COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT EN MATIÈRE RÉGLEMENTAIRE
DU 17 SEPTEMBRE 2015
DT
N° 2015/15D
Rôle N° 14/21796
14/23041
[H] [Q]
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE MARSEILLE
MINISTERE PUBLIC AIX EN PROVENCE
Grosse délivrée le :
à :
Me Julia BRAUNSTEIN
Décisions déférées à la Cour :
Délibérations du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Marseille en date du 2 octobre 2014 qui modifie l'article 21 du règlement interne du barreau de Marseille et instaure un vote télématique et en date du 09 septembre 2014 acceptant le passage au vote électronique.
APPELANT
Maître Bernard KUCHUKIAN
avocat au barreau de MARSEILLE
demeurant [Adresse 1]
comparant en personne
INTIME
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE MARSEILLE,
Maison de l'avocat
[Adresse 2]
représenté par Me Julia BRAUNSTEIN, avocat au barreau de MARSEILLE, membre du conseil de l'ordre.
En présence du
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
PRÈS LA COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
[Adresse 3]
représenté par Monsieur Thierry VILLARDO, Avocat général
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue en audience publique, à la demande des parties , le 26 juin 2015 en audience solennelle tenue dans les conditions prévues par l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire devant la Cour composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
M. Jean-Jacques BAUDINO, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
Mme Marie-José DURAND, Conseiller
M. Benoît PERSYN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Septembre 2015.
Ministère Public : Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général, présent uniquement lors des débats
ARRÊT
Contradictoire
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Septembre 2015.
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. Dominique TATOUEIX , Conseiller, est entendu en son rapport,
Me Bernard KUCHUKIAN, appelant, est entendu au soutien de son appel,
Me Julia BRAUNSTEIN, représentant le Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Marseille est entendu en ses observations,
M.Thierry VILLARDO, avocat général, est entendu en ses réquisitions,
Me [H] [Q] a eu la parole en dernier.
Sur quoi, les débats sont déclarés clos et l'affaire mise en délibéré, les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe de la cour le 17 septembre 2015.
Le 9 septembre 2014, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Marseille a voté la résolution suivante : " le conseil de l'ordre accepte-t-il le passage au vote électronique : approbation par 11 voix contre 3 et 4 abstentions ".
Me [H] [Q] a saisi le bâtonnier d'un recours préalable contre cette délibération par lettre du 27 octobre 2014.
Faute de réponse du bâtonnier , et par lettre du 1er décembre 2014, Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de Marseille, a formalisé un recours contre cette délibération du 9 septembre 2014, mentionnée par erreur du 2 septembre 2014, en ce qu'elle lèse ses intérêts.
Par délibération du 2 octobre 2014, le conseil de l'ordre a modifié l'article 29 du réglement intérieur du barreau de Marseille sur le vote, instaurant le vote télématique.
Me [H] [Q] a saisi le bâtonnier d'un recours préalable à propos de cette délibération par lettre du 14 octobre 2014.
Ces deux dossiers sont examinés ensemble.
Par lettre du 17 novembre 2014, Me [H] [Q], a formalisé un recours contre une délibération du Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille en date du 2 octobre 2014 qui modifie l'article 21 du règlement interne du barreau de Marseille et instaure un vote télématique, dématérialisé, « sauf décision contraire du conseil de l'ordre ».
Me Bernard KUCHUKIAN, le Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille, le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille et le Procureur général près la cour d'appel d'Aix en Provence ont été convoqués le 6 février 2015 pour l'audience solennelle du 29 mai 2015 à 9h00, renvoyée à l'audience solennelle du 26 juin 2015 à 9h00.
Par ses dernières conclusions datées du 20 mai 2015 et déposées le 22 mai 2015, Me [H] [Q] demande à la cour de :
Annuler ensemble la délibération du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Marseille du 9 septembre 2014 en ce qui concerne sa décision de principe concernant le vote par voie électronique, et aussi celle du 2 octobre 2014 modifiant l'art. 21 du règlement intérieur dudit barreau.
Me [H] [Q] fait valoir que :
- plusieurs Etats européens ont abandonné le vote électronique en raison de ses dangers et imprécisions
- il n'est pas rapporté la preuve de la possibilité pour les avocats de vérifier le processus de dépouillement sans nécessité d'une compétence technique,
- les deux décisions attaquées ne contiennent aucune mention de communication préalable à la CNIL, or toute opération de constitution d'un fichier numérique collectif doit donner lieu à intervention de la CNIL, soit par avis préalable obligatoire comme le conseil de l'ordre aurait dû le faire au cas d'espèce, soit par simple déclaration, ce dont ne font même pas état les délibérations attaquées,
- le conseil de l'ordre produit un message courriel adressé le 7 mai 2015 par Mme [J], juriste de la CNIL, selon lequel, sans que l'on sache si cet avis engage la CNIL, il n'y aurait pas lieu ici à avis préalable, or dans sa réponse du 20 mai 2015 à la question qui lui était alors posée le 15 mai 2015 de savoir s'il n'y avait pas au moins lieu à déclaration préalable, Mme [J] a précisé qu'il s'agit d'un traitement relevant généralement du régime de déclaration normale, ce qui n'exclut pas la faculté de saisir la commission pour formuler un avis sur un projet de texte envisageant le principe d'un traitement de données à caractère personnel.
Par ses dernières conclusions déposées le 29 mai 2015, dont le caractère contradictoire n'est pas contesté, le conseil de l=Ordre des Avocats au Barreau de Marseille demande à la cour de :
Vu la loi du 31 décembre 1991,
Vu le décret du 27 novembre 1991,
Vu l'article 16 du décret du 27 novembre 1991,
Dire et juger que c'est sans excéder ses pouvoirs que le Conseil de l'Ordre a pris la délibération du 09 septembre 2014 par laquelle il a été, conformément aux dispositions des articles 5 à 12 du décret du 27 novembre 1991 et 17 de la loi du 31 décembre 1991, décidé de l'utilisation du vote à distance au moyen du dispositif électronique.
Vu la loi du 06 janvier 1978 relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 03 octobre 2005,
Vu l'arrêt confirmatif de la Cour de cassation du 27/09/2006,
Dire et juger que les délibérations du Conseil de l'Ordre par lesquelles il a été, conformément aux dispositions des articles 5 à 12 du décret du 27 novembre 1991 et 15 de la loi 31 décembre 1971, décidé de la modification du règlement intérieur conséquence de l'utilisation du vote à distance au moyen du dispositif électronique échappent au régime de l'autorisation administrative préalable prise après avis publié et motivé de la CNIL, prévu par l'article 27 de la loi du 06 janvier 1978 modifiée par la loi du 06 avril 2004,
Dire et juger qu'au contraire, le régime applicable est celui de la déclaration simplifiée prévue aux dispositions de l'article 22 et 23 de la loi du 06 janvier 1978 modifiée par la loi du 06 avril 2004,
Constater que le cahier des charges du prestataire de services choisi prévoit la réalisation de cette déclaration simplifiée laquelle doit être réalisée préalablement à l'organisation de l'élection, et alors même que de telles opérations ont été validés par la Cour d'appel et la Cour de cassation.
Dire et juger que la cour d'appel ne dispose que d'un contrôle de légalité et non d'opportunité sur les délibérations du Conseil de l'ordre.
Débouter en conséquence Maître [Q] de ses demandes, fins et conclusions, et le condamner à régler au concluant une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens d'instance.
Le conseil de l=Ordre des Avocats au Barreau de Marseille fait valoir que :
- en application de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 et 6 du décret du 27 novembre 1991 et tel que la jurisprudence l'a déjà jugé, c'est bien sans excéder ses pouvoirs qu'il a décidé du principe de l'utilisation du vote à distance au moyen du dispositif électronique et a ultérieurement modifié en conséquence le règlement intérieur,
- le conseil de l'ordre a pris une décision sur le fondement d'une proposition technique précédemment validée par la jurisprudence et respectant parfaitement les principes fondamentaux qui commandent les opérations électorales dès lors que le prestataire de services choisi adopte une solution technique identique à celle mise en place pour le vote à distance au moyen du dispositif électronique au barreau de Paris, de Nanterre ou encore de Lyon,
- la saisine pour avis n'est pas un préalable indispensable en matière d'élections ordinales pour une profession réglementée comme le confirme Mme [D] [J], juriste à la CNIL, dans son mail du 7 mai 2015 et la réglementation applicable est donc bien celle prévue par les dispositions de l'article 22 de la loi du 6 janvier 1978, soit la réalisation d'une déclaration dans les formes et conditions prévues par l'article 23 de ladite loi,
- une telle déclaration ne doit être faite qu'au jour où le traitement de données va intervenir,
- en réalité, il était prévu de procéder à une déclaration auprès de la CNIL avant la mise en 'uvre du traitement automatisé des données mais au stade de la seule décision de principe d'user du vote électronique, la saisine de la CNIL était parfaitement inutile, étant rappelé qu'en tout état de cause, la CNIL n'est pas le juge de la validité du scrutin, y compris par un contrôle a priori,
- et quand bien même une déclaration préalable aurait dû être faite, l'absence de déclaration n'a pas pour conséquence l'irrégularité de la délibération, conforme à l'article 5 du décret du 27 novembre 1991, mais ne pourrait être éventuellement opposée que pour contester les élections.
Le ministère public a conclu le 31 mars 2015 à l'annulation de la délibération du Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille en date du 9 septembre 2014, mais seulement concernant la décision relative au vote par voie électronique en faisant valoir que si le Conseil de l'Ordre a pris soin d'écouter une présentation préalable du dispositif informatique prévu, il apparaît néanmoins, selon une délibération 2005-272 du 17 novembre 2005 émise par la CNIL et concernant le Barreau de Paris, que le Conseil de l'Ordre ne peut décider la mise en 'uvre d'un vote par voie électronique, impliquant le traitement de données parmi lesquelles figurent des identifiants de personnes physiques, sans avis préalable de la commission, ajoutant que pour autant, l'irrégularité constatée n'affecte pas toutes les dispositions de la délibération litigieuse, spécialement celles qui ne concernent pas le vote par voie électronique.
Le ministère public a transmis ses conclusions le 2 avril 2015 au Bâtonnier et au Président du Conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille.
Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Marseille, non comparant, n'a pas été entendu en ses observations.
MOTIFS DE LA DECISION
Il y a lieu d'ordonner jonction des procédures RG n° 14/217969 et 14/23041.
En application de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 et 6 du décret du 27 novembre 1991, il appartient au Conseil de l'Ordre d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur. C'est en conséquence sans excéder ses pouvoirs que le Conseil de l'Ordre a décidé, par délibération du 9 septembre 2014, du principe de l'utilisation du vote électronique à distance puis a modifié en ce sens le règlement intérieur par délibération du 2 octobre 2014.
Me [Q] fait valoir qu'il n'est pas démontré que tout avocat sera en mesure de vérifier techniquement le processus de dépouillement et argue de ce que plusieurs états européens ont abandonné le vote électronique en raison de ses dangers et de ses imprécisions.
Mais la cour d'appel, uniquement juge de la légalité des décisions du conseil de l'ordre, ne peut, sans excéder ses pouvoirs, apprécier l'opportunité de la résolution adoptée le 9 septembre 2014 par 11 voix contre 3 et 4 abstentions.
Me [Q] soutient ensuite qu'en ne requérant pas l'avis préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés 'CNIL', le Conseil de l'Ordre au Barreau de Marseille n'a pas satisfait aux formalités prescrites par la loi du 6 janvier 1978.
Mais la mise en place du vote électronique par un ordre professionnel relève des articles 22 et 23 de la loi du 6 janvier 1978 et non des articles 26,IV et 27,II,4° et III de ladite loi qui concernent les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat, d'une personne morale de droit public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public et à supposer que le barreau puisse être qualifié de personne morale de droit privé gérant un service public, en tout état de cause, le traitement ne porte pas sur des données parmi lesquelles figure le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques.
Le régime applicable est donc celui de la déclaration dans les formes et conditions prévues à l'article 23 de la loi du 6 janvier 1978.
Pour autant, la délibération 9 septembre 2014 n'était pas soumise à déclaration dans la mesure où sur question ainsi posée : « le conseil de l'ordre accepte-t-il le passage au vote électronique » le Conseil de l'Ordre au Barreau de Marseille a simplement soumis au vote de ses membres le principe de la mise en place du vote à distance par dispositif électronique alors qu'il résulte des termes des articles 22 et 23 de la loi du 6 janvier 1978 qu'une déclaration auprès de la CNIL n'est exigée qu'au moment de la mise en 'uvre effective du traitement automatisé des données à caractère personnel, sur la base du cahier des charges du prestataire technique, à un stade du processus qui implique l'archivage d'adresses électroniques et l'identification des votants, et non à l'occasion d'un simple vote de principe sur le passage au vote électronique.
Il en est de même pour la délibération du 2 octobre 2014 où le Conseil de l'Ordre a intégré au règlement intérieur le principe du vote électronique sur la base d'une proposition technique dont la délibération reprend simplement les grandes lignes. C'est avant de procéder à l'établissement du fichier de données que le responsable du traitement devra adresser à la CNIL la déclaration comportant l'engagement que ce traitement satisfait aux exigences de la loi et un manquement à cette obligation pourrait fonder une action en contestation mais à l'occasion des élections proprement dites.
Dans sa réponse du 20 mai 2015 dont se prévaut Me [Q], Mme [J], juriste à la CNIL, expose bien, d'ailleurs, que la saisine de la commission pour formuler un avis sur un projet de texte envisageant le principe d'un traitement de données à caractère personnel ne constitue qu'une faculté, ajoutant que chaque traitement de données doit faire l'objet d'une déclaration par le responsable de traitement préalablement à sa mise en 'uvre, non sans préciser que le principe de la mise en 'uvre d'un traitement n'est pas assimilable à la mise en 'uvre elle-même.
C'est donc au moment de la mise en 'uvre effective du traitement de données à caractère personnel que le Conseil de l'Ordre au Barreau de Marseille sera tenu de procéder à la déclaration préalable prévue aux articles 22 et suivants de la loi du 6 juillet 1978.
Les recours formées par Me [H] [Q] à l'encontre des délibérations en date des 9 septembre 2014 et 2 octobre 2014 doivent en conséquence être rejetés.
Il n'y a lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, après débat en audience publique,
Ordonne la jonction des procédures RG n° 14/217969 et 14/23041 ;
Rejette les recours présentés par Me [H] [Q] contre les délibérations rendues les 9 septembre 2014 et 2 octobre 2014 par le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Marseille ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT