COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 03 DECEMBRE 2015
N° 2015/875
S. K.
Rôle N° 14/14020
SA ORANGE
C/
[Y] [E]
[A] [O]
[M] [K]
[G] [P]
[J] [Q]
Grosse délivrée
le :
à :
Maître BERTHELOT
Maître ROUSSEAU
Maître BERENGER
Maître SIMON-THIBAUD
Maître LAZZARINI
Maître CHERFILS
DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :
Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Marseille en date du 20 juin 2014 enregistrée au répertoire général sous le N° 13/02029.
APPELANTE ET INTIMÉE :
SA ORANGE,
dont le siège est [Adresse 3]
représentée et plaidant par Maître Stéphanie BERTHELOT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS :
Madame [Y] [E]
née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître Ludovic ROUSSEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Richard MALINCONI, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [A] [O]
né le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Marc BERENGER de la SCP CABINET MARC BERENGER, XAVIER BLANC, OLIVIER BURTEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [G] [P]
née le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1]
représentée et plaidant par Maître Laurent LAZZARINI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉES ET APPELANTES :
Madame [M] [K],
née le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 2] (MAROC),
demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Roselyne SIMON-THIBAUD, de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD & JUSTON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
Madame [J] [Q]
née le [Date naissance 5] 1968 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Romain CHERFILS de la SERAL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 novembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Serge KERRAUDREN, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La cour était composée de :
Monsieur Serge KERRAUDREN, président
Madame Danielle DEMONT, conseiller
Madame Lise LEROY-GISSINGER, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 décembre 2015.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 décembre 2015,
Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*-*
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :
Mme [Y] [E] a acquis, selon acte notarié du 17 novembre 2011, un terrain en nature de landes et bois sis à [Localité 1], cadastré section [Cadastre 4], ne comportant pas de mention de servitude de passage mais seulement une autorisation de passage d'une ligne électrique concédée à la société EDF-GDF en vertu d'une convention en date du 25 novembre 1986.
Se plaignant de ce que les propriétaires de parcelles voisines traversaient son terrain sans autorisation pour accéder à leur immeuble et de ce que des poteaux et lignes de France Télécom y avaient été installés sans droit, Mme [E] a saisi en référé le président du tribunal de grande instance de Marseille qui, par une ordonnance du 20 juin 2014, a statué comme suit :
'Faisons interdiction à Monsieur [A] [O], Madame [G] [P], Madame [M] [K], Madame [J] [Q] de pénétrer sur la parcelle [Cadastre 4] propriété de Madame [E] sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,
Condamnons la SA. Orange venant aux droits de France Télécom à faire enlever les cinq poteaux en bois et lignes de communication implantés sans titre sur la parcelle [Cadastre 4] sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
Ordonnons à Madame [G] [P] de supprimer toute publicité internet concernant son chenil des Fontaines reproduisant le chemin litigieux sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
Disons que les condamnations susvisées ne prendront effet qu'après expiration d'un délai de six mois à compter de la signification de la décision,
Disons nous réserver la liquidation des trois astreintes,
Rejetons toutes autres demandes,
Condamnons Monsieur [A] [O] à payer à Mme [Y] [E] 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le condamnons aux paiement des dépens.'.
La SA Orange, Mme [M] [K] et Mme [J] [Q] ont relevé appel de cette ordonnance.
Les parties ont conclu et, par un arrêt du 17 septembre 2015, cette cour a, avant dire droit, invité Mmes [E] et [Q] à verser aux débats l'assignation introductive d'instance et leurs conclusions de première instance ainsi qu'à s'expliquer sur la recevabilité de l'exception de nullité soulevée par la seconde, Mme [E] étant également invitée à préciser le fondement juridique de ses prétentions en référé.
A la suite de cet arrêt, Mme [Q] a conclu le 08 octobre 2015 et Mme [E] le 22 octobre suivant.
S'agissant des autres parties, la cour demeure saisie des conclusions de la société Orange du 09 mars 2015, de Mme [M] [K] du 20 mars 2015, de M. [A] [O] du 22 janvier 2015 et de Mme [G] [P] du 1er juin 2015.
Il est expressément renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS,
Attendu que Mme [Q] conclut à l'annulation de l'assignation introductive d'instance au motif que n'y sont pas précisés les fondements juridiques de la saisine du juge des référés, en violation des dispositions de l'article 56 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de la lecture de ses conclusions soutenues devant le premier juge que, si elle a visé le texte précité, elle a sollicité que fût déclarée irrecevable la demande de Mme [E] et non annulée l'assignation ; qu'au demeurant elle n'a pas subi de grief dès lors qu'elle a expressément contesté les prétentions de la demanderesse tant du chef des dispositions de l'article 808 que de celles de l'article 809 du code de procédure civile, qui constituent bien le fondement des prétentions de Mme [E], ainsi qu'elle l'indique enfin à la suite de l'arrêt du 17 septembre 2015 ;
Attendu, au surplus, que Mme [Q] ne réclame pas l'annulation de l'ordonnance déférée et qu'elle a conclu sur le fond du référé tant en première instance qu'en appel ; qu'il s'ensuit que l'exception de nullité soulevée par elle devant la cour doit être déclarée irrecevable, par application de l'article 112 du code de procédure civile ;
Attendu que la société Orange, pour sa part, conclut à l'incompétence de la juridiction judiciaire au motif que les supports et câbles se trouvant sur le terrain de Mme [E] participent au service public universel des télécommunications dont elle a la charge et constituent des ouvrages publics, par application des articles L 35 et L 35-1du code des postes et des communications électroniques ;
Attendu que les poteaux et lignes dont Mme [E] sollicite l'enlèvement constituent en effet des ouvrages publics, ce qu'elle ne conteste pas ; que l'autorité judiciaire ne peut prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement d'un ouvrage public ;
Attendu que Mme [E] ne peut utilement arguer d'une voie de fait, de nature à justifier la compétence de l'ordre judiciaire, dès lors que l'implantation en cause n'aboutit pas, en toute hypothèse, à l'extinction de son droit de propriété ; que le litige relève donc, en ce qui concerne la société Orange, de la juridiction administrative, et qu'il convient de se déclarer incompétent pour en connaître ;
Attendu que Mme [E] invoque une violation, par les autres parties, de son droit de propriété, alors que son fonds n'est grevé d'aucune servitude de passage ; qu'elle conteste également qu'il soit traversé par un chemin d'exploitation ; que, de leur côté, les propriétaires voisins arguent au contraire de l'existence d'un tel chemin, seul moyen d'accéder à leurs parcelles, ainsi que de l'acquisition par prescription du passage, outre la protection possessoire ;
Attendu que, dans son acte introductif d'instance, Mme [E] n'a pas allégué d'urgence ; que celle-ci n'est pas caractérisée puisque l'intéressée a attendu le 24 avril 2013 pour engager son action alors que la route traversant son terrain existait lors de son acquisition, le 17 novembre 2011, qu'elle a correspondu avec ses voisins à partir du 09 mai 2012 et qu'en outre, elle n'habite pas sur place, s'agissant d'une parcelle en nature de landes et de bois ;
Attendu qu'il convient donc de rechercher, l'article 808 du code de procédure civile étant inapplicable en l'espèce, si Mme [E] justifie de la nécessité d'obtenir la cessation d'un trouble manifestement illicite ;
Attendu que, si les propriétaires des parcelles voisines ne disposent d'aucune servitude conventionnelle de passage, il est cependant constant qu'il ont utilisé le chemin litigieux depuis leur acquisition, antérieure pour chacun à celle de Mme [E] ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites, et notamment de l'attestation de M. [T] [C], que celui-ci a connu et utilisé depuis l'année 1957 le chemin reliant celui du vallon de [Localité 4] à la parcelle [Cadastre 3] et dont le tracé, 'inchangé à ce jour', traverse les parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 4] et [Cadastre 2] ; que ce chemin figure d'ailleurs sur les photographies aériennes produites par Mme [E] elle-même pour la période antérieure à son acquisition, même si sa largeur s'est apparemment accrue au fil du temps ;
Attendu que, à la suite des réclamations formées avant la procédure, M. [O] et Mme [K] ont indiqué à Mme [E] que le chemin constituait le seul accès à leur propriété depuis la voie publique et invoquaient l'état d'enclave ; que l'assureur de protection juridique de Mme [P] faisait de la même manière valoir cet état et le seul accès par la parcelle [Cadastre 4] ;
Attendu notamment que, dans un rapport du 13 octobre 2012, diligenté à la demande de l'assureur de Mme [K], l'expert commis, M. [X], a pu constater que le terrain de celle-ci était enclavé et que l'accès ne pouvait se faire que par le chemin, lequel ne pouvait être modifié compte tenu de la géographie des lieux ; que, si Mme [E], bien que convoquée, n'a pas assisté aux opérations d'expertise, celles-ci ne font pas l'objet d'une contestation, en fait, de sa part ;
Attendu qu'il n'appartient pas à la juridiction des référés de se prononcer sur la nature juridique du chemin ni sur l'acquisition, le cas échéant, par certains propriétaires voisins, de la prescription d'un droit de passage, ni même sur l'état d'enclavement qui pourrait le fonder ; qu'il suffit de constater que, depuis plusieurs années et dès avant l'acquisition de son fonds par Mme [E], ils utilisent sans violence ni voie de fait le chemin en cause, constitutif du seul moyen d'accès à leur habitation ou au lieu d'exercice de leur activité professionnelle, actuellement disponible à partir de la voie publique ; qu'il s'ensuit que le passage sur le terrain de Mme [E] ne peut être considéré comme un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 809, alinéa 1er du code de procédure civile ; qu'il appartiendra à l'intéressée, le cas échéant, de saisir la juridiction du fond de ses prétentions ; que l'ordonnance déférée doit donc être infirmée en toutes ses dispositions ;
Attendu enfin qu'il n'est pas contraire à l'équité que chaque partie supporte ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Vu l'arrêt du 17 septembre 2015,
Déclare irrecevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée en cause d'appel par Mme [J] [Q],
Infirme l'ordonnance déférée,
Statuant à nouveau,
Dit que le juge des référés de l'ordre judiciaire est incompétent pour se prononcer sur la demande de Mme [Y] [E] formée à l'encontre de la SA Orange et la renvoie à mieux de pourvoir,
Déboute Mme [Y] [E] de ses demandes formées à l'encontre de M. [A] [O], Mme [G] [P], Mme [M] [K] et Mme [J] [Q],
Rejette les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [Y] [E] aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct, pour ces derniers, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,Le président,