COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
6e Chambre C
ARRÊT AVANT DIRE DROIT
DU 01 DECEMBRE 2015
(réouverture des débats à l'audience du 08
mars 2016 à 9h)
N° 2015/ 1116
Rôle N° 15/02495
[V] [M]
C/
[K] [U]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Alain ROUSTAN
Me Patrice REVIRON
-ministère public + 2 copies
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TARASCON en date du 20 Janvier 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 10/00731.
APPELANT
Monsieur [V] [M]
né le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Alain ROUSTAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [K] [U]
née le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
comparante en personne,
assistée de Me Patrice REVIRON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2015 en Chambre du Conseil en présence du ministère public, auquel l'affaire a été régulièrement communiquée. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Chantal MUSSO, président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Chantal MUSSO, Présidente
Mme Michèle CUTAJAR, Conseiller
Mme Edith PERRIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Mandy ROGGIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015.
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame POUEY, substitut général qui a fait connaître son avis.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2015.
Signé par Madame Chantal MUSSO, Présidente et Madame Mandy ROGGIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 15 avril 2010, Mme [P] [U] a assigné M. [M] aux fins d'exercer au nom de sa fille [K] [U] née le [Date naissance 1] 1993 , principalement une action en recherche de paternité et subsidiairement une action aux fns de subsides.
Le Tribunal de Grande Instance de TARASCON, par jugement du 27 octobre 2011, a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [M],
- invité les parties à formuler leurs observations sur le défaut de qualité à agir de Mme [U] pour sa fille devenue majeure et sur la reprise d'instance par [K] [U],
- ordonné la communication de l'affaire au Ministère Public,
- réservé les frais et les dépens.
Par jugement du 26 juillet 2012, le tribunal de grande instance de TARASCON a :
- constaté que Melle [U] [K] reprend à son compte I'instance engagée
par Mme [U] [P] par assignation du 15.04.2010.
Avant dire droit, sur l'action en recherche de paternité,
- ordonné une expertise sanguine,
- désigné pour y procéder, Monsieur le professeur [I] [G].
L'expert a déposé son rapport le 26 novembre 2012, aux termes duquel il conclut qu'après étude des marqueurs génétiques, il ressort que M. [M] [V] a plus de 99,9999 de chances sur 100 d''être le père de Melle [U] [K].
Le 25 septembre 2013, le Ministère Public a requis que le Tribunal déclare que [V] [M] est le père naturel de l'enfant [K] [U].
Par jugement en date du 20 janvier 2015, le Tribunal de Grande Instance de Tarascon a :
- déclaré irrecevable l'action en recherche de paternité de [V] [M] introduite le 15 avril 2010 par Madame [P] [U] pour le compte de [K] [U] née le [Date naissance 1] 1993 ;
- déclaré l'intervention volontaire exercée par [K] [U] au titre de la recherche de paternité de [V] [M] irrecevable au regard de la forclusion de l'action principale ;
- rejeté la demande tendant à voir écarter des débats le rapport d'expertise ;
- condamné Monsieur [V] [M] à payer à Mademoiselle [K] [U]
une pension alimentaire de 850 € par mois au titre des subsides du à l'enfant à compter du 15 avril 2010, avec indexation
- condamné [V] [M] à payer à [K] [U] la somme de 3000€ en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- condamné [V] [M] aux entiers dépens
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
[V] [M] a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'appel de céans en date du 18 février 2015. [K] [U] a constitué avocat le 4 mars 2015.
Par conclusions du 18 mai 2015, [V] [M] demande à la cour sur le fondement des articles 321 du Code civil et 327 et 329 du Code de procédure civile de :
- dire et juger irrecevable Madame [P] [U] en toutes ses demandes, fins et conclusions, comme définitivement prescrites, depuis le 20 août 2003 et confirmer sur ce point le jugement dont appel.
- dire et juger Mademoiselle [K] [U] irrecevable en son intervention à une
procédure qui se heurte à une fin de non-recevoir
En conséquence
- dire et juger inopposable à Monsieur [V] [M], tant la désignation de
Monsieur le Professeur [I] [G], que les investigations conduites par ce dernier, ou encore, le rapport d'expertise qu'il a déposé en date du 26 novembre 2011.
TRES SUBSIDIAIREMENT
- Débouter Madame [P] [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- Débouter Mademoiselle [K] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions
ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT
- Débouter [K] [U] de toute demande sur les arriérés d'aliments qui
ne pourraient, en toute hypothèse, compte tenu des revenus et charges de [V] [M], être fixés pour l'avenir à plus de 500 euros par mois.
- Condamner Madame [P] [U] à payer à Monsieur [V] [M] la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner Madame [P] [U] et Mademoiselle [K] [U] aux
entiers dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés par la SCP ROUSTAN - BERIDOT, dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.
En ce qui concerne l'action engagée par [P] [U], elle se heurte clairement selon l'appelant à une fin de non-recevoir tirée de la prescription, puisqu'elle a été engagée le 15 avril 2010, plus de dix ans après la naissance de [K] [U], cela en vertu des dispositions de l'article 321 du Code civil
En ce qui concerne l'intervention de [K] [U], il observe qu'elle a fait signifier, après le jugement du 27 Octobre, soit le 14 décembre 2011, des conclusions d'intervention volontaire, en demandant qu'il lui soit « donné acte de sa reprise de l'instance initiée en son nom par sa mère, aux fins de recherche de paternité ». En droit et en vertu des articles 327 et 329 du Code de procédure civile, il s'agit là d'une intervention volontaire « principale » puisqu'elle « élève une prétention au profit de celle qui la forme ».Il est cependant bien clair que, lorsque l'intervention est formalisée à l'occasion d'une instance principale éteinte, par exemple par prescription, ce qui est le cas ici, cette intervention est irrecevable.
Dès lors, tout ce qui a pu être jugé, dans le cadre de la procédure devenue irrecevable, postérieurement aux conclusions d'intervention volontaire de Mademoiselle [K] [U], en date du 14 décembre 2011, ne saurait, par ailleurs, être opposé au concluant, notamment la désignation de Monsieur le Professeur [G], dont le rapport devra, dès lors, être écarté.
Il soutient que s'il ne peut être discuté que Madame [K] [U] a la possibilité de lui demander des subsides , faut-il encore qu'elle le fasse par voie d'action principale, qui, au jour des écritures, n'a jamais été lancée.
Quant au bien-fondé de la demande de pension alimentaire de [K] [U], il relève qu'elle n'a formulé, pour la première fois, une demande d'aliments que dans ses conclusions au fond en date du 8 février 2013, de sorte qu'elle ne peut les demander qu'à compter de cette date-là, ou, encore plus subsidiairement, mais de manière qui semble très contestable sur le plan juridique, qu'à compter de sa majorité jusqu'à laquelle par ailleurs, et sur le plan factuel, elle a parfaitement été prise en charge par sa mère qui, seule, aurait pu demander valablement des subsides pour la période de la minorité de sa fille' si elle n'était pas forclose.
Quant à [K] [U], qui aurait pu, certes, et qui le pourrait encore, à condition que cela fût fait par voie d'action principale lancée à son initiative, demander des subsides au concluant, elle ne saurait, au vu des revenus et charges de ce dernier, voir ces subsides fixés à la somme de 800 euros, qui a été retenue par le Tribunal.
Il doit être ici noté qu'il a abandonné l'appartement qu'il occupait et qui - loyer et charges comprises - représentait 1 000 euros par mois et il est allé vivre sur son bateau
[K] [U] a conclu en réponse le 29 juillet 2015. Ces conclusions ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 31 juillet 2015, par application de l'article 909 du Code de Procédure Civile.
Par conclusions en date du 1er octobre 2015, Mme l'Avocat Général demande la réformation du jugement.
Elle expose que pour déclarer irrecevable l'action engagée par Mme [P] [U], le tribunal de grande instance de Tarascon a considéré que le régime applicable à l'action était celui applicable à la date de naissance de [K] [U] ( l'article 340-4 ancien avec délai préfix de deux ans).
Elle fait observer qu'en l'espèce l'action a été introduite sous l'empire de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, qui a profondément modifié le régime de l'action en recherche de paternité désormais soumise au régime du droit commun ; l'action peut être exercée pendant toute la minorité de l'enfant par son représentant légal, et ce dernier peut exercer l'action pendant les dix ans suivant sa majorité.
Or ces règles de prescription de droit commun résultant de l'article 321 du code civil se substituent au délai préfix de deux ans fixé par l'article 340-4 ancien. En effet l'article 20 IV de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 prévoit une dérogation expresse :« sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les actions prévues par les articles 327 et 329 du code civil, tels qu'ils résultent de la présente ordonnance, peuvent être exercées, sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne, lorsque, à la date de l'entrée en vigueur de cette ordonnance, la prescription prévue par l'article 321, tel qu'il résulte de la même ordonnance, n'est pas acquise. L'action doit alors être exercée dans le délai restant à courir à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance, sans que ce délai puisse être inférieur à un an ''.
En l'espèce Mme [P] [U] a introduit l'action le 15 avril 2010 sous l'empire de la loi nouvelle et elle bénéficiait des nouvelles dispositions de l'article 327 du code civil, sa fille [K] étant encore mineure comme âgée de 17 ans . Son action était donc recevable et non prescrite ; [K] [U] peut valablement exercer l'action jusqu'à ses vingt-huit ans , soit jusqu'au 19 août 2021.
Aussi, Madame l'Avocat Général demande- t-elle à la cour qu'il lui plaise de :
- déclarer recevable l'action en recherche de paternité introduite le 15 avril 2010 par [P] [U], ès qualité de représentante légale de sa fille mineure,
- déclarer recevable l'intervention volontaire de [K] [T],devenue majeure le 19 août 2011, intervention reçue par le tribunal de grande instance de Tarascon le 26 juillet 2012,
- homologuer le rapport d'expertise du Professeur [I] [G], déposé en date du 26 novembre 2012 et déclarer que [V] [M] est le père de [K] [U] ,
- ordonner la transcription du jugement à l'état civil ; sur ce point le ministère public fait
observer la nécessité de recueillir les observations des parties notamment de l'intimée sur le nom qu'elle souhaite porter suite à l'établissement de cette filiation paternelle ,
et s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la nature de la contribution qui avait été mise à la
charge de l'appelant au titre de l'action aux fins de subsides, qui avait été seule déclarée recevable.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 octobre 2015.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la Cour lui permettant de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera déclaré recevable.
Au fond
En l'espèce, Madame l'Avocat Général conclut à une violation par les premiers juges, des règles de la prescription en matière de recherche de paternité, et remet en cause toute l'économie du jugement.
Elle intervient donc pour la défense de l'ordre public, puisqu'aux termes de l'article 125 du Code de Procédure Civile, le délai de prescription pour agir en établissement d'une filiation constitue une fin de non- recevoir d'ordre public que le juge doit relever d'office.
Partant, au vu de la position prise par le Ministère public, partie principale à l'instance, il convient de rouvrir les débats pour permettre aux autres parties à l'instance de conclure utilement à l'aune des écritures prises par Madame l'Avocat Général.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après débats en chambre du conseil
Révoque l'ordonnance de clôture et rouvre les débats
Invite les parties à conclure selon le calendrier ci- après :
- Pour l'appelant, [V] [M] : avant le 17 janvier 2016
- Pour l'intimée, [K] [U] : avant le 21 février 2016
Dit que la procédure sera de nouveau communiquée au Ministère Public
Dit que l'ordonnance de clôture sera prononcée le 1er mars 2016.
Renvoie la cause et les parties à l'audience collégiale du 8 mars 2016 à 9h.
Réserve les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT