COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 29 MARS 2016
N° 2016/ 179
Rôle N° 14/19119
SCI SAINT FERREOL
C/
SOCIETE SEPAP
Grosse délivrée
le :
à :
Me Sébastien BADIE
Me Ludovic ROUSSEAU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 09 Septembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/04829.
APPELANTE
SCI SAINT FERREOL Immatriculée au RCS de Cannes sous le n°439.195.777, pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée par Me Jean-Michel OLLIER de l'AARPI OLLIER JEAN MICHEL & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMEE
SEPAP Société d'Exploitation de Prêt à Porter immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le numéro 314 529 132 agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié au siège social sis, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Ludovic ROUSSEAU de la SCP ROUSSEAU & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me LO PINTO de la SELARL SELARL DE MAITRES LO PINTO, MAMELLI 'SAJEF AVOCATS', avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 17 Février 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Véronique BEBON, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Véronique BEBON, Présidente
Madame Frédérique [N], Conseillère
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Mars 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Mars 2016,
Signé par Mme Véronique BEBON, Présidente et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER ( dite SEPAP) est titulaire d'un bail commercial du 6 décembre 1995 pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2004 concernant des locaux situés [Adresse 3] appartenant actuellement à la S.C.I SAINT FERREOL.
Le 6 juillet 2004, la SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER a sollicité par acte d'huissier le renouvellement de son bail que le bailleur a accepté contre le paiement d'un nouveau prix de loyer.
Les parties ne se sont pas accordées sur ce montant et un expert a été désigné dans le cadre d'une procédure judiciaire en fixation de loyer.
Suivant acte d'huissier en date du 5 février 2008, le bailleur a exercé son droit d'option visé à l'article L145-7 du code de commerce et refusé le renouvellement du bail avec offre de payer une indemnité d'éviction.
Par ordonnance de référé du 11 août 2008, le juge des référés a ordonné une expertise.
L'expert a déposé son rapport le 4 octobre 2011.
Par acte d'huissier en date du 4 avril 2012, la SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER a assigné la S.C.I SAINT FERREOL devant le tribunal de grande instance de Marseille en paiement d'une indemnité d'éviction de 2 618 170€.
La S.C.I bailleresse a soulevé la prescription de l'action en paiement et subsidiairement a demandé à voir limiter l'indemnité d'éviction essentiellement en raison des possibilités alléguées de transfert du fonds dans l'hypercentre ville.
Par jugement en date du 9 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- constaté que I'action introduite par l'assignation du 4 avril 2012 n'était pas prescrite ;
- fixé l'indemnité d'éviction due par la SCI SAINT-FERREOL à la SOCIETÉ D'EXPLOlTATlON DE PRET A PORTER à la somme de 1 756 100 €, se décomposant comme suit :
- indemnité principale 1 573 000 €
- frais de remploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 300 €
- trouble commercial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 800 €
- dit que les frais de déménagement et les autres frais de transfert seront payés sur présentation de factures et les frais de licenciement sur présentation de l'attestation de rexpert comptable ;
- dit que l'indemnité d'éviction sera versée entre les mains de Maitre [Q] [B] La SCP [N] [T] [Adresse 2] en qualité de séquestre,
- dit que les honoraires du séquestre resteront à la charge de la S.C.I SAINT-FERREOL ;
- fixé l'indemnité d'occupation due par la SOCIETÉ D'EXPLOlTATlON DE PRET A PORTER à la SCI SAINT-FERREOL à compter du 18 janvier 2005 et jusqu'à son départ effectif à la somme de 80 347 € hors charges et hors taxes ;
- dit n'y avoir à exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- dit n'y avoir lieu a application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.
La S.C.I SAINT FERREOL a relevé appel de cette décision le 2 octobre 2014.
Dans ses dernières conclusions en date du 27 avril 2015 auxquelles il est fait expressément référence, la S.C.I SAINT FERREOL demande à la cour de :
A titre principal,
- infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a jugé l'action en paiement comme non prescrite,
- déclarer l'action en paiement de l'indemnité d'éviction intentée parla société SEPAP est prescrite.
A titre subsidiaire,
- réformer la décision de première instance en ce qu'elle a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 1756 100 euros,
- dire mal fondée la SEPAP en ses demandes de fixation d'une indemnité d'éviction à la somme de 2.530.021€,
- fixer l'indemnité d'éviction due à la société SEPAP au titre du transfert de son fonds de commerce à la somme de 200.000 euros,
A titre infiniment subsidiaire,
- fixer l''indemnité d'éviction due à la société SEPAP à la somme maximum de 1.098.975 euros.
- réformer la décision de première instance en ce qu'elle a fixé l'indemnité de remploi à la somme de 157 300 euros et le trouble commercial à la somme de 25800 euros,
- dire et juger que I'indemnité de remploi devra être limitée à 7 % de I'indemnité principale,
- dire et juger que le paiement des frais de remploi parle bailleur sera subordonné à la fourniture de justificatifs,
- réduire à de plus justes proportions le trouble commercial,
- dire et juger que les frais de déménagement, de réinstallation et de licenciement du personnel seront payables sur justificatifs,
- débouter le locataire du surplus de ses demandes, et notamment les demandes formulées au titre des frais de réinstallation non amortis et frais divers,
- dire que le montant de l'indemnité d'éviction sera séquestrée entre les mains de tel séquestre qu'il plaira à la Cour de désigner,
- dire que le locataire devra quitter les lieux loués dans les trois mois du versement de l'indemnité d'éviction entre les mains du séquestre ci-dessus désigné,
- dire qu'à défaut de quitter les lieux loués dans le délai ci-dessus indiqué, le séquestre retiendra 1% par jour de retard sur le montant de indemnité, et restituera cette retenue au bailleur,
-infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a fixé I'indemnité d'occupation à la somme de 80.347€ HC et HT,
- fixer l'indemnité d'occupation due par la société SEPAP au titre de son maintien dans les lieux
- dire qu'il y aura lieu à réactualiser le montant de I'indemnité d'occupation conformément à l'indexation prévue au terme du bail,
- condamner la société SEPAP à verser au bailleur l'intégralité de I'indemnité d'occupation due depuis la date de la fin du bail, soit à compter du 1er janvier 2005, et ce jusqu'à la libération effective des lieux et ordonner la compensation avec le montant retenu parla Cour de céans au titre des indemnités d'éviction,
En tout état de cause,
- débouter l'intimée de son appel incident ainsi que de ses demandes,
- condamner la société SEPAP à verser à la SCI SAINT FERREOL la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions en date du 2 mars 2016 auxquelles il est fait expressément référence, la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER demande à la cour de:
- dire et juger que la SCI SAINT-FERREOL devra indemniser la S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER (SEPAP), de l'intégralité des préjudices subis par elle du fait de Son éviction des locaux qu'e1le occupe au [Adresse 4].
- dire et juger que l'indemnité d'éviction comprendra les indemnités suivantes :
Indemnité principale liée à. la perte du fonds de commerce : 2.080.000 €
Indemnité remploi 10% : 208.000 €
Frais de déménagement et de réinstallation : 71.000 €
Indemnisation du trouble commercial : 25.800 €
Frais d'installation non amortis et frais de reinstallation: 44.325 €
Frais de licenciement du personnel : 95.896 €
Autres frais divers : 5.000 €
Soit un total de : 2.530.021 €
en conséquence,
- condamner la SCI SAIN'I`~FERREOL a payer à la S.A.S SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER une somme de 2.530.021 € à titre d'indemnité d'éviction,
Vu l'article L 145-28 du Code de Commerce,
- fixer l'indemnité d'occupation a la somme de 3.750 9 HT et hors charge par mois,
- donncer acte à la S.A.S SOCIETE IIYEXPLOITATION DE PRET A PORTER de ce qu'e11e a d'ores et deja régle une somme de 267.387,48€ HT et hors charges, pour la période comprise entre le 1er Janvier 2005 et le 31 Décembre 2014, somme à parfaire au jour du depart effectif des locaux,
subsidiairement,
- confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
En toute hypothèse,
- condamner la SCI SAINTFERREOL a payer à la S.A.S SOCIETE D'EXPLOi'I`A'l`ION DE PRET A PORTER une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de Pinstance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
L'article 145-60 du Code de Commerce soumet l'action en paiement d'une indemnité d'éviction réclamée en application du statut des baux commerciaux au délai de prescription biennale.
La société SEPAP a introduit la présente instance aux fins de règlement de son indemnité d'éviction par un exploit d'huissier délivré le 4 avril 2012.
La S.C.I soutient que sous l'empire des dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008, l'assignation en référé n'interrompait la prescription que pendant I'instance, à laquelle il était mis fin par l'ordonnance désignant l'expert.
En I'espèce, l'action en référé ayant été introduite avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai pour le locataire expirait donc le 11 août 2010, soit deux ans après l'ordonnance du juge des référés du 11 août 2008.
Elle en conclut que la société SEPAP en assignant en avril 2012 est prescrite pour solliciter une indemnité d'éviction.
La SEPAP souligne que le bailleur lui-même a saisi le Juge des référés en désignation d'expert pour faire chiffrer l'indemnité d'éviction qu'il a lui même offert après avoir exercé son droit d'option et que le fait pour lui de prétendre ensuite que l'action en paiement serait prescrite avant même que ladite expertise ait abouti par le dépôt d'un rapport, caractérise un comportement (consistant à se contredire au détriment d'autrui), et un abus de droit qui justifie a lui seul le rejet de l'argument relatif à une prétendue prescription.
Elle ajoute qu'aucune prescription ne saurait être acquise, dans la mesure où la SCI SAINT-FERREOL a toujours reconnu devoir l'indemnité d'éviction à sa locataire, et en dernier lieu dans son dire du 5 Juillet 2011 et que même à se placer sous l'empire de l'ancienne loi, par application de l'ancien article 2228 du Code Civil, l'action n'est pas prescrite.
Par ailleurs, elle soutient que l'ordonnance du référé du 11 août 2008 est postérieure à la loi du 17 juin 2008 et que les premiers juges ont, à juste raison, fait application de l'article 26-1 de la, portant dispositions transitoires, selon lesquelles les dispositions de la loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur et que le nouvel article 2239 suspend la prescription pendant les opérations d'expertise pour ne recommencer à courir qu'à partir du 5 octobre 2011 et à minima pour une nouvelle durée de 6 mois.
Mais il s'avère que l'instance en référé-expertise introduite le 27 mai 2008, quelqu'en soit l'initiateur, tendant à obtenir une mesure d'instruction in futurum en vue de déterminer une indemnité d'éviction, a débuté avant la promulgation de la loi nouvelle et a donc produit ses effets de droit sous le régime juridique qui était applicable lors de l'introduction de l'instance.
Sous l'article 2244 alors applicable, l'assignation en référé n'interrompait la prescription que pendant I'instance, à laquelle il était mis fin par l'ordonnance désignant l'expert, en l'espèce le 11 août 2008 .
L'article 26-1 de la loi du 17 juin 2008 fixant les dispositions transitoires de la loi nouvelle ne prévoit l'application immédiate du nouvel article 2239 qui prévoit une prorogation du délai jusqu'au jour où la mesure d'expertise était exécutée que dans la seule hypothèse où la loi nouvelle a modifié la durée d'une prescription .
Or la loi du 17 juin 2008 n'a ni augmenté ni réduit le délai de prescription de l'article L 145-60 du code de commerce.
Dès lors, le délai de prescription recommençait à courir en l'espèce à compter de l'ordonnance du juge des référés désignant I'expert en date du 11 août 2008, et l'action du preneur était alors prescrite si un délai de deux ans s'était écoulé entre cette date et l'assignation en paiement de I'indemnité d'éviction qui devait donc intervenir avant le 11 août 2010.
Les articles 122 et 123 du code de procédure civile dispose que la prescription est une fin de non recevoir qui peut être proposée en tout état de cause, la mauvaise foi de son auteur ne l'exposant qu'à des dommages et intérêts en cas d'intention dilatoire avérée, ce qui n'est pas le cas de la S.C.I SAINT FERREOL qui a fait valoir ce moyen dès le début de l'instance au fond.
Le délai pouvait être certes être interrompu par la reconnaissance par le débiteur du droit de son adversaire dans les conditions de l'ancien article 2248 du code civil.
Mais la société SEPAP ne peut se prévaloir de la reconnaissance de son droit à paiement d'une indemnité d'éviction par la société par la bailleresse qui n'a émis dans le cadre de l'expertise que des contestations ou dires sur le mode de calcul et le montant de l'indemnité d'éviction en ne prenant position que dans l'éventualité de l'exigibilité d'une telle indemnité et ne contenant aucun engagement univoque de payer un quelconque montant à ce titre, étant au surplus relevé que le dire du 5 juillet 2011 est bien postérieur à l'expiration du délai de la prescription qui était dores et déjà acquise.
Dans ces conditions, il convient de déclarer l'action introduite par la SEPAP le 4 avril 2012 prescrite.
Faisant droit à la demande principale de la S.C.I SAINT FERREOL, il n'y a pas lieu d'examiner ses demandes présentées à titre subsidiaire.
Les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge de la SEPAP, sans qu'il y ait lieu par souci d'équité, de faire application à son encontre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré,
Infirme le jugement entrepris,
Déclare prescrite l'action en paiement de l'indemnité d'éviction intentée par la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION DE PRET A PORTER aux dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel distraits au profit de la SCP BADIE - SIMON-THIBAUD & JUSTON, Avocats associés, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,