COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 02 JUIN 2016
N°2016/457
JPM
Rôle N° 14/21676
SARL BMS
C/
[F] [L]
Grosse délivrée le :
à :
Me Xavier DROUIN, avocat au barreau de STRASBOURG
Me Ariane KABSCH, avocat au barreau de GRENOBLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CANNES - section E - en date du 17 Octobre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 14-42.
APPELANTE
SARL BMS, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Xavier DROUIN, avocat au barreau de STRASBOURG ([Adresse 2]) substitué par Me Marie EICHENLAUB, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIME
Monsieur [F] [L], demeurant [Adresse 3]
comparant en personne, assisté de Me Ariane KABSCH, avocat au barreau de GRENOBLE ([Adresse 4])
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Sophie PISTRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2016
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [F] [L], de nationalité française, a été embauché par la Sarl BMS, de droit français et ayant son siège social à [Localité 1], par contrat de travail à durée déterminée du 8 octobre 2012 pour une durée de 24 mois en qualité de responsable structure et gros oeuvre avec pour lieu d'affectation un chantier à [Localité 2] en Algérie ou sur tout autre lieu du territoire algérien ainsi qu'en tout autre lieu à l'étranger.
Par lettre du 10 avril 2013 l'employeur a notifié au salarié la rupture du contrat au motif 'arrêt de la mission vous concernant par le client SGE'.
Le salarié a d'abord saisi le conseil de prud'hommes de Grasse lequel, par jugement du 4 décembre 2013, s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Cannes dans le ressort duquel le salarié avait son domicile. Par jugement du 17 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de Cannes a dit que le droit français était applicable au contrat de travail, a condamné la société BMS à payer à Monsieur [L] les sommes de 85573,76 à titre de dommages-intérêts , 8557,37€ au titre de l'indemnité de fin de contrat et 900€ au titre de l'article 700 du code procédure civile. Le conseil de prud'hommes a en outre ordonné la transmission de son jugement à pôle-emploi ainsi que la remise des documents légaux rectifiés et conformes.
C'est le jugement dont la Sarl BMS a régulièrement interjeté appel .
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Sarl BMS demande à la cour d'infirmer le jugement, statuer à nouveau, débouter Monsieur [L] de toutes ses prétentions et le condamner à lui payer la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
Monsieur [F] [L] demande à la cour de confirmer le jugement, dire que le droit français est applicable, condamner la société appelante à lui payer les sommes allouées par le jugement, outre intérêts au taux légal et la condamner à lui payer la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
SUR CE
Au soutien de son appel, la société BMS fait valoir que seul le droit libanais devait s'appliquer aux motifs que:
- Monsieur [L] était un salarié expatrié soumis à la Convention de Rome du 19 juin 1980 et au règlement 'ROME I' du 17 juin 2008 lesquels posent le principe de liberté du choix du droit applicable;
-le contrat avait stipulé que le droit libanais était applicable; tous les salariés de la société étaient soumis au droit libanais, ce choix étant guidé par la prépondérance des salariés de cette nationalité; le salarié avait librement accepté ce choix du droit libanais;
-si ce choix n'avait pas été fait, c'est le droit algérien qui aurait trouvé à s'appliquer pour ses dispositions les plus favorables que le droit libanais ce qui n'était pas le cas en l'espèce;
- le droit français ne pouvait s'appliquer que dans le cas où les parties n'avaient pas déterminé de loi applicable ou dans le cas où aucun pays ne pouvait être désigné comme étant le lieu d'exécution du contrat;
-le droit libanais n'impose pas la motivation de la rupture d'un contrat de travail à durée déterminée, n'alloue un préavis que pour les salariés en contrat de travail à durée déterminée ayant au moins deux ans d'ancienneté et ne prévoit aucune indemnité de fin de contrat;
-la rupture était justifiée par la violence et l'agressivité de Monsieur [L] qui mettaient péril les relations contractuelles avec le client.
Pour faire juger que c'est le droit français qui s'applique, Monsieur [L] soutient que le choix du droit applicable ne pouvait pas avoir pour effet de priver le salarié de la protection que lui auraient assuré les dispositions auxquelles il ne peut pas être dérogé par accord en vertu de la loi qui à défaut de choix aurait été applicable, qu'il n'avait jamais travaillé au Liban, que la clause déterminant le droit libanais comme étant applicable lui avait été imposée comme une clause d'adhésion, que l'Algérie n'était pas le lieu unique d'exécution du contrat , que les parties étaient françaises et domiciliées en France, qu'il avait reçu ses instructions en France, qu'il avait été payé en euros et ses retours en France avaient été pris en charge par son employeur, qu'il existait donc des liens plus étroits avec la France, que seul le droit français qui lui était plus favorable était applicable, que son licenciement était donc abusif au regard du droit français.
Le contrat de travail a été signé par les parties à [Localité 2] en Algérie et il a désigné expressément le droit libanais comme étant le droit applicable. Le salarié ne soutient pas avoir ignoré l'existence de cette clause insérée clairement et lisiblement dans le contrat de travail. Il a d'ailleurs paraphé la page sur laquelle la clause figurait et il a ensuite signé la dernière page après avoir écrit de sa main 'lu et approuvé'. Il a donc accepté en connaissance de cause cette clause. C'est donc le droit libanais que les parties ont expressément désigné pour régir leurs relations contractuelles.
Il résulte de l'article 8 du règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008,invoqué par la société appelante que : 'le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2,3 et 4 du présent article.' Le paragraphe 2 auquel cet article fait référence est ainsi rédigé: 'A défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail (...)' Le paragraphe 3 auquel cet article fait aussi référence est ainsi rédigé : 'Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.'Le paragraphe 4 auquel cet article fait encore référence est ainsi rédigé: 'S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique.'
Il résulte de ces textes que si le droit libanais n'avait pas été choisi par les parties, le droit applicable aurait d'abord été celui du pays où le contrat de travail devait s'exécuter habituellement et ce n'est qu'en cas d'impossibilité à déterminer ce pays que le droit du pays où est situé le siège de l'employeur aurait trouvé à s'appliquer. Or, en l'espèce, le contrat de travail a stipulé de manière très claire que le salarié était embauché comme responsable structure et gros oeuvre et qu'il était 'affecté sur le chantier de [Localité 2] en Algérie dans le cadre de la construction d'un ensemble immobilier. Au cours de ce chantier, il pourra être amené à se déplacer dans d'autres pays où la société serait amenée à exercer une activité, à l'exclusion toutefois de l'Union européenne. A titre d'exemple, aux Emirats arabes Unis, en Guinée, en Côte d'Ivoire, dans les pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Libye etc...)' Ainsi, le contrat de travail avait désigné [Localité 2] comme étant le lieu d'exécution habituelle du travail de Monsieur [L] et il n'est d'ailleurs pas contesté par ce dernier qu'il avait effectivement et exclusivement accompli sa prestation de travail à [Localité 2]. La circonstance tirée d'instructions qui auraient été données en France n'est pas démontrée et, au demeurant, elle ne serait pas de nature à faire échec au fait que Monsieur [L] ayant été embauché comme responsable structure et gros oeuvre d'un ensemble immobilier en construction à [Localité 2], il n'avait pu recevoir les instructions de son employeur et les mettre à exécution qu'à [Localité 2]. Il en découle que les circonstances tirées de la nationalité française des parties, d'un paiement du salaire en euros et d'un retour organisé par l'employeur en France sont inopérantes à caractériser que le contrat aurait présenté des liens plus étroits avec la France alors au surplus que Monsieur [L] ne conteste pas travailler habituellement depuis 2006 dans plusieurs pays d'Afrique comme salarié expatrié pour le compte d'employeurs successifs. Il s'en suit que le droit libanais choisi par les parties devait régir les circonstances de la rupture sauf si les dispositions impératives du pays où le contrat de travail devait s'exécuter habituellement, en l'espèce l'Algérie, étaient plus favorables. La société BMS revendique l'application exclusive du droit Libanais et Monsieur [L] ne soutient pas que le droit algérien serait plus favorable que le droit libanais de sorte qu'aucune des parties ne revendique, même à titre subsidiaire, l'application du droit algérien. Le jugement qui a dit que le droit français devait s'appliquer doit dès lors être réformé.
Le droit libanais, en l'espèce l'article 58 de la loi du 23 septembre 1946 portant code du travail dans sa teneur modifiée au 31 décembre 1993 et au 24 juillet 1996, dispose qu'hormis le préavis et l'indemnité de licenciement, le contrat de travail à durée déterminée est régi par les dispositions relatives au contrat de travail à durée indéterminée. L'article 50.6 de cette loi prévoit que le contrat de travail à durée indéterminée peut être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties contractantes sauf à démontrer 'l'exercice abusif ou excessif de ce droit' , et que les dommages-intérêts devant être fixés, selon le même texte, en fonction de 'la nature du travail du salarié, de son âge, de la période de service effectuée, de sa situation familiale et de son état de santé, de l'ampleur du dommage et du degré abusif de l'exercice du droit sous réserve que les dommages-intérêts fixés par le jugement ne soient ni inférieurs à deux mois de salaire ni supérieurs à douze mois de salaire (...).
La lettre de rupture du 10 avril 2013 énonce que le licenciement était notifié pour le motif suivant ' arrêt de la mission vous concernant par le client SGE ' Or, il apparaît à la lecture des pièces que ce motif était inexact. En effet, il est produit, d'une part, le courriel du 5 mars 2013 de Monsieur [J] [K], son supérieur hiérachique, informant la société BMS qu'il convenait de rapatrier le salarié pour des problèmes de santé et, d'autre part, les courriels des 27 février 2013 et 7 mars 2013 d'un autre salarié de la société BMS, Monsieur [V] [G] informant l'employeur à deux reprises de la dégradation très inquiétante de l'état de santé de Monsieur [L]. Le grief tiré d'un comportement violent et agressif du salarié , tel qu'invoqué par la société BMS dans ses écritures réitérées oralement à l'audience, n'est pas sérieusement démontré puisque seul Monsieur [G] en fait état sans donner la moindre circonstance précise tout en ajoutant d'ailleurs que ce comportement était manifestement en lien avec la dégradation de son état de santé. Au demeurant, il n'est nullement démontré qu'un tel comportement aurait été dénoncé par le client SGE à l'employeur avec demande expresse du client de mettre un terme à la mission du salarié. Dans ces conditions, le motif de la rupture allégué par l'employeur à l'exclusion de tout autre motif à la date du 10 avril 2013, est manifestement abusif comme étant inexact.
Au jour de la rupture, le salarié exerçait un travail de responsabilité , il avait 40 ans comme étant né le [Date naissance 1] 1973, il avait exécuté le quart de la durée du contrat de travail prévue initialement, il était en mauvaise santé comme démontré plus haut. Son salaire mensuel brut était de 5348,36€ outre une prime mensuelle de 1000€ que le droit libanais n' interdit pas de prendre en compte dans le calcul du salaire. Ces éléments ajoutés au caractère particulièrement abusif de la rupture, puisqu'il vient d'être démontré que l'employeur s'était sciemment emparé d'un motif qu'il savait inexact, amènent la cour à indemniser le salarié dans les limites légales ci-dessus et à condamner la société appelante à lui payer la somme de 76180,32€ de sorte que le jugement sera réformé. Le droit libanais ne prévoit aucune indemnité de fin de contrat ou autre indemnité de nature à s'y substituer.
Le contrat ayant stipulé que le salarié était affilié au régime français d'assurance chômage, il y a lieu de condamner, comme demandé, la société appelante à délivrer dans les deux mois de la notification de l'arrêt l'attestation pôle -emploi ainsi que les documents légaux permettant une prise en charge par cet organisme, savoir le certificat de travail et les derniers bulletins de salaire, le tout rectifié et conforme à l'arrêt mais sans qu'une mesure d'astreinte ne soit nécessaire.
L'équité commande d'allouer à Monsieur [L] la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale.
Reçoit la Sarl BMS en son appel.
Réforme le jugement le conseil de prud'hommes de Cannes du 17 octobre 2014 en toutes ses dispositions sauf celles relatives à l'article 700 du code procédure civile et aux dépens.
Statuant à nouveau, vu l'article 58 de la loi du 23 septembre 1946 portant code du travail libanais dans sa teneur modifiée au 31 décembre 1993 et au 24 juillet 1996, dit que la rupture du contrat de travail à durée déterminée de Monsieur [F] [L] est abusive, condamne en conséquence la Sarl BMS à lui payer les sommes de 76180,32€ à titre de dommages-intérêts et de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
Condamne ladite société appelante à délivrer à Monsieur [F] [L] dans les deux mois de la notification de l'arrêt l'attestation pôle -emploi ainsi que les documents légaux permettant une prise en charge par cet organisme, savoir le certificat de travail et les derniers bulletins de salaire, le tout rectifié et conforme à l'arrêt et dit n' y avoir lieu à astreinte.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne la société BMS aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT