COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 01 DECEMBRE 2015
N°2015/
NT/FP-D
Rôle N° 13/24640
Sarl MCH DISTRIBUTION
C/
[Z] [C]
Grosse délivrée le :
à :
Me Pierrick TRICOT, avocat au barreau de CLERMONT-
FERRAND
Me Nicolas BRANTHOMME, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AIX-EN-PROVENCE - section C - en date du 17 Octobre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 10/417.
APPELANTE
Sarl MCH DISTRIBUTION, à l'enseigne BABOU,, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Pierrick TRICOT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND ([Adresse 2])
INTIMEE
Mademoiselle [Z] [C], demeurant [Adresse 3]
comparante en personne, assistée de Me Nicolas BRANTHOMME, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Madame Sylvie BLUME, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015
Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [Z] [C] a été recrutée par la société Gabellier- Plan de Campagne, exploitant un fonds de commerce à l'enseigne « Babou » situé à [Adresse 4], en qualité d'employée libre service, suivant contrat de travail à durée indéterminée daté du 30 août 2000, transféré à la société MCH Distribution ayant obtenu la gérance du fonds à compter du 1er janvier 2007.
Mme [Z] [C] a été licenciée pour faute grave, après mise à pied conservatoire notifiée le 4 février 2010, par lettre du 3 mars 2010 ainsi motivée :
« (') Aussi, nous vous notifions par la présente votre licenciement disciplinaire pour faute grave pour les motifs suivants :
-propos injurieux et insultants à l'égard de collègues de travail,
-comportement agressif et inadapté au magasin
En effet, le 3 février 2010, vers 17 h 30, une de vos collègues de travail, Mme [C] [V] s'est rapprochée de Mme [F] [B] occupant la caisse n°1 afin de préciser le prix de certain articles du magasin.
Mme [F] [B] s'est adressée à sa collègue de travail et lui a déclaré qu'elle ne l'avait pas appelée au micro qu'il s'agissait d'une autre salariée occupant la caisse n °2. Le ton est alors monté entre Mmes [V] et [B]. C'est à ce moment que vous êtes intervenue.
Toutefois, au lieu de calmer la situation, vous l'avez envenimée faisant preuve d'une agressivité particulièrement injustifiée. Non seulement, sans raison valable, vous vous êtes vivement emportée, mais de plus vous avez alors proféré des insultes grossières à l'égard de Mme [C] [V] devant l'ensemble de la clientèle attendant de passer en caisse !
Dans ce contexte, nous avons été contraints de vous notifier votre mise à pied conservatoire et de vous convoquer par écrit à un entretien préalable fixé au 16 février 2010.
Or nous vous rappelons que le 3 juillet 2009 nous vous avions adressé un courrier d'avertissement sur votre comportement inadapté à l'égard de la clientèle (insulte et injures). Nous vous avions prévenu que nous ne saurions tolérer le renouvellement d'une telle conduite inacceptable. Malgré cette première sanction disciplinaire, vous avez persisté dans votre comportement agressif et injurieux.
Nous avons reçu en effet des plaintes de clients, notamment au mois de décembre 2009, sur votre attitude qu'il sont qualifiée (sic) de « déplacée, insultante et irrespectueuse » ! En effet, vous agressez verbalement les clients en les tutoyant.
De surcroît, au cours du mois de janvier 2010, nous avons été alertés par le gérant d'un commerce à proximité du magasin de l'agression physique et verbale que vous aviez commise sur l'un des serveurs pendant le service !
De même la société de gardiennage intervenant au magasin nous a informé de vos remarques désobligeantes à l'égard des vigiles. A nouveau, il vous était reproché une attitude irrespectueuse qui plus est devant la clientèle alors qu'à l'évidence il ne vous appartient pas de donner des ordres et consignes aux personnels de sécurité.
Vous n'avez pas su tenir compte de nombreuses mises en garde que nous vous avons adressées sur la nécessité impérieuse de rectifier votre comportement et de maîtriser votre agressivité.
Dans ces conditions, les faits auxquels vous vous êtes livrée le 3 février 2010 ainsi que votre attitude agressive et inadaptée constituent une faute grave qui ne nous permet plus de poursuivre notre collaboration.
En effet, ces insultes et votre comportement, par leur violence et leur caractère public, sont particulièrement inacceptables.
Vos propos outrageants, contraires à votre élémentaire obligation professionnelle de courtoisie et de politesse, constituent une atteinte sérieuse à la discipline au sein du magasin ainsi qu'à l'image de marque du magasin. Ils sont de ce fait incompatibles avec la bonne marche de notre entreprise. Nous estimons que ceux-ci justifient la rupture immédiate de votre contrat de travail (...) ».
Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [Z] [C] a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence qui, par décision en sa formation de départage du 17 octobre 2013, notifiée le 22 novembre 2011, a jugé la rupture du contrat de travail non fondée et condamné l'employeur au paiement, avec exécution provisoire, des sommes suivantes :
20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
2 668, 65 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
266, 86 € au titre des congés payés afférents,
1 779, 09 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par lettre dont le cachet postal est daté du 12 décembre 2013, la SARL MCH distribution a relevé appel de cette décision dont elle sollicite l'infirmation totale.
Elle soutient devant la cour que le comportement insultant et menaçant de Mme [Z] [C] le 3 février 2010, qui avait été l'objet, en raison de sa mauvaise conduite, de plusieurs avertissements antérieurs, justifiait la rupture immédiate de son contrat de travail et la mise à pied conservatoire notifiée, conclut au rejet de toutes les demandes de l'intimée et à sa condamnation au paiement de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [Z] [C] demande à la cour de dire et juger que la mise à pied conservatoire du 4 février 2010 constitue une première sanction nulle et disproportionnée des faits que l'employeur lui reproche, ayant épuisé son pouvoir disciplinaire.
Elle conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a dit la faute grave non démontrée par la société MCH Distribution et condamné cette dernière au paiement de 2 668, 65 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 266, 86 € au titre des congés payés afférents et 1 779, 09 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
L'intimée sollicite l'infirmation du jugement prud'homal pour le surplus et demande la condamnation de l'employeur à lui payer 50 704,16 à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues oralement par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 21 octobre 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la mise à pied notifiée le 4 février 2010
Attendu que Mme [Z] [C] soutient dans ses conclusions en cause d'appel que la mise à pied qui lui a été notifiée le 4 février 2010 et qui n'a donné lieu à aucune retenue sur salaire, avait une nature disciplinaire, du fait qu'elle a été réintégrée dans les effectifs de l'entreprise, après l'entretien préalable au licenciement le 16 février 2010, jusqu'à la notification de son licenciement le 3 mars 2010 ; que cependant, il doit être constaté que la lettre de notification de la mise à pied, datée du 4 février 2010, précise sans la moindre ambiguïté que celle-ci, prononcée pour la durée de la procédure et en raison de la gravité du comportement de la salariée, à une nature conservatoire, laquelle se déduit également de la circonstance que la notification de la mesure est intervenue le lendemain des faits reprochés ; que l'absence de retenue sur salaire comme la décision de réintégrer Mme [Z] [C] dans les effectifs de l'entreprise, après l'entretien préalable et jusqu'à la notification de son licenciement, pour des raisons liées, selon les explications de l'employeur à l'audience, à la nécessité d'assurer la poursuivre de l'activité, ne sauraient seules attribuer à la mise à pied un caractère disciplinaire ; qu'il conviendra, en conséquence, de confirmer la décision des premiers juges, ayant écarté la requalification de la mise à pied conservatoire ;
2) Sur la matérialité des motifs du licenciement
Attendu que la lettre de licenciement pour faute grave du 3 mars 2010 qui fixe les limites du litige reproche à Mme [Z] [C] les faits suivants :
a) « des insultes grossières » proférées à l'égard d'une salariée devant la clientèle le 3 février 2010
Attendu qu'il résulte des attestations crédibles de Mme [B] [O], responsable de rayon, et corroborées par un rapport de la société de surveillance (pièces 12, 18 et 29 de l'employeur) que le 3 février 2010, Mme [Z] [C] a échangé, devant la clientèle, des insultes avec la salariée [C] [V] ayant eu, préalablement, une vive discussion avec une autre employée, Mme [F] [B] ; que Mme [C] [V] reconnaît, elle-même, un échange d'insultes et de grossièretés dans une attestation datée du 23 janvier 2004 et une « main courante » du 8 février 2010 (pièces 26 et 27 de l'appelante), et que ne conteste pas Mme [F] [B] dans une lettre datée du 1er mars 2010 (pièce 6 de la salariée) ; que bien que Mme [Z] [C] le dénie, il est manifeste, à l'examen de l'ensemble des témoignages produits, que la cause du déclenchement de ces débordements verbaux, en la présence non contestée de la clientèle, est son intervention dans une discussion entre 2 salariées qui ne la concernait nullement et n'intéressait pas son poste de travail, attitude qu'elle n'a d'ailleurs pas été en mesure, sur interrogation de la cour à l'audience, d'expliquer ; qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, la matérialité de ce grief doit être tenue pour établie ;
b) « des remarques désobligeantes à l'égard des vigiles »
Attendu que la cour estime devoir écarter ce reproche du fait que la société MCH Distribution ne verse aux débats, hormis une lettre de la société APS datée du 11 janvier 2010 (sa pièce 10) se plaignant que « [Z] (') s'est une fois de plus ingérée dans le travail des agents de sécurité en poste sur (le) magasin (') se permet de leur faire des remarques désobligeantes... », aucune attestation rapportant des propos précis tenus par Mme [Z] [C] ou décrivant une situation au cours de laquelle cette dernière aurait pu faire preuve de désobligeance à l'égard des vigiles du magasin ;
c) des plaintes de clients, une agression en janvier 2010 et de nombreuses mises en garde antérieures
Attendu que la lettre de licenciement du 3 mars 2010 évoque, en outre, pour caractériser l'attitude agressive et inadaptée de Mme [Z] [C], des plaintes de clients, notamment au mois de décembre 2009, l'agression physique et verbale d'un serveur travaillant dans un établissement voisin au mois de janvier 2010 et des mises en garde adressées antérieurement ;
Attendu que si l'agression d'un serveur au mois de janvier 2010 est sans lien direct avec l'exécution du contrat de travail et ne saurait donc être retenue, la société MCH Distribution justifie, en revanche, avoir reçu une lettre circonstanciée et convaincante d'un client, M. [T] [G], datée du 1er décembre 2009, se plaignant d'avoir été tutoyé par Mme [Z] [C] ayant adopté à son égard un ton hautain et méprisant et qui est corroborée par l'attestation de M. [U] [H], chef de rayon ayant reçu la plainte de ce client, et produit 2 avertissements adressés à Mme [Z] [C] pour des attitudes irrespectueuses, provocatrices ou injurieuses datés des 10 juin 2008 et 6 juillet 2009 (pièces 6 et 7), sanctions mobilisables dans le cadre du licenciement dès lors qu'elles ne sont pas antérieures au délai de 3 ans prévu par l'article L1332-5 du code du travail et qu'elles sont relatives à des conduites identiques à celle du 3 février 2010, constatation permettant d'exclure la prescription de 2 mois prévue par l'article L1332-4 du code du travail invoquée par l'intimée ;
Attendu que l'ensemble de ces constatations, caractérise suffisamment le reproche principal évoqué par la lettre de licenciement, à savoir des propos injurieux et insultants à l'égard de collègues de travail et un comportement agressif et inadapté au sein du magasin, dont la réalité n'est pas remise en cause par les attestations de Mme [Z] [C] (ses pièces 17 à 24), évoquant en termes généraux, subjectifs et donc non convaincants, sa courtoisie et ses qualités professionnelles, et qui sont d'ailleurs contredites par l'attestation de Mme [X] [J] (pièce 24 de l'employeur), salariée expliquant avoir été harcelée et menacée par Mme [Z] [C] durant ses heures de travail au point de devoir se faire raccompagner ; que ce grief constituant un motif légitime de rupture immédiate de la relation de travail dès lors que l'attitude de Mme [Z] [C] a compromis gravement les relations professionnelles au sein d'une petite structure commerciale et nuit de façon certaine à la réputation et à l'attractivité de l'enseigne, il conviendra de tenir le licenciement pour faute grave justifié, nonobstant la réintégration de Mme [Z] [C] dans l'effectif de l'entreprise après l'entretien préalable et jusqu'au 3 mars 2010, la notification d'une mise à pied conservatoire jusqu'à la rupture du contrat de travail n'étant pas une condition de validité du licenciement pour faute grave ; que la décision déférée ayant dit le licenciement non justifiée, sera par conséquent, infirmée ;
Attendu que toutes les demandes de Mme [Z] [C] seront rejetées ;
Attendu que l'équité n'exige pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de Mme [Z] [C] qui succombe à l'instance ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 17 octobre 2013 en ce qu'il a dit que la mise à pied conservatoire ne constitue pas une sanction disciplinaire ;
Infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
-Dit que le licenciement pour faute grave de Mme [Z] [C] est justifié et rejette toutes ses demandes ;
-Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
-Condamne Mme [Z] [C] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT
G. BOURGEOIS