COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
15e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUIN 2016
N° 2016/ 515
Rôle N° 14/15083
[S] [T]
C/
[T] [U]
Grosse délivrée
le :
à : Me François DRUJON D'ASTROS
Me Sophie KUCHUKIAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN- PROVENCE en date du 24 Juillet 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02806.
APPELANT
Monsieur [S] [T]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me François DRUJON D'ASTROS, avocat au barreau d'AIX-EN- PROVENCE
INTIME
Monsieur [T] [U]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1] (ALGERIE), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sophie KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Février 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Olivier COLENO, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier COLENO, Président (rédacteur)
Madame Françoise BEL, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Avril 2016, prorogé au 13 Mai 2016 puis au 17 Juin 2016 et avancé au 03 Juin 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2016,
Signé par Monsieur Olivier COLENO, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Par le jugement dont appel du 24 juillet 2014, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a rejeté la demande de mainlevée de trois saisies-attributions des 27 février et 7 mars 2014 pratiquées sur les comptes ouverts à la Caisse des dépôts et consignations, la BARCLAYS BANK et LCL LE CREDIT LYONNAIS au nom de Maître [S] [T], mandataire judiciaire à la sauvegarde et à la liquidation judiciaire des entreprises, par M° [T] [U], avocat, pour recouvrement d'une somme totale d'environ 120.000 € outre frais représentative d'une créance d'honoraires d'avocat choisi par le mandataire pour l'essentiel ès-qualité pour le représenter dans différents dossiers, dus en vertu de deux ordonnances du Premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence des 15 octobre 2013 et 7 janvier 2014 rendues sur contestations d'honoraires, ainsi que cinq décisions du bâtonnier de l'ordre des avocats de Marseille rendues exécutoires par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Marseille du 3 janvier 2014, considérant :
-que selon les décisions de la cour d'appel, ces mandats correspondent à une relation de clientèle du mandataire pour l'avocat, et non à des créances de dossiers du mandataire ou des frais de tâches du mandataire confiées à des tiers au sens de l'article L812-1 du code de commerce, relevant en conséquence de l'application de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 concernant la profession d'avocat et de l'article 10 du décret du 12 juillet 2005 sur la déontologie d'avocat,
-qu'il s'agit d'une dette personnelle du mandataire judiciaire que l'avocat ne peut recouvrer que contre son client, auquel il incombait d'obtenir les taxes nécessaires notamment en faisant admettre des conventions d'honoraires préalables pour régler immédiatement l'avocat sur les fonds des procédures collectives, peu important donc l'existence d'un actif ou non au dossier de liquidation judiciaire de l'affaire ainsi que l'a jugé la cour d'appel, et l'imputation finale de ces honoraires sur le compte de chaque procédure collective étant le problème du seul mandataire.
Vu l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 15°chambre A, du 3 juillet 2015 sur déféré confirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 février 2015 rejetant la demande de caducité de l'appel formée par Maître [U],
Vu les dernières conclusions déposées le 7 novembre 2014 par Maître [T], appelant, tendant à l'infirmation de cette décision et demandant à la Cour d'ordonner la mainlevée des saisies-attributions ou le remboursement des sommes indûment prélevées au titre de ces saisies-attributions en l'état de l'exécution provisoire de droit attachée au jugement déféré, et de condamner M°[U] à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu'il lui a fait délibérément subir par ces trois saisies abusives, soutenant notamment :
-qu'il convient de distinguer, ainsi que l'a fait le Premier président en dispositif de ses décisions, entre les dossiers dans lesquels l'avocat est intervenu pour le défendre à titre personnel, ès-noms, pour lesquels les honoraires sont dus par lui, et ceux dans lesquels il est intervenu pour la défense de l'administré, ès-qualité, qu'il ne doit pas mais la liquidation judiciaire, et pour lesquels il ne bénéficie d'aucun titre exécutoire contre lui personnellement, seul propre à permettre une saisie-attribution sur ses comptes personnels comme il a été fait,
-qu'un avis de la Cour de cassation du 27 février 2006 a indiqué que les honoraires de l'avocat mandaté par le mandataire judiciaire au redressement et à la liquidation des entreprises sont pris en charge par la procédure collective sous le contrôle du juge commissaire,
-que les saisies-attributions ont été pratiquées au moyen notamment d'une ordonnance sur requête qui a été surprise au président du tribunal de grande instance de Marseille qui l'a rétractée, et pour l'une d'elles la veille de la paye des 9 salariés de son cabinet, dans l'intention de lui nuire,
Vu les dernières conclusions déposées le 11 septembre 2015 par Maître [U] tendant au rejet des prétentions de M°[T] et à la validation de la saisie-attribution, soutenant notamment que le mandataire ne l'a jamais averti préalablement qu'il ne pourrait pas le payer, ce qu'il n'aurait pas accepté, qu'il lui appartient personnellement de le rétribuer que ce soit sur sur les fonds du dossier correspondant, s'il y en a et si le droit lui en est reconnu, ou à défaut sur ceux qu'il a nécessairement reçus pour ses honoraires à lui,
Vu l'ordonnance de clôture du 25 janvier 2016,
Aucune note en délibéré n'a été autorisée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'aux termes de l'article L812-1 du code de commerce, les tâches que comporte l'exécution de leur mandat par les mandataires judiciaires chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder à la liquidation judiciaire d'une entreprise leur incombent personnellement ; ils peuvent toutefois, lorsque le bon déroulement de la procédure le requiert et sur autorisation motivée du président du tribunal, confier sous leur responsabilité à des tiers une partie de ces tâches ; lorsque les mandataires judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confiée le tribunal, ils les rétribuent sur la rémunération qu'ils perçoivent ;
Attendu que, en donnant à un avocat la mission de le représenter en justice, ès qualités, le mandataire judiciaire ne confie pas à un tiers une partie des tâches que comporte l'exécution de son mandat et qui lui incombent personnellement au sens de l'article L812-1 du code de commerce ;
qu'il en résulte directement et nécessairement que les honoraires de cet avocat ne ressortent pas de la rétribution dont le mandataire judiciaire a la charge sur la rémunération qu'il perçoit, contrairement à ce que soutient Maître [U] et qu'a retenu le premier juge ;
que Maître [T] soutient au contraire à bon droit que ces honoraires sont pris en charge par la procédure collective ;
Attendu qu'il en résulte que l'appelant est fondé à soutenir que Maître [U] ne disposait pas d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible à son encontre à titre personnel permettant en conséquence une saisie de ses comptes bancaires personnels pour tout ce qui n'est pas les créances numérotées 39, 131 et 133 par l'ordonnance du 15 octobre 2013 dues par M°[T] ès noms, c'est-à-dire des honoraires concernant des affaires personnelles au mandataire ;
que toutes ces autres créances, fixées contre M°[T] ès qualités relèvent d'une prise en charge dans chaque dossier de procédure collective ;
Attendu que le Premier président de la cour d'appel statuant en matière de contestation d'honoraire a prononcé sur la question de l'impécuniosité éventuelle de telle ou telle affaire dans laquelle Maître [U] avait été mandaté par M°[T] ;
mais attendu qu'il résulte des termes de l'article 174 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat que la procédure de contestation en matière d'honoraires et débours d'avocats concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, à l'exclusion de celles afférentes à la désignation du débiteur ;
que le Premier président n'a prononcé de ce chef que pour retenir que M°[T] ne faisait pas la preuve d'une convention préalable avec Maître [U] excluant tout honoraire dans ces dossiers, et a en conséquence fixé l'honoraire affaire par affaire indépendamment de l'existence ou non de fonds dans chacune ;
qu'il n'a pas non plus prononcé sur une responsabilité personnelle éventuelle du mandataire judiciaire de ce chef, ce qui n'appartient pas plus au juge de l'exécution dont la compétence matérielle se limite aux difficultés relatives aux titres exécutoires et contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, mais exclut le jugement d'une responsabilité civile autre que celles limitativement énumérées par le code des procédures civiles d'exécution, parmi lesquelles celle engagée en cas d'abus de saisie par application de l'article L121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
Attendu que Maître [T] soutient avoir exécuté spontanément l'ordonnance du 15 octobre 2013 pour les dossiers numéros 39 (956,80 € TTC), 131 (2.152,80 € TTC) et 133 (598 € TTC) précités, sans toutefois viser de pièce à l'appui de cette affirmation alors même que Maître [U] le conteste, sauf la créance n°131 qui ne figure pas dans la liste des créances demeurant impayées que ce dernier a insérée dans ses conclusions ;
que les 106 feuillets de la pièce n°7 du bordereau de l'appelant « liste des paiements effectués par M°[T] ès qualités au profit de M°[U] du 20 juillet 2004 au 6 novembre 2013 » ne permettent pas d'identifier, parmi les paiements mentionnés en référence à l'ordonnance du 15 octobre 2013 en pages 21, 60, 77, 89 et 90, des paiements qui correspondraient aux libellés et montants des honoraires dus par M°[T] ès noms ;
qu'il en est de même des 35 feuillets de la pièce n°8 « liste des virements effectués le 28 décembre 2013 au profit de M°[U] », seul un montant correspondant à ceux ci-dessus étant identifiable, celui de la créance n°133 pour 598 €, mais qui apparaît à trois reprises en pages 12, 24 et 26, et avec un libellé « jugement report DCP 2008 » qui ne permet pas le rapprochement avec le libellé de la créance n°133 dans le titre exécutoire « consultation sur mise en cause responsabilité professionnelle de M°[T] » ;
Attendu qu'il résulte de ces constatations que, compte tenu du montant exigible restant dû sur les trois créances contre M°[T] ès noms, et du montant des sommes qui ont pu être bloquées sur le compte Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 15.633,73 € selon la lettre de ce tiers saisie du 28 février 2014, seule la première saisie-attribution du 27 février 2014 reste pouvoir être validée, mais pour le seul montant de 717,60 € (sur la créance 39) + 598 (la créance 133), soit pour 1.315,60 € ;
Attendu que l'infirmation partielle de la décision du premier degré exécutoire de plein droit nonobstant appel constitue le titre de restitution sans qu'il soit besoin d'être statué particulièrement, à hauteur des sommes payées en trop augmentées des intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision d'infirmation ;
Attendu que M°[T] n'est pas fondé à se prévaloir d'un caractère abusif de saisies qui ont été validées par le premier juge ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme partiellement le jugement dont appel et, statuant à nouveau,
Valide la saisie-attribution pratiquée le 27 février 2014 entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations, mais seulement pour recouvrement des créances numéros 39 et 133 de l'ordonnance du Premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 octobre 2013 et seulement à concurrence du solde de 1.315,60 € (MILLE TROIS CENT QUINZE EUROS SOIXANTE CENTIMES) restant dû sur ces créances ;
Donne mainlevée de cette saisie-attribution pour le surplus des sommes saisies ;
Annule les saisies-attributions du 7 mars 2014 entre les mains des banques LE CREDIT LYONNAIS LCL et BARCLAYS BANK PLC ;
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par Maître [T] ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes;
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples;
Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés à concurrence de 99% par Maître [U] et 1% par Maître [T], ceux d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT