COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 OCTOBRE 2015
G.T
N° 2015/
Rôle N° 14/16437
S.C.E.A. JEAN LECOCQ
C/
[K] [C]
SARL PRIMA LIEGE
Grosse délivrée
le :
à :BUVAT
SINELLE
NOURRIT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 23 Juillet 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/06372.
APPELANTE
S.C.E.A. JEAN LECOCQ, dont le siège social est [Adresse 3]
représentée par Me Robert BUVAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Jérôme BRUNET DEBAINES de la SCP BRUNET DEBAINES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,
INTIMEES
Mademoiselle [K] [C] à l'enseigne PRESTAVIN83, inscrite au RCS de Draguignan
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 1] (Danemark), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Olivier SINELLE, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Julien MEUNIER, avocat au barreau de TOULON avocat plaidant
S.A.R.L PRIMA LIEGE, représentée par son gérant en exercice, M. [S] [H], domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Didier NOURRIT de la SCP NOURRIT VINCIGUERA NOURRIT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, M.TORREGROSA, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Georges TORREGROSA, Président
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2015,
Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Les faits, la procédure et les prétentions
La société civile d'exploitation agricole Jean Lecocq a commandé début 2006 à la société prima Liège des bouchons en liège destiné au bouchage de sa production .
La société prima Liège a émis trois factures le 10 mars 2006, le 31 mars 2006 et le 16 mai 2006 d'un montant respectif de 391,09 euros, 1176,86 euros et 2124,10 euros.
La société Jean Lecocq n'a pas réglé ses factures, à l'exception de la première .
Par acte en date du 19 mai 2008, la société Jean Lecocq a assigné prima Liège devant le tribunal d'instance de Fréjus en indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de difficultés relatives à l'ouverture des bouteilles.
Une expertise a été ordonnée par jugement en date du 23 juin 2009 , étendue le 3 novembre 2009 à Madame [C] , exerçant sous l'enseigne Prestavin 83 , chargé de la mise en bouteilles de la production de la société Jean Lecocq .
Le rapport de l'expert Monsieur [F] a été déposé le 25 août 2011 .
Après jugement d'incompétence du tribunal d'instance, le tribunal de grande instance de Draguignan a statué contradictoirement en lecture d'expertise le 23 juillet 2014, et a jugé que les bouchons de prima Liège étaient affectés d'un désordre, mais constaté que la société Lecocq ne produisait pas de pièces permettant tribunal de chiffrer son préjudice ;
un débouté global a été prononcé , le tribunal faisant seulement droit à la demande de Madame [C] à hauteur de 3703,70 euros en principal, outre intérêts depuis le 21 janvier 2014 et capitalisation, outre 1800 € au titre des frais inéquitablement exposés .
La société civile d'exploitation agricole Lecocq a relevé appel de façon régulière et non contestée à l'encontre de prima Liège et de Madame [C], en date du 22 août 2014. Il sera fait application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'appelant conclu le 21 août 2015 et demande à la cour de confirmer sur la responsabilité mais de réformer sur le surplus en condamnant prima Liège lui payer :
' au titre de la perte de bouteilles 10'050 € ;
' au titre du débouchage 871,74 euros ;
' au titre de l'échange, 1112,53 euros ;
' au titre du préjudice commercial, 5000 €, ;
' au titre des frais inéquitablement exposés, 2000 € ;
Madame [C] sera déboutée de toutes ses demandes, la cour constatant que sa facture a été réglée. Prima Liège sera condamné aux dépens.
Madame [C] a conclu le 18 janvier 2015 à titre principal à l'irrecevabilité de l'appel de Lecoq à son endroit , et subsidiairement à l'irrecevabilité de toute demande à son endroit .
En État de cause, le jugement sera confirmé sur la condamnation prononcée, le taux des intérêts de droit applicable étant conforme aux dispositions de l'article L 441 ' 6 du code de commerce.
Le jugement sera confirmé sur les frais inéquitablement exposés, et la cour prononcera une condamnation à payer 3000 € au titre de dommages-intérêts du pour appel abusif, outre 3000 € pour les frais inéquitablement exposés en appel .
La société prima Liège, intimée , a conclu le 22 juin 2015 à la confirmation à la confirmation sur le débouté de la demande de dommages-intérêts de son adversaire, mais à la réformation pour le reste avec condamnation de la société Jean Lecocq à lui payer une somme de 3300,96 euros avec intérêts de droit depuis le 23 juin 2007 , outre 3000 € pour les frais inéquitablement exposés en premier ressort et 3000 € pour ceux d'appel .
L'ordonnance de clôture est en date du 1er septembre 2015 .
SUR CE :
Attendu que les demandes de la société Lecocq sont contenues au dispositif de ses conclusions qui reprennent le visa de l'article 1147 et de l'article 1641 du Code civil;
Attendu que les factures de Primaliége sont produites, portant sur des bouchons avec la mention « traitement silicone » , n'étant pas sérieusement contesté que des bouchons correspondant à cette commande ont été livrés ;
Attendu que le problème soumis à la cour se recentre donc sur l'éventuel vice caché affectant une partie de ces bouchons , ce qui ouvrirait droit à dommages-intérêts par application de l'article 1641 du Code civil , étant précisé que le caractère loyal de la facturation n'a jamais été contesté et que les correspondances du cabinet d'expert Gab Robins missionné par l'assureur de Lecoq procédaient par voie de compensation entre la facturation et les dommages;
Sur l'appel à l'égard de Madame [C] :
Attendu que les parties sont radicalement contraires , tant sur le vice des bouchons que sur son origine , ainsi que sur les conséquences en termes de dommages , étant précisé que tant en premier ressort qu'en appel , la société Lecocq ne sollicite aucune condamnation de Madame [C] (Prestavin ) , et qu'ainsi il ne peut être considéré que la phase d'embouteillage puisse être à l'origine des désordres constatés , Primaliége ne réclamant pour sa part aucune condamnation de Madame [C] , fût ce pour être relevé et garanti ;
Attendu que l'appel principal à l'encontre de Madame [C] est néanmoins recevable puisque la société Lecocq conteste la condamnation prononcée au profit de cette dernière au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que sur ce strict volet , la cour estime que la mesure d'expertise ordonnée ne pouvait que venir à l'appui de la résistance anormale des bouchons à l'ouverture , thèse soutenue par la société Lecocq qui pouvait donc difficilement faire l'économie d'une mise en cause de l'embouteilleur, fût ce à l'initiative du premier juge ;
Que dés lors que la responsabilité de l'embouteilleur est écartée , il était justifié que la partie succombant en premier ressort supporte les frais irrépétibles de Madame [C] , ce qui sera confirmé si l'appel principal de la société lecocq se révèle non fondé ;
Sur l'appel principal de la société Lecocq à l'encontre de prima Liège :
Attendu que le propre d'une expertise judiciaire et d'éclairer le juge , après un débat contradictoire loyal et complet ;
Attendu qu'il suffit de lire avec attention l'expertise judiciaire pour établir qu'elle n'a pas été menée à son terme par suite d'un défaut de consignation supplémentaire incombant à la société Lecocq ;
Attendu qu'un seul accedit a été mené, dont il semble résulter que sur 20 bouteilles examinées, une bouteille s'est révélée difficile à déboucher, une autre très dure et six autres difficiles , sans qu'à aucun moment la qualité du vin ne soit mise en cause , la cour relevant d'ailleurs qu'aucune des pièces régulièrement communiquées par la société Lecocq ne fait état ou a fortiori ne démontre une perte de la qualité du vin , à l'exception de l'oxydation alléguée mais non démontrée par Monsieur Lecocq sur les bouteilles qu'il a tenté de reboucher ;
Attendu qu'en toute hypothèse, et s'agissant du dépôt opaque, Monsieur Lecocq lui-même a ajouté (page sept) qu'en matière de vin bio le dépôt de tartre est très fréquent , et qu'il a effectué des débouchages et des rebouchages des bouteilles sans enlever ce dépôt qui est caché par la capsule, pour limiter le préjudice commercial , le résultat du premier accedit ne l'empêchant nullement à l'époque de considérer que le préjudice portait sur 2676 bouteilles de rosé tradition et 2676 bouteilles de rosé Matisse haut de gamme.
Attendu que ce premier accedit s'est terminé en prévoyant un deuxième accedit (page sept), l'expert demandant les éléments comptables de la société Jean Lecocq sur les années 2003- 2007, les factures de 2006 pour les achats d'étiquette, achats de capsules, achats de cartons de transport et d'expédition, le nombre de restaurateurs et les livraisons effectuées du lot incriminé, les tarifs de vente des bouteilles de vin 2006, le mode de commercialisation de la société Lecocq en vente directe, ou restauration, caviste ou autres réseaux commerciaux ;
Attendu que l'expert en page neuf s'interrogeait sur les 2000 bouchons supplémentaires (6000 livrés , avec 4000 bouteilles litigieuses dont 2660 vendues après changement de bouchons, sans retour) , sur les justifications de ces quantités , le nombre total de bouchons achetés en deux mil six et le nombre total de bouteilles produites, quelle quantité vendue, quelle quantité stockée avec traçabilité de la production 2006;
Attendu que toutes ces questions ne sont nullement résolues au présent stade du litige, puisque le rapport a été déposé en l'état , sans nouvel accedit, et que les pièces comptables non autrement commentées , sinon dans un sens contraire par prima Liège, et non examinées par l'expert judiciaire ne permettent en aucun cas d'établir un lien direct entre le vice allégué des bouchons et un préjudice commercial calculé en se référant à un résultat net d'exploitation normale ;
Que tous les paramètres d'évaluation comptable manquent en fait ;
Et attendu que s'agissant de l'examen technique des bouchons, suite au premier et unique accedit, il est assez original de relever dans l'expertise judiciaire (page 13) que six bouteilles ont été expédiées à un laboratoire sapiteur (CEVAQOE ) , mais que trois bouteilles se sont cassées durant le transport, ayant pu néanmoins être analysées car la partie haute ne s'est pas brisée !
Attendu que sur ce lot de six bouteilles , le sapiteur Monsieur [Z] n'a pas noté de difficultés de débouchage, les forces d'extraction sont normales , sachant qu'un dépôt blanc apparaît sur le col des bouteilles ;
Attendu que que le sapiteur indiquait que ce dépôt provient des produits de revêtement et de traitement des surfaces des bouchons, et qu'il convenait dans un premier temps de se faire communiquer les fiches techniques des produits employés par le bouchonnier, et dans un second temps d'analyser éventuellement au plan chimique le dépôt;
Attendu que ces investigations n'ont jamais eu lieu , la question n'étant nullement résolue de façon certaine à partir de l'analyse théorique en page 13 et 15 par l'expert , qui estime que son avis est corroboré par celui de Monsieur [Z], en matière de dépôt opaque , ce qui ne résulte nullement d'une lecture précise des conclusions du sapiteur;
Attendu qu'en matière d'extraction des bouchons , aucune certitude ne se déduit des travaux de l'expert (page 16 ), eu égard à la petitesse de l'échantillon examiné lors de l'accedit, et aux résultats mêmes de cet accedit , ainsi qu'aux constatations du sapiteur , quelle que soit la lecture que l'on peut faire du rapport [G] à la demande de prima Liège, antérieure à l'expertise judiciaire , rapport qui n'est pas plus significatif que celui de l'expert de l'assureur de l'associé Lecocq;
Attendu qu'en toute hypothèse, l'expert a été formel en page 17 sur l'impossibilité de chiffrer le préjudice , ce qui ne saurait être pallié en cause d'appel par quelques attestations de restaurateurs, sans aucune précision chiffrée, qui ne font d'ailleurs état que de difficultés de débouchage et non d'un dépôt de nature à altérer la qualité du vin;
Attendu que de même les pièces comptables, sans aucun rapport d'un expert comptable ou d'un commissaire aux comptes , ne permettent pas de chiffrer un quelconque préjudice en relation directe avec les défauts allégués des bouchons ;
Attendu qu'enfin, le procès-verbal de constat du 5 novembre 2014 ne démontre rien en termes de préjudice , ce dernier ne pouvant résulter que d'une analyse comptable contradictoirement débattue , mettant en relief une perte de résultat net de l'exploitation en relation directe avec les défauts allégués des bouchons , et donc une perte sur les bouteilles correspondantes ;
Attendu que c'est donc une confirmation qui s'impose sur l'impossibilité de chiffrer le préjudice à tout le moins, qui n'est que le résultat , au vu des règles régissant le rapport de la preuve en matière civile , de l'incomplétude de l'expertise judiciaire, par suite d'un défaut de consignation incombant à la société Lecocq ;
Attendu qu'en revanche la facturation réclamée par prima Liège n'est pas contestée dans son quantum et doit prospérer , par réformation du premier jugement sur ce point ;
Attendu que le jugement sera confirmé s'agissant des condamnations prononcées au bénéfice de Madame [C], le principal consistant dans la facturation de l'embouteillage n'étant pas contesté , et la condamnation à frais irrépétibles en premier ressort devant être confirmée puisque l'appel principal ne prospère pas , une somme supplémentaire de 600 € devant être allouée pour les frais irrépétibles exposés en appel par Madame [C];
Attendu qu'une somme de 1200 € est justifiée au bénéfice de primaliége, pour les frais irrépétibles exposés en appel;
Attendu que les entiers dépens seront à la charge de la société Lecocq;
PAR CES MOTIFS, LA COUR statuant contradictoirement :
Déclare l'appel principal infondé ;
Déclare l'appel incident de primal Liége partiellement fondé ;
Statuant à nouveau de ces seuls chefs ,
Dit et juge que la démonstration n'est pas rapportée d'une défectuosité des bouchons ouvrant droit à dommages-intérêts , lesquels ne sont pas suffisamment justifiés dans leur lien direct et dans leur quantum ;
Condamne la société Jean Lecocq à payer à la société prima Liège une somme de 3300,96 euros avec intérêts de droit à compter du 23 juin 2007 ;
Confirme pour le surplus le jugement de premier ressort ;
Condamne l'appelante aux entiers dépens de premier ressort et d'appel dont ceux d'expertise, outre le paiement à Madame [C] d'une somme de 600 € et à la société prima Liège d'une somme de 1200 euros au titre des frais inéquitablement exposés en appel , avec bénéfice pour ces deux sociétés des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .
LE GREFFIER LE PRESIDENT