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25/03/2016 | FRANCE | N°14/11878

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, 18e chambre b, 25 mars 2016, 14/11878


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE 18e Chambre B

ARRÊT AU FOND DU 25 MARS 2016

No 2016/ 666

Rôle No 14/ 11878

Maurice X...

C/

Charles Y...
CGEA AGS DE MARSEILLE
Grosse délivrée le : à :

Me Cyril MICHEL
Maître Charles Y...
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de MARSEILLE-section I-en date du 05 Juin 2014, enregistré au répertoire général sous le no 13/ 684.
APPE

LANT
Monsieur Maurice X..., demeurant ...-20169 BONIFACIO
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué p...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE 18e Chambre B

ARRÊT AU FOND DU 25 MARS 2016

No 2016/ 666

Rôle No 14/ 11878

Maurice X...

C/

Charles Y...
CGEA AGS DE MARSEILLE
Grosse délivrée le : à :

Me Cyril MICHEL
Maître Charles Y...
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de MARSEILLE-section I-en date du 05 Juin 2014, enregistré au répertoire général sous le no 13/ 684.
APPELANT
Monsieur Maurice X..., demeurant ...-20169 BONIFACIO
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Maître Charles Y..., mandataire ad hoc de la Société CHAUDRONNERIE JOLY, demeurant ...-13090 AIX-EN-PROVENCE
non comparant, non représenté

PARTIE INTERVENANTE

CGEA AGS DE MARSEILLE, demeurant 10 Place de la Joliette-BP 76514- Les Docks-Atrium 10. 5-13567 MARSEILLE CEDEX 02
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE,
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS
*- *- *- *- *
COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre Mme Marina ALBERTI, Conseiller Monsieur Yann CATTIN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure
M. Maurice X... a été employé par la société Chaudronnerie Joly, en qualité de soudeur, du 14 novembre 1985 au 16 janvier 1987 puis du 18 mai 1987 au 30 juin 1989.
Cette société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en date du 20 juillet 1994, procédure close pour insuffisance d'actif par décision du 23 juillet 1996. M. Y...a été désigné en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance du Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence en date du 18 février 2013.
Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) par arrêté du 7 juillet 2000 fixant les dates d'exposition à l'amiante de 1984 à 1994.
M. Maurice X... a été bénéficiaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif à compter du 1er novembre 2006.
Le 4 mars 2013, M. Maurice X..., avec d'autres anciens salariés de la société Chaudronnerie Joly, a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices résultant de son exposition à l'amiante.
Le Cgea-Ags délégation régionale du Sud-Est Marseille a été appelé en la cause.
Par jugement du 5 juin 2014, concernant cinq demandeurs, le conseil de prud'hommes de Marseille, après avoir retenu sa compétence, a dit et jugé que les demandeurs ne démontrent pas le préjudice d'anxiété, les a déboutés de leurs demandes et condamnés aux entiers dépens.
M. Maurice X... a interjeté appel de cette décision le 11 juin 2014.
Une ordonnance de disjonction concernant les procédures relatives à chacun des salarié est intervenue le 6 octobre 2014.

Prétentions et moyens des parties

Par conclusions écrites, déposées et plaidées à la barre, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, M. Maurice X... demande à la cour, infirmant le jugement déféré, de :- dire que la société Chaudronnerie Joly a exposé les salariés aux poussières d'amiante sans protection et qu'elle a engagé sa responsabilité en raison de cette exposition,- fixer au passif de la société Chaudronnerie Joly sa créance aux sommes suivantes : ¿ 15 000 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et de l'inéxécution fautive du contrat de travail, demande nouvelle devant la cour, ¿ 15 000 euros en réparation de son préjudice autonome d'anxiété, ¿ 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,- déclarer la décision de plein droit opposable au Cgea-Ags dans les conditions prévues à l'article L. 3253-6 et L. 3253-8 1o du code du travail.

Aux termes de ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, le Cgea-Ags de Marseille conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour, sur le fond, de :- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et, par conséquent, débouter ceux n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata, de leur demande relative à leur exposition à l'amiante, moyen ne concernant pas M. Maurice X...,- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata est postérieur à l'ouverture de la procédure collective, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat,

à titre subsidiaire, de :- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,- dire que la garantie de l'Ags est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner les demandeurs aux dépens.

M. Y..., mandataire ad hoc, régulièrement avisé de la date d'audience par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 28 septembre 2015, n'est ni comparant, ni représenté. Le présent arrêt sera réputé contradictoire.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera référé à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, étant précisé que l'obligation de prévention des risques inhérents au poste de travail n'est que l'une des composantes de cette obligation de résultat.
D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi no 91-1414 du 31 décembre 1991 disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.
Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que " les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers. "
En l'espèce, il résulte des certificats de travail établis le 16 janvier 1987 et 6 juillet 1989 que M. Maurice X... a travaillé pour le compte de la société Chaudronnerie Joly du 14 novembre 1985 au 16 janvier 1987 puis du 18 mai 1987 au 30 juin 1989 en qualité de soudeur.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et d'une inexécution fautive du contrat de travail

M. Maurice X... sollicite l'allocation de la somme de 15 000 euros à ce titre, faisant valoir qu'il a été exposé à l'amiante du fait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et d'une inexécution fautive du contrat de travail.

Il soutient que cette entreprise intervenait sur les chantiers de réparation navale, sur le port de Marseille, en tant que sous-traitante de maîtres d'oeuvre dans ce domaine d'activité et que les salariés, quels que soient les corps de métiers, étaient exposés à l'inhalation de fibres d'amiante de par leur activité professionnelle et en raison de leur travail en atmosphère saturé d'amiante, alors qu'aucune protection pour intervention en milieux confinés et pollués n'avait été mise en place par l'employeur. Il produit aux débats diverses attestations de salariés décrivant leur poste de travail et leur exposition à l'amiante.

Il n'est pas contesté par le mandataire ad hoc et l'Ags que l'employeur n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977.
Il en résulte que l'employeur a manqué aux dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail en ce qu'il n'a pas pris ces mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et en ce qu'il s'est abstenu de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que d'une organisation et de moyens adaptés. Le manquement à l'obligation de sécurité de résultat et l'inexécution fautive du contrat de travail sont donc avérés et le préjudice qui en découle directement est l'inquiétude que le salarié peut manifester face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et qui n'a pu naître qu'au moment où il a été informé de son exposition à l'amiante du fait de l'absence de prévention par l'employeur.
Ce préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque.
M. Maurice X... qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande, nouvelle en cause d'appel, en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et d'une inexécution fautive du contrat de travail.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété

Le droit à indemnisation du préjudice d'anxiété repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante.
La société Chaudronnerie Joly a été classée parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 pour la période de 1984 à 1994. Comme vu supra, M. Maurice X... justifie y avoir été salarié du 14 novembre 1985 au 16 janvier 1987 puis du 18 mai 1987 au 30 juin 1989.
Il résulte de ces éléments qu'il a travaillé dans les conditions prévues par l'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté du 7 juillet 2000 pendant une période où étaient fabriqués ou traités dans l'établissement mentionné par cet arrêté, de l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et se trouve-de par le fait de l'employeur-dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante (il a d'ailleurs bénéficié du dispositif Acaata). Le jugement ayant débouté M. Maurice X... de sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété sera infirmé.
Compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, sera réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts à fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Chaudronnerie Joly.

.../... Sur la garantie du Cgea-Ags

En application des dispositions des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 du code du travail, le Cgea-Ags couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié ; aucun des éléments versés aux débats ne peut permettre de retenir que ce préjudice aurait pu naître à une date antérieure à celle de la publication de l'arrêté ministériel d'inscription de la société Chaudronnerie Joly sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, la société ayant été placée en liquidation judiciaire le 20 juillet 1994, procédure clôturée pour insuffisance d'actif le 23 juillet 1996.
Dès lors, l'Ags ne peut être tenue à garantie.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il paraît équitable d'allouer à M. Maurice X... la somme de 300 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés à fixer au passif de la société Chaudronnerie Joly.
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Dit la société Chaudronnerie Joly responsable du préjudice d'anxiété subi par M. Maurice X...,
Fixe la créance de M. Maurice X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Chaudronnerie Joly à la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
Dit que la créance ainsi fixée n'est pas garantie par le Cgea-Ags de Marseille,
Déboute M. Maurice X... de sa demande nouvelle formée au titre de la réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et de l'inexécution fautive du contrat de travail,
Alloue à M. Maurice X... la somme de 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile qui sera inscrite en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Chaudronnerie Joly,
Dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/11878
Date de la décision : 25/03/2016
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2016-03-25;14.11878 ?
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