COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 01 DECEMBRE 2015
N°2015/
NT/FP-D
Rôle N° 13/22516
[M] [C]
C/
SARL LES SENIORS
Grosse délivrée le :
à :
Me Yann ARNOUX-
POLLAK, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Stéphanie JACOB, avocat au barreau D'AIX-EN-
PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section AD - en date du 24 Octobre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1282.
APPELANT
Monsieur [M] [C], demeurant Chez [Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Yann ARNOUX-POLLAK, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SARL LES SENIORS, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie JACOB, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
M. [S] [H] (Gérant)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Novembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Madame Sylvie BLUME, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015
Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
M. [M] [C], atteint de surdité bilatérale, a été recruté par la SARL Les seniors qui gère une maison de retraite médicalisée dont le nom est « [Établissement 2] », située à [Localité 1], accueillant, notamment, des personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer, en qualité d'aide-soignant suivant contrat à durée déterminée pour la période du 20 au 21 juin 2011, puis a été définitivement embauché selon contrat de travail à durée indéterminée daté du 1er juillet 2011.
M. [M] [C] a été licencié, après mise à pied conservatoire notifiée le 23 août 2011, pour faute grave par lettre du 7 septembre 2011 ainsi rédigée :
« Lors de notre entretien préalable du 2 septembre 2011, au cours duquel vous étiez assisté de Mme [T] [G], aide médico-psychologique de notre établissement, et de Mme [Q] [A], interprète, nous vous avons rappelé les faits sur la base desquels nous avons engagé la présente procédure de licenciement pour faute grave à votre égard.
Afin de faciliter la compréhension des griefs à votre encontre, nous avions établi un écrit relatant l'ensemble des faits vous étant reprochés (maltraitance, non-respect du planning et des fiches de poste et non-respect de la hiérarchie de vos collègues) et vous permettant d'y répondre point par point.
Or, après lecture du document pour chacun des griefs et explication de notre part, vous avez signé le document mais avez refusé d'y apporter vos réponses écrites sauf pour le grief relatif au non-respect de la hiérarchie où vous avez porté la mention « on forme très mal une équipe ! ».
Nous vous avons précisé, lors de notre entretien, avoir constaté, à plusieurs reprises, que vous aviez commis des actes de maltraitance à l'égard de résidents de notre établissement.
En effet, le 19 août 2011, face au refus d'alimentation de Mme [X], vous vous êtes énervé, lui avez tiré les cheveux, l'avez faite pleurer et n'avez pas voulu lui laisser prendre son café à la fin du repas.
Le 20 août 2011, vous avez donné un coup sur la tête de Mme [F] car elle avait uriné par terre lors de son change.
Ce même jour, lors du coucher de Mme [X], vers 18h45, à la fin du premier service, vous l'avez levée de son fauteuil roulant brutalement et l'avait jetée sur son lit.
Le 21 août 2011, vous avez poussé le fauteuil roulant de Mme [N] si vite qu'elle était à la limite de tomber.
Votre brutalité a effrayé ces résidents lesquels pris de panique se sont mis à crier et à pleurer.
D'autres faits maltraitants antérieurs à ces dates nous ont été relatés par vos collègues de travail, à savoir, votre manque de patience qui vous a poussé à taper la main de M. [L] et la tête de
Mme [B].
Face à ces griefs graves de maltraitance, vous avez nié les faits sans apporter la moindre explication.
Nous vous avons ensuite relaté les griefs relatifs au non-respect du planning des fiches de poste.
En effet, vous ne respectez pas vos horaires de travail, arrivez souvent avec 5 à 10 minutes de retard ce qui perturbe l'organisation du service.
Tel a été le cas le 20 août dernier, vous est arrivé à 15heures 10 au lieu de 15 heures au moment du lever des résidents pour le goûter.
En outre, vous ne respectez pas vos fiches de poste.
Ainsi, vous avez refusé de doucher des résidents le souhaitant, notamment Mme [J].
Le 21 août 2011, vous avez bâclé votre travail, rempli vos fiches de suivi des résidents alors que 3 personnes de votre secteur n'étaient pas prêtes à 11 heures.
Par ailleurs, vous refusez régulièrement de venir en aide à vos collègues de travail et ne faites pas preuve d'esprit d'équipe.
Le 20 août 2011, vous demeuriez introuvable dans l'établissement pour installer les résidents pour le repas du midi à 11 heures 45 ainsi que le soir pour le premier service du repas à 18 heures alors même que vos horaires de travail ce jour-là était de 7 heures à 12 heures et de 15 heures à 20 heures.
Là encore, lors de l'entretien, vous avez nié ces faits sans aucune explication.
Enfin, nous vous nous avons reproché votre manque de respect vis-à-vis de la hiérarchie de vos collègues de travail.
En effet, vous ne respectez pas les directives de travail des infirmières.
Le 20 août 2011, l'infirmière nous a demandé de changer de secteur car au 2ème étage, de nombreuses résidentes, par pudeur, ne voulait pas qu'un homme s'occupe d'elles.
Vous avez refusé à plusieurs reprises et avait claqué les portes de colère.
Le 21 août 2011, vous n'avez pas voulu amener une résidente, Mme [N], aux toilettes du rez-de-chaussée malgré la demande insistante de la personne d'astreinte administrative responsable prétextant que vous vous occupiez d'une autre résidente, Mme [Z], avec une de vos collègues alors qu'elle seule suffisait.
Ce même jour, vous avez fait un doigt d'honneur à vos collègues de travail car vous n'aviez pas supporté les conseils et remontrances de celle-ci et avez mentionné qu'elle n'était pas chef.
Face à ces griefs de non-respect de votre hiérarchie de vos collègues de travail, vous avez seulement indiqué par écrit « on forme très mal une équipe ! » Sans vouloir donner plus de précision.
L'ensemble de ces faits perturbe gravement la bonne marche de notre société et nuit au bien-être, à la santé et la sécurité de nos résidents.
Nous ne pouvons donc tolérer plus longtemps de ce comportement de votre part qui constitue des actes graves de maltraitance. Face un tel constat, nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave(..) »
Contestant le bien fondé de son licenciement et sollicitant le paiement de diverses indemnités de rupture de son contrat de travail, M. [M] [C] a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en- Provence qui, par décision du 24 octobre 2013, a rejeté toutes ses demandes.
Par lettre reçue au greffe de la cour le 14 novembre 2013, M. [M] [C] a relevé appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation.
Il demande à la cour de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et abusif et de condamner la SARL Les seniors à lui remettre, sous astreinte, des documents sociaux rectifiés et à lui payer :
1 611,88 € à titre d'indemnité de préavis,
161,18 € au titre des congés payés afférents,
1 060,10 € à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied,
106,01 € au titre des congés payés afférents,
4 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des conditions vexatoires du licenciement,
3 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à ses obligations professionnelles,
2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL Les seniors conclut, au contraire, à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de M. [M] [C] à lui payer 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues oralement par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 4 novembre 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
1) La demande en dommages et intérêts pour absence de bonne foi contractuelle de l'employeur
Attendu que M. [M] [C] reproche à la société Les seniors d'avoir failli à son obligation de bonne foi contractuelle lors de l'entretien préalable au licenciement en ne le mettant pas en mesure de comprendre, en raison de son handicap auditif, les griefs qui lui étaient reprochés ; que cependant, la cour constate que lors de l'entretien préalable, M. [M] [C] était, d'une part, assisté par une salariée de l'entreprise et une interprète en langage des signes, et d'autre part, qu'il s'est vu remettre un document écrit de plusieurs pages comportant l'exposé des faits reprochés dont il a pris connaissance et saisi la portée ainsi qu'en témoignent les signatures et mention de sa main y figurant (pièce 5 de l'employeur) ; que sur interrogation de la cour, M. [M] [C] a d'ailleurs reconnu qu'il avait parfaitement compris, lors de l'entretien préalable, les griefs évoqués par l'employeur à qui il a adressé le seul reproche de ne pas avoir répondu de façon satisfaisante à ses questions ; qu'il est ainsi manifeste que la société Les seniors a bien correctement informé M. [M] [C], lors de l'entretien préalable, des motifs du licenciement envisagé et mis ce dernier en mesure de présenter ses explications ; qu'aucun manquement par la SARL Les seniors à son obligation de bonne foi contractuelle n'apparaissant ainsi devoir être constaté, la décision déférée ayant rejeté la demande en dommages et intérêts à ce titre sera confirmée ;
2) Sur les motifs du licenciement
Attendu que la lettre de licenciement datée 7 septembre 2011, qui fixe les limites du litige, reproche, à titre principal, à M. [M] [C] des actes de maltraitance dans l'exercice de ses fonctions d'aide soignant sur des résidents de la maison de retraite ; que la société Les seniors sur qui pèse la charge de prouver la faute grave, verse aux débats des attestations de collègues de travail de M. [M] [C] que la cour juge concordantes, suffisamment précises quant aux situations rapportées et crédibles, nonobstant l'existence, vainement objectée, d'un lien de subordination entre ces salariés et l'employeur, dont il résulte que M. [M] [C], au cours du mois d'août 2011, a :
-retourné avec brutalité la résidente [X] sur son lit lors de sa toilette (attestation [R] [O], pièce 7)
-levé avec brutalité de son fauteuil roulant et jeté sur son lit cette même personne au point de la faire hurler de peur (attestations [D] [U], [T] [V], pièces 6 et 8),
-poussé très rapidement le fauteuil roulant de Mme [N] au point de l'effrayer et de la faire pleurer (attestations [T] [V] et [T] [W], pièces 6 et 8),
-donné des tapes sur la tête et les mains des résidents [L], [B] et [X] (attestation [I] [E], pièce 10) ;
Attendu que M. [M] [C] ne saurait utilement reprocher à l'intimée de ne produire aucun témoignage de résidents de l'établissement, le grand âge et la pathologie psychique de ces derniers y faisant obstacle ; qu'en outre, il importe peu à la véracité des faits de maltraitance reprochés que l'employeur ait fait parvenir, ainsi qu'il lui est reproché, des signalements aux autorités de tutelle et une plainte au procureur de la République le jour même de la tenue de l'entretien préalable au licenciement, et à la suite desquels M. [M] [C] ,a d'ailleurs, fait l'objet d'un rappel à la loi qu'il a signé (pièce 26) et dont rien ne permet de retenir qu'il n'en aurait pas compris le sens et la portée ; que d'autre part, les attestations produites par M. [M] [C] (ses pièces 14), évoquant ses qualités humaines et professionnelles et rédigées par des résidents, leurs proches où des collègues de travail du nouvel établissement où il travaille, n'intéressent pas la maison de retraite [Établissement 1] » et sont donc sans valeur probatoire par rapport aux faits visés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations, les gestes et comportements maltraitants de M. [M] [C] qui ne sauraient être excusés par son handicap ou des difficultés, sans doute réelles, de communication, caractérisent à eux seuls, en raison de leur gravité - la santé et la sécurité de personnes très âgées et malades que l'employeur se devait de garantir, étant en jeu - une cause immédiate de rupture de la relation de travail ;
Attendu que sera ainsi approuvée la décision déférée ayant dit le licenciement pour faute grave justifié ; que toutes les demandes de M. [M] [C] seront, en conséquence, rejetées ;
Attendu qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges ayant dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité n'exige pas de faire application de ces dispositions en cause d'appel ;.
Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de M. [M] [C] qui succombe à l'instance ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 24 octobre 2013 ayant dit le licenciement pour faute grave de M. [M] [C] fondé et rejeté toutes les demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne M. [M] [C] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT
G. BOURGEOIS