COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
11e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 15 SEPTEMBRE 2016
N° 2016/380
Rôle N° 15/06732
SARL LA MAISON DE MARIE
C/
SCI JOEL
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BADIE
ME MOUCHAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 11 Mars 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 11/00009.
APPELANTE
SARL LA MAISON DE MARIE Pris en la personne de son représentant légal en exercice do micilié en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assisté par Me Laurent ROTGE de la SCP DELPLANCKE-POZZI DI BORGO-ROMETTI & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE, plaidant
INTIMEE
SCI JOEL, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marie-christine MOUCHAN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Juin 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Françoise FILLIOUX, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Brigitte PELTIER, Conseiller
Mme Françoise FILLIOUX, Conseiller
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anaïs ROMINGER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Septembre 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Septembre 2016,
Signé par Mme Françoise FILLIOUX, Conseiller pour le président empêché et Mme Anaïs ROMINGER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :
Suivant acte sous seing privé en date du 18 mars 1998, la société SCI Joel a donné à bail commercial à la société NOUVELLE CAVE NICOISE, désormais dénommée La Maison de Marie, des locaux sis [Adresse 1] pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 1998 pour se terminer le 31 mars 2007, à usage de restaurant, bar, brasserie, vente à emporter, traiteur, point chaud et activité annexes, moyennant un loyer annuel en principal de 100.800 Francs, soit 15.366,86 €.
Le 15 décembre 2006 la société la Maison de Marie a sollicité le renouvellement du bail commercial pour l'échéance du 31 mars 2007, le 14 mars 2007, la SCI Joel a acquiescé au renouvellement du bail mais a demandé la 'xation du loyer à la somme de 90.000 euros par an, charges et impôt foncier en sus.
Par jugement mixte du 3 octobre 2012, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a donné acte aux parties de ce que le bail du 18 mars 1998 avait été renouvelé au 1er avril 2007 aux mêmes charges et conditions, dit, en conséquence, que la période à considérer pour apprécier s'il y avait eu une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, était comprise entre le 1°' avril 2007 et le 5 mai 2010 et sur le montant du loyer sur révision triennale au 5 mai 2010, a ordonné une expertise.
Le 12 mars 2014, l'expert a retenu d'une part, à une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité (piétonnisation de la place [Adresse 2] et mise en service du tramway) ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative au cours de la période de référence, d'autre part, une valeur locative sur révision triennale de 63 400€ par an, au 5 mai 2010, en indiquant que le loyer sur révision calculé selon la variation indiciaire serait de 16 244, 97€ par an, HT et H.C.
Par jugement contradictoire du 11 mars 2015, le juge des loyers a ordonné le déplafonnement du loyer sur révision au 5 mai 2010, eu égard à la modification des facteurs locaux de commercialité, fixé le loyer des locaux à la somme de 63 400 € par an hors taxes, et hors charges, à compter du 5 mai 2010, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, et fait masse des dépens (en ce compris les frais d'expertise judiciaire) qui seront supportés pour un tiers par la SCI Joel et pour les deux tiers par la société la Maison de Marie.
La juridiction a retenu au titre des modifications des facteurs locaux l'inauguration, le 16 juin 2007 de la Place [Adresse 2], totalement réaménagée et devenue piétonne, avec également piétonnisation de la première portion de l'[Adresse 3] et de la [Adresse 4] et la mise en service, en novembre 2007, du tramway qui traverse la Place [Adresse 2], avec création à proximité immédiate du commerce de l'arrêt "[Adresse 2]", que de telles modifications qui avaient eu un impact sur le commerce de restauration exploité dans les lieux loués, avaient entraîné une augmentation de plus de 10% de la valeur locative.
La juridiction a ensuite également appliqué un abattement de 20% sur la valeur locative moyenne en raison de l'emplacement du commerce litigieux qui ne donne pas directement sur la rue mais dans une cour intérieure.
Le 20 avril 2015, la société la Maison de Marie a interjeté appel de cette décision
Par conclusions déposées et notifiées le 26 mai 2016, la société la Maison de Marie demande à la cour d'infirmer le jugement du 11 mars 2015 en toutes ses dispositions, constater l'absence de modi'cation des facteurs locaux de commercialité et dire qu'il ne peut y avoir lieu à déplafonnement, et de condamner la société SCI Joel au paiement d'une somme de 5 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le déplafonnement du loyer est subordonné à la démonstration cumulative d'une modi'cation matérielle des facteurs locaux de commercialité, d'une variation de plus de 10% de la valeur locative et de la preuve d'un lien de causalité, qu'en l'espèce, la preuve d'une incidence de la modi'cation matérielle des facteurs de commercialité sur le commerce considéré, n'est pas rapportée ; que si l'inauguration de la ligne de tramway et la piétonisation de la Place [Adresse 2] sont effectivement susceptibles de constituer une modi'cation matérielle, ils ne changent pas pour autant la commercialité de la rue [Adresse 2] qui est une zone piétonne depuis les années 1970. que le local se situe dans une traverse de la rue [Adresse 2], dans l'arrière-cour d'un immeuble donc en retrait de la rue [Adresse 2] et à plus de 60 mères de la Place [Adresse 2] et à 150 m environ du premier arrêt de tramway, qu'il n'est ainsi ni directement desservi par le tramway, ni directement attenant à la place [Adresse 2], de sorte que les deux facteurs de commercialité recensés par l'expert n'ont pas eu d'impact notable sur son activité
Elle soutient que la mise en place de la ligne de tramway a rendu plus rapides les déplacements dans le sens nord / sud et a considérablement ralenti et gêné la circulation dans le sens est/ouest et a rendu nettement moins aisé le stationnement dans ce secteur du centre-ville, que si son chiffre d'affaires a augmenté de 20% par an à compter de l'exercice 2004 jusqu'à l`exercice clos le 31 décembre 2007, il n'a plus augmenté que de 5% à compter du 1" janvier 2008 soit précisément la 'n des travaux du tramway et de la Place [Adresse 2], que l'appréciation de l'évolution des facteurs locaux de commercialité et de son importance doit se faire en fonction de l'intérêt que présente cette évolution pour le commerce considéré, que cette appréciation peut se fonder, pour partie, sur l'évolution du chiffre d'affaires du locataire
Elle soutient au surplus que les termes de comparaison probants au cas d'espèce auraient dû être la valeur locative de baux renouvelés et aucunement celle des baux nouveaux puisque la présente procédure a pour objet de voir 'xer un loyer révisé et non le loyer d'un bail renouvelé et encore moins celui d'un bail nouveau, qu'il n'a cependant été tenu aucun compte de cette distinction entre le prix de marché pour de nouvelles locations par rapport à celui de loyers sur renouvellement.
Elle fait valoir que la valeur probante de ces études généralistes retenues par l'expert est faible puisque ces études présentent des tableaux ou fourchettes peu véri'ables et sans relation avec la nature précise des locaux ou de leur emplacement, que l'expert a retenu comme référence des locaux de chaînes ou franchises et rarement des locaux comme ceux d'une exploitation classique et indépendante comme la Maison de Marie ; qu'il aurait été plus judicieux de comparer la valeur locative moyenne des références entre 2007 et 2010 et de la comparer à la valeur locative antérieure à 2007, que l'écart est alors de 7,06% soit inférieur à 10%, que l'expert inclut une valeur hors normes, bien supérieure aux prix couramment pratiqués et qu'il y aurait lieu d'exclure.
Enfin elle conteste l'a battement de 20% retenu par l'expert en raison de sa position dans une cour, en retrait de la rue, alors qu'un abattement d'au moins 30% correspondrait à la réalité, que l'occupation précaire d'une terrasse conclue avec le syndicat des copropriétaires ne concerne pas le rapport locatif et ne peut donner lieu à une majoration de 2%.
Par conclusions du 15 juin 2016, la SCI Joel demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et de condamner la locataire à lui verser la somme de 700€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'au cours de la période de référence sont intervenues deux modifications matérielles importantes des facteurs locaux de commercialité à savoir l'inauguration de la Place [Adresse 2] totalement réaménagée et devenue piétonne avec également piétonisation de la première portion de l'[Adresse 3] et de la [Adresse 4] et la mise en service en du tramway qui traverse la Place [Adresse 2] avec création à proximité immédiate de la rue [Adresse 2] sur l'[Adresse 3] d'un arrêt, que ces deux modifications ont considérablement accru le nombre de personnes fréquentant les lieux et donc le passage d'une clientèle potentielle pour le commerce de restaurant, que l'Argus de l'enseigne fait apparaître pour la rue [Adresse 2] une variation de plus de 20 °/o entre avril 2007 et avril 2010, que les 18 termes de comparaison du voisinage retenus par l'expert font ressortir un taux de variation de la valeur locative de 30 °/o au cours de la période considérée, que l'expert a pris la précaution de vérifier par un examen in concreto le résultat des études généralistes avec les loyers de plusieurs locaux du voisinage et n'a pas pris compte, au contraire de ce qui lui est reproché, que les locations nouvelles, les éléments de comparaison du voisinage prenant également en compte des loyers plafonnés en renouvellement ainsi que des loyers résultant d'accords amiables conclus en renouvellement entre bailleur et preneur et n'intégrant pas de droit au bail.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 juin 2016.
Sur ce :
Attendu que les parties sont en l'état d'un bail commercial du 18 mars 1998 renouvelé au 1er avril 2007 aux mêmes termes et conditions que le bail initial portant sur des locaux situés au rez de chaussée d'un immeuble au [Adresse 1] d'une superficie de 150m² et loués à usage de restaurant, bar, vente à emporter, traiteur, point chaud et activités annexes ;
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L 145-38 du code de commerce, lorsque les modifications des facteurs locaux de commercialité ont entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative, une demande de fixation du loyer à la valeur locative peut être formée trois ans au moins après le point de départ du bail renouvelé, que la période à prendre en considération en l'espèce est comprise entre le 1er mai 2007 et le 5 mai 2010 ;
Attendu que Monsieur [D], expert judiciaire, retient deux événements de nature à modifier les facteurs locaux de commercialité, d'une part les aménagements urbains autour de la place [Adresse 2] intervenus en juin 2007 et d'autre part la mise en service d'une ligne de tramways en novembre 2007, que le commerce considéré se situe à 3mm à pied de la place [Adresse 2] qui a fait l'objet en 2007 d'une réfection complète avec agrandissement des parties pietonnes existantes et création de nouvelles zones piétonnes dans les rues adjacentes, dont une partie de la [Adresse 4] et de la rue Médecin, créant ainsi une zone plus calme et plus propice à la déambulation de la clientèle, que cette l'amélioration de son environnement a bénéficié directement au commerce litigieux en raison de la nature de l'activité exercée dans les locaux loués, que l'agrandissement des trottoirs dans la zone de chalandise du commerce est un attrait considérable qui rend plus aisée et plus agréable la circulation piétonne, que l'incidence de ces aménagements sur la fréquentation de ce commerce était indéniable, et ce d'autant que la nouvelle ligne de tramways dispose d'un arrêt peu éloigné du commerce litigieux, ce qui est de nature à compenser la difficulté à stationner dénoncée par la locataire ;
Attendu que la société 'Maison de Marie' justifie d' une augmentation de son chiffre d'affaires entre 2007 et 2008 de seulement + 5 %, soit une augmentation moindre par rapport à celle connue préalablement, que toutefois, il convient de souligner qu'elle ne fait état de cette hausse modérée que pour l'année 2007 soit celle à cours de laquelle les travaux ont été effectués , événement par nature peu propice à la commercialité ;
Attendu que la locataire soutient que ces modifications n'ont pas entraîné une variation de plus de 10% de la valeur locative, que toutefois, les sept références précises et identifiables retenues par l'expert pour des baux conclus antérieurs à 2007 font ressortir une valeur locative de 341€ le m² alors que l'expert détermine une valeur locative de 430€ le m² en 2010 pour six références postérieures à 2007, en excluant la référence 'Pinocchio' qui ne correspond pas à la valeur du marché, soit une variation de 26% et donc supérieure à 10% après déduction de l'augmentation indiciaire de 5,71% ; que ces résultats sont corroborés par ceux obtenus par les analyses générales notamment celle de la BNP qui retient une augmentation de + 21,2% entre 2007 et 2011 et celle de la société 'CB Ellis ' qui donne une augmentation moyenne de + 16,25% entre 2007 et 2010;
Attendu que pour déterminer la valeur locative, il doit être tenu compte, à titre d'éléments de comparaison, non seulement des prix fixés par des décisions judiciaires mais aussi de ceux librement déterminés lors de nouvelles conventions locatives et des baux renouvelés, ainsi que l'a fait à raison l'expert judiciaire ; qu'il convient de confirmer le jugement de première instance qui a ordonné de déplafonnement ;
Attendu que les locaux litigieux dépourvus d'accès sur la rue [Adresse 2] sont situés dans une cour intérieure, accessible par un passage couvert étroit de 3 m et long de 14 m, que si l'emplacement est signalé par une enseigne et une ardoise sur pied présente dans la rue, il est néanmoins constant que cette absence de vitrine ou d'entrée donnant directement sur la rue piétonne est de nature à pénaliser le commerce considéré, qu'un abattement de 35% doit être appliqué pour tenir compte de cette configuration peu propice au commerce, que l'installation d'une terrasse, sur une partie commune de l'immeuble et non dans les lieux loués , en dépit du caractère précaire de l'accord du syndicat des copropriétaires, apporte une plus-value certaine au fonds dont il convient de tenir compte par l'application d'une majoration de 2 % la valeur locative ;
Attendu que l'expert a retenu une valeur locative de 432 € le m², qu'il convient de minorer de
35 % cette valeur en raison de son emplacement en retrait et de la majorer de 2% en raison de la jouissance d'une terrasse, qu'on obtient une valeur locative annuelle de 55 782,38€, d'où il convient de déduire 8% pour le transfert de charge de la taxe foncière sur le locataire, que le loyer révisé doit être fixé à la somme de 51 319,78€ ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties ni pour la procédure de première instance ni pour celle d'appel;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire
Confirme le jugement déféré à l'exception du montant du loyer;
Fixe à la somme de 51 319,78 euros hors taxe et hors charge par an le prix du loyer révisé au 5 mai 2010 pour les locaux situés [Adresse 1] donnés à bail commercial à la société ' La Maison de Marie ';
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
Rejette toute autre demande;
Fait masse des dépens d'appel et dit que chaque partie en supportera la moitié.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT