COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AVANT DIRE DROIT
DU 29 AVRIL 2016
N°2016/555
Expertise : renvoi au mardi 27 septembre 2016 à 09h00
Rôle N° 14/14403
[W] [V]
C/
AZUR INDUSTRIE
CPAM DES BOUCHES DU RHÔNE
Grosse délivrée le :
à :
Me Julie ANDREU
Me CAPSTAN de la SELARL CAPSTAN
CPAM DES BOUCHES DU RHÔNE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des BOUCHES DU RHÔNE en date du 30 Avril 2014,enregistré au répertoire général sous le n° 21209014.
APPELANT
Monsieur [W] [V], demeurant [Adresse 3]
assisté Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE
AZUR INDUSTRIE, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me CAPSTAN de la SELARL CAPSTAN, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
CPAM DES BOUCHES DU RHÔNE, demeurant [Adresse 2]
représenté par Mme [H] [Q] (Inspectrice juridique) en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Mars 2016 en audience publique devant la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Marie-Claude REVOL, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Avril 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Avril 2016
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[W] [V] a travaillé pour le compte de la Société AZUR INDUSTRIES du 3 février 1997 au 30 avril 2011 en qualité de soudeur.
Le 11 février 2011 il lui a été diagnostiqué selon certificat médical initial « une surdité de perception bilatérale + acouphènes par traumatisme sonore » qui a été reconnue comme maladie professionnelle du tableau n° 42 par la Caisse primaire d'assurance maladie, selon notification à lui adressée le 16 juin 2011.
Un taux d'IPP de 11 % lui a été attribué, lui ouvrant droit à la perception d'une rente annuelle fixée en l'état à 1.596,18 euros.
Selon requête déposée le 14 décembre 2012, [W] [V] a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la Société AZUR INDUSTRIES.
Par jugement prononcé le 30 avril 2014, [W] [V] a été débouté de sa demande.
Selon déclaration reçue au Greffe de la Cour le 2 juillet 2014, le Conseil de [W] [V] a relevé appel de cette décision.
Aux termes des conclusions que son Conseil a déposées devant la Cour et exposées oralement lors de l'audience, [W] [V] sollicite l'infirmation du jugement, de voir dire que la maladie dont il est atteint est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur la Société AZUR INDUSTRIES, en conséquence de voir ordonner la majoration de la rente au maximum légal quel que soit le taux d'IPP dont elle suivra l'évolution et de voir ordonner une expertise pour déterminer l'étendue des préjudices qui ne sont pas indemnisés par la rente qui lui est servie par la Caisse, soit les douleurs physiques et morales, le préjudice d'agrément, le préjudice esthétique et le déficit fonctionnel temporaire, outre le versement à son profit de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Société AZUR INDUSTRIES a fait déposer par son Conseil des conclusions dont celui-ci a développé oralement le contenu lors de l'audience, par lesquelles elle sollicite de voir constater qu'elle a toujours parfaitement appliqué les règles de sécurité au sein de son entreprise et qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable, en conséquence confirmer le jugement, débouter l'appelant de ses prétentions et le condamner au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le représentant de la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a sollicité oralement, si la Cour vient à réformer le jugement, de condamner la Société AZUR INDUSTRIES à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.
La Cour s'en rapporte pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties au contenu des écritures par elles déposées et oralement exposées.
ET SUR CE :
Attendu que pour débouter [W] [V] de ses prétentions, le tribunal a considéré pour l'essentiel que le demandeur ne rapportait pas la preuve d'un manquement de l'employeur à ses obligations, qu'il n'était pas établi que les institutions en charge de la sécurité aient alerté la direction sur un risque de surdité inhérent aux tâches exécutées par le salarié et qu'il ne pouvait être exclu que l'âge ait joué son rôle dans la survenance des troubles auditifs l'affectant sans relation causale avec le travail ;
Qu'à l'appui de sa demande de réformation de cette décision, [W] [V] argue qu'il a été exposé directement et quotidiennement à des traumatismes sonores violents durant près de 14 ans, que l'employeur n'a procédé à aucune déclaration du risque à la Caisse primaire d'assurance maladie et à l'inspecteur du travail, que les protections auditives dont il était doté étaient insuffisantes, que l'employeur n'a pas tiré les conséquences suffisantes des atteintes sonores qui ont été démontrées au préjudice d'autres salariés de l'entreprise et a continué à l'exposer de manière inconsidérée à un risque sonore excessif ;
Attendu que pour s'opposer à ces prétentions, la Société AZUR INDUSTRIES expose que [W] [V] a toujours été déclaré apte à son poste de travail dans des conditions qui n'ont pas pu l'alerter, que la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail du Sud Est a décidé d'imputer sur le compte spécial les conséquences financières de la maladie professionnelle de l'appelant, ce qui tend à établir que celle-ci trouve sa cause professionnelle dans une entreprise non spécifiquement identifiée, que depuis la fin du mois de juillet 2010 il n'est plus du tout exposé au bruit, ce qui montre que sa perte auditive n'est pas en lien avec son travail, qu'il n'est pas démontré qu'il ait été exposé de manière habituelle aux nuisances sonores alors qu'il travaillait en plein air ou sur des machines arrêtées, qu'il était doté de moyens de protection individuels, qu'il l'a sensibilisé aux risques liés à l'exposition aux bruits, que le CHSCT n'a jamais estimé que les mesures de protection prises par elle étaient insuffisantes, qu'elle s'est vue attribuer de nombreuses récompenses pour ses résultats en matière de sécurité et que l'appelant souffre de presbyaccousie ;
Sur la faute inexcusable :
Attendu que le tableau n°42 des maladies professionnelles exige que la déclaration de maladie professionnelle soit réalisée dans le délai de un an en suite de la cessation de l'exposition aux bruits ;
Que ce délai dans la déclaration a été respecté par l'appelant, puisqu'elle a été établie selon déclaration du 11 février 2011 alors qu'il avait cessé son activité professionnelle pour maladie depuis le 16 septembre 2010, de sorte que c'est vainement que l'employeur argumente du caractère tardif de celle-ci ;
Attendu qu'il convient de rappeler que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié à une obligation de sécurité de résultat du chef des produits utilisés ou fabriqués dans l'entreprise ;
Que le manquement de l'employeur à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Attendu qu'il résulte de l'enquête administrative conduite par la Caisse, que [W] [V] a déclaré avoir été exposé en qualité de soudeur aux bruits lésionnels auprès de la Société AZUR INDUSTRIES tous les jours pendant la totalité de l'amplitude horaire de son travail, en effectuant des soudures à l'aide de l'arc-air, en travaillant avec des machines ou à proximité d'autres corps de métiers ;
Que le représentant de l'employeur n'a pas contesté que le salarié utilisait la meule pneumatique, quelque fois électrique, des marteaux, masses et machines à souder dans un environnement nécessairement bruyant ;
Qu'il a indiqué que [W] [V] disposait de bouchons d'oreilles en libre-service plus casque, ce qui induit nécessairement qu'il travaillait dans une ambiance particulièrement sonore ;
Qu'il a cependant coché la case « non » aux questions portant sur « mesures de niveau sonore effectuées par la CRAM » et « cartes de bruits par un organisme agréé » ;
Que sur la base des renseignements recueillis au cours de l'instruction administrative de la maladie professionnelle, le médecin-conseil de la Caisse a considéré le 13 mai 2011 que l'exposition au risque sonore était prouvée ;
Attendu que [B] [Z] compagnon de travail de [W] [V] a déclaré le 8 juillet 2014 avoir « travaillé chez AZUR INDUSTRIES du 1er janvier 1989 au 31 décembre 2013 ' souvent avec [W] [V] en particulier à Arcelor, dans des endroits bruyants, à l'intérieur, bruit des machines et à l'extérieur, bruit des compresseurs et postes à souder, bruit de l'air en faisant l'arc-air' dans l'atelier d'Azur Industries également, il est arrivé que nous devions travailler dans des conditions extrêmement bruyantes lorsque des tuyauteurs coupaient des tuyaux à la meule (bruit de moteurs et machines) » ;
Attendu que l'exposition habituelle du salarié aux bruits est dès lors établie ;
Attendu que le document unique (pièce 10 de l'employeur) mentionne expressément en page 12 que le soudeur qui est affecté aux activités de meulage, poste occupé par [W] [V], est exposé au bruit et doit porter des bouchons d'oreille ;
Qu'il n'est pas contesté que [W] [V] disposait d'EPI, ce qui démontre que l'employeur en dotant ainsi son salarié, avait conscience du danger auquel il l'exposait ;
Attendu que l'exposition au bruit lésionnel étant ainsi avérée et sa conscience par l'employeur étant établie, il convient d'examiner si la Société AZUR INDUSTRIES a mis en 'uvre les moyens collectifs et individuels propres à préserver ses salariés ;
Qu'il convient de rappeler que les équipements de protection individuelle que constituent les bouchons d'oreille et les casques anti-bruit ne constituent pas des protections absolues contre les bruits lésionnels, dès lors qu'ils ne réduisent selon leur degré d'efficience lié notamment à leurs qualités intrinsèques conjuguées à leur coefficient de vétusté, l'intensité des bruits lésionnels ambiants, tout au plus que de 10 à 15 Db, ;
Que les dispositions des articles R.4431-1 et suivants du code du travail sont particulièrement explicites des mesures nécessaires que l'employeur doit mettre en place de manière collective et individuelle pour prévenir les risques d'exposition au bruit ;
Attendu qu'il a été vu supra, qu'aucun mesurage n'a été réalisé par l'employeur pour établir l'importance des niveaux sonores au sein de l'entreprise auxquels étaient exposés les salariés ;
Que la Société AZUR INDUSTRIES n'est pas en mesure de justifier aux débats de l'évaluation des niveaux de bruit et de leur mesurage conformément à l'article R.4455-2 du code du travail ;
Qu'elle ne produit pas de cartographie sonore des différents ateliers où s'activent ses salariés ;
Que le document produit par elle en pièce 15 est insuffisant en raison de son unicité d'une part et de l'ignorance d'autre part dans laquelle elle tient le lecteur, sur les conditions objectives selon lesquelles les mesurages ont été réalisés, et il ne peut dès lors constituer un relevé fiable des risques sonores auxquels elle expose ses salariés ;
Qu'ainsi, l'absence de tout relevé sonore général sur la totalité du site, ne permet pas d'établir ainsi que tente vainement de le démonter la Société AZUR INDUSTRIES, que la dotation en EPI de son salarié était suffisante pour réduire en dessous du seuil de 85 dB le niveau d'atteinte sonore ressenti par lui nonobstant le port des dites protections ;
Que la Cour ne peut manquer d'observer que la Société AZUR INDUSTRIES avait nécessairement été sensibilisée sur ce risque professionnel, par la situation médicale du soudeur [Y] [P], dont le caractère professionnel de sa surdité a été portée à sa connaissance au cours de l'année 2005 ;
Qu'elle ne démontre toutefois pas, qu'en conséquence de cette déclaration de maladie professionnelle et alors qu'elle avait nécessairement conscience du danger auquel elle exposait ses salariés au regard des atteintes sonores excessives, elle ait mis en place postérieurement à l'année 2005, les mesures de prévention collectives nécessaires conformément aux dispositions du code du travail .
Attendu qu'il s'évince à suffisance que dûment avertie des risques sonores auxquels elle exposait son salarié, la Société AZUR INDUSTRIES n'a pas mis en place les mesures nécessaires pour l'en préserver dans des conditions constitutives d'une faute inexcusable à sa charge, laquelle est à l'origine de la maladie professionnelle déclarée par l'appelant ;
Que la Société AZUR INDUSTRIES n'établit pas davantage que les « récompenses » qui ont pu lui être attribuées au titre de la sécurité au travail venaient à consacrer ses efforts pour réduire les nuisances sonores au sein de ses ateliers ;
Que compte-tenu des propres manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat à l'égard de [W] [V] présentement établis, la prétention développée par la Société AZUR INDUSTRIES selon laquelle son salarié aurait été affecté de presbyaccousie, sera déclarée inopérante ;
Que le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions ;
Sur les conséquences de la faute inexcusable :
Attendu qu'en conséquence de la faute inexcusable à la charge de la Société AZUR INDUSTRIES que la Cour retient, il convient d'ordonner la majoration de la rente qui est allouée par la Caisse à [W] [V] à son taux maximum quel que soit le taux de son IPP dont elle suivra l'évolution ;
Que la Société AZUR INDUSTRIES sera également et en conséquence de sa faute inexcusable, condamnée à rembourser à la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône toutes les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance au profit de son salarié ;
Attendu que [W] [V] n'ayant pas évalué ses divers chefs de préjudices pour solliciter une expertise médicale, il convient de faire droit à sa demande selon les modalités arrêtées au dispositif ci-après ;
Que la consignation de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert sera mise à la charge de la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône en en application des articles L.144-5 et R.144-10 du Code de la sécurité sociale ;
Que l'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de [W] [V] ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant contradictoirement en matière de sécurité sociale, par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Déclare [W] [V] recevable et bien fondé en son appel,
Infirme le jugement prononcé par le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône le 30 avril 2014,
Dit que la maladie professionnelle relevant du tableau n°42 dont est atteint [W] [V]est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur la Société AZUR INDUSTRIES,
Ordonne la majoration de la rente qui lui est allouée à son taux maximum quel que soit le taux de son IPP dont elle suivra l'évolution,
Dit que la Société AZUR INDUSTRIES sera tenue de rembourser à la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône toutes les sommes dont celle-ci fera l'avance,
Ordonne une expertise médicale de [W] [V],
Désigne à cette fin le Docteur [F] [Adresse 1]
avec mission de :
prendre connaissance du dossier médical et procéder à l'examen médical ORL de [W] [V],
décrire l'étendu du déficit auditif dont il est atteint,
fournir un avis sur les conséquences qui en résultent dans la vie quotidienne de [W] [V],
donner son avis sur les préjudices allégués par la victime, notamment les souffrances physiqueset morales, le préjudice d'agrément, le préjudice esthétique et le déficit fonctionnel temporaire,
donner son avis sur tout élément de préjudice allégué par la victime,
Dit que la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône consignera la somme de 600 euros à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert dans le mois de la présente décision,
Dit que l'expert déposera son rapport au Greffe de la Cour d'appel 14ème chambre dans les trois mois de sa saisine et en transmettra directement une copie à chacune des parties,
Désigne Monsieur Gérard FORET-DODELIN Président de la 14ème Chambre pour suivre les opérations d'expertise,
Renvoie la cause à l'audience du mardi 27 septembre 2016,
Condamne la Société AZUR INDUSTRIES au versement de la somme de 1.500 euros à [W] [V] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT