COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 23 MARS 2017
No 2017/ 147
Rôle No 16/07993
SAS MARION
C/
Entreprise JEAN NEGRI ET FILS
SAS SOFITER
Grosse délivrée
le :
à :
Me ALLIGIER
Me BORDET
Me SIMON THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 04 Avril 2016 enregistrée au répertoire général sous le no 2015R00450.
APPELANTE
SAS MARION,
demeurant 16 Avenue Gaston Bosc - 13009 Marseille
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée et plaidant par Me Gaëtan BALESTRA, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Entreprise JEAN NEGRI ET FILS,
demeurant Le Tonkin - 13270 FOS SUR MER
représentée et plaidant par Me Guillaume BORDET, avocat au barreau de MARSEILLE
SAS SOFITER,
demeurant Zone Ecopole - rue Robot Monot - 13270 SAINT MARTIN DE CRAU
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée et plaidant par Me Caroline RANIERI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 Février 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, monsieur PRIEUR, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mars 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mars 2017,
Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Selon acte d'engagement du 04 mars 2011, le groupement d'entreprises MARION, SOFITER et NEGRI s'est vu confier par le Grand port maritime de MARSEILLE, les travaux de démolition du tenon127-128 dans les bassins est du GPMM.
Le montant initial du marché était de 798 400.00 € HT soit 954 886.40 € TTC.
La société MARION, mandataire solidaire du groupement était en charge du désamiantage et des travaux terrestres, la société NEGRI était en charge des travaux subaquatiques, la société SOFITER était en charge des prestations de minage.
La maîtrise d'œuvre était assurée par la Direction Aménagements Travaux et Projets du GPMM.
Dans le cadre du marché, un compte bancaire commun a été ouvert pour le groupement, chacune des sociétés devant autoriser la libération des fonds pour toutes les entreprises.
Les travaux ont été réalisés et à ce jour, seule demeure la question posée des comptes entre les parties.
Par courrier du 15 janvier 2013, notifié le 21 janvier 2013, le maître d'œuvre a adressé le décompte général à la société MARION en sa qualité de mandataire du groupement.
Le groupement a présenté une réclamation au maître d'ouvrage dans le cadre des procédures prévues par le CCAG. Aucune réponse n'est intervenue.
Par requête enregistrée le 22 février 2013, le groupement a saisi le Tribunal administratif de MARSEILLE d'une demande d'expertise en vue de réunir tous éléments d'information relatifs aux conditions dans lesquelles a été exécuté le marché de travaux conclu avec le Grand Port Maritime de Marseille, afin d'évaluer les conséquences financières de toutes natures qui en ont résulté.
Par ordonnance du 23 Avril 2013, le Juge des Référés du Tribunal administratif de MARSEILLE a désigné M. X... en qualité d'expert, qui a déposé son rapport le 10 juin 2014.
Dans un second temps, le groupement a saisi le Tribunal administratif de Marseille d'un recours au fond afin que les comptes soient définitivement établis. L'instance est toujours en cours.
En parallèle et dans le cadre des relations entre les membres du groupement, le même expert M X... a été désigné par Monsieur Le Président du Tribunal de commerce de Marseille par ordonnance du 10 janvier 2013 avec pour notamment pour mission :
« - Rechercher les causes du retard et des difficultés pris dans l'exécution du chantier, objet du marché,
- Dire les responsabilités éventuelles dans ce retard et ces difficultés,
- Dire sur les prestations contractuellement dues par chaque membre du groupement d'entreprise ont été réalisées,
-Faire les comptes entre les membres du groupement ››.
Le rapport d'expertise a été déposé le 14 juin 2014.
Par acte du 17 novembre 2015, l'entreprise Jean Negri et fils a assigné la société MARION et la société SOFITER devant le Président du Tribunal de commerce de MARSEILLE afin de :
- Constater qu'il a été versé au groupement d'entreprises MARION-SOFITER-ENTREPRISE JEAN NEGRI une somme de 352 987,28 €,
- Constater que M X..., dans le cadre de son rapport d'expertise du 10 janvier 2014, a constaté qu'il était dû à la société ENTREPRISE JEAN NEGRI, a minima, une somme de
78 728,25 €, déduction faite des éventuelles imputations de pénalités de retard ou de quote-part de réfaction de prix,
- constater en outre que l'Expert a retenu que la société MARION était redevable vis-à-vis de la société NEGRI d'une somme de 145 606,96 €,
- ordonner la libération au profit de la société NEGRI de la somme de 78 728,25 € en provenance des sommes détenues conjointement par le Groupement d'entreprises sur le compte bancaire ouvert à cet effet,
- ordonner en outre la libération au profit de la société NEGRI sur la part théorique revenant à la société MARION de la somme de 145 606,96 € HT.
Aucune demande n'était formulée à l'encontre de SOFITER.
La société MARION a demandé au Juge des référés de :
- Surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir par le Tribunal administratif, considérant que cela serait d'une bonne administration de la justice,
- Faire droit à la fin de non-recevoir tirée du principe de l'estoppel en l'état de l'argumentation prise par l'entreprise NEGRI dans le cadre de la procédure de référé donnant lieu à l'ordonnance du 10 mai 2012,
- Se déclarer incompétent pour apprécier les rapports d'expertise judiciaire,
- Se déclarer incompétent en l'état de la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire sollicitée devant le Tribunal administratif de Marseille,
- Rejeter l'ensemble des demandes formulées par l'entreprise NEGRI et la société SOFITER.
La société SOFITER a conclu au rejet de la demande de sursis à statuer présentée par la société MARION ainsi qu'à toute demande formulée à son encontre et a sollicité la libération à son profit de la somme de 342 679,96 euros TTC à titre provisionnel ainsi que la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par ordonnance du 4 avril 2016, le Président du Tribunal de commerce de Marseille a :
- rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société MARION,
- déclaré recevables les demandes de la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS,
- ordonné la libération de la somme de 78 728, 25 euros au profit de la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS, en provenance des sommes détenues conjointement par le groupement d'entreprises MARION-SOFITER- ENTREPRISE JEAN NEGRI, sur le compte bancaire ouvert à cet effet auprès de la SOCIETE MARSEILLAISE` DE CREDIT;
- ordonné la libération au profit de la société SOFITER de la somme de 273.790 euros en provenance des sommes détenues conjointement par le groupement d'entreprises MARION-SOFITER- ENTREPRISE JEAN NEGRI, sur le compte bancaire ouvert à cet effet auprès de la SOCIETE MARSEILLAISE` DE CREDIT.
La société MARION a relevé appel de cette décision et soutient :
- le sursis à statuer jusqu'au prononcé du jugement par le tribunal administratif saisi d'une demande de nullité d'expertise, cette décision ayant une influence dans la présente instance,
- que le juge administratif est seul juge du décompte général,
- qu'il convient de faire droit à la finde non recevoir tirée du principe de l'estoppel en l'état de l'argumentation developpée par la Société ENTREPRISE JEAN NEGRI dans le cadre de la procédure de référé ayant donné lieu au rendu de l'ordonnance du 10 mai 2012,
- que dans le cadre des travaux, elle a été amenée, du fait de la carence de la société NEGRI à effectuer des travaux pour son compte,
- l'existence d'une contestation sérieuse compte tenu de la teneur du rapport d'expertise rendu concernant les responsabilités des membres du groupement dans l'exécution du marché de travaux publics, et que le rapport d'expertise est critiquable, puisqu'il lui a attribué à tort un retard qui n'est pas du à son fait,
- l'incompétence de la présente juridiction notamment en raison de la contestation sérieuse tirée de la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire actuellement sollicitée devant le Tribunal Administratif de MARSEILLE.
Elle demande donc la réformation de la décision entreprise.
La société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS rétorque :
- que le rapport d'expertise établit qu'il lui est dû sur le marché de base, une somme de
117 200 euros HT, dont il y a lieu de déduire une quote-part de la facture SPAC, à hauteur de 23 660 euros, et qu'il y a lieu de majorer de la somme de 145 606,96 euros au titre des travaux supplémentaires mis en œuvre, ce qui représente une créance de 262.806,96 euros HT,
- que l'expert a retenu un montant de pénalités applicables de 18.363 euros et un montant de réfaction de prix de 68.140 euros.
- qu'il a précisé qu'en ce qui concerne les pénalités, 70 % devaient être assumés par la société MARION, 5 % par la société SOFITER et 25 % par l'entreprise NEGRI et que au titre de la réfaction sur le prix, l' Expert a précisé que 85 % devraient être assumés par la société MARION et 15 % par la société NEGRI,
- qu'en ce qui concerne les charges devant éventuellement être supportées par l'Entreprise NEGRI :
25 % des pénalités de retard représente la somme HT de 4 590,75 euros,
15% de la réfaction de prix représente la somme HT de 10 221 euros.
- que la société appelante invoque à tort le principe de l'estoppel puisque dans le cadre de la procédure initiée par elle, par citation du 12 avril 2012, la société MARION développait une argumentation totalement contraire à celle qu'elle développe aujourd'hui, et ce alors même que les rapports d'expertise de Monsieur X... n'avaient pas été déposés, celui-ci n'ayant, à l'époque, pas même été désigné,
- que la demande en nullité du rapport d'expertise devant la juridiction administrative n'a aucune incidence sur l'argumentation développée par l'appelante pour s'opposer à la demande en paiement,
- qu'il n'y a pas de contestation sérieuse.
La société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS demande de confirmer l'ordonnance attaquée sauf sur le montant de l'indemnité provisionnelle qui sera portée à 224 335,21 euros HT.
La société SOFITER demande de confirmer la décision entreprise en s'opposant au sursis à statuer, et du fait de l'absence de contestation sérieuse.
MOTIFS DE LA DECISION
Les demandes en paiement d'indemnités provisionnelles se fondent sur un rapport d'expertise déposé par M X..., désigné par Monsieur Le Président du Tribunal de commerce de Marseille par ordonnance du 10 janvier 2013.
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, l'éventuelle nullité du rapport de l'expert commis par le tribunal administratif est sans incidence sur la présente instance, et il convient de rejeter la demande de sursis à statuer présentée par la société appelante.
En application des articles 72 et 563 du code de procédure civile, la société MARION ne peut se prévaloir du principe de l'estoppel du fait des moyens nouveaux développés dans la présente procédure par rapport à celle ayant abouti à l'ordonnance du 10 mai 2012.
Le rapport de l'expert judiciaire, qui a effectué une analyse minutieuse des travaux effectués par les parties, fait apparaître incontestablement que la société MARION est débitrice envers la société NEGRI d'une somme de 145.600 euros hors taxe, les demandes complémentaires de cette société ne relevant pas du juge des référés, juge de l'évidence ne peut notamment statuer sur la responsabilité des entreprises ouvrant droit aux pénalités.
Il doit être relevé que la société appelante ne remet aucun document permettant d'infirmer les conclusions de l'expert judiciaire.
Il convient donc d'ordonner à la société MARION de libérer cette somme au profit de la société NEGRI.
De même, il n'est pas sérieusement contestable que la société MARION est débitrice envers la société SOFITER d'une somme de 273.790 euros hors taxes.
Il échet de préciser qu'aux condamnations provisionnelles prononcées hors taxes, devra s'ajouter la TVA.
Il convient de condamner la société MARION à payer :
- à la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- à la société SOFITER une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non recevoir soulevée par la société MARION,
Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer et a ordonné la libération au profit de la société SOFITER de la somme de 273.790 euros HT,
L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,
Ordonne la libération au profit de la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS de la somme de 145.600 euros hors taxe sur les sommes détenues par le Groupement d'Entreprises, sur le compte bancaire ouvert à cet effet dans les livres de la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT,
Dit qu'à la somme de 145.600 euros hors taxe accordée à la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS et à l'indemnité de 273.790 euros HT allouée à la société SOFITER et objet de la libération, s'ajoutera la TVA,
Condamne la société MARION à payer :
- à la société ENTREPRISE JEAN NEGRI ET FILS une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- à la société SOFITER une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,
Condamne la société MARION aux dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,