COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 25 MARS 2016
N°2016/ 151
Rôle N° 14/13537
[J] [T]
C/
[I] [X]
Grosse délivrée le :
à :
-Me Yann GALLANT, avocat au barreau de MARSEILLE
- Me Dominique CHABAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section I - en date du 12 Juin 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/851.
APPELANT
Monsieur [J] [T], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Yann GALLANT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur [I] [X], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Dominique CHABAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jonathan LAUNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre
Madame Hélène FILLIOL, Conseiller
Madame Virginie PARENT, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016
Signé par Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PRETENTIONS
[J] [T] a été engagé le 28 juillet 2010 par [I] [X] dans le cadre d'un contrat d'apprentissage de maçonnerie devant s'achever le 27 juillet 2012 ; le contrat a cessé d'être exécuté à compter de décembre 2010 ;
Suivant requête du 8 mars 2013, [J] [T] a saisi le conseil des prud'hommes aux fins d'entendre requalifier le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, d'obtenir le paiement de rappel de salaires, des congés payés, et diverses indemnités et dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, et travail dissimulé ;
Par jugement du 12 juin 2014, le conseil des prud'hommes a débouté [J] [T] de l'intégralité de ses demandes et a débouté [I] [X] de sa demande reconventionnelle;
La décision a été notifiée à [J] [T] le 13 juin 2014 ; il en a relevé appel le 1er juillet 2014 ;
Par conclusions déposées le jour de l'audience et reprises oralement à la barre, [J] [T] sollicite de la cour au visa des articles L 1232-2, 1232-6, 6222-18, 3243-2, 1221- 10 et 8223-1 du code du travail, qu'elle :
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 1.343,79 € à titre d'indemnité de requalification du contrat de travail,
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 1.343,79 € à titre d'indemnité compensatrice du préavis et 134,73 € à titre de congés payés afférents ;
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 5.375,16 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement et licenciement abusif ;
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 14.745,30 € bruts à titre de rappel de salaire de janvier à novembre 2010, déduction faite des 4.674 € nets perçus ;
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 1.475 € au titre des congés payés bruts afférents ;
Subsidiairement,
- constate la rupture abusive du contrat d'apprentissage par l'employeur,
- en conséquence condamne [I] [X] à lui payer la somme de 15.410,53 € au titre des salaires dus jusqu'au terme prévu du contrat et 1.541,05 € au titre des congés payés afférents;
En tout état de cause,
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 8.062,74 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 1.343,79 € pour non délivrance de l'attestation pôle emploi,
- condamne [I] [X] à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du codede procédure civile ;
- ordonne la délivrance des bulletins de paie et l'attestation pôle emploi rectifiés sous astreinte de 20 € par document et par jour de retard à compter du prononcé de la décision ;
- dise que dans l'hypothèse où à défaut de réglement spontané de condamnations prononcées dans le cadre de la présente procédure, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire' d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier pour l'application de l'article 10 du décret du 8 mars 2011 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par le débiteur en sus des frais irrépétibles ;
- condamne [I] [X] aux entiers dépens ;
Par conclusions en date du 9 février 2016, soutenues oralement et auxquelles la cour se réfère, [I] [X] a conclu à ce que la cour :
- dise [J] [T] mal fondé dans ses demandes ;
- confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
- déboute [J] [T] de l'intégralité de ses demandes ;
Reconventionnellement,
- condamne [J] [T] à lui payer la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles.
MOTIFS
A/ sur la demande de requalification du contrat d'apprentissage en contrat à durée indéterminée
Attendu que [J] [T] fait valoir qu'en l'absence de contrat écrit, le contrat est réputé avoir été conclu à durée indéterminée ; qu'en l'espèce il affirme avoir commencé la relation de travail en réalité à compter de janvier 2010 et non pas le 28 juillet 2010; qu'il verse pour étayer ses dires une attestation en ce sens de son cousin, et produit son relevé de compte démontrant le versement le 5 mars 2010 d'une somme de 500 € provenant d'un chèque du même jour de [I] [X] ; qu'il communique également la copie d'un chèque de 300 € qu'il a déposé sur son compte le 19 mars 2010, un autre de 250 € qui a crédité son compte le 3 avril 2010 ; qu'il affirme également avoir déposé un chèque de 180 € le 10 juillet 2010 ;
Attendu que pour sa part [I] [X] ne reconnaît que le chèque de 500 € comme ayant été versé avant la conclusion du contrat d'apprentissage le 28 juillet 2010 et l'explique comme la contrepartie d'une période d'essai pour vérifier si elle pouvait déboucher sur la conclusion du dit contrat ; il estime en conséquence que [J] [T] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une relation de travail ayant débuté en janvier 2010, étant observé que seul l'établissement du lien de subordination étant décisif à cet égard ;
Attendu qu'Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Attendu que l'existence d'un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur.
Attendu qu'en l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve.
Attendu qu'il revient donc à [J] [T] de rapporter la preuve de l'existence d'une relation salariale qui aurait commencé sans contrat entre janvier et juillet 2010 ;
Attendu qu'au vu des pièces produites, (chèques et extraits de compte) qu'il y a lieu de constater :
- que le chèque du 5 mars 2010 provient indubitablement du chéquier de [I] [X] et a crédité le compte de l'appelant ;
- que le chèque de 300 € n° 1000116 provenant du chéquier de l'intimé dont l'appelant indique qu'il l'a déposé à sa banque le 19 mars 2010 ne peut être retenu, [I] [X] prouvant par son relevé de compte que ce chèque a été débité le 29 novembre 2010 ; que dès lors, rien n'établit que la remise de chèque de 300 € intervenue le 19 mars a pour origine un versement de [I] [X] ;
- que [J] [T] affirme sans en apporter la preuve qu'un chèque de 250 € remis en banque le 3 avril 2010 aurait pour origine [I] [X] ; que s'il produit bien un chèque de 250€, non daté, à son ordre émanant de [I] [X], le n° du chèque 7537192, ne correspond pas à celui qui a été déposé à la banque à cette date (n° 9403124)dont l'origine n'est donc pas établie ;
- que le chèque de 180 € déposé selon [J] [T] le 10 juillet 2010 portant le n° 1000112, s'il provient bien d'un chéquier de [I] [X] (non daté, et sans ordre) ne peut correspondre à ce versement précis ; qu'en effet d'une part le chèque déposé le 10 juillet porte le n° 3620813, et d'autre part, l'intimé prouve par la production de son relevé de compte que le chèque n°1000112 a été débité de son compte le 24 novembre 2010 ;
- qu'enfin il résulte du relevé de compte de [I] [X] que le chèque de 300 € à l'ordre de [J] [T] n° 1000063 a été débité du compte le 29 septembre 2010 ce qui est sans rapport avec ce que [J] [T] cherche à prouver s'agissant de versements réguliers correspondant à des salaires pour la période janvier-juillet 2010;
Attendu qu'en définitive, seul un chèque, celui de 500 € déposé en banque le 5 mars a crédité de façon indiscutable à cette date le compte de l'appelant ;
Attendu que [J] [T] a communiqué une attestation de son cousin établie en mai 2013 aux termes de laquelle celui-ci a indiqué : 'j'ai travaillé à partir de septembre 2009 jusqu'en décembre 2010 pour M. [I] [X] , en qualité de maçon ; pendant cette période, je n'ai jamais eu de contrat de travail ni bulletin de paie et j'ai toujours été payér par chèque ou espèces; j'atteste que mon cousin M. [J] [T] à travaillé pour M. [I] [X] en tant que ouvrier maçon de janvier 2010 à novembre 2010;"
Attendu que le seul chèque du 5 mars et l'attestation d'un membre de la famille sont insuffisants à établir l'existence d'une relation salariale pendant une durée de 7 mois et ce d'autant que l'examen des autres éléments présentés comme justifiant des prétendus salaires sont dénaturés et ne correspondent pas à la réalité objective des faits ; que la cour relève que [J] [T] est manifestement dans l'incapacité d'énumérer et de décrire les chantiers sur lesquels il aurait travaillé et de donner une quelconque précision sur la nature des tâches qui lui auraient été confiées ; que par suite, la cour confirme la décision du conseil des prud'hommes en ce qu'il a jugé que [J] [T] ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée ;
Attendu que de même la décision doit être confirmée en ce qu'elle a rejeté toutes les demandes dérivant du contrat à durée indéterminée dont il se prévalait tant pendant la durée qu'à l'occasion de la rupture ;
B/ Sur la rupture du contrat d'apprentissage
Attendu que [J] [T] fait état que fin novembre 2010, [I] [X] avait préparé un document de rupture conventionnelle qu'il n'a pas signé ; qu'il indique qu'à partir de décembre 2010, son employeur ne lui a plus fourni de travail ; qu'il estime que par suite, l'employeur a violé les dispositions de l'article L 6222-18 du code du travail consacrant par là même une rupture abusive du contrat de sorte qu'il est légitime à revendiquer le paiement des salaires jusqu'au terme prévu du contrat d'apprentissage soit le 27 juillet 2012 ; qu'il observe en particulier que [I] [X] ne peut se retrancher derrière la nullité du contrat en raison du refus en janvier 2011 de la chambre des métiers de l'enregistrer par suite du défaut de présentation de l'apprenti à deux visites médicales dont l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il les avait organisées;
Attendu que pour sa part [I] [X] soutient que [J] [T] a souhaité mettre fin au contrat conventionnellement, en raison des exigences d'assiduités au centre de formation des apprentis qu'il n'entendait pas respecter comme le montre le relevé des absences et met en avant que l'appelant a attendu plus de deux ans avant de saisir le conseil des prud'hommes ; qu'il précise qu'il a reçu en janvier 2011 un courrier de la chambre des métiers l'informant que le contrat d'apprentissage ne serait pas enregistré de sorte que le contrat devait être considéré comme nul et qu'ainsi celui-ci ne peut recevoir ni requalification ni application ; que dans une telle situation, le salarié peut seulement prétendre à une indemnisation en fonction du préjudice subi, à charge pour lui d'étayer le préjudice, aucun élément n'étant communiqué en l'espèce;
Attendu qu'aux termes de l'article L 6222-18 du code du travail, passé les deux premiers mois de l'apprentissage, ' la rupture du contrat ne peut intervenir que sur accord signé des deux parties. A défaut la rupture ne peut être prononcée que par le conseil des prud'hommes en cas de faute grave ou de manquements repétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer' ;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu le 28 novembre 2010, [I] [X] a préparé un document intitulé ' constatation de la rupture d'un contrat d'apprentissage ' sur la base d'un commun accord des parties, mais qui est revêtu de sa seule signature ; que les parties sont d'accord pour dire que le contrat s'est terminé de fait, le salarié indiquant que l'employeur ne lui a plus fourni de travail à compter de décembre 2010, l'employeur précisant que l'apprenti n'a effectué aucune prestation de travail à compter de cette date;
Attendu qu'en l'absence d'acceptation de la rupture, il appartenait à l'employeur de saisir le conseil de prud'hommes ; qu'il ne l'a pas fait ; que dès lors [J] [T] est fondé à solliciter le paiement des salaires jusqu'au terme du contrat prévu en l'espèce le 27 juillet 2012; que la circonstance que par courrier du 11 janvier 2011, [I] [X] ait été avisé que le contrat d'apprentissage ne serait pas enregistré faute d'avoir communiqué les documents nécessaires est inopérante ;
Attendu qu'il y a donc lieu d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes et de condamner [I] [X] à payer à [J] [T] la somme de 15.410,53 € calculée selon les modalités de rémunération prévues au contrat, ainsi que celle de 1.541,05 € représentant les congés payés afférents ;
C/ sur l'indemnité demandée au titre du travail dissimulé
Attendu que [J] [T] expose que ses bulletins de paie de septembre à novembre 2010 sont fantaisistes, non conformes, correspondent en fait à un montage d'un de ses bulletins chez un employeur précédent, et produit à la procédure la déclaration de revenus de son père dont il dépendait fiscalement, ne faisant pas apparaître ses revenus de sorte qu'il en déduit que [I] [X] n'a pas déclaré aux services fiscaux et sociaux ses salaires et qu'il est fondé à revendiquer une indemnité de 8.062,74 € en application de l'article L 8223-1 du code du travail;
Attendu que [I] [X] objecte que [J] [T] est totalement défaillant dans l'administration de la preuve qui lui revient s'agissant de la démonstration de l'élément intentionnel de la dissimulation du travail alors que le contrat a été conclu par écrit, que des bulletin de paie ont été délivrés et que des paiements par chèque ont été opérés ;
Attendu que [J] [T] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'établir que [I] [X] aurait contrevenu aux dispositions des articles L 8221-3 2° ou 8221-5, la production de bulletins de paies irrégulièrement établis et d'un avis d'imposition étant insuffisants à cet égard ; qu'il convient par suite de le débouter de sa demande sur ce point, le conseil des prud'hommes ayant omis de statuer sur cette demande ;
D/ sur les autres demandes
Attendu que l'apprenti est en droit de prétendre à la remise d'une attestation destinée au pôle emploi ; que [I] [X] n'a pas répliqué à ce chef de demande et ne justifie pas s'être acquitté de cette obligation ; que l'absence de remise de l'attestation que de même celle du bulletin de salaire pour le mois d'août 2010 cause nécessairement un préjudice que la cour répare par l'allocation d'une somme de 250 € ;
Attendu qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner une astreinte ;
Attendu que l'équité justifie qu'il soit alloué à [J] [T] la somme de 1.800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il a lieu de débouter [J] [T] de sa demande au titre de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996, par application de l'article 11 du même texte ;
Attendu que les dépens de première instance et d'appel doivent être mis à la charge de [I] [X] ;
PAR CES MOTIFS
La Cour
Statuant par arrêt mis à disposition, contradictoire, en dernier ressort :
Confirme la décision du conseil des prud'hommes de Marseille en date du 12 juin 2014 en ce qu'il a débouté [J] [T] de sa demande de requalification du contrat en contrat à durée indéterminée et des sommes demandées en conséquence ;
Infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Juge que la rupture du contrat d'apprentissage par [I] [X] est irrégulière ;
Le condamne en conséquence à payer à [J] [T] la somme de 15.410,53 € au titre des salaires dus jusqu'à la fin du contrat et la somme de 1.541,05 € au titre des congés payés afférents avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes, en l'espèce le 22 mars 2013 ;
Condamne [I] [X] à payer à [J] [T] la somme de 250 € à titre d'indemnité pour la non délivrance de l'attestation à pôle emploi et du bulletin de salaire d'août 2010;
Ordonne la délivrance par [I] [X] de ces documents ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Déboute [J] [H] du surplus de ses demandes ;
Condamne [I] [X] à payer à [J] [T] la somme de 1.800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne [I] [X] aux dépens de première instance et d'appel ;
LE GREFFIERLE PRESIDENT