COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
3e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 18 MAI 2017
N° 2017/193
Rôle N° 15/19370
[V] [W]
[W] [J] épouse [W]
C/
SARL TPF
Grosse délivrée
le :
à :
Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY
Me Serge DREVET
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de DRAGUIGNAN en date du 08 Septembre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 2014/72.
APPELANTS
Monsieur [V] [W], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Paul André GYUCHA, avocat au barreau de GRASSE
Madame [W] [J] épouse [W], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Paul André GYUCHA, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
EURL TPF prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée et plaidant par Me Serge DREVET de la SELAS DREVET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substituée par Me Micheline DREVET DE TRETAIGNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Mars 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Sylvie CASTANIE, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Sylvie CASTANIE, Présidente (rapporteur)
Mme Béatrice MARS, Conseiller
Mme Florence TANGUY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Jocelyne MOREL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Mai 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Mai 2017,
Signé par Madame Sylvie CASTANIE, Présidente et Madame Jocelyne MOREL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure, moyens et prétentions des parties :
Les époux [W], titulaires d'un permis de construire délivré le 19 mai 2008, confient à l' EURL Terrassement [T] [U] (EURL TPF), selon devis accepté en date du 18 janvier 2010, d'un montant de 80'131,95 € TTC, l'exécution de travaux concernant le terrassement, les fondations et la maçonnerie, relatifs à la construction jumelée de locaux artisanaux et d'un appartement de fonction, sur une parcelle de terre, située en zone artisanale, lieu-dit [Localité 1] à [Localité 2] (Var), dont ils sont propriétaires.
Les matériaux sont choisis, achetés et fournis par [V] [W].
La déclaration d'ouverture de chantier est en date du 2 avril 2010.
Les travaux sont interrompus, fin mai 2010.
Les époux [W], se plaignant de désordres affectant les travaux exécutés, font établir un procès-verbal de constat, le 8 juin 2010, et provoquent, sur une assignation en date du 27 septembre 2010, la désignation, selon ordonnance de référé en date du 3 novembre 2010, de [K] [U], en qualité d'expert. Celui-ci dépose son rapport le 28 mai 2013.
Les époux [W] assignent, selon acte extrajudiciaire en date du 2 janvier 2014, l'EURL TPF, devant le tribunal de commerce de Draguignan.
Statuant par jugement en date du 8 septembre 2015, cette juridiction :
déboute les époux [W] de toutes leurs demandes,
condamne les époux [W] à payer à l'EURL TPF la somme de 80'131,95 €, au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
condamne les époux [W] à payer à l'EURL TPF la somme de 1000 €, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne les époux [W] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et de constat d'huissier.
L'EURL TPF relève appel de ce jugement, selon déclaration au greffe en date du 2 novembre 2015.
Dans leurs dernières écritures en date du 30 mai 2016, les époux [W] concluent à l'infirmation du jugement entrepris dans toutes ses dispositions. Il doit être jugé, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil que les désordres constatés relèvent d'un défaut de mise en 'uvre imputable à la seule société TPF. L'abandon du chantier par cette société doit également être constaté. La société TPF, dont la responsabilité contractuelle est incontestable, doit en conséquence être condamnée à leur payer, au titre des travaux de remise en état, la somme de 90'671,43 € et, au titre de leur préjudice de jouissance, la somme de 184'254,40 €, outre la somme de 3500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire s'élevant à la somme de 12'574,23 €. Il doit être jugé, dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, l'exécution forcée par huissier serait nécessaire, que le montant des sommes retenues par celui-ci, en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 devra être supporté par la partie défaillante, en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures en date du 31 janvier 2017, l'EURL TPF conclut à la confirmation du jugement dont appel, demandant en outre que lui soient allouées la somme de 10'000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 10'000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel et que les époux [W] soient condamnés à lui restituer le matériel qui a été caché et repeint, afin de faire croire à un abandon de chantier. Elle demande enfin que les sommes retenues par l'huissier, en cas d'exécution forcée, en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, soient supportées par la partie défaillante, en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 22 février 2017.
SUR CE
Le gérant de l'EURL TPF, [X] [T], a adressé à [V] [W], le 27 mai 2010, une lettre recommandée, reçue le 31 mai 2010, l'avertissant que le défaut d'approvisionnement du chantier en matériaux ou la non-conformité des marchandises fournies avait pour effet de retarder l'avancement des travaux et qu'il se dégageait à cet égard de toute responsabilité.
Il est établi par les pièces du dossier qu'à la suite de ce courrier, [V] [W], maître d'ouvrage a récupéré le boîtier du portail, interdisant ainsi à l'EURL TPF l'accès au chantier.
Il ne peut dès lors être soutenu que l'EURL TPF, placée dans l'impossibilité de poursuivre les travaux ou de reprendre les défauts affectant les travaux réalisés, a abandonné le chantier.
Les époux [W] qui ont empêché l'entreprise d'exécuter ses obligations contractuelles, sans l'avoir préalablement mise en demeure et sans même lui avoir fait part par écrit de leur sujet de mécontentement, doivent être déclarés responsables de l'interruption des travaux et de la rupture du marché liant les parties.
Leur demande en paiement de la somme de 184'254,40 €, à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation du trouble de jouissance subi, doit en conséquence être rejetée, le retard pris par l'avancement des travaux n'étant pas imputable à l'EURL TPF.
Avant la réception, l'entrepreneur, dont la responsabilité contractuelle de droit commun est recherchée sur le fondement des dispositions de l'article 1147 du Code civil, est soumis à une obligation de résultat.
Il est établi par le procès-verbal de constat en date du 8 juin 2010, par le rapport de la société Conception Architecturale Ingeneering, en date du 12 juin 2010, par le rapport de l'expert privé [Y] [V], mandaté par le maître d'ouvrage, en date du 9 septembre 2010 et enfin par le rapport de l'expert judiciaire [U], déposé le 28 mai 2013, dont les conclusions convergentes ne sont pas remises en question par les avis techniques produits par l'EURL TPF que les travaux exécutés par celle-ci sont affectés de plusieurs désordres.
L'expert judiciaire cite les défauts d'exécution suivants :
-les murs du vide sanitaire, réalisé en béton banché, présentent des défauts d'alignement et/ou d'équerrage et d'aplomb,
-la majorité des poutrelles sont affaissées en sous face du plancher hourdi et accuse des flèches dépassant le seuil de tolérance de 13 mm (variation jusqu'à 45 mm),
-du fait de l'affaissement des poutrelles, la surface présente un fléchissement de 6 cm au centre, avec de nombreuses fissures de retrait, l'enrobage métallique est irrégulier dans l'épaisseur du béton,
-les angles des murs d'élévation en briques Porotherm ont des briques spécifiques servant de poteaux raidisseurs en réservation, plusieurs murs présentent des défauts de voile et d'alignement d'environ 2 cm,
-des ouvertures présentent plusieurs faux aplomb dont un jusqu'à 3 cm, les joints de collage sont irréguliers (insuffisance de collages ou joints trop larges à boucher),
-les reprises de chaînage sur les fenêtres ne sont pas ancrées et les modes de réservation restent incertains.
L'expert [U] en conclut que « l'ensemble de l'ouvrage est assez incohérent et démontre un manque de précision et de savoir-faire ». Il ajoute que « les travaux effectués par l'EURL TPF ont été mal maîtrisés sur l'ensemble des postes (...). Ils comportent de nombreuses malfaçons et des non-respects des règles de l'art ainsi que des non-conformités dans le mode de mise en 'uvre, souvent improvisé ».
L'expert exclut que les matériaux fournis par [V] [W] et en particulier, la colle Gelis utilisée pour le collage des briques, qui se trouve être identique au produit Porotherm recommandé par le fabricant, soient à l'origine des désordres, étant à cet égard observé que l'entreprise, en les mettant en 'uvre, les a en toute hypothèse acceptés.
L'EURL TPF produit deux procès-verbaux de constat en date des 17 avril 2014 et 26 avril 2016 dont il résulte que les époux [W] ont poursuivi la construction de l'ouvrage aujourd'hui achevé, sans procéder à la démolition et à la réfection des travaux existants, préconisées par l'expert.
C'est donc la solution intermédiaire, proposée par l'expert, dite variante 1, consistant dans les reprises partielles des parties défectueuses, pour un montant TTC de 63'453 € qui est retenue par la cour comme base de réparation du préjudice subi par les époux [W].
L'EURL TPF conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné les époux [W] à lui payer la somme de 80'131,95 € à titre de dommages et intérêts, correspondant à la somme qu'elle aurait perçue s'ils n'avaient pas fautivement rompu le contrat.
Cette somme inclut dans le manque-à-gagner de l'EURL TPF la facture en date du 12 avril 2011, d'un montant de 11'106,11 € TTC, demeurée impayée.
La cour, fait droit, dans le cadre de sa saisine, à la demande de l'EURL TPF, à hauteur de la somme de 11'106,11 €, le surplus réclamé étant rejeté, comme injustifié, de même qu'est rejetée, pour la même raison, sa demande du chef e la restitution du matériel.
La solution apportée au litige justifie le rejet des demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Condamne l'EURL TPF à payer aux époux [W] la somme de 63'453 € TTC, au titre des travaux de reprise,
Condamne les époux [W] à payer à l'EURL TPF la somme de 11'106,11 € TTC, représentant le montant de la facture en date du 12 avril 2011, demeurée impayée,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Fait masse des dépens en ce compris les frais de l'expertise judiciaire mais non compris le coût des procès-verbaux de constat d'huissier et dit qu'ils seront supportés pour deux tiers par l'EURL TPF et pour un tiers par les époux [W], avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demande des parties tendant à faire supporter, en cas d'exécution forcée du présent arrêt, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, par la partie défaillante.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE