COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 25 NOVEMBRE 2016
N°2016/651
TC
Rôle N° 15/02711
SAS FEU VERT
C/
[C] [Z]
Grosse délivrée le :
à :
Me Marion MOINECOURT, avocat au barreau
de LYON
Me Olivier ROMANI,
avocat au barreau
de NICE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de FREJUS - section C - en date du 29 Janvier 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 12/416.
APPELANTE
SAS FEU VERT, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marion MOINECOURT, avocat au barreau de LYON ([Adresse 2])
INTIMEE
Madame [C] [Z], demeurant [Adresse 3]
comparante en personne, assistée de Me Olivier ROMANI, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Chantal BARON, Présidente de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2016
Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Engagée le 29 octobre 1999 en tant que caissière par la société Auto Service aux termes d' un contrat à durée déterminée transféré à la Sas Feu Vert, Madame [C] [Z] a conclu avec son nouvel employeur un contrat à durée indéterminée du 1er août 2000 pour exercer un poste d'hôtesse de caisse durant 30 heures par semaine.
La salariée a été déclarée par le médecin du travail, le 10 juin 2010, 'inapte au poste, apte à un autre, pas de travail répétitif sollicitant l'épaule gauche. Peut occuper un poste en administratif. Un poste de caisse à défilement droit serait à étudier par la suite.' Le 18 novembre 2010, la Cpam du [Localité 1] a notifié à la salariée, en arrêt-maladie, la prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels sa maladie d'épaule douloureuse inscrite au tableau 57 relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail, puis, à l'issue de la seconde visite de reprise du 26 septembre 2011, elle a été déclarée inapte au poste de caissière et apte à un poste administratif uniquement en raison d'une manutention impossible et de mouvements répétitifs et de bras en élévation, en particulier du membre supérieur gauche, contre-indiqués, sans contre-indication s'agissant d'un travail sur écran, ce qu'elle confirmera à l'issue d'un examen du 25 mars 2013 après avoir indiqué, par courrier du 17 octobre 2011, qu'à la suite d'une étude de poste et au motif d'une aggravation de l'état de santé de la salariée, qu'elle contre-indiquait définitivement la moindre manutention en caisse.
Le 19 octobre 2012, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Fréjus notamment pour obtenir la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Après des avis défavorables des délégués du personnel et des décision de rejet de l'inspection du travail, l'employeur a de nouveau convoqué la salariée à un entretien préalable qui s'est tenu le 8 octobre 2013, puis, finalement autorisé par une décision de l'inspecteur du travail du 21 janvier 2014, l'a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec avis de réception du 3 février 2014.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 31 juillet 2014, le conseil de prud'hommes de Fréjus a donné acte à l'employeur de ce qu'il se reconnaissait redevable envers la salariée de la somme de 1241 euros au titre du solde de préavis et de celle de 124,10 euros au titre des congés payés subséquents, l'a condamné à leur paiement en tant que de besoin, l'a en outre condamné au paiement des sommes de 1318,38 euros au titre d'un solde de RTT, 1241 euros à titre de rappel de salaire, 124,10 euros au titre des congés payés subséquents, 1000 euros au titre d'un retard dans la remise de l'attestation Pôle Emploi et 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, enfin, a renvoyé la cause et les parties à une audience présidée par le juge départiteur pour statuer sur la demande de dommages et intérêts en raison d' une rupture imputable à l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité de résultat, et a réservé les dépens.
Aux termes d'un jugement rendu le 29 janvier 2015, après en avoir délibéré et statué seul, ayant recueilli l'avis de deux conseillers prud'homaux présents aux débats, le juge départiteur, d'une part, a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur au motif que le conseil de prud'hommes pouvait statuer sur la demande de la salariée fondée sur les dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail aux fins d'indemnisation du préjudice subi par la perte d'emploi par suite de l'inaptitude liée à une maladie professionnelle qu'elle impute à son employeur sans invoquer l'existence ou la reconnaissance d'une faute inexcusable relevant de la compétence exclusive de la juridiction des affaires de la sécurité sociale, d'autre part, a condamné l'employeur à payer à la salariée la somme de 37.230 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice précité, enfin, a condamné l'employeur au paiement des mêmes sommes déjà allouées par jugement du 31 juillet 2014 au titre d'un solde d'indemnité de préavis et des congés payés afférents outre au titre de la remise tardive de l'attestation Pôle Emploi, a élevé à 1437,12 euros le montant alloué par ce même jugement au titre des RTT, a débouté la salarié de sa demande au titre d'un rappel de salaire et des congés payés afférents à laquelle le même jugement avait fait droit, a élevé à 1500 euros la somme allouée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné l'exécution provisoire et a condamné l'employeur aux dépens.
Le 10 février 2015, dans le délai légal, l'employeur a régulièrement relevé appel du jugement du 29 janvier 2015.
Reprenant oralement à l'audience ses conclusions écrites, l'employeur sollicite de la cour, à titre principal, qu'elle infirme le jugement entrepris en ses dispositions par lesquelles il statue de nouveau sur les demandes sur lesquelles le conseil de prud'hommes s'était prononcé le 31 juillet 2014 et en exécution provisoire duquel les sommes allouées ont été réglées, qu'elle déclare irrecevable comme relevant de la compétence exclusive d'une juridiction des affaires de la sécurité sociale, que celle-ci ait été saisie ou non en reconnaissance de la faute inexcusable, ses demandes de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice né d'une maladie professionnelle reconnue depuis l'origine, découlant d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, et consistant dans l'inaptitude ayant abouti au licenciement, non-contesté, qu'elle infirme en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 37.320 euros à titre dommages et intérêts et qu'elle rejette les demandes de dommages et intérêts soutenues en appel, à titre subsidiaire, qu'elle infirme le jugement déféré en ces mêmes dispositions faute de preuve d'un manquement à l'obligation de sécurité dès lors que les obligations en matière d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs prévues par l'article L 4121-3 du code du travail n'existaient pas à la date de l'arrêt de travail, que ces mêmes obligations ne peuvent porter sur des expositions aux risques à compter d'une date fixée par décret au plus tard le 1er janvier 2012, que l'absence d'aménagement du poste de travail n'est pas à l'origine de l'inaptitude, que le fait de s'être éventuellement baissée plusieurs fois par jour est sans rapport avec son affection, qu'elle était à temps partiel, qu'elle n'était pas affectée en permanence à la caisse puisqu'elle effectuait des tâches administratives deux jours par semaine, qu'elle ne manipulait pas que des objets lourds, enfin que le médecin du travail, le 17 octobre 2011, a indiqué qu'une modification du défilement de la caisse et l'installation de rouleaux envisagées pendant l'arrêt de travail n'étaient plus d'actualité en raison d'une totale impossibilité de manutention en caisse en raison d'une aggravation de l'état de santé de la salariée qui avait subi une opération chirurgicale en mars 2011pour une affection distincte dont la prise en charge au titre des maladies professionnelles lui a été refusée, à titre infiniment subsidiaire, qu'elle réduise les sommes éventuellement allouées au regard de l'âge et de l'ancienneté de la salariée qui n'a pas mis à profit le temps écoulé entre la déclaration d'inaptitude et son licenciement pour organiser une reconversion professionnelle et qui ne justifie pas de sa situation depuis février 2015, en toute hypothèse, qu'elle condamne la salariée à lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au moyen de conclusions écrites reprises et complétées oralement à l'audience, la salariée indique qu'elle considère comme définitives, car non frappées d'appel, les condamnations prononcées par jugement du 30 juillet 2014, et elle sollicite de la cour qu'elle condamne l'employeur au paiement, avec les intérêts au taux légal capitalisés depuis la demande en justice sur les créances salariales, de la somme de 20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et de celle de 40.000 euros nets à titre de dommages et intérêts résultant de l'origine de l'inaptitude, au regard d'une ancienneté de 14 ans, de l'absence d'emploi, d'une recherche difficile en raison d'une reconnaissance de travailleur handicapé et d'une absence de prise en charge par Pôle Emploi conséquence de la carence de l'employeur dans la délivrance de l'attestation destinée à cet organisme.
Elle soutient, d'une part, que ses demandes sont recevables et relèvent de la compétence prud'homale puisqu'elles tendent à sanctionner les manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat, peu important l'origine professionnelle de la maladie, alors qu'une juridiction des affaires de la sécurité sociale n'a pas été saisie et que le manquement qu'elle invoque, qui n'est qu'un des éléments permettant de caractériser une éventuelle faute inexcusable, peut être démontré en dehors de cette caractérisation ; d'autre part, que l'employeur, qui n'a pas respecté les obligations mises à sa charge par les articles L 4121-3 et L 4221-1 du code du travail en l'absence d'évaluation des risques et de mesures pour les éviter et adapter le poste et les méthodes de travail, ne démontre pas la faute exclusive du salarié ou la force majeure permettant de s'exonérer de sa responsabilité, que l'employeur n'a pas fait les aménagements nécessaires, pourtant préconisés par le médecin du travail, alors qu'elle était amenée régulièrement à manipuler des articles très lourds pour les tirer sur le tapis non-pourvu de rouleaux plusieurs dizaines de fois par jour, qu'elle devait répondre plusieurs fois par jour au téléphone en encaissant les clients avec un combiné coincé entre la tête et l'épaule afin de garder les mains libres, qu'elle devait se baisser plusieurs dizaines de fois par jour pour accéder à l'imprimante de factures située sous le comptoir, enfin, que les manquements sont la cause de l'inaptitude, ce qui justifierait l'indemnisation du préjudice en résultant.
MOTIFS :
La formation paritaire du conseil de prud'hommes a fait une exacte application des dispositions des articles L 1454-2 det R 1454-29 du code du travail en ayant renvoyé devant le juge départiteur les seules questions sur lesquelles aucune majorité n'avait pu se former au cours du délibéré, de sorte que l'appel dirigé exclusivement à l'encontre du jugement de départage partiel du 29 janvier 2015 n'a eu aucun effet sur le jugement prud'homal ayant précédemment statué sur les autres chefs de demande, ce sur quoi les parties s'accordent puisqu'elles reconnaissent le caractère définitif des condamnations prononcées par jugement du 31 juillet 2014 non-frappé d'appel.
En tout état de cause, en ayant statué de nouveau sur les points tranchés définitivement par la formation paritaire, le juge départiteur a excédé ses pouvoirs en ignorant l'autorité de chose jugée le 31 juillet 2014, ce qui doit entraîner l'infirmation du jugement du 29 janvier 2015 en ses dispositions par lesquelles il a, d'une part, condamné l'employeur à payer à la salariée les sommes de 1241 euros bruts au titre d'un solde d'indemnité de préavis, 124,10 euros bruts au titre des congés payés afférents, 1500 euros au titre de la remise tardive de l'attestation Pôle Emploi, 1437,12 euros au titre des RTT et 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, d'autre part, débouté la salariée de sa demande au titre d'un rappel de salaire et des congés payés afférents.
La cour constatera en conséquence le caractère définitif des condamnations précitées prononcées dans les termes du jugement du 31 juillet 2014 assorti de l'exécution provisoire.
L'article L 1411-4 dispose que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le Code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles.
En application des articles L 541-1 et L 142-1 du code de la sécurité sociale, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle, qu'elle soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
En l'espèce, sous couvert de demandes en responsabilité de l'employeur pour manquements à l'obligation de sécurité et 'en dommages et intérêts résultant de l'origine de l'inaptitude', la salariée réclame en réalité la réparation par l'employeur d'un préjudice né de sa maladie, à l'origine de ses arrêts de travail, inscrite au tableau 57 et prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels le 18 novembre 2010, qui a donné lieu aux avis d'inaptitude successifs de la médecine du travail, de sorte qu'il appartiendra le cas échéant à la juridiction de sécurité sociale compétente, en l'état non-saisie, de se prononcer sur les manquements reprochés à l'employeur et de réparer l'entier préjudice de nature personnelle ou professionnelle né de la maladie professionnelle, dont ne se distinguent pas les préjudices invoqués, notamment au titre d'une perte d'emploi consécutive à une inaptitude découlant de la maladie professionnelle.
La cour, statuant dans les limites de sa saisine, infirmera le jugement déféré en toutes ses dispositions et déclarera irrecevables les demandes de dommages et intérêts telles que formulées par la salariée.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La salariée, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:
Constate le caractère définitif des condamnations prononcées dans les termes du jugement du 31 juillet 2014 assorti de l'exécution provisoire.
Infirme le jugement du 29 janvier 2015 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et y ajoutant:
Déclare irrecevables les demandes de Madame [C] [Z] aux fins de condamnation de la Sas Feu Vert à lui payer la somme de 20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et la somme de 40.000 euros nets à titre de dommages et intérêts résultant de l'origine de l'inaptitude.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Madame [C] [Z] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENTE