COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 19 NOVEMBRE 2015
N° 2015/612
Rôle N° 13/11136
[G] [M] [R] [Z]
[J] [C] épouse [Z]
C/
SA AXA FRANCE VIE
SA CREDIT FONCIER DE FRANCE
Grosse délivrée
le :
à :JUSTON
BOULAN
ROUSSEL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 02 Mai 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/07754.
APPELANTS
Monsieur [G] [M] [R] [Z]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [J] [C] épouse [Z]
née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 1], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
SA Axa France Vie prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège est sis [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Béchir ABDOU, avocat au barreau de MARSEILLE substituant de Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
SA Crédit Foncier de France prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège est sis [Adresse 1]
représentée par Me Hubert ROUSSEL de l'ASSOCIATION CABINET ROUSSEL-CABAYE, avocat au barreau de MARSEILLE assistée de Me Marie-joseph ROCCA-SERRA, avocat au barreau de MARSEILLE substituant Me ROUSSEL, avocat
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Hélène COMBES, Président
Madame Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2015,
Signé par Madame Hélène COMBES, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
[G] [Z] et [J] [C], son épouse, étaient et sont toujours propriétaires d'un appartement situé 5 traverse du 12 juin 1944 à [Adresse 4], acquis au moyen d'un prêt contracté auprès de la Banque Postale.
Suivant offre du 1er avril 2008, la SA Crédit Foncier de France a consenti aux époux [Z], pour financer la construction d'un bien sis à [Adresse 5], deux prêts :
- le premier, sous seing privé, consistant en un crédit relais, d'un montant de 155.000 €, au taux fixe de 5 %, d'une durée de deux ans, destiné à financer l'opération projetée en anticipant la disponibilité des fonds à provenir de la vente du bien sis à Charleval 5 traverse du 12 juin 1944, et à rembourser immédiatement à hauteur de 70.110 € le capital restant dû sur ce bien,
- le second, réitéré par acte authentique en date du 10 juillet 2008 reçu par Maître [S] [T], notaire associé de la société civile professionnelle [N] [W] et [S] [T], titulaire d'un office notarial à La Roque d'Anthéron (Bouches-du-Rhône), étant un prêt à l'accession sociale PAS Liberté, d'un montant de 144.000 €, au taux fixe de 5 %, remboursable en 300 mensualités de 841,81 €.
Les assurances des emprunteurs ont été souscrites auprès de la compagnie AXA France Vie.
À l'expiration du prêt relais, le 6 août 2010, la SA le Crédit Foncier de France a octroyé aux emprunteurs un délai supplémentaire de six mois, reconduit au 6 mars 2011, puis au 6 septembre 2011, ce sous réserve de l'inscription d'une hypothèque sur l'immeuble de Charleval.
La SARL Maison du Sud, à laquelle les époux [Z] avaient confié la réalisation de leur chantier, a été placée en liquidation judiciaire.
Les époux [Z] ont déclaré leur créance entre les mains de Maître [A], liquidateur judiciaire, pour un montant total de 54.170,39 € le 17 septembre 2010.
Par exploits du 25 mai 2011, ils ont fait assigner en responsabilité la SA le Crédit Foncier de France, la SA AXA France Vie, et la SCP [W]-[T] devant le tribunal de grande instance de Marseille.
Par jugement du 2 mai 2013, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- rejeté l'ensemble des prétentions présentées par [G] [Z] et [J] [C] épouse [Z],
- mis hors de cause la SCP [W]-[T],
- condamné solidairement [G] [Z] et [J] [C] à payer à la SA Le Crédit Foncier de France la somme de 191.236,82 € avec intérêts conventionnels de 5 % à compter du 15 novembre 2012,
- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil,
- rejeté toutes autres conclusions,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné solidairement [G] [Z] et [J] [C] à payer à la SA le Crédit Foncier de France la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement [G] [Z] et [J] [C] à payer à la SA AXA France Vie la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement [G] [Z] et [J] [C] aux entiers dépens.
Suivant déclaration du 28 mai 2013, les époux [Z] ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 24 juin 2013, le magistrat de la mise en état a constaté le dessaisissement partiel de la cour concernant la SCP [W]-[T] suite au désistement d'appel des époux [Z] à l'encontre de cette intimée.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 12 décembre 2013, les appelants demandent à la cour de :
- réformer la décision entreprise,
- dire irrecevable l'action du prêteur au titre du prêt relais d'un montant initial de 155.000 €, accepté le 22 avril 2008,
- constater que le bénéfice de la prescription leur est acquis,
au visa des articles 1134 et 1147 du code civil et des articles L231-10 et L231-7 du code de la construction et de l'habitation,
- dire que le prêteur était tenu de vérifier l'existence des mentions de l'article L231-2 dans le contrat de construction,
- constater que le Crédit Foncier était tenu d'une obligation de vigilance dans le déblocage des fonds au constructeur,
- dire que le prêteur est responsable de l'inexistence d'une garantie financière de livraison,
- constater qu'il n'a pas respecté cette obligation,
- constater qu'ils ne peuvent habiter la maison qu'ils projetaient de construire,
- constater qu'ils ne perçoivent aucune allocation au titre de l'aide personnalisée au logement,
- constater que la maison ne peut plus être achevée,
- condamner le Crédit Foncier au paiement de la somme de 205.084 € à titre de dommages-intérêts,
- condamner le Crédit Foncier au paiement de la somme de 3.000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Badie-Simon-Thibaud & Juston, avocats associés.
Par conclusions notifiées et déposées le 28 octobre 2013, la SA AXA France Vie demande à la cour de :
- constater qu'aucune demande n'est formulée à son encontre,
- condamner les requérants à lui verser une somme de 1.500 € en raison de la procédure abusive diligentée à son encontre,
- dire qu'elle s'en remet à justice concernant le litige opposant les époux [Z] au Crédit Foncier auquel elle est parfaitement étrangère,
- condamner tout succombant au paiement d'une somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL Boulan Cherfils Imperatore, avocat.
Par ses dernières conclusions notifiées et déposées le 16 janvier 2014, la SA Crédit Foncier de France demande à la cour de :
- débouter [G] [Z] et [J] [C] épouse [Z] de l'intégralité de leurs demandes,
- confirmer entièrement le jugement de première instance sauf son appel incident,
- dire que l'article R 231-7 du code de la construction et de l'habitation invoqué par les époux [Z] est inapplicable,
- dire que les parties n'ont pas convenu d'une soumission volontaire au dispositif de l'article R231-7 du code de la construction et de l'habitation,
- dire qu'il n'était pas débiteur d'une obligation de conseil visant à indiquer aux époux [Z] qu'ils contractaient un contrat de construction individuel déguisé, faute de démontrer qu'il aurait eu en main un tel contrat global et alors qu'il apparaît au contraire que les phases de constructions étaient confiées à des entreprises différentes, sans lien apparent entre elles et sans gestion apparente par Maison du Sud de l'ensemble,
à titre subsidiaire, si la cour retenait une telle responsabilité,
- dire que les époux [Z] ne peuvent s'exonérer de leurs propres responsabilités et que le notaire devrait être jugé co-responsable,
- dire que, même si la cour retenait une faute du prêteur, les fautes des emprunteurs et du notaire l'exonéreraient de responsabilité ou au moins la diminueraient,
- dire en toute hypothèse que les époux [Z] ne caractérisent pas de préjudice indemnisable qui ne peut pas être équivalent au montant des prêts,
- dire qu'étant demandeurs, il leur revient de démontrer la consistance de leur préjudice directement lié à la faute reprochée au prêteur, en tenant compte notamment de l'acquisition de leur propriété, de la valeur résiduelle, et que, n'apportant aucun élément d'aucune sorte, ils sont défaillants dans l'établissement d'un préjudice réel, direct et certain, ce qui ne peut conduire qu'au rejet pur et simple de leurs demandes,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné solidairement les époux [Z] à lui payer la somme de 191.236,82 €, montant du solde débiteur du prêt relais, outre intérêts conventionnels de 5 % l'an depuis le 15 novembre 2012 jusqu'à parfait paiement avec capitalisation annuelle,
- dire que l'article L 137-12 du code de la consommation ne s'applique pas aux crédits immobiliers, un crédit n'étant pas un service,
- dire que de toutes les façons la prescription a été interrompue par les conclusions du 17 avril 2012,
- condamner solidairement les époux [Z] à lui payer la somme de 2.000 € pour la procédure de première instance, celle de 2.000 € pour la procédure d'appel et les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 octobre 2015.
MOTIFS
Sur l'action en responsabilité à l'encontre du prêteur
Les époux [Z] reprochent à la SA Crédit Foncier de France de ne pas avoir respecté la règle, qu'elle s'imposait elle-même en soumettant le crédit qu'elle leur a consenti aux dispositions de l'article L231-1 du code de la construction et de l'habitation, prévoyant l'alignement du déblocage des fonds sur l'avancement des travaux.
Ils ajoutent que la banque aurait dû requalifier la convention en contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan, que, sur la base de son obligation d'information et de conseil, il ne pouvait lui échapper que l'acte passé entre eux et la société Maison du Sud était un véritable contrat de ce type.
L'intimée réplique que l'article invoqué n'est applicable qu'aux contrats de construction de maison individuelle, que tel n'est pas le cas en l'espèce, la construction de la maison des époux [Z] s'étant produite par lots séparés exécutés par plusieurs entreprises, qu'au surplus les appelants ne versent aux débats aucun contrat de construction de maison individuelle, que leur prétention selon laquelle la convention de prêt comporterait une soumission volontaire à l'article L231-1 du code de la construction et de l'habitation n'est pas sérieuse, les dispositions particulières l'emportant sur les conditions générales, que l'article L231-10 de ce même code ne met pas à la charge du prêteur de deniers l'obligation de requalifier en contrat de construction de maison individuelle le document qui lui est soumis et que le prêteur ne peut s'immiscer dans la convention passée entre le constructeur et le maître de l'ouvrage.
Les dispositions de l'article R231-7 du code de la construction et de l'habitation relatives aux plafonds de déblocage des fonds qu'invoquent les époux [Z] ne s'appliquent effectivement qu'aux contrats de construction de maison individuelle avec fourniture de plan conformément aux dispositions de l'article L231-1 du même code.
Or, en l'espèce, des pièces, qui ne comportent pas un tel contrat, que versent aux débats les appelants, il résulte que la construction envisagée par ces derniers devait s'effectuer dans le cadre de différents marchés conclus avec plusieurs entreprises.
Ainsi, les lots «gros 'uvre», «cloisons doublage et isolation des combles», «charpente couverture», «enduit de façade», «plomberie-réseau vs», et «plancher chauffant géothermie» ont été confiés à la SARL Maison du Sud, le lot «pose menuiserie+mise à jour» à MSM Maison du Menuisier, le lot «menuiserie» à la SA CD Menuiserie, et le lot «électricité+réseau informatique+gaine EDF-PTT» à l'EURL J.R.M.
Et, il apparaît notamment au vu des documents produits que, contrairement à ce que soutiennent les maîtres de l'ouvrage, les marchés ayant pour objet les lots menuiserie, lesquels concernent donc des travaux de mise hors d'air de l'immeuble, ont bien été passés entre eux et, respectivement, MSM Maison du Menuisier et la SA CD Menuiserie.
L'argumentation des époux [Z], qui, sollicitant une requalification des éléments contractuels, entendent se prévaloir d'un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan conclu avec Maison du Sud, doit en conséquence être rejetée.
A défaut de justifier d'un contrat de construction de maison individuelle avec, ou sans, fourniture de plan, les époux [Z] font valoir que les parties ont volontairement soumis le contrat de prêt du 27 mai 2008 aux dispositions de l'article L231-1 du code de la construction et de l'habitation.
Toutefois, il ne ressort pas des stipulations contractuelles liant les parties que celles-ci aient entendu se soumettre volontairement aux obligations légales résultant du texte précité.
En effet, si les conditions générales relatives à tous les prêts consentis par le Crédit Foncier font état, dans la rubrique «versements», des dispositions de l'article R231-7 du code de la construction et de l'habitation, la seule phrase : «leur montant dépendra de l'avancement des travaux, notamment dans les limites permises par les articles R231-7 et 8 du code de la construction et de l'habitation et conformément à l'échelle légale ou imposée par le garant de livraison», ne saurait suffire, eu égard à la formulation employée, s'agissant en particulier de l'utilisation de l'adverbe «notamment» et de la référence «à l'échelle légale ou imposée par le garant de livraison», à permettre de considérer que, de manière claire et non équivoque, la commune intention des cocontractants était de placer leurs relations sous le régime de l'article L231-1 du code de la construction et de l'habitation, alors même que les conditions particulières du dit prêt, indiqué comme destiné à financer une «construction sans contrat», n'y font aucunement allusion.
Dès lors, les griefs formulés par les appelants à l'encontre de la banque pour non respect des obligations résultant de l'application des dispositions liées à l'existence d'un contrat de construction de maison individuelle sont écartés, précision faite qu'il n'appartient pas à l'organisme prêteur de conseiller aux accédants à la propriété tel cadre contractuel plutôt que tel autre pour réaliser leurs projets de construction.
En conséquence, les époux [Z] sont déboutés de leur demande de dommages et intérêts, et le jugement confirmé de ce chef.
Sur l'action en paiement à l'encontre des emprunteurs
Pour s'opposer à la demande de la SA Crédit Foncier de France, qui sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il les a condamnés solidairement à lui payer la somme, outre intérêts, de 191.236,82 € correspondant au montant du solde débiteur du prêt relais, les appelants font valoir que, sur le fondement de l'article L137-2 du code de la consommation, la prescription de l'action du prêteur, qui n'a pour la première fois formulé sa demande que par conclusions du 9 novembre 2012, leur était acquise à la date du 22 avril 2012.
Si la portée générale des dispositions de l'article invoqué n'exclut pas de son champ d'application, contrairement à ce que soutient l'organisme prêteur, l'action des professionnels en matière de crédit immobilier, il reste qu'en l'espèce, la demande en paiement au titre dudit prêt a été présentée pour la première fois devant le tribunal, non par des conclusions du 9 novembre 2012, mais par des écritures signifiées le 17 avril 2012 ainsi qu'en justifient les pièces de procédure aux débats.
Dès lors, ainsi interrompue, la prescription dont entendaient se prévaloir les époux [Z] ne leur est pas acquise, et, la créance de la SA Crédit Foncier de France n'étant pas autrement contestée, le jugement est également confirmé à cet égard.
Sur la demande pour procédure abusive de l'assureur
S'il ne peut qu'être constaté qu'aucune demande n'est effectivement formulée à l'encontre de la SA AXA France Vie attraite en la cause par les époux [Z], il n'est pas pour autant établi que ces derniers ont laissé dégénérer en abus leur droit d'ester en justice.
Il n'y a donc pas lieu à quelconque indemnisation pour procédure abusive et l'assureur est débouté de sa demande à ce titre.
Sur les frais irrépétibles
Le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions, celles relatives aux frais irrépétibles de première instance comprises, il sera alloué, en cause d'appel, à chacune des intimées une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne les époux [Z] à payer à la SA Crédit Foncier de France la somme de 800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne les époux [Z] à payer à la SA AXA France Vie la somme de 800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne les époux [Z] aux dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT