COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
3e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 10 MARS 2016
N° 2016/0100
Rôle N° 14/06163
Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS
SARL CARIATIDE
C/
[P] [T]
Société SMABTP
SAS ETUDES ET TRAVAUX SPECIAUX (ETS)
Grosse délivrée
le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Michel CHAPUIS
Me Pierre-Yves IMPERATORE
Décision déférée à la Cour :
Arrêt de la Cour de Cassation de PARIS en date du 11 Mars 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 352 F-D.
APPELANTES
Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS Société d'assurance mutuelle à forme variable intervenant dans les limites des garanties accordées à son assuré, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Annie MONTMINY-AUGEREAU, avocat au barreau de NICE substitué par Me Benjamin DERCY, avocat au barreau de NICE,
SARL CARIATIDE immatriculée au RCS d'AIX EN PROVENCE sous le n° 382 376 960, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Annie MONTMINY-AUGEREAU, avocat au barreau de NICE substitué par Me Benjamin DERCY, avocat au barreau de NICE,
INTIMEES
Madame [P] [T]
née le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 1], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Michel CHAPUIS, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
Société SMABTP prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Colette TARTANSON, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
SAS ETUDES ET TRAVAUX SPECIAUX (ETS), demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Colette TARTANSON, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Janvier 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Martin DELAGE, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Sylvie CASTANIE, Présidente
Monsieur Martin DELAGE, Conseiller (rédacteur)
Mme Béatrice MARS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Jocelyne MOREL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2016,
Signé par Madame Sylvie CASTANIE, Présidente et Madame Jocelyne MOREL, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Madame [P] [T] est propriétaire sur la commune de [Localité 2] d'une villa construite en 1994. Cette villa a été affectée par des premiers désordres de fissuration, lesquels ont été pris en compte par l'assureur multirisques habitation de Madame [T], à savoir la MAIF dans le cadre de l'arrêté de 1991 déclarant l'état de catastrophe naturelle.
La MAIF a ainsi mandaté la SOCIETE SOL ESSAIS afin d'effectuer la reconnaissance de sol et une étude destinée à déterminer la cause des désordres affectant la villa de Madame [T]. Le rapport SOL ESSAIS a été déposé le 16 août 1995. La MAIF, assureur multirisques habitation a également mandaté la Société CARIATIDE, maîtrise d''uvre de travaux spéciaux et confortatifs afin de déterminer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres.
La Société ETUDES TRAVAUX SPECIAUX (ETS), a effectué les travaux de réfection. Ces travaux ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception signé par Madame [T], maître d'ouvrage, la Société CARIATIDE et la Société ETS, le 27 février 1996.
Des désordres de fissuration ont réapparu, et ont fait l'objet d'une nouvelle déclaration de sinistre auprès de la MAIF en 2003. La MAIF a alors mandaté son conseiller technique Monsieur [H] afin qu'il organise une expertise amiable des nouveaux désordres, opérations d'expertise au cours desquelles, ont été convoqués l'ENTREPRISE ETS et la société CARIATIDE.
Aucune solution amiable n'ayant pu être dégagée, Madame [T] a sollicité, selon acte notifié le 9 février 2006 à la Société ETS et à la compagnie d'assurances la SMABTP, une expertise judiciaire. Une ordonnance a été rendue le 9 mars 2006, les opérations d'expertise étant contradictoires à l'égard d'ETS, de son assureur responsabilité civile décennale la SMABTP, de la SARL CARIATIDE et de son assureur la MAF et enfin, de SOL ESSAIS et de son assureur l'AUXILIAIRE. L'expert, Monsieur [L] [V] a déposé son rapport d'expertise le 19 décembre 2007.
Après expertise, Madame [T] a saisi le tribunal de grande instance de Digne les Bains selon acte du 31 janvier 2008 notifié aux seules Sociétés CARIATIDE et MAF, dès lors que l'expertise judiciaire de Monsieur [V] avait conclu que les désordres survenus sur la construction étaient dus à des défauts de conception des travaux de reprise en sous 'uvre exclusivement imputables à la Société CARIATIDE.
Madame [T] sollicitait la condamnation de la Société CARIATIDE et de son assureur la MAF solidairement, à l'indemniser du coût des travaux de réparation, du préjudice de jouissance, des frais irrépétibles qu'elle avait engagés et des dépens.
La Société CARIATIDE et la MAF ont appelé en cause, selon acte notifié le 2 décembre 2009, la SMABTP et la Société ETS afin que ces dernières soient condamnées solidairement à les relever et garantir de toutes condamnations éventuelles qui seraient prononcées à leur encontre.
Par un jugement rendu le 11 mai 2011 le tribunal de grande instance de Digne les Bains a condamné solidairement la Société CARIATIDE et la MAF à payer à Madame [T]:
- la somme de 337 000 € outre indexation sur l'indice BT 01 du bâtiment, en prenant pour base l'indice du mois de décembre 2007 par rapport à |'indice du mois de juin 2011,
- la somme de 656 € par mois à compter du 31 août 2003 et jusqu'à la date du jugement au titre du droit de jouissance,
- et enfin la somme de 1 312,00 € au titre du relogement de Madame [T].
Le tribunal a débouté les parties de leurs autres demandes, et notamment celles qui avaient été dirigées à l'encontre de la Société ETS et la SMABTP.
La MAF et la Société CARIATIDE ont interjeté appel du jugement selon déclaration d'appel du 29 juillet 2011. La SMABTP et la Société ETS ont formé appel provoqué selon déclaration du 28 septembre 2011.
Par arrêt du 15 novembre 2012, la Cour d'Appel d'Aix en Provence a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et condamné in solidum la Société CARIATIDE et la MAF à payer en sus à Madame [T] une indemnité de procédure de 2 000 €, ainsi qu'aux dépens d'appel.
La Société CARIATIDE et sa compagnie d'assurances, la MAF, ont formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt. Par arrêt du 11 mars 2014, la Cour de Cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 15 novembre 2012 par la Cour d'Aix en Provence, remettant en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoyant devant la Cour d'appel d'Aix en Provence.
Par déclaration en date du 26 mars 2014, la société Mutuelle de Architectes Français et la Sarl CARIATIDE ont saisi la Cour d'appel d'Aix en Provence.
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Vu les conclusions prises pour la MAF et la SARL CARIATIDE, déposées et notifiées le 30 octobre 2014,
Vu les conclusions prises pour la SAS ETUDES ET TRAVAUX SPECIAUX (ETS), déposées et notifiées le 27 août 2015,
Vu les conclusions prises pour Madame [P] [T], déposées et signifiées le 21 août 2015,
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Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de son rapport, l'expert conclut que les désordres dont se plaint Madame [T] portent sur des fissures et lézardes atteignant plus d'un centimètre qui affectent les murs extérieurs et les parois intérieures. Il précise que la réalité des désordres est établie, en précisant que les fissures ont pour origine des tassements différentiels des structures de la maison, qui ont perduré malgré les confortements effectués.
Les fissures ont pour origine selon l'expert :
- un fort pendage du substratum sain,
- une lente reptation des couches superficielles,
- des différences d'appuis, accentuées par les micropieux mis en place.
Selon l'expert, l'importance des fissures et lézardes traduit de graves mouvements de la structure
qui compromettent de façon certaine la solidité de l'ouvrage.
L'expert estime que les nouveaux désordres sont dus à des défauts de conception des reprises en sous 'uvre effectuées et dont la dernière a été étudiée par la société CARIATIDE, qui avait connaissance des interventions précédentes et avait à tenir compte de la fragilité des reprises antérieures.
La Cour relève que la Société CARIATIDE est intervenue 20 ans après la construction de la villa, et après deux tentatives et deux campagnes de travaux qui avaient pour objectif de stabiliser la villa après dépôt d'un premier rapport d'expertise judiciaire. Missionnée par la MAIF assureur de Madame [T], elle a établi en septembre 1995 un descriptif des travaux pour les reprises en sous-oeuvre partielles des fondations. Il est indiqué en page deux de ce document:« L'analyse des divers rapports d'études de sols établis par Monsieur [Q] et par la Société SOL ESSAIS, montre que les fondations de type superficiel sont établies dans des horizons marno-argileuses altérées et très sensibles aux variations d'humidité et particulièrement au phénomène de retrait par dessiccation.
Le substratum constitué de marnes compactes sablonneuses de couleur gris bleu présente un pendage très net puisqu'il apparaît vers 7,10 m de profondeur, dans un forage F1, et d'après l'étude DE SARTIGES, à moins de 3 m de profondeur en partie Nord Ouest, et plus de 10 m de profondeur en partie Sud Est (zone garage).
Il convient de souligner ici que la construction a déjà fait l'objet d 'une reprise en sous-'uvre partielle par micropieux de longueur moyenne de 4 m, dont certains semblent donner satisfaction (zone cuisine), alors que les autres situés sous le refend et en façade Sud sont inefficaces.
Dans un tel contexte, et compte tenu de la localisation actuelle des désordres évolutifs, nous avons été conduits à envisager une reprise partielle selon plan joint en annexe une telle reprise partielle ne saurait bien entendu permettre de se prémunir contre une éventuelle extension des désordres au reste de la construction.
La force portante des micro pieux sera de 10 tonnes par mètre linéaire d' ancrage dans les marnes compactes pour un pieu de diamètre de 140 mm, avec un ancrage minimum de 2 m.
En ce qui concerne le garage qui présente des désordres proches de la dislocation, liés aux problèmes de sol, et également à la fragilité de la structure, nous avons prévu de le désolidariser de la villa par réalisation de deux joints, et de le renforcer par mise en place de raidisseurs et de chaînages.
Ceci permettra à notre sens d'assurer la sécurité de la construction, mais laissera subsister un risque d'apparition de désordres secondaires qui devront être acceptés.''.
Lorsque la Société CARIATIDE est intervenue à la demande de la MAIF, assureur de Mme [T], elle a ainsi préconisé la réalisation de micro pieux complémentaires, en indiquant que compte tenu de la structure d'origine de la villa, il n'était pas impossible que les désordres réapparaissent, et l'expert Monsieur [V], qui a déposé son rapport en 2007, préconise à nouveau la réalisation de micro pieux.
Il apparaît dès lors que les travaux préconisés par la Société CARIATIDE et réalisés par la société ETS étaient insuffisants, et doivent être aujourd'hui complétés.
Madame [T] entend rechercher la responsabilité du maître d''uvre sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil.
La Cour relève cependant que Société CARIATIDE n'est pas constructeur de la villa au sens des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil. Elle est intervenue dans le cadre de travaux de reprises de désordres préexistants. Sa responsabilité doit être écartée, les problèmes de fondations d'origine préexistaient à son intervention et il n'est pas démontré que les travaux de reprises préconisés par elle, soient de quelque manière que ce soit à l'origine des désordres subis par la villa de Madame [T]. Il n'est en effet pas démontré que les travaux entrepris par la société ETS sur préconisation de la société CARIATIDE aient aggravé les désordres initiaux. Il convient de rappeler à ce stade que l'expert [V] a incriminé la conception des travaux de reprise de la villa [T] au motif que les micro pieux étaient insuffisants pour stabiliser définitivement la villa, raison pour laquelle, il conclut qu'il convient cette fois de réaliser des micro pieux sous l'ensemble de la propriété.
Il est constant que la responsabilité de plein droit des constructeurs n'est engagée que si le maître d'ouvrage justifie d'un lien de causalité entre leur activité et les désordres. Il n'est pas démontré qu'il existe un lien de causalité entre des travaux de reprise inefficaces réalisés par la société ETS sous la maîtrise d'oeuvre de la société CARIATIDE et les désordres auxquels ils devaient mettre un terme.
Madame [T] sera déboutée de ses demandes.
Madame [T] sollicite subsidiairement la condamnation de la société CARIATIDE à lui rembourser le montant des travaux exécutés sous sa maîtrise d'oeuvre en 1996. Elle ne précise cependant pas sur quel fondement elle forme cette prétention. La Cour relève que la première campagne de pose de micropieux dans les années 89 était insuffisantes mais n'était pas inutile et que la deuxième campagne de micropieux réalisée sous la maîtrise d'oeuvre de la société CARIATIDE était insuffisante, mais n'était pas inutile, puisque l'expert conclut lui même qu'il convient cette fois-ci de réaliser des micropieux sous l'ensemble de la propriété [T]. La demande de Madame [T] sera rejetée.
La demande de la société CARIATIDE tendant à être relevée et garantie par la société ETS et son assureur devient sans objet.
PAR CES MOTIFS :
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence,
Infirme en toutes ses dispositions la décision du tribunal de grande instance de Digne en date du 11 mai 2011,
Déboute Madame [T] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Madame [T] à verser à la société CARIATIDE et la MAF ensemble, la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [T] à verser à la société ETS et la SMABTP ensemble, la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [T] aux entiers dépens de procédure, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de la SCP MAGNAN et de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE, représentée par Maître Pierre-Yves IMPERATORE, avocats aux offres de droits.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE