COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT MIXTE
EXPERTISE
DU 05 JUILLET 2016
N° 2016/ 375
Rôle N° 15/10428
SA ANF IMMOBILIER
C/
[V] [S]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Cécile HIMBAUT
Me Mireille MOUREN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 11 Mai 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 14/08740.
APPELANTE
SA ANF IMMOBILIER Faisant élection de domicile en son établissement de [Localité 2], sis [Adresse 1]., demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Cécile HIMBAUT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [V] [S] exerçant sous l'enseigne 'ELEGANCE'
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1] / ISRAEL, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Mireille MOUREN de la SCP PELLIER, ARNAUD& MOUREN VIDAPARM, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 25 Mai 2016 en audience publique.
La Cour était composée de :
Mme Véronique BEBON, Présidente
Madame Frédérique BRUEL, Conseillère
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2016,
Signé par Mme Sylvie PEREZ, faisant fonction de Présidente pour la Présidente empêchée et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon bail commercial daté du 4 juin 1993, à effet du 29 septembre 1993, consenti par la SA ANF Immobilier, venant aux droits de la société Eurazeo, Monsieur [S] exploite un commerce de confection pour hommes, dans un local situé [Adresse 3], bail qui s'est poursuivi par tacite prolongation et a été renouvelé pour neuf ans à compter du 29 septembre 2005 par avenant du 8 septembre 2006 moyennant un nouveau loyer porté à la somme de 10 455 euros par an.
Une procédure en révision triennale du loyer initiée par le bailleur en application des dispositions des articles L.145-37 et L.145-38 du Code commerce, a trouvé son issue par un jugement du 12 mai 2014 qui a fixé le loyer du bail révisé à la somme de 29 893,32 euros hors taxe et hors charges à compter du 5 octobre 2011, décision confirmée par la cour le 16 février 2016.
Le 2 avril 2014, Monsieur [S] a sollicité le renouvellement du bail à compter du 29 septembre 2014, demande acceptée par la bailleresse mais a proposé l'augmentation du loyer à la somme de 49 760 euros hors taxe et hors charges.
Après échange des mémoires entre les parties, la SA ANF Immobilier a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Marseille qui par jugement rendu le 11 mai 2015 a dit que:
- le bail renouvelé entre les parties a pris effet au 29 septembre 2014 ;
- la ANF Immobilier est recevable à solliciter le déplafonnement du loyer du bail renouvelé mais l'a déboutée de sa demande ;
- le prix du bail renouvelé est celui tel qu'il ressort du bail expiré selon l'avenant du 8 septembre 2006, auquel seront appliquées les variations contractuelles prévues ;
et a condamné la société ANF Immobilier au paiement d'une somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour frais de procès.
Le premier juge a motivé sa décision en indiquant que sur la période de référence du 29 septembre 2005 au 28 septembre 2014, seuls étaient en débat :
- les caractéristiques du local, relevant que le bailleur n'ayant pas participé aux travaux faits par Monsieur [S], il ne pourra en tenir compte qu'au 2ème renouvellement du bail par application de l'article R.145-8 du Code commerce ;
- les facteurs locaux de commercialité, déjà pris en compte lors du précédent renouvellement.
La société ANF Immobilier a relevé appel du jugement à l'infirmation duquel elle a conclu par conclusions signifiées le 10 mars 2016, et demandé que soit ordonnée une expertise.
Sur la recevabilité de sa demande, elle a exposé que l'absence de participation financière du bailleur dans les travaux réalisés par Monsieur [S] ne constituent pas une fin de non recevoir mais un moyen parmi ceux allégués au soutien de la demande de déplafonnement du loyer, ajoutant en outre avoir fait état d'une adjonction de surface et non de travaux d'amélioration.
Concernant les caractéristiques du local, elle a fait valoir notamment que les locaux sont situés dans une zone d'attractivité commerciale et rappelle que des travaux ont été exécutés par le preneur, modifiant l'assiette du bail par adjonction de surface, en l'espèce une mezzanine 43,20 m², ce qui selon l'appelante doit être distingué de travaux d'améliorations, peu important dès lors de savoir qui les a financés.
Concernant la modification des facteurs locaux de commercialité, la SA ANF Immobilier a reproché au premier juge d'avoir considéré qu'ils avaient été pris en compte lors de la signature de l'avenant de renouvellement du 8 septembre 2006 par lequel le loyer d'origine, de 8 287 euros, était porté à 10 455 euros, soit une augmentation de 2 167 euros entre 1993 et 2006 et de s'être référé à une lettre du 4 mai 2006 échangée entre avocats produite par le preneur, couverte par le secret professionnel, rappelant que de plus, l'acceptation d'une réévaluation ne présume pas d'un déplafonnement de loyer en raison d'une modification des facteurs locaux de commercialité.
Elle a expliqué que pour sa précédente procédure de déplafonnement du loyer, elle avait justifié d'une modification des facteurs locaux de commercialité pour la période du 29 septembre 1993 au 29 septembre 2005, procédure dont elle s'est désistée considérant que la modification était précoce, indiquant qu'ainsi un avenant de renouvellement avait été signé entre les parties le 8 septembre 2006.
Enfin, la SA ANF Immobilier a fait valoir que sur la période de référence, et le 1er tronçon de la rue de la République, il doit être retenu au nombre des facteurs locaux de commercialité, la requalification complète de l'espace public tout le long de cette portion de rue, avec en particulier l'élargissement des trottoirs, la plantation d'arbres, la mise en place d'un éclairage public repensé, la rénovation de 330 logements entraînant une modification de la population, du tissu social et une évolution à la hausse de la population, la rénovation de bureaux permettant l'installation de sièges régionaux, l'inauguration d'une ligne de tramway et d'un parking public de 800 places ainsi que l'implantation d'un grand nombre d'enseignes.
Monsieur [S] a conclu quant à lui, à la réformation du jugement et en conséquence, à l'irrecevabilité de la demande en déplafonnement de loyer et au rejet de ces demandes et subsidiairement, à la confirmation du jugement ainsi qu'à la condamnation de la SA ANF Immobilier au paiement de la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité pour frais de procès.
L'intimé a exposé avoir réalisé fin 2007, début 2008, des travaux payés par lui seul pour 153 357 euros, dont le bailleur ne pourra se prévaloir qu'à l'occasion du 2ème renouvellement, précisant que la réalisation d'une mezzanine n'est qu'un élément partiel des travaux entrepris, de sorte que la demande de déplafonnement est irrecevable.
Pour conclure au débouté de la SA ANF Immobilier de sa demande, Monsieur [S] a repris l'argumentation ci-dessus au titre des travaux réalisés et ajouté que l'évolution des facteurs locaux de commercialité avait été prise en compte de lors de la signature de l'avenant du 8 septembre 2006, faisant de plus valoir le caractère limité des facteurs locaux de commercialité de la rue de la République et l'absence d'intérêt pour le commerce qu'il exploite.
Il a rappelé que la lettre entre conseils avait été communiquée dans toutes les instances.
Monsieur [S] a indiqué ne pas contester la réhabilitation de la rue de la République avec la réserve de la fermeture de certaines enseignes et du simple déplacement notamment des banques, considérant que ces éléments n'avaient pas d'incidence sur son commerce, clientèle d'habitués, sa clientèle nouvelle se développant par la publicité personnelle qu'il faisait ou par la renommée de son commerce, au rappel de ce que seule l'activité réellement exercée doit être prise en considération.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Pour conclure à l'irrecevabilité de la demande de la société ANF Immobilier, Monsieur [S] considère que celle-ci ne peut invoquer au soutien de sa demande de déplafonnement du loyer, les travaux qu'il a réalisés dans les locaux et financés seul qu'il qualifie de travaux d'amélioration et qui indique t-il, ne pourront être pris en compte que lors du deuxième renouvellement, cet argument selon l'intimé constituant une fin de non recevoir à la demande.
La fin de non recevoir implique qu'il n'y ait aucun examen au fond, au contraire du moyen développé par Monsieur [S], à la fois quant aux modalités d'accession prévues au bail que de la qualification des travaux, de sorte que le premier juge doit être approuvé en ce qu'il a considéré que seuls des moyens de défense au fond avaient été présentés par le preneur, en conséquence de quoi, la demande de déplafonnement devait être déclarée recevable.
Sur la demande de déplafonnement, l'article L. 145-33 du Code de commerce prévoit que le montant des loyers à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative. À défaut d'accord, celle-ci est déterminée d'après :
1) Les caractéristiques du local considéré ;
2) La destination des lieux ;
3) Les obligations respectives des parties ;
4) Les facteurs locaux de commercialité ;
5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
L'article L. 145-34 du Code de commerce prévoit ensuite qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1' à 4' de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice national trimestriel du coût de la construction publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques intervenues depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré.
Toute modification notable de l'un de ces éléments justifie le calcul du nouveau loyer selon la valeur locative sans le tempérament de la variation de l'indice du coût de la construction et lorsqu'elle concerne les facteurs locaux de commercialité doit être en relation certaine et directe avec l'activité réellement exercée dans le local.
La SA ANF Immobilier fait valoir que Monsieur [S] a modifié l'assiette du bail par la construction d'une mezzanine, utile à l'exploitation du commerce, cette adjonction ayant pour effet d'augmenter la surface initiale de 62,20 m², de 43,20 m².
Il ressort de l'expertise effectuée par Monsieur [H], expert désigné dans le cadre de la procédure de révision du loyer, que les locaux sont en bon état locatif en suite notamment des travaux effectués et financés par le locataire en 2008, Monsieur [S] mentionnant une dépense de 153 357,88 euros affectée en partie à la réalisation d'une mezzanine ainsi qu'il en est justifié.
Ces travaux relevant à la fois de l'article R. 145-3 que de l'article R. 145-8 du Code commerce, la qualification d'amélioration doit prévaloir.
Le bail prévoyant une accession à l'expiration du bail, les travaux d'amélioration ne pourront être pris en compte que lors du second renouvellement.
Au soutien de sa demande, la SA ANF Immobilier fait valoir que la rue de la République, et notamment sur le premier tronçon de cette voie, a connu, sur la période du 29 septembre 2005 au 28 septembre 2014, une modification de facteurs locaux de commercialité qui ont accru l'attractivité commerciale de la rue et ont eu un impact sur le commerce considéré.
Pour s'opposer à la demande, Monsieur [S] fait valoir qu'il a été tenu compte de cette modification des facteurs locaux de commercialité lors de la signature de l'avenant du 8 septembre 2006, se fondant en cela notamment sur le mémoire que lui avait adressé le bailleur le 2 mars 2006, qui n'a été suivi d'aucune procédure devant le juge des loyers commerciaux.
Si dans ce mémoire, la bailleresse invoquait une modification des facteurs locaux de commercialité intervenus au cours du bail expiré au 29 septembre 2005 et produisant effet postérieurement à ce renouvellement, il convient de constater que l'avenant ne fait pas référence à l'évolution des facteurs locaux de commercialité et prévoit un nouveau loyer sans commune mesure avec la valeur locative de comparaison établie par Monsieur [H] dans son expertise.
Dès lors, il n'y a pas lieu comme le demande Monsieur [S], de fixer un prix du bail renouvelé au 29 septembre 2014, égal à celui ressortant du bail expiré tel que résultant de l'avenant du 8 septembre 2006, le jugement de première instance, en ce qu'il a fait droit à la demande, étant réformé de ce chef.
C'est en l'état de ces développements qu'il convient d'ordonner une expertise en application de l'article R.145-30 du Code commerce, dans les conditions du dispositif ci-après, en l'absence d'éléments suffisants pour éclairer la cour sur les critères de fixation du loyer renouvelé.
Il est par conséquent sursis à statuer sur la fixation de ce loyer et sur le surplus des demandes, jusqu'à l'audience à laquelle les parties seront convoquées après dépôt du rapport d'expertise.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement du 11 mai 2015 en ce qu'il a dit que le bail renouvelé entre les parties a pris effet au 29 septembre 2014 et déclaré la SA ANF Immobilier recevable en sa demande mais le réforme en ce qu'il dit que le prix du bail renouvelé est celui tel qu'il ressort du bail expiré selon l'avenant du 8 septembre 2006 ;
Statuant de nouveau :
Avant dire droit sur la demande de fixation du prix du bail renouvelé :
Ordonne une expertise confiée à Monsieur [E] [H], [Adresse 4], avec mission :
- de visiter les lieux loués situés [Adresse 3] et de les décrire,
- de fournir les éléments permettant de rechercher si entre le 29 septembre 2005 et le 28 septembre 2014, il a existé une modification notable de l'un ou de plusieurs des quatre premiers éléments servant à fixer la valeur locative énoncés à l'article L. 145-33 du Code de commerce, ce sans tenir compte de la mezzanine,
- plus spécialement, de fournir les données sur l'évolution des facteurs locaux de commercialité et leur incidence sur l'activité de Monsieur [S],
- de proposer la valeur locative du local loué en se référant aux articles L. 145-33 et R. 145-2 à R. 145-8 du Code de commerce,
- de répondre aux dires des parties ;
Dit que la SA ANF Immobilier devra consigner au greffe dans le délai de deux mois à compter de la signification qui leur sera faite de la présente décision la somme 4 000 euros destinée au paiement des frais et honoraires de l'expert ;
Dit qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités imparties, la désignation de l'expert sera caduque à moins que le magistrat de la mise en état, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de caducité ;
Dit que s'il estime insuffisante la provision initiale, ainsi fixée, l'expert devra lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, dresser un programme de ses investigations et évaluer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours ;
Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir le recouvrement de ses honoraires et débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire ;
Dit qu'en cours d'expertise, l'expert pourra conformément à l'article 280 du Code de procédure civile, solliciter du magistrat chargé du contrôle de l'expertise, la consignation d'une provision complémentaire dès lors qu'il établira que la provision allouée s'avère insuffisante ;
Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai de huit mois à compter de la notification qui lui sera faite par les soins du greffier de la consignation à moins qu'il ne refuse sa mission ; qu'il devra solliciter du magistrat chargé du contrôle de l'expertise une prorogation de ce délai si celui-ci s'avère insuffisant ;
L'informe que les dossiers des parties sont remis aux avocats de celles-ci ;
Dit que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou elles dûment convoquées, les entendre en leurs explications et répondre à leurs dires ;
Dit qu'à défaut de pré-rapport, il organisera, à la fin de ses opérations, un 'accédit de clôture' où il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expertise ;
Dit que conformément à l'article 173 du Code de procédure civile, l'expert devra remettre copie de son rapport à chacune des parties (ou des représentants de celles-ci) en mentionnant cette remise sur l'original ;
Commet Madame Sylvie Perez, conseillère de la mise en état pour surveiller les opérations d'expertise et prendre toutes décisions concernant celles-ci ;
Renvoie l'affaire à la mise en état ;
Sursoit à statuer sur la fixation du prix du bail renouvelé et sur le surplus des demandes, jusqu'à l'audience à laquelle les parties seront convoquées après dépôt du rapport d'expertise ;
Réserve des dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,