COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
2e Chambre
ARRET SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 06 AVRIL 2017
N°2017/ 180
Rôle N° 15/02731
SA EDF
C/
S.A.R.L. CORSICA BOBINAGE
SARL FERME MARINE DE SPANO
Grosse délivrée
le :
à :
Me SIMON THIBAUD
Me AGOSTINI
Me IMPERATORE
Arrêt en date du 06 Avril 2017 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 10 décembre 2014, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 2013/331 rendu le 15 mai 2013 par la Cour d'Appel de BASTIA (RG 11/00359 - Chambre Civile B).
DEMANDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION
SA EDF,
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
DEFENDERESSES SUR RENVOI DE CASSATION
S.A.R.L. CORSICA BOBINAGE,
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 3]
représentée par Me Stéphanie AGOSTINI, avocat au barreau de MARSEILLE
SARL FERME MARINE DE SPANO
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Claude CRETY, avocat au barreau de BASTIA,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Janvier 2017 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président, Magistrat rapporteur
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Mars 2017.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2017, après prorogation du délibéré,
Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société FERME MARINE DE SPANO qui exploite une ferme aquacole sur la commune de [Localité 1] en Corse, dispose de 8 bassins à terre destinés à l'écloserie et au pré-grossissement des alevins, remplis d'eau de mer recyclée et oxygénée par une machinerie alimentée en électricité par le réseau EDF.
Par avenant du 7 septembre 2005, la société FERME MARINE DE SPANO a souscrit auprès de la société EDF un contrat portant sur la fourniture d'électricité d'une puissance de 36 KVA et une tension 230/400 volts triphasés.
La société EDF est en l'espèce concessionnaire du réseau de distribution d'électricité appartenant au Syndicat d'électrification de Balagne, suivant cahier des charges de concession pour le service public de la distribution d'énergie électrique du 20 août 1994.
Le 30 septembre 2006, la société FERME MARINE DE SPANO a acquis auprès de la société CORSICA BOBINAGE un groupe électrogène destiné à pallier les défaillances de l'alimentation électrique de la machinerie par suite de baisses de tensions.
Le groupe électrogène est fabriqué et paramétré en usine par la société PRAMAC FRANCE , assurée auprès de la société AXA FRANCE IARD.
A la demande de la société LA FERME MARINE DE SPANO , le groupe électrogène a fait l'objet d'une modification du paramétrage usine lors de son installation.
Dans la nuit du 21 au 22 novembre 2006, les pompes d'alimentation d'eau de mer, d'oxygène et d'air comprimé des bassins ont cessé de fonctionner en raison d'une interruption de la fourniture d'électricité, et le groupe électrogène de secours n'a pas fonctionné.
L'absence d'oxygénation des bassins dans la nuit du 21 au 22 novembre 2006 a entraîné la mort par asphyxie de l'ensemble des alevins, soit environ 188 250 unités, constatée par huissier le 22 novembre 2006 à 9 heures 40.
Par acte du 26 août 2008, la SARL FERME MARINE DE SPANO a assigné la SA ELECTRICITE DE FRANCE-EDF devant le tribunal de commerce de Bastia au visa de l'article 1147 du code civil, aux fins de voir :
- condamner la société EDF à payer à la société FERME MARINE DE SPANO les sommes de :
- 188.250,00 euros au titre de la perte de son stock de poissons,
- 147.160,00 euros au titre des pertes d'exploitation,
- 50.000,00 euros au titre des frais et surcoûts générés par le sinistre.
- la condamner en outre au paiement de la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par actes des 19 et 21 novembre 2008, la SARL FERME MARINE DE SPANO a assigné la SAS PRAMAC FRANCE et la SARL CORSICA BOBINAGE aux mêmes fins, et subsidiairement aux fins de voir ordonner une mesure expertale.
Par jugement du 12 décembre 2008, le tribunal de commerce a ordonné la jonction des instances.
Par jugement du 27 mars 2009, le tribunal de commerce a ordonné une expertise, et a désigné monsieur [E] [K] en qualité d'expert, lequel a déposé son rapport le 26 avril 2010 en concluant notamment que l'origine de l'interruption de la fourniture d'énergie réside dans la coupure de la phase trois par suite de la fusion du fusible 3, et que la modification du paramétrage usine n'a pas permis le démarrage du groupe électrogène sur coupure d'une phase.
Sur reprise d'instance le 21 mai 2010, la société AXA FRANCE IARD est intervenue volontairement à l'instance en qualité d'assureur de la SAS PRAMAC.
Par jugement réputé contradictoire du 15 avril 2011 rendu en l'absence de la société CORSICA BOBINAGE ni présente ni représentée, le tribunal de commerce a :
- constaté l'intervention volontaire aux débats de la société AXA FRANCE IARD assureur de la société PRAMAC FRANCE,
- homologué le rapport expertal
- mis hors de cause sans dépens la société CORSICA BOBINAGE et la société AXA FRANCE IARD,
- condamné in solidum la société EDF et la société PRAMAC FRANCE à payer à la société FERME MARINE DE SPANO la somme de 656.925,00 euros avec intérêts de droit à compter du 26 avril 2010, date du rapport expertal,
- condamné sous la même solidarité la société EDF et la société PRAMAC FRANCE à payer à la société FERME MARINE DE SPANO la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les entiers dépens en ceux compris les frais d'expertise,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes contraires à la présente décision.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Bastia du 11 mai 2011, la SAS PRAMAC
FRANCE a régulièrement relevé appel de cette décision à l'encontre de la SA EDF, de la SARL FERME MARINE DE SPANO, de la société AXA FRANCE IARD et de la SARL CORSICA BOBINAGE.
Par arrêt du 15 mai 2013, la cour d'appel de Bastia a :
- déclaré recevable la demande de la société CORSICA BOBINAGE aux fins de voir prononcer l'irrecevabilité de la demande en garantie formée par la société PRAMAC FRANCE à son encontre,
- déclaré irrecevable la demande en garantie formée par la société PRAMAC FRANCE à l'encontre de la société CORSICA BOBINAGE, comme étant une demande nouvelle,
- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'intervention volontaire de la société AXA FRANCE IARD en qualité d'assureur de la société PRAMAC FRANCE, mis hors de cause sans dépens la société AXA FRANCE IARD, retenu la responsabilité de la société EDF, fixé le préjudice à la somme de 656.925,00 euros,
- infirmé le jugement entrepris pour le surplus, et statuant à nouveau des chefs infirmés,
- mis hors de cause la société PRAMAC FRANCE,
- déclaré la société CORSICA BOBINAGE responsable du sinistre subi par la société FERME DE SPANO, in solidum avec la société EDF,
- condamné in solidum la société EDF et la société CORSICA BOBINAGE à payer à la société FERME MARINE DE SPANO la somme de 656.925,00 euros avec intérêts de droit à compter du 15 avril 2011,
- débouté la société CORSICA BOBINAGE de sa demande de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la société PRAMAC FRANCE de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,
- débouté les parties de toutes les autres demandes,
- condamné in solidum la société EDF et la société CORSICA BOBINAGE à payer à la société FERME MARINE DE SPANO la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la société EDF et la société CORSICA BOBINAGE aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ceux compris les frais d'expertise.
Par arrêt du 10 décembre 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation saisie de pourvois à l'encontre de l'arrêt précité, a :
- mis, sur leur demande, hors de cause les sociétés AXA FRANCE IARD et PRAMAC FRANCE,
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré la société CORSICA BOBINAGE responsable du sinistre subi par la société FERME MARINE DE SPANO, in solidum avec la société EDF, et les a condamnées in solidum à lui payer la somme de 656.925,00 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 15 avril 2011, l'arrêt rendu le 15 mai 2013
- renvoyé la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix en Provence.
Les motifs de cassation sont les suivants :
- concernant le pourvoi formé par la société EDF : absence de réponse au moyen soulevé par la société EDF selon lequel elle n'a à sa charge que l'entretien du réseau dont elle est concessionnaire et qui appartient au Syndicat d'électrification de Balagne, et qu'elle a informé le syndicat et le gérant de la société des travaux à entreprendre sur le réseau pour augmenter la puissance nécessaire aux besoins de la ferme aquacole.
- concernant le pourvoi formé par la société CORSICA BOBINAGE : les conséquences d'un manquement au devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance, et la cour a omis de rechercher si mieux informée la société FERME MARINE DE SPANO aurait renoncé à faire modifier le paramétrage du groupe électrogène.
Par déclaration au greffe de la cour du 20 février 2015, la société EDF a régulièrement saisi la cour d'appel d'Aix en Provence sur renvoi de cassation, à l'encontre de la société CORSICA BOBINAGE et de la société FERME MARINE DE SPANO.
Dans ses dernières conclusions du 10 octobre 2016, la société EDF demande à la cour de :
A titre principal
- constater que le SIEEP (syndicat intercommunal d'électrification et d'éclairage public de la Haute Corse) est le propriétaire du réseau et qu'EDF en est le concessionnaire,
- constater que le renforcement de ce réseau incombe uniquement au SIEEP, autorité concédante,
- constater que les chutes de tension sont dues à un réseau insuffisant pour répondre à la puissance sollicitée par les installations de la société LA FERME MARINE DE SPANO,
- constater que la fourniture d'électricité par EDF est exempte de tout défaut, et que la responsabilité d'EDF ne peut pas être retenue,
- débouter la société LA FERME MARINE DE SPANO de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre,
- condamner la société LA FERME MARINE DE SPANO à rembourser à EDF la somme de 677.439,06 euros qu'elle a versée au titre de l'exécution provisoire avec intérêts de droit :
sur la somme de 664.049,24 euros à compter du 19 juillet 2011 jusqu'à parfait règlement,
sur la somme de 13.389,82 euros à compter du 8 août 2011 jusqu'à parfait règlement.
A titre subsidiaire,
- constater que le montant du préjudice ne saurait être supérieur à la somme de 234.064,00 euros
- en conséquence, condamner la société LA FERME MARINE DE SPANO à rembourser à la société EDF la somme de 443.375,06 euros assortie des intérêts de droit à compter de la date du 19 juillet 2011.
- la condamner en outre au paiement d'une somme de 20.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de toutes les instances
Dans ses dernières conclusions du 29 février 2016, la société FERME MARINE DE SPANO demande à la cour de :
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a :
retenu la responsabilité de la société EDF dans la survenance du sinistre des 21 et 22 novembre 2006
condamné la société EDF à payer à la société FERME MARINE DE SPANO la somme de 656.925,00 euros, au titre de la perte du prix de revient du stock de poissons et de la perte de sa marge brute
- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a mis hors de cause la société CORSICA BOBINAGE,
- dire ladite société co-responsable du préjudice subi par la concluante et dire qu'elle sera tenue in solidum avec la société EDF à en réparer les conséquences,
- condamner les mêmes in solidum au paiement de la somme supplémentaire de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel avec distraction.
Dans ses dernières conclusions du 11 décembre 2016, la société CORSICA BOBINAGE demande à la cour de :
A titre principal
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bastia en ce qu'il a mis hors de cause la société CORSICA BOBINAGE dans la survenance du sinistre de la société LA FERME MARINE DE SPANO,
A titre subsidiaire
- dire que le préjudice indemnisable de la société LA FERME MARINE DE SPANO à la charge de la société CORSICA BOBINAGE s'élève à la somme de 28.562,25 euros,
En tout état de cause
- condamner la société LA FERME MARINE DE SPANO au paiement d'une somme de 15.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de toutes les instances.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité de la société EDF
La société EDF soutient :
- que l'origine de l'interruption de la fourniture d'électricité ne réside pas dans une coupure d'électricité, mais dans la fusion d'un fusible AD ayant engendré la perte d'une phase, que la perte d'un fusible AD organe de protection constitue un risque bien connu au niveau de l'installation intérieure de l'usager et n'entre donc pas dans la qualité de la fourniture de l'électricité,
- que la réglementation en vigueur prévoit que l'usager doit se prémunir de cette situation, que la société LA FERME MARINE DE SPANO a acquis à cette fin un groupe électrogène mais a modifié le paramétrage afin qu'il se déclenche uniquement en cas de chute de tension et de coupure d'électricité, mais non en cas de perte de phase,
- que la société LA FERME MARINE DE SPANO a procédé à cette modification de paramétrage pour faire face aux chutes de tension récurrentes provoquées par le branchement de son installation industrielle sur un branchement et réseau préexistant insuffisants pour la puissance appelée de l'installation intérieure,
- que le réseau de distribution de Balagne haute tension et basse tension appartient au Syndicat Intercommunal d'Electrification et d'Eclairage Public de Haute Corse (SIEEP) qui est l'autorité concédante,
- que selon l'article 9 du cahier des charges de concession pour le service public de la distribution d'énergie électrique, la construction et le renforcement des lignes du réseau sont à la charge de la SIEEP qui les finance, EDF n'assurant que l'entretien et le dépannage,
- que le sinistre trouve son origine dans la foudre et la surcharge de l'installation intérieure de la société LA FERME MARINE DE SPANO,
- que les chutes de tension sont uniquement imputables au branchement des installations de la société LA FERME MARINE DE SPANO sur un réseau préexistant insuffisant pour les faire fonctionner correctement,
- que le démarrage des moteurs de forte puissance de la société LA FERME MARINE DE SPANO nécessite une puissance électrique très importante que le réseau en place ne peut supporter et qui provoque nécessairement des chutes de tension dans l'installation intérieure privée sur le branchement et sur le réseau, perturbations susceptibles de causer des dommages aux appareils de protection du comptage,
- que le gérant de la ferme savait parfaitement que le réseau était insuffisant lorsqu'il a démarré son activité à terre, raison pour laquelle il a demandé à la société EDF un compteur d'une puissance de 60 KVA, à quoi la concluante a répondu que les travaux de renforcement incombaient au concédant et non au concessionnaire,
- que la concluante a informé le SIEEP de la demande de renforcement du réseau faite par la société LA FERME MARINE DE SPANO,
- qu'au début de l'exploitation de la ferme, en 1991, le réseau d'électricité était suffisant et que son branchement était conforme à la norme NF.C 14.100 et à la puissance souscrite du compteur de 36 KVA,
- que la ferme est devenue une exploitation industrielle lorsqu'elle a fait construire un bâtiment à terre et l'a équipé d'une installation nécessitant une puissance de 120 KV,
- que le permis de construire lui a été accordé alors que les travaux de renforcement sur le réseau d'électricité n'étaient pas à l'ordre du jour,
- que le démarrage des moteurs de forte puissance de la ferme nécessite une puissance électrique très importante que le réseau en place ne pouvait pas supporter, et qui provoquait nécessairement des baisses de tension dans l'installation intérieure privée, perturbations susceptibles de provoquer des dommages aux appareils de protection,
- que la qualité de l'énergie électrique délivrée par la société EDF est exempte de défaut, et que les chutes de tension sont uniquement imputables au branchement des installations de la société LA FERME MARINE DE SPANO sur un réseau préexistant insuffisant pour les faire fonctionner normalement,
- qu'alors que la société LA FERME MARINE DE SPANO a connu trois sinistres en 2006, 2007 et 2009, il n'y en a plus eu aucun depuis que le SIEEP a réalisé les travaux de renforcement en 2010 et que la société LA FERME MARINE DE SPANO a procédé à des travaux de conformité de ses installations en 2010,
- En tout état de cause, que quelque soit la cause de la perte d'une phase, le groupe électrogène de la société LA FERME MARINE DE SPANO aurait dû prendre le relais,
- que la société LA FERME MARINE DE SPANO est équipée d'un groupe électrogène censé prendre le relais de l'énergie électrique fournie par la concluante, en cas d'incidents de toute nature,
- que ce groupe électrogène n'a pas fonctionné en raison de la modification du paramétrage destinée à remédier aux chutes de tension dues à l'appel de puissance des moteurs des pompes et à leur fonctionnement
- que le paramétrage usine est de 360V alors que le groupe électrogène a été paramétré à 180V,
- que la perte d'une phase dans l'installation ou le branchement, fonctionnement normal d'un fusible qui est un appareil de protection, est un incident classique qui doit être pris en compte dans les réglages de groupe électrogène, et que la modification du paramétrage est une faute de la société LA FERME MARINE DE SPANO,
- qu'alerté par l'expert, le gérant de la société LA FERME MARINE DE SPANO a refusé de modifier le paramétrage et a conservé un paramétrage à 180V, de sorte que deux sinistres sont survenus par la suite les 21/22 juillet 2007 et le 14 juillet 2009,
- que la société LA FERME MARINE DE SPANO est seule responsable des chutes de tension et donc du sinistre.
La société LA FERME MARINE DE SPANO fait valoir :
- que l'origine du sinistre se situe dans le coffret EDF avant le disjoncteur de branchement,
- que la limite entre la partie qui relève de la responsabilité de l'usager et celle qui relève du distributeur est le Point de Livraison, qui se situe au niveau des bornes aval du disjoncteur de branchement,
- que le cahier des charges de la concession accordée par le SIEEP à la société EDF le 20 août 1994 spécifie que les installations intérieures commencent en basse tension immédiatement à l'aval des bornes de sortie du disjoncteur, et sont exécutées et entretenues aux frais du propriétaire ou du client,
- qu'en l'espèce, le coffret EDF était fixé sur un poteau électrique à bonne distance des bâtiments de la ferme, et abritait le boîtier principal coupe circuit, le compteur et le disjoncteur de branchement,
- que l'origine du sinistre se situe en amont sur du matériel sous la responsabilité du distributeur, que l'origine du sinistre su trouve sur un porte fusible du coupe circuit principal individuel qui a subi un échauffement anormal ayant entraîné le fusion d'un fusible de la phase 3 et consécutivement la coupure de ladite phase,
- que selon l'expert judiciaire, l'échauffement est dû à un mauvais état des portes fusibles ou à un mauvais entretien, en combinaison peut être avec un air ambiant favorisant l'arc électrique,
- que le groupe électrogène triphasé de secours, paramétré pour se déclencher à un seuil minimum de 180V, ne s'est pas déclenché dès lors que la perte de phase 3 a fait passer la tension à 230 volts,
- qu'en vertu du contrat passé avec l'usager, EDF est tenue à l'égard de ses clients à une obligation de résultat de fourniture continue et de qualité d'électricité et de sécurité des branchements qu'elle installe,
- qu'en vertu du contrat de concession passé avec le SIEEP, la société EDF a
la responsabilité des ouvrages inclus dans le périmètre de la concession
la charge des travaux nécessaires au maintien du réseau en bon état, ou ceux requis par la mise en conformité avec les règlements techniques et administratifs des installations affectées à la distribution publique d'électricité
la maîtrise d'ouvrage des branchements individuels et du raccordement au réseau concédé
la charge de l'entretien, du dépannage et du renouvellement desdits branchements
la maîtrise d'ouvrage du renforcement des lignes
le pouvoir de vérifier les installations du client à tout moment et d'interrompre la fourniture d'électricité si celles ci sont défectueuses
- que EDF est fautive en ce que le boiter coupe circuit endommagé est situé en amont du compteur individuel et constitue un ouvrage public, qu'il est à ce titre placé sous la garde juridique et la responsabilité du concessionnaire qui doit notamment en assurer la surveillance et l'entretien,
- que l'expert judiciaire a souligné le défaut d'entretien et de contrôle de cet ouvrage public, ainsi que son défaut de conformité concernant la section des câbles,
- que EDF a accordé à la société LA FERME MARINE DE SPANO en 2005 une augmentation de puissance à 36 KVA sans se préoccuper de la capacité du réseau à supporter une telle augmentation, ni remplacer le coffret,
- que le paramétrage du groupe électrogène a été rendu nécessaire pour pallier la mauvaise qualité de la fourniture d'électricité qui est un produit défectueux au sens de la Directive Européenne du 25 juillet 1985 et qui n'est pas conforme à la réglementation,
- que les moyens de EDF pour échapper à sa responsabilité ne sont pas sérieux, en l'occurrence la foudre, le défaut de paiement de ses factures par la société LA FERME MARINE DE SPANO , des besoins de la ferme supérieurs à la capacité du réseau, l'absence de conformité des installations électrique de la ferme, la connaissance par la ferme de la médiocrité de l'alimentation électrique, l'absence de prise de précaution pour se prémunir contre les interruptions d'électricité.
*
La ferme était à la date des faits alimentée en tarif bleu avec une puissance souscrite en 2005 de 36 KVA, qui est le maximum proposé par EDF pour ce type de tarif, une augmentation de puissance nécessitant en l'espèce un renforcement du branchement à la charge du concédant et le passage au tarif jaune.
La société EDF produit à cet égard un document non daté mais faisant état de prochains relevés vers le 1° février 2006, intitulé 'avenant au contrat du 7 septembre 2005", selon lequel la puissance mise à la disposition de la société LA FERME MARINE DE SPANO est de 36 KW.
Quoique le compteur dont s'agit soit un compteur de chantier fixé sur un poteau à proximité de la mer, la société EDF a consenti ce contrat au début de l'année 2006 avec une augmentation de puissance, et ne justifie ni s'être rendue sur place afin de vérifier l'installation, ni avoir réclamé le consuel à la société LA FERME MARINE DE SPANO , ni avoir élevé une quelconque objection à la demande d'augmentation de puissance de la société LA FERME MARINE DE SPANO.
Dans la nuit du 21 au 22 novembre 2006, une interruption de la fourniture de l'énergie électrique s'est produite.
Maître [G], huissier de justice, a constaté le 22 novembre 2006 en présence d'un agent EDF qui se trouvait sur place, que le coupe circuit était entièrement calciné, et a recueilli les observations de l'agent EDF suivant lesquelles une phase sur trois était interrompue par suite d'un échauffement du coupe circuit principal, avec pour conséquence que le site n'était plus alimenté en 380 volts mais en 220 volts.
Les photos jointes au procès verbal de constat permettent de visualiser l'emplacement du boîtier EDF sur un poteau à proximité de la mer, ainsi que la dégradation du coupe circuit calciné.
Le 27 février 2007, à la suite de l'incident des 21/22 novembre 2006, l'APAVE a procédé à la vérification de l'installation électrique intérieure de la ferme en aval, et a établi un rapport daté du 9 mars 2007, selon lequel aucune anomalie de l'installation électrique intérieure de la ferme n'a été relevée.
Le technicien APAVE conclut notamment :
'Les raisons de cet échauffement peuvent être diverses et variées : un serrage insuffisant des conducteurs sur les portes fusibles, une chute de tension trop élevée en bout de ligne provoquant une élévation importante des intensités, un échauffement des conducteurs qui par conduction a échauffé le porte fusible, mais aucun élément ne peut mettre en cause les installations aval, aucune protection n'ayant déclenché. Il y a certitude qu'il n'y a eu aucune surcharge ou aucun court circuit, y compris dû aux conditions climatiques'.
L'expert judiciaire qui a déposé son rapport en avril 2010, a fait les constatations suivantes :
- les isolants des conducteurs en aluminium se sont désagrégés sous l'effet de la chaleur, et il y a eu une source de chaleur très forte en partie haute des fusibles qui a occasionné la destruction des matières plastiques
- le fusible 3 a fondu
- les fusibles 1 et 2 présentent une grande fragilité après avoir subi une forte chaleur
L'expert judiciaire conclut :
- que la cause directe du sinistre réside dans la fusion du fusible 3
- que la fusion du fusible 3 n'est pas la conséquence d'une anomalie en aval du disjoncteur de branchement EDF
- qu'une surcharge en aval du disjoncteur de branchement aurait fait déclencher le disjoncteur sans qu'il y ait fusion du fusible
- que la fusion du fusible a été provoquée par un échauffement anormal au niveau des porte- fusibles
- que cet échauffement anormal ne peut être que la conséquence d'un arc électrique maintenu longuement
- que l'arc électrique est dû à un mauvais état des porte-fusibles ou à un mauvais entretien, en combinaison peut être aussi avec un air ambiant favorisant l'arc électrique
L'expert spécifie à cet égard qu'il n'a reçu aucune explication technique plausible de la part da la société EDF sur la cause de la dégradation des porte-fusibles, et a répondu de manière précise et technique aux arguments de la société EDF en annexant divers documents à son rapport au soutien de ses réponses aux dires et de ses conclusions.
L'expert réfute les allégations de la société EDF quant aux conditions atmosphériques génératrices du sinistre, et exclut formellement après analyse des documents de météo France qui lui ont été communiqués, que le sinistre résulte d'un coup de foudre direct ou indirect (surtension d'origine atmosphérique) pour des raison techniques qu'il développe dans son rapport et en raison de l'absence de déclaration de destruction d'autres appareils électriques, en spécifiant que l'échauffement des conducteurs au niveau du coffret du groupe n'est pas un problème de surtension mais plutôt de mauvais serrage des conducteurs.
De même, l'expert exclut comme origine des dégâts sur les porte-fusibles, les installations électriques intérieures de la ferme dont il a vérifié les schémas et qui ont fait l'objet d'un contrôle par l'APAVE qui n'a donné lieu à aucune remarque de cette dernière.
L'expert spécifie à cet égard que le régime de neutre de la ferme est conforme au choix d'EDF, que le choix du régime de neutre concerne en grande partie la protection des personnes contre les risques d'électrisation, et dans une moindre mesure celle des installations, mais ne peut en aucun cas assurer la protection des biens d'EDF comme les porte-fusible.
De même, l'expert exclut que le sinistre trouve son origine dans la surcharge de l'installation intérieure de la société LA FERME MARINE DE SPANO ainsi que le soutient la société EDF , en spécifiant que les relevés EDF produit donnent des puissances maximales de 33 KW en heures pleines et 24 KW en heures creuses, de sorte que la puissance de 36 KW accordée à la ferme n'est pas utilisée sur de longues périodes.
Le non paiement de factures d'électricité allégué par la société EDF n'a aucune incidence sur le litige.
Au regard de ces éléments d'appréciation, l'interruption de la fourniture d'énergie électrique les 21/22 novembre 2006 n'est nullement imputable à une chute de tension due à un réseau électrique insuffisant, mais à la fusion d'un fusible ayant engendré la perte d'une phase.
Il n'est par ailleurs nullement démontré sur le plan technique l'existence d'un lien de causalité entre l'insuffisance du réseau électrique qui serait à l'origine de baisses de tension, et la fusion du fusible 3.
Selon l'article 1 du cahier des charges de concession pour le service public de la distribution d'énergie électrique du 20 août 1994 'le concessionnaire est responsable du fonctionnement du service et le gère conformément au présent cahier des charges. Il l'exploite à ses risques et périls. La responsabilité résultant de l'existence des ouvrages et de l'exploitation du service concédé lui incombe.'
En vertu de ce cahier des charges, EDF en qualité de concessionnaire a notamment :
- la responsabilité et la charge financière de l'exploitation des ouvrages inclus dans le périmètre de la concession, et doit assurer notamment les travaux de maintenance et de renouvellement nécessaires au maintien du réseau en bon état de fonctionnement, ainsi que les travaux de mise en conformité des ouvrages avec les règlements techniques et administratifs (article 10)
- la charge de l'entretien, du dépannage et du renouvellement des branchements
- la responsabilité de la surveillance du fonctionnement des installations des clients, et à cet égard ne fournit l'énergie au client que si l'installation et les appareillages fonctionnent conformément à la réglementation et aux normes applicables à ces fins ou, en l'absence de telles dispositions, respectent les tolérances retenues par le concessionnaire en accord avec le Ministre chargé de l'électricité (article 18)
L'article 17 du cahier des charges spécifie notamment à l'alinéa 'mise sous tension' :
'Le concessionnaire devra exiger, avant la mise sous tension des installations du client, que ce dernier fournisse, dans les conditions déterminées par les textes applicables en la matière, le justification de la conformité des dites installations à la réglementation et aux normes en vigueur'.
L'origine du sinistre se situe en amont sur une partie du branchement placéee sous la responsabilité du distributeur.
Au regard des dispositions précitées , la société EDF est mal fondée en ses griefs à l'égard de la société LA FERME MARINE DE SPANO dès lors qu'elle a manqué à ses propres obligations telles que définies par le cahier des charges, de contrôle, d'entretien, de renouvellement, de surveillance des branchements et du fonctionnement des installations de la ferme.
Selon l'article 5 des conditions générales de vente d'électricité, EDF s'engage à assurer une fourniture continue et de qualité d'électricité sauf dans les cas qui relèvent de la force majeure ou de contraintes insurmontables liées à des phénomènes atmosphérique ou des limites des techniques existantes au moment de l'incident.
Le même article spécifie qu'il appartient au client de prendre les précautions élémentaires pour se prémunir contre les conséquences des interruptions et défauts dans la qualité de la fourniture.
Ainsi qu'il a été précisé, les conditions atmosphériques ne sont pas à l'origine de la fusion du fusible.
La société LA FERME MARINE DE SPANO s'est prémunie des interruptions de fourniture d'énergie électrique, en acquérant un groupe électrogène destiné à relayer la fourniture d'énergie lors des baisses de tension, et a fait paramétrer le groupe électrogène au regard de cette situation spécifique.
La société EDF n'est pas fondée à reprocher à la société LA FERME MARINE DE SPANO ce paramétrage du groupe électrogène, dès lors que la fusion d'un fusible du fait d'un arc électrique est en l'espèce un événement accidentel et non prévisible, et que ce paramétrage n'est pas la cause directe du sinistre.
La société EDF est tenue d'une obligation de résultat de fourniture continue d'énergie électrique, dont elle ne peut s'exonérer totalement ou partiellement qu'en rapportant la preuve d'une faute de la victime.
En l'espèce, la fourniture d'énergie a été interrompue en raison de la fusion d'un fusible dans les conditions précitées, ce sans faute de la part de la société LA FERME MARINE DE SPANO de nature à exonérer la société EDF de sa responsabilité.
Au regard de ces éléments d'appréciation, la responsabilité de la société EDF est pleinement engagée envers la société LA FERME MARINE DE SPANO du fait de l'interruption de la fourniture d'énergie électrique dans la nuit du 21 au 22 novembre 2006, et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la responsabilité de la société CORSICA BOBINAGE
La société CORSICA BOBINAGE soutient :
- que la société CORSICA BOBINAGE a acquis le groupe électrogène auprès de la société PRAMAC FRANCE, et s'est contentée de le revendre à le société LA FERME MARINE DE SPANO,
- que l'expert judiciaire mentionne que le contrôle du paramétrage est assuré par la société PRAMAC, qu'il n'y a pas eu de mise en garde de la société PRAMAC après la modification du paramétrage sur le non démarrage du groupe à la coupure de phase,
- que la concluante ne saurait être débitrice d'une mise en garde concernant la défectuosité du porte fusible,
- que la concluante a vendu le groupe électrogène, mais n'est tenue par aucun contrat de maintenance, et que l'obligation de conseil ne saurait exister indépendamment de toute relation contractuelle,
- que dès lors sa responsabilité ne saurait se trouver engagée,
- que le 29 novembre 2006, soit une semaine après le sinistre, le gérant de la société LA FERME MARINE DE SPANO a refusé de revenir au paramétrage usine du groupe électrogène, de sorte qu'il est certain qu'il n'aurait pas accepté de revenir au paramétrage usine s'il avait été mieux informé.
La société LA FERME MARINE DE SPANO fait valoir :
- que le groupe électrogène ne s'est pas mis en route car il avait été paramétré pour se déclencher à un seuil minimum de 180 volts alors que la perte d ela phase 3 a fait passer la tension à 230 volts,
- que la motivation de ce paramétrage est la mauvaise qualité du courant vendu par la société EDF, qui présente des variations de tension très importantes en nombre et en amplitude,
- que la concluante a fait part à la société CORSICA BOBINAGE des difficultés liées aux multiples micro coupures de courant entraînant l'arrêt et le redémarrage du compresseur d'oxygène et de la pompe de renouvellement d'eau de mer des bassins, à la suite de quoi le comptable de la société CORSICA BOBINAGE et un représentant d ela société PRAMAC ont procédé au paramétrage du groupe électrogène sans fournir aucune explication à la concluante, ni mise en garde sur le risque d'un seuil de déclenchement trop bas,
- qu'il incombait à la société CORSICA BOBINAGE en qualité de professionnel, d'informer et d'alerter la concluante des risques du paramétrage,
- que ce défaut d'information a fait perdre à la concluante une chance que le sinistre ne se réalise pas.
*
La société LA FERME MARINE DE SPANO a acquis le 30 septembre 2006 un groupe électrogène auprès de la société CORSICA BOBINAGE.
Il est constant que le paramétrage usine du groupe électrogène à 320 volts a été modifié à la demande de la société LA FERME MARINE DE SPANO de manière à relayer la fourniture d'énergie électrique en cas de baisse de tension, et que le groupe électrogène a été reparamétré pour démarrer à 180V.
L'expert judiciaire a conclu à cet égard :
- que le paramétrage usine aurait permis le démarrage du groupe sur coupure d'une phase
- que la modification à 180 V n'a pas été un choix judicieux,
- que la modification du paramétrage ne peut être effectuée que par PRAMAC ou sur ses instructions,
- que la modification du paramétrage n'a pas fait l'objet d'un essai après coupure d'une phase
- que la modification du paramétrage n'a pas fait l'objet d'un document contractuel ou de mise en garde sur les risques encourus,
- que les risques encourus n'ont été formalisés ni par PRAMAC ni par CORSICA BOBINAGE
Selon le rapport d'expertise, le contrôle du paramétrage est effectué par la société PRAMAC à partir d'un ordinateur portable connecté au groupe électrogène, et toute modification du paramétrage nécessite un code et le suivi d'un process bien défini que seule la société PRAMAC est en mesure de fournir.
En l'espèce, la société CORSICA BOBINAGE est le vendeur et l'installateur du groupe électrogène.
Quoique la modification du paramétrage ait été effectuée par la société PRAMAC, la société CORSICA BOBINAGE en était informée et représentée lors de l'exécution du reparamétrage.
En sa qualité de vendeur professionnel, la société CORSICA BOBINAGE était tenue d'une obligation de renseignement et de conseil envers la société LA FERME MARINE DE SPANO sur les conséquences de la modification du paramétrage, qu'elle ne justifie pas avoir rempli.
Le préjudice consécutif au manquement à un devoir d'information et de conseil s'analyse dans la disparition actuelle et certaine d' une perte de chance d'une éventualité favorable.
Il n'est pas démontré en l'espèce que la société LA FERME MARINE DE SPANO, mieux informée, aurait renoncé à faire modifier le paramétrage du groupe électrogène, dès lors que cette modification demandée par elle, était destinée spécifiquement à remédier aux défaillances de fourniture de l'énergie électrique en raison des baisses de tension journalières, et non à un événement accidentel tel que la fusion d'un fusible entraînant la disparition d'une phase dont rien n'établit techniquement qu'il ait un lien de causalité avec les baisses de tension, et qu'elle a conservé ce paramétrage à la suite des faits du 21/22 novembre 2006.
La perte de chance n'étant pas démontrée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société LA FERME MARINE DE SPANO de sa demande à l'encontre de la société CORSICA BOBINAGE.
Sur le montant du préjudice de la société LA FERME MARINE DE SPANO
Le sapiteur de l'expert judiciaire, monsieur [E], a fixé le préjudice résultant de la perte totale des allevins à la somme de 656 925 euros, en valeur de remplacement et perte de marge brute.
La société EDF conteste cette évaluation, et produit une note financière établie par un cabinet experts financiers et piscicoles, qui chiffre la perte de marge brute à la somme de 234 064 euros.
La société LA FERME MARINE DE SPANO demande la confirmation du jugement déféré sur le montant du préjudice et produit :
- une note technique du cabinet d'expertise Tauzat des 13 septembre 2007 et 28 février 2008 qui chiffre le préjudice global à la somme de 335 410 euros se décomposant de la manière suivante :
perte de matière première (valeur de remplacement des poissons parvenus au stade dégrossi) : 188 250 euros HT
perte d'exploitation (perte de marge brute) : 147 160 euros HT
- une note technique du cabinet Tauzat du 17 décembre 2009 afférent au même sinistre complétant et modifiant le précédent rapport, établie par monsieur [N] [V] sapiteur du cabinet d'expertise Tauzat qui chiffre le préjudice global à la somme de 650 250 euros HT se décomposant de la manière suivante :
perte de matière première (valeur de remplacement) : 188 250 euros
perte d'exploitation (perte de marge brute) : 462 000 euros HT
La société CORSICA BOBINAGE produit un rapport d'évaluation établi par le cabinet d'expertise comptable Bernardini qui, au vu des notes techniques du cabinet d'expertise Tauzat, chiffre la perte de marge brute à la somme de 144 249 euros.
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A la suite de l'interruption de la fourniture d'électricité du 21/22 novembre 2006, l'ensemble des poissons en cours de grossissement dans les cuves a péri asphyxié, soit 188 250 unités selon les pièces versées au débat, soit en valeur de remplacement la somme de 188 250 euros HT à raison de 1 euro HT l'unité.
La perte de l'intégralité des poissons en cours de grossissement s'analyse comme la disparition actuelle et certaine d' une perte de chance d'une éventualité favorable, en l'occurrence d'une perte de chance de réaliser une certaine marge brute.
La perte prévisionnelle de chiffre d'affaire de 812 500 euros retenue par le sapiteur judiciaire n'apparaît pas réaliste au regard des autres évaluations y compris de celle de la société LA FERME MARINE DE SPANO qui se réfère dans le second rapport du cabinet Tauzat à une perte prévisionnelle de chiffre d'affaire de 360 000 euros.
Les parties concluent à un chiffre d'affaire prévisionnel variant entre 360 000 euros (société LA FERME MARINE DE SPANO ), 400 692 euros (CORSICA BOBINAGE) et 419 588 euros (société EDF) soit une moyenne de 393 426,66 euros arrondi à 393 426.
Les parties sont en désaccord sur le taux de marge brute à retenir, l'expert judiciaire et la société LA FERME MARINE DE SPANO se référant à un taux de marge brute d'un montant respectif de 60% et de 57%, la société EDF et la société CORSICA BOBINAGE à un taux de marge brute de 36%.
La moyenne du taux de marge brute le plus élevé (60%) et le moins élevé (36%) s'établit à 48 % retenu par la cour.
La moyenne de la perte de marge brute théorique s'établit en conséquence à la somme de
188 844,48 euros arrondi à 188 844 (393 426 x 48 : 100).
Les éléments d'appréciation soumis à la cour permettent d'évaluer à la somme de 150 000 euros la perte de chance de réaliser une certaine marge brute, dépendante d'un certain nombre d'aléas propres à la pisciculture.
La société EDF doit en conséquence être condamnée à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de globale de 338 250 euros (188 250 + 150 000), par infirmation du jugement déféré.
Le présent arrêt infirmatif emporte de plein droit obligation de restitution et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution.
Par ailleurs, les sommes restituées porteront intérêt au taux légal à compter de la notification valant mise en demeure de l'arrêt infirmatif.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société EDF qui succombe pour l'essentiel n'est pas fondée en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Il convient en équité de condamner la société EDF à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient en équité de condamner la société LA FERME MARINE DE SPANO à payer à la société CORSICA BOBINAGE la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort
Statuant dans les limites de sa saisine
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
mis hors de cause sans dépens la société CORSICA BOBINAGE
condamné la société EDF à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile
condamné la société EDF aux dépens en ce compris les frais de l'expertise judiciaire,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société EDF à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de 656 925 euros avec intérêts de droit à compter du 26 avril 2010 date du rapport expertal, et ajoutant
Déclare la société EDF responsable du sinistre survenu le 21/22 novembre 2006,
Condamne la société EDF à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de
338 250 euros en réparation du préjudice résultant de la perte des alevins, avec intérêts au taux légal à compter du 26 août 2008 date de l'assignation introductive d'instance valant mise en demeure,
Dit que le présent arrêt infirmatif emporte de plein droit obligation de restitution et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution,
Dit que les sommes restituées porteront intérêt au taux légal à compter de la notification de l'arrêt infirmatif valant mise en demeure,
Déboute la société EDF de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société EDF à payer à la société LA FERME MARINE DE SPANO la somme de
6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société LA FERME MARINE DE SPANO à payer à la société CORSICA BOBINAGE la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société EDF aux dépens d'appel avec distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,