COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND DU 25 MARS 2016
No 2016/ 664
Rôle No 14/06248
AGS-CGEA DE MARSEILLE-UNEDIC AGS-DELEGATION REGIONALE SUD-EST
C/
Abdelhamid X... Maître Jean-Pierre Y..., Mandataire ad hoc de la sarl COTRE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de MARSEILLE-section I-en date du 11 Mars 2014, enregistré au répertoire général sous le no 13/ 1172.
APPELANT
AGS-CGEA DE MARSEILLE-UNEDIC AGS-DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant Les Docks, Atrium 10. 5-10 place de la Joliette, BP 76514-13567 MARSEILLE CEDEX 02
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE,
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Monsieur Abdelhamid X..., demeurant ... -13013 MARSEILLE
représenté par Me Alain GUEGNOLLE, avocat au barreau de MARSEILLE
Maître Jean-Pierre Y..., Mandataire ad hoc de la sarl COTRE, demeurant ... -13001 MARSEILLE
non comparant, non représenté
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2016 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre Mme Marina ALBERTI, Conseiller Monsieur Yann CATTIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.
Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure
M. Abdelhamid X... a été employé par la société Cotre, en qualité de calorifugeur, du 2 mars 1987 au 31 janvier 2011.
Cette société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en date du 9 mars 2011, procédure close pour insuffisance d'actif par décision du 24 mai 2012. M. Y... a été désigné en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance du Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence en date du 21 novembre 2013.
Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) par un arrêté du 7 juillet 2000 fixant les dates d'exposition à l'amiante à compter de l'année 1950.
M. Abdelhamid X... a été bénéficiaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif à compter du 1er février 2011.
Le 11 avril 2013, M. Abdelhamid X... a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices résultant de son exposition à l'amiante.
Le Cgea-Ags délégation régionale du Sud-Est Marseille a été appelé en la cause.
Par jugement du 11 mars 2014 le conseil de prud'hommes de Marseille, a :- fixé la créance de M. Abdelhamid X... à valoir sur la liquidation judiciaire de la société Cotre à la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété,- déclaré le jugement opposable au Cgea du Sud Est, dans la limite de la garantie légale,- ordonné l'exécution provisoire,- débouté M. Abdelhamid X... du surplus de ses demandes,- dit que les dépens seront prélevés sur l'actif de la société liquidée.
Le Cgea-Ags de Marseille a interjeté appel de cette décision le 14 mars 2014.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, le Cgea-Ags de Marseille demande à la cour,
à titre principal, de :- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998,- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata,- dire et juger que, dans l'hypothèse où le salarié a continué de travailler au-delà de la publication de l'arrêté Accata, le préjudice d'anxiété ne peut naître qu'à la date de saisine de la juridiction prud'homale, laquelle est postérieure à la date de la procédure collective,- dire et juger que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont donc nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Cotre et ne sont pas garantie par l'Ags,- déclarer les créances insusceptibles de garantie,
sur le préjudice spécifique d'anxiété, de :- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante,- dire et juger que lepréjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par le dispositif Acaata, sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat,
à titre subsidiaire, de :- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués,- dire et juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,- dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L. 143-11-1 ancien du code du travail ne peu concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article, les astreintes et article 700 étant ainsi exclus de la garantie,- dire et juger que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière au sens de l'article 1153 du code civil,- dire et juger qu'en tout état de cause la garantie de l'Ags est nécessairement plafonnée conformément aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'Unedic Ags,- condamner M. Abdelhamid X... aux entiers dépens.
Par conclusions écrites, déposées et plaidées à la barre, M. Abdelhamid X... demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence du préjudice d'anxiété et déclaré la décision opposable à l'Ags-Cgea de Marseille et au mandataire ad hoc, et, par la voie d'un appel incident, infirmant ce jugement sur les dommages et intérêts, de :- fixer à la somme de 15 000 euros le montant des dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,- déclarer la décision à intervenir opposable au Cgea et au mandataire ad hoc,- dire et juger que l'Ags-Cgea de Marseille doit sa garantie,- condamner l'Ags-Cgea de Marseille à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.
M. Y..., ès qualités, régulièrement avisé de la date d'audience par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 28 septembre 2015, n'est ni comparant, ni représenté. Il sera statué par arrêt réputé contradictoire.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera référé à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété
M. Abdelhamid X... sollicite l'allocation de la somme de 15 000 euros à ce titre, faisant valoir qu'il a été exposé à l'amiante et se trouve dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration d'une maladie liée à l'amiante.
Le droit à indemnisation du préjudice d'anxiété repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante.
La société Cotre qui avait pour activité notamment des travaux d'isolation, de peinture, de calorifugeage et de fumesterie a été classée parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 pour la période depuis 1950.
En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 31 janvier 2011 que M. Abdelhamid X... a travaillé pour le compte de la société Cotre du 2 mars 1987 au 31 janvier 2011 en qualité de calorifugeur.
M. Abdelhamid X... a travaillé dans les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté du 7 juillet 2000 pendant une période où étaient traités ou étaient utilisés dans l'établissement mentionné par cet arrêté, de l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et se trouve-de par le fait de l'employeur-dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, il a d'ailleurs bénéficié du dispositif Acaata, et se trouve-de par le fait de l'employeur-dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.
Il produit aux débats diverses attestations de salariés décrivant leur poste de travail et leur exposition à l'amiante.
Le préjudice spécifique d'anxiété n'a pas été pris en compte par l'Acaata, dispositif n'ayant pas pour finalité de réparer le dommage résultant de cette anxiété, mais dont le principal objet est d'indemniser le salarié ayant subi une exposition à l'amiante qui a demandé à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la société Cotre responsable du préjudice d'anxiété subi par celui-ci.
Compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, sera plus exactement réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Cotre.
Le jugement sera donc réformé de ce chef.
Sur la garantie du Cgea-Ags
En application des dispositions des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 du code du travail, l'Ags couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le préjudice d'anxiété subi par M. Abdelhamid X..., constitué par les troubles psychologiques engendrés par la connaissance du risque de s'être trouvé exposé à l'amiante, n'a pu naître qu'à une date nécessairement antérieure à l'ouverture de la procédure collective concernant la société Cotre, placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 9 mars 2011, à savoir lorsqu'ayant connaissance de l'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, il n'a pu que constater qu'il se trouvait, dans le cadre de son activité au sein de celle-ci, effectivement exposé à un tel risque, peu important que M. Abdelhamid X... a poursuivi son activité professionnelle postérieurement à cette inscription.
En conséquence, sa créance est opposable au Cgea qui est fondé à lui opposer les plafonds légaux de sa garantie.
Le jugement sera confirmé à ce titre.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La demande du salarié au titre de l'article 700 du code de procédure civile, formulée contre le Cgea-Ags de Marseille, sera rejetée.
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, en matière prud'homale,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 8 000 euros la créance de M. Abdelhamid X... au titre de son préjudice d'anxiété,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Fixe la créance de M. Abdelhamid X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Cotre à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété incluant le bouleversement dans les conditions d'existence,
Déboute M. Abdelhamid X... de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.