COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 05 JANVIER 2016
N°2016/03
Rôle N° 14/04614
Société MARJAC
C/
[O] [L]
CPAM DES BOUCHES DU RHONE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE
Grosse délivrée le :
à :
Me Charlotte CRET, avocat au barreau de PARIS
Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DES BOUCHES DU RHÔNE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des BOUCHES DU RHÔNE en date du 11 Décembre 2013,enregistré au répertoire général sous le n° 21107583.
APPELANTE
SAS MARJAC, prise en la personne de son représentant légal en exercice monsieur [V], demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Charlotte CRET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
Madame [O] [L], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 3]
représenté par Mme [H] [P] (Inspectrice juridique) en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE INTERVENANTE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 2]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 17 Novembre 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Janvier 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Janvier 2016
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 27 juillet 2006, [O] [L] qui était employé par la Société MARJAC et procédait au déchargement d'un transpalette, recevait sur le pied gauche une palette qui venait de basculer.
Selon lettre recommandée avec accusé de réception du 11 novembre 2011, elle a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône, d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Selon jugement intervenu le 11 décembre 2013 et présentement déféré par la Société MARJAC, le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a fait droit à sa demande et a dit que l'accident du travail dont elle avait été victime le 27 juillet 2006, était dû à la faute inexcusable de son employeur, a ordonné la majoration de la rente servie par la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône à son taux maximum, dit que cette majoration devra suivre le taux d'IPP de la victime en cas d'aggravation, dit que la Société MARJAC remboursera à la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône la majoration de la rente et toutes les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance et avant dire droit sur la liquidation de ses divers chefs de préjudices, ordonné une expertise médicale, alloué à la victime une provision de 10.000 euros, condamné la Société MARJAC à payer à la victime la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire.
Aux termes des conclusions dont la Société MARJAC a saisi la Cour en vue de l'audience et que son Conseil a développées oralement lors de celle-ci, elle sollicite de voir constater l'absence de preuve de la faute inexcusable qui lui est reprochée, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement, de condamner la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône à lui rembourser la somme de 133.159,17 euros versée au titre de la majoration de la rente et de la provision, condamner [O] [L] à lui rembourser la somme de 1.500 euros versée par elle au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de lui verser de ce même chef la somme de 1.500 euros.
[O] [L] a fait déposer des conclusions que son Conseil a développées oralement lors de l'audience, pour solliciter la confirmation du jugement et de voir renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône, pour qu'il soit statué sur l'indemnisation de ses divers chefs de préjudices et voir condamner la Société MARJAC au paiement à son profit de la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a déposé des conclusions dont son représentant a développé oralement le contenu, pour voir s'en remettre à justice sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur et pour le cas où celle-ci serait retenue, de voir fixer la majoration de rente et les divers préjudices de la victime qui en découlent, dire que le montant de cette majoration sera récupéré auprès de l'employeur et que l'employeur soit condamné à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.
La Mission Nationale de Contrôle et d'Audit des Organismes de Sécurité Sociale régulièrement convoquée ne comparaît pas.
La Cour s'en rapporte pour le surplus des moyens et des prétentions des parties au contenu des écritures par elles déposées.
ET SUR CE :
Attendu que la Société MARJAC expose à l'appui de sa demande de réformation du jugement que celui procède par voie de supposition et que la salariée ne démontre aucunement la preuve de la faute inexcusable qu'elle impute à son employeur, qu'elle n'a cessé de modifier sa version des faits quant à la dotation ou non de chaussures de sécurité, alors qu'elle rapporte la preuve de les lui avoir remises le 6 novembre 2003, que les attestations propres à démontrer que ces chaussures auraient été remises à la demande de l'employeur à un tiers sont dénuées de pertinence, qu'elle a régulièrement satisfait à son obligation de sécurité de résultat en lui remettant ces chaussures, que la fiche de poste concernant la fonction exercée par [O] [L] prévoyait le port de sa tenue de travail et des équipements de sécurité, qu'une information sur la nécessité de les porter lui avait été donnée, qu'elle exerçait une fonction de « manager de rayon » laquelle implique de respecter et faire respecter les consignes de sécurité et qu'il n'existe à sa charge aucune obligation de formation spécifique en matière de chargement/déchargement et qu'elle ne pouvait imaginer qu'elle manquerait ainsi à ses obligations.
Attendu que pour solliciter la confirmation du jugement, [O] [L] fait valoir que la faute inexcusable de l'employeur peut être retenue même quand le salarié n'a pas respecté les consignes de sécurité édictées par l'employeur, que celui-ci ne lui a jamais fourni de chaussures de sécurité, ni dispensé de formation professionnelle en matière de sécurité et/ou de conduite et manipulation du transpalette électrique, ni rappelé la nécessité de les porter, que l'attestation de [W] [N] émane indirectement de l'employeur, qu'elle n'avait reçu aucune formation spécifique à la sécurité ni à l'utilisation d'un transpalette électrique et que son employeur avait nécessairement conscience du danger auquel il l'exposait en ne lui fournissant pas de chaussures de sécurité ;
Attendu qu'il est constant que le 27 juillet 2006, [O] [L] qui travaillait depuis près de 11 ans au service de la Société MARJAC était victime d'un accident du travail alors qu'elle déchargeait une palette de lessive ;
Que la déclaration d'accident du travail fait état de ce que « une palette de marchandises était posée sur un gerbeur. En déchargeant la palette, celle-ci a basculé et est tombée sur le pied (gauche) de l'employée » ;
Que suite à cet accident, un premier arrêt de travail a été remis à l'employeur, faisant état d'un arrêt de travail d'une durée de 7 jours pour « doute sur une fracture du scaphoïde pied gauche (botte plâtrée) » ;
Que [O] [L] a bénéficié d'arrêts de travail jusqu'au 31 mars 2011 date à laquelle elle a été déclarée consolidée avec un taux d'IPP de 40 % ;
Attendu qu'il y a lieu d'observer que le port ou le défaut de port par elle des chaussures de sécurité constitue une question essentielle dès lors qu'il n'est pas contesté que l'IPP résiduelle désormais présentée par [O] [L] est une conséquence d'une atteinte fonctionnelle résultant de la bascule de la palette sur son pied gauche ;
Attendu sur le port des dites chaussures de sécurité, que [O] [L] a commencé à soutenir que cette dotation de sécurité ne lui avait pas été réalisée dans des conditions fautive pour l'employeur ;
Que cette affirmation a toutefois été immédiatement contredite par l'employeur, lequel a démontré que le 6 novembre 2013, il avait régulièrement remis à sa salariée un tel équipement de sécurité, ainsi qu'en atteste la signature apposée par elle ;
Que [O] [L] fait valoir désormais qu'à la demande de son employeur, elle aurait dû s'en séparer pour les donner à une collègue intérimaire devant travailler au rayon boucherie ;
Attendu que la Cour observe que cette affirmation ne correspond pas à la réalité du travail exercé, ainsi que le déclare au demeurant [R] [T] le 21 mai 2013, dès lors qu'un employé du rayon boucherie a besoin de chaussures qui répondent à des normes d'hygiène et ne glissent pas au sol puisqu'il évolue dans un environnement alimentaire réfrigéré ou humide, tandis que les chaussures de sécurité pour les salariés en charge de la manipulation de marchandises sont traditionnellement conçues sur une coque en métal pour préserver son porteur d'atteintes aux articulations de l'extrémité du pied ;
Que les attestations des anciens salariés de la Société MARJAC que produit [O] [L] pour tenter d'établir qu'elle ne disposait pas d'un tel équipement de sécurité sont dénuées de pertinence pour émaner de salariés qui n'exerçaient plus au sein de la société à la période concomitante à la date de l'accident du travail subi par [O] [L] ;
Attendu que l'employeur démontre d'autre part, que le contrat de travail de [O] [L] avait fait l'objet d'un avenant contractuel, puisqu'elle était désormais engagée depuis le 30 décembre 2005 en qualité d'agent de maîtrise de niveau 6, lequel prévoyait que ce niveau de qualification « implique une part d'initiative pour définir et mettre en 'uvre les actions que vous estimeriez nécessaires au bon accomplissement de votre mission », sachant qu'il lui était également reconnu par son employeur « l'autorité nécessaire sur le personnel travaillant sous vos ordres » ;
Qu'au bénéfice de ce statut d'agent de maîtrise, [O] [L] devait nécessairement prendre en charge sa propre sécurité personnelle et veiller à ce que le personnel sous son autorité respecte également ces dispositions ;
Que cette obligation qui lui est personnelle, résulte de manière explicite du document intitulé « fiche indicative de fonctions manager de rayon agent de maîtrise niveau 6 » qu'elle a paraphé qui lui fait obligation de « respecter et faire respecter par les membres de son équipe la législation en vigueur dans les domaines ' des règles de sécurité » ;
Attendu que l'employeur démontre d'autre part que l'accident du travail est intervenu alors que le transpalette était immobile et que sa manipulation n'est pas en cause dans la réalisation de l'accident du travail subi par sa salariée, de sorte qu'il ne peut valablement lui être fait grief de ne pas avoir dispensé à [O] [L] de formation professionnelle en matière de conduite et de manipulation du transpalette ;
Attendu qu'il s'évince de ces éléments et observations que [O] [L] ne rapporte pas à suffisance la preuve d'un manquement fautif de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, ni de ce qu'ayant conscience des dangers auxquels il exposait sa salariée il n'aurait pas pris les mesures propres à l'en préserver ;
Que c'est donc à tort que le Tribunal, en l'absence de tels éléments de preuve et en se bornant à constater le caractère plausible des affirmations de la salariée, en contradiction au demeurant avec les éléments de faits relevés par la Cour, a fait droit à la demande de [O] [L] en reconnaissance de la faute inexcusable de la Société MARJAC ;
Que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu que la Société MARJAC ne justifie pas ainsi qu'elle le sollicite à l'appui de sa demande de remboursement, de ce qu'elle aurait versé, au titre de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement déféré, la somme de 133.159,17 euros au titre de la majoration de rente et de la provision ;
Qu'il ne pourra être fait droit à cette demande;
Attendu qu'en conséquence de l'infirmation du jugement présentement prononcée par la Cour, [O] [L] devra restituer à l'employeur l'indemnité versée par celui-ci au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Société MARJAC ainsi qu'elle le sollicite ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement contradictoirement en matière de sécurité sociale, par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Déclare la Société MARJAC recevable et fondée en son appel,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 11 décembre 2013 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône,
Déboute [O] [L] de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de son employeur,
Dit que [O] [L] devra rembourser à la Société MARJAC le montant de l'indemnité à elle allouée par le Tribunal au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs autres prétentions plus amples ou contraires,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT