes de condamnations-sur le fondement del 'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] [M], Mme [I] [M] et Mme [E] [K] épouse [M] aux entiers dépens , dont distraction au profit des avocats de la cause,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration de Me Sandra JUSTON, avocat, en date du 24 juin 2014, Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] ont relevé appel de ce jugement.
Par leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 mai 2015, Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] à la cour de :
- vu les articles 1843-5, 1851, 1855 et 1856 du code civil,
- recevoir les concluants en leur appel et les en déclarer bien fondés,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a été déclaré que Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] avaient la qualité d'associé de la Sci Janus et par suite qu'ils avaient qualité et intérêt à agir,
- réformer le jugement dont appel pour le surplus,
- déclarer les fautes de gestion commises par MM. [W] et [C] en leurs fonctions de co-gérants de la Sci Janus,
- les révoquer de leurs fonctions de gérant de la Sci Janus pour cause légitime,
- désigner tel mandataire ad hoc qu'il plaira à la cour avec pour mission de convoquer une assemblée générale Sci Janus ayant pour ordre du jour la nomination d'un nouveau gérant, avec interdiction expresse que ce nouveau gérant soit M. [D] [W] ou M. [R] [C],
- les condamner in solidum à la somme de 477.203 € de dommages et intérêts au bénéfice de la Sci Janus pour les préjudices causes à celle-ci, à savoir :
- préjudice au 31 décembre 2013,298.080,80 € au titre de la non revalorisation des loyers et de la baisse des loyers dans le cadre du bail de janvier 2008, jusqu'au 31 décembre 2013,
- préjudice pour les années 2014, 2015 et 2016, 42.707 € par an, soit 128.121 €,
- 16.563 € au titre de l'absence d'encaissement du dépôt de garantie,
- 34.439 € au titre des charges non refacturées,
- condamner M. [D] [W] et M. [R] [C] in solidum à la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts au bénéfice de Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] pour les préjudices causes à ceux-ci,
- condamner M. [D] [W] et M. [R] [C] in solidum à la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice solidaire des demandeurs,
- condamner M. [D] [W] et M. [R] [C] in solidum aux entiers dépens afférents à l'instance, distraits pour ceux d'appel au profit de la Sep BADIE SIMON-THIBAUD & JUSTON, avocats.
Les consorts [M] font valoir qu'ils n'agissent pas en leur qualité d'associés mais dans le seul intérêt de la société en exerçant en réalité l'action ut singuli.
Par leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 29 avril 2015, M. [D] [W], M. [R] [C] et la Sci Janus à la cour de :
- vul 'article 1843-5 du code civil,
- constater que les consorts [M] ne rapportent pas la preuve d'une quelconque faute de gestion ayant causé un préjudice à la Sci Janus,
- les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 26 mai 2014,
- condamner solidairement Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] au paiement de la somme de 6.000 € au profit de M. [D] [W], M. [R] [C] et la Sci Janus au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Charles TOLLINCHI, avocat.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 3 juin 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu qu'un associé peut exercer l'action sociale en responsabilité à l'encontre d'un dirigeant en fonction lorsque la faute de celui-ci a causé un préjudice à la société ;
Que Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U], associés de la SCI Janus depuis le 26 novembre 2008 et qui reprochent aux gérants d'avoir commis des fautes de gestion, sont recevables à exercer l'action ut singuli prévue à l'article 1843-5 du Code civil ;
Attendu que les consorts [M] reprochent aux gérants d'avoir commis des fautes de gestion dans les rapports de la société avec sa locataire, la SA Audit Conseil Gestion, en ne lui réclamant pas de dépôt de garantie, en n'ayant jamais révisé le loyer comme le prévoit le bail commercial, en lui consentant une diminution du loyer lors du renouvellement de bail en 2008, en ne répercutant pas sur elle totalité des charges lui incombant et en lui accordant des délais de paiement sans contrepartie ;
Mais attendu qu'indépendamment du fait que les consorts [M] tirent leurs droits d'une donation d'un ancien associé de la SCI JANUS qui n'a pas jugé utile pendant des années de remettre en cause les conditions d'exécution du bail intervenu dans le cadre classique d'une société commerciale dont les associés sont également ceux de la société civile immobilière propriétaire des murs dans lesquels la société commerciale exerce son activité, ceux ci font totalement abstraction, certes du lien unissant les deux sociétés et de l'intérêt pour chacune de ne pas provoquer la disparition de l'autre sachant notamment que le loyer constitue la seule source de revenu de la société civile immobilière, mais également des conditions du marché immobilier ;
Que les consorts [M] ne peuvent soutenir que la société aurait subi un préjudice sans démontrer, autrement que par l'application d'une formule, que la décision de ne pas appliquer la clause de révision du loyer constitue une décision de gestion contraire à l'intérêt de la société d'un point de vue économique, comme comptable ou fiscal ;
Qu'il n'appartient pas aux gérants de la SCI de se justifier d'une décision mais aux consorts [M] de démontrer la prétendue faute de gestion puis d'établir le préjudice qui en serait résulté ;
Que s'agissant du nouveau bail conclu en 2008 pour satisfaire à l'article 15 des statuts de la SCI, les consorts [M] ne produisent aucun élément de nature à faire échec à l'argument des intimés selon lequel le loyer a été fixé sur la base du prix du mètre carré de locaux similaires dans le même immeuble et pour des locataires exerçant la même activité, et de nature à démontrer qu'en réalité, ce loyer ne correspondrait pas au marché immobilier ;
Que le préjudice de la société ne peut résulter du seul constat d'une baisse de loyer mais d'un loyer d'un montant nettement inférieur à celui auquel pourrait prétendre le bailleur en considération de l'état du marché locatif ; que la décision de gestion doit également s'inspirer de l'intérêt économique et notamment de la nécessité de pérenniser un revenu ;
Que de même, il n'appartient pas aux consorts [M] de seulement relever que le dépôt de garantie n'a pas été réclamé, ce qui peut certes constituer une faute de gestion que les liens unissant les deux sociétés doit toutefois conduire à relativiser, mais d'établir quel préjudice il en est résulté pour la société ; qu'il n'est pas démontré notamment que la société locataire est défaillante dans le règlement des loyers ou qu'il existe un risque d'impayés du fait de sa situation financière ;
Qu'à l'occasion du renouvellement du bail en 2008, les parties sont d'ailleurs convenues que le dépôt de garantie serait versé à première demande, or les consorts [M] ne démontrent pas qu'une circonstance particulière aurait justifié depuis, qu'il soit fait obligatoirement application de cette clause dont l'existence ne constitue pas en elle-même une faute de gestion et le tribunal a par ailleurs relevé à bon droit que la révision qui devait intervenir en 2011 a bien été opérée comme en atteste le montant des loyers comptabilisés au titre de l'exercice clos en 2011;
Attendu que s'agissant du reproche relatif à la récupération des charges auprès du locataire, les intimés, qui arguent à bon droit de ce qu'ils ont recours à la méthode de récupération des charges pratiquée par les syndics qui exclut les honoraires ainsi que les assurances et les travaux immobiliers, produisent un décompte duquel il résulte un écart de 363,47 € qui n'est pas représentatif d'une faute de gestion ;
Qu'il résulte par ailleurs des pièces versées aux débats et des éléments fournis par les intimés que ce que les consorts [M] qualifient de délais de paiement pour servir le moyen tiré d'une faute de gestion, correspond en réalité à des retards de paiement concomitants aux pourparlers engagés avec le groupe TRIAL qui ont par la suite été régularisés ; qu'il n'est pas démontré qu'il en est résulté un préjudice pour la SCI JANUS, comme dans le cadre de l'activité annexe et marginale de domiciliation de nature au contraire à enrichir la société ;
Attendu que les consorts [M] font également grief aux gérants de ne pas tenir les assemblées générales, sans vraiment préciser si ce moyen relève de l'action personnelle des associés, ce que laisserait à penser le visa des articles 1855 et 1856 du Code civil, ou de l'action sociale ;
Qu'en tout état de cause, il relevé que depuis que les consorts [M] sont associés de la SCI, des assemblées générales se sont tenues et bien que régulièrement convoqués, ils ne s'y sont pas présentés ou fait représenter et s'agissant de la période antérieure, il n'est toujours pas démontré en quoi il en serait résulté un préjudice pour la société ;
Qu'en conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U] à payer à M. [D] [W], M. [R] [C] et la Sci Janus la somme de trois mille euros (3000 €) ;
Condamne Mme [E] [K] épouse [M], M. [J] [M] et Mme [I] [M] épouse [U]aux dépens distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT