COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
4e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 15 JUIN 2017
am
N° 2017/ 530
Rôle N° 15/15538
[A] [G] veuve [W]
C/
[O] [M]
[P] [E] épouse [M]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Elodie PELLEQUER
Me Jean Michel GARRY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 13 Juillet 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 13/01426.
APPELANTE
Madame [A] [G] veuve [W]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Elodie PELLEQUER, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Marlena MANCINI, avocat au barreau de TOULON
INTIMES
Monsieur [O] [M]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Jean Michel GARRY de la SELARL GARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Jean-Christophe GARRY, avocat au barreau de TOULON
Madame [P] [E] épouse [M]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean Michel GARRY de la SELARL GARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Jean-Christophe GARRY, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Mars 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Agnès MOULET, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller
Madame Agnès MOULET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2017. Le délibéré a été ensuite prorogé au 15 juin 2017.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2017,
Signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS et PROCÉDURE ' MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant acte authentique du 19 septembre 1989, madame [K] [V] a fait donation à sa fille, [A] [G] épouse [W] de la propriété de la parcelle cadastrée AE [Cadastre 1], située sur la commune de [Localité 1].
Par acte authentique du 28 octobre 1996, les époux [M] ont acquis auprès des époux [I] une propriété non bâtie située sur la commune de [Localité 1], cadastrée AE [Cadastre 2].
Selon protocole d'accord sous-seing privé du 26 novembre 2004, les époux [M] ont concédé à [A] [G] épouse [W] pour elle-même et pour tous futurs propriétaires de sa parcelle un droit de passage sur la voie qui coupe leur propriété ; [A] [G] épouse [W] s'est engagée à leur verser une indemnité de 5500 euros sous réserve de l'obtention d'un permis de construire ; les parties se sont engagées à réitérer l'accord par acte authentique, qui sera régularisé concomitamment avec le paiement de l'indemnité.
L'acte était reçu à cette fin le 5 janvier 2006 et les époux [M] donnaient quittance à [A] [G] [W] du versement de l'indemnité de 5500 euros, outre les frais.
Par exploit du 8 mars 2013, [A] [G] [W] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Toulon monsieur [O] [M] et madame [P] [E] épouse [M], en vue d'obtenir l'annulation dudit protocole pour défaut d'objet et le remboursement de la somme de 6600 euros précédemment versée, au motif que la servitude était préexistante et que ladite somme a donc été payée à tort.
Le tribunal, par jugement du 13 juillet 2015, a notamment :
- déclaré irrecevable l'action de [A] [G] [W] pour défaut de publication de l'assignation en nullité d'une constitution de servitude
- débouté en conséquence [A] [G] [W] de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 26 novembre 2004
- constaté que l'acte d'engagement pour servitude du 14 septembre 1971 n'a pas été signé par monsieur [I] et que le mandat prétendument donné à monsieur [O] ne lui est pas annexé
- constaté que l'acte d'engagement n'a été suivi d'aucun acte d'approbation par l'autorité de tutelle ni par aucun acte de réitération entre monsieur [I] et la commune de [Localité 1]
- constaté que [A] [G] [W] ne rapporte pas la preuve du paiement d'une indemnité en contrepartie de l'engagement pour servitude
- constaté l'absence de publication de l'acte d'engagement
- dit que [A] [G] [W] ne rapporte pas la preuve que l'acte d'engagement pour servitude du 14 décembre 1971 est une servitude
- dit que la délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 1] du 24 mars 1972 fixe le montant des indemnités qui seraient versées aux différents propriétaires qui accepteraient de régulariser les emprises de conduite d'eau potable desservant le réservoir d'alimentation des Fourniers
- débouté [A] [G] [W] de sa demande en répétition de l'indu
- débouté [A] [G] [W] de sa demande en paiement de la somme de 6600 euros à titre de dommages-intérêts
- débouté les époux [M] de leur demande en paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 1382 du code civil
- condamné [A] [G] [W] à payer aux époux [M] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
- condamné [A] [G] [W] aux entiers dépens.
Madame [G] [W] a régulièrement relevé appel, le 21 août 2015, de ce jugement en vue de sa réformation.
Elle demande à la cour, selon conclusions déposées le 5 février 2016 par RPVA, de :
Vu les articles 37 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, 5 du code de procédure civile, 1108 et suivants, 1235, 1376, 1377, 2224, 2227 du code civil
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement sauf en ce qu'il a débouté les époux [M] de leur demande reconventionnelle en paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil
Et statuant à nouveau,
A titre liminaire,
- juger que l'objet de la présente procédure n'est pas l'annulation de l'acte de constitution de servitude du 5 janvier 2006 mais l'annulation du protocole d'accord en date du 26 novembre 2004, sur le fondement de l'article 1108 du code civil, et qu'il s'agit donc d'une action en paiement pour absence d'objet
- juger que la juridiction précédemment saisie a statué ultra petita
En conséquence,
- juger que les dispositions de l'article 28 du décret du 4 janvier 1955 ne sont pas applicables à la présente procédure
- juger que l'acte introductif d'instance délivré le 8 mars 2013 n'avait pas à faire l'objet d'une publication
A titre principal,
- juger que par acte d'engagement pour servitude en date du 14 décembre 1971 le propriétaire du fonds numéro A [Cadastre 3] devenu AE [Cadastre 2] à [Localité 1] a accordé à la commune et à tous les propriétaires riverains pour l'accès à leurs parcelles, un droit de servitude pour canalisations d'eau et de passage, telle que définie par un plan établi par le cabinet [Z], géomètre expert en date du 5 janvier 1971
- juger que par séance du 24 mars 1972, le conseil municipal de la commune de [Localité 1] a accordé une indemnisation à tous les propriétaires concernés par la servitude de passage notamment le propriétaire de la parcelle A [Cadastre 3] devenue AE [Cadastre 2]
- juger que le protocole d'accord en date du 29 septembre 2005 a pour objet une servitude ayant la même assiette et le même tracé que la servitude objet du plan établi par le cabinet [Z] le 5 janvier 1971
- juger que le protocole d'accord régularisé entre les époux [M] et madame [G] [W] est dépourvu d'objet pour avoir créé une servitude déjà existante
- juger que le paiement par madame [G] [W] aux époux [M] de la somme de 5500 euros outre les frais a un caractère indu
En conséquence
- annuler le protocole d'accord du 26 novembre 2004
- condamner les époux [M] à payer à madame [G] [W] la somme de 5500 euros assortie des intérêts au taux légal courant depuis le 26 novembre 2004, en restitution
- condamner les époux [M] à payer à madame [G] [W], la somme de 1100 euros assortie des intérêts au taux légal courant depuis le 5 janvier 2006 correspondant aux frais d'établissement de l'acte notarié de constitution de servitude
- condamner les époux [M] à payer à madame [G] [W] la somme de 6600 euros à titre de dommages-intérêts compte tenu de leur résistance abusive
- débouter les époux [M] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions
- condamner les époux [M] à payer à madame [G] [W] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- les condamner aux entiers dépens.
Formant appel incident, monsieur [O] [M] et madame [P] [E] épouse [M] sollicitent de voir, selon conclusions déposées par RPVA le 16 mars 2016 :
Au visa du décret du 4 janvier 1955, des articles 1304 et 2224, 682, 637, 1108 du code civil
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté monsieur et madame [M] de leurs demandes en paiement de la somme de 3000 euros formulée au titre de l'article 1382 du code civil
Sur ce, statuant de nouveau
- condamner madame [G] [W] à payer à monsieur et madame [M] la somme de 3000 euros au titre de leur préjudice moral
- condamner madame [G] [W] à payer à monsieur et madame [M] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner madame [G] [W] aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 février 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 Sur l'annulation du protocole d'accord du 26 novembre 2004
Pour faire échec à l'action en annulation de madame [G] [W], les époux [M] soulèvent différentes fins de non-recevoir et invoquent en particulier la prescription de l'action sur le fondement des articles 1304 et 2224 du code civil ; ils considèrent l'action comme prescrite pour avoir été exercée le 8 mars 2013, soit plus de cinq ans après la signature du protocole d'accord.
Aux termes de l'article 1304 précité, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. Le temps ne court à l'égard des actes faits par un mineur que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, l'appelante sollicite l'annulation du protocole d'accord pour défaut d'objet, au visa de l'article 1108 du code civil.
L'action est donc soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 ; la circonstance selon laquelle le protocole dont il est demandé l'annulation prévoit la constitution d'une servitude ne permet pas d'analyser la demande en une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil.
S'agissant du point de départ de la prescription, l'article 1304 ne prend de dispositions que pour les nullités sanctionnant les vices du consentement et les incapacités d'exercice ; au cas général, l'article 2224 doit recevoir application ; il prévoit pour point de départ, le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer il en découle que dans le cadre d'une action en nullité, le point de départ normal du délai de prescription est la date de l'acte attaqué en nullité.
En l'occurrence, la nullité du protocole litigieux n'est pas fondée sur un vice du consentement mais sur un défaut d'objet de la convention ; la nullité est donc inhérente à l'acte ; il ne peut par suite être argué de la prétendue date de découverte de la servitude de passage à la suite d'un jugement du tribunal administratif de Toulon du 03 novembre 2011 ; la prescription court dès lors à compter du jour où l'acte argué de nullité a été passé, soit le 26 novembre 2004 ; l'action en nullité a été diligentée le 8 mars 2013 ; elle est par conséquent prescrite.
Le jugement sera donc confirmé, en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en annulation de protocole sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres fins de non-recevoir, en l'occurrence celle tirée du défaut de publication de l'assignation ; il convient d'y ajouter que l'action en annulation de protocole est irrecevable, comme prescrite.
2 Sur la demande en paiement de l'indu
L'appelante demande la condamnation des époux [M] à lui rembourser les sommes de 5500 euros et 1100 euros assorties des intérêts, motif pris de ce qu'il n'existe aucune contrepartie au paiement de ces sommes, le protocole d'accord étant sans objet ; elle se fonde à cet effet sur les articles 1376, 1377 et 1235 du code civil, au titre de l'action en répétition de l'indu.
L'article 1376 prévoit que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
Aux termes de l'article 1377, lorsqu'une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier.
L'article 1235 énonce que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
En l'espèce, la demande de restitution fondée sur la nullité du protocole pour défaut d'objet se heurte à la prescription de l'action en annulation.
En outre, les sommes dont il est réclamé la répétition au titre de l'indu découlent en réalité de l'acte notarié constitutif de servitude, dressé le 5 janvier 2006, et qui ne fait l'objet d'aucune demande.
À cet égard, le protocole stipule que « madame [W] s'engage expressément à verser à monsieur et madame [M] une indemnité de 2750 euros par logement qui serait édifié sur la parcelle lui appartenant, soit actuellement 5500 euros, madame [W] ayant sollicité un permis de construire deux logements'; le protocole prévoit également la 'réitération par acte authentique qui sera régularisé concomitamment au versement de l'indemnité.'
C'est précisément à l'occasion de la signature de l'acte authentique dressé le 05 janvier 2006, que le notaire rédacteur a constaté, comme suite à sa demande selon courrier du 23 décembre 2005, le versement par madame [G] [W] d'une somme de 5500 euros ; cette somme n'a pas été versée au moment du protocole mais en exécution de l'acte notarié, lequel stipule au paragraphe « indemnité » que : « la servitude ci-dessus constituée est consentie et acceptée moyennant le versement par madame [W] de 5500 euros à monsieur et madame [M] qui le reconnaissent et lui donnent bonne, valable et définitive quittance. »
De même, les frais de constitution de servitude d'un montant de 1100 euros ont été réglés par madame [G] [W], comme suite à la demande précitée du notaire en date du 23 décembre 2005, en exécution de l'acte notarié constitutif de servitude du 05 janvier 2006, lequel stipule au paragraphe « frais » que : 'tous les frais, droits et honoraires des présentes et ceux qui en seront la suite et la conséquence sont à la charge de madame [W]'.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté le caractère indu des sommes de 5500 euros et des frais, a rejeté la demande en répétition de l'indu et a débouté madame [G] [W] de sa demande en paiement des sommes de 5500 et 1100 euros.
3 Sur la demande de dommages-intérêts de madame [G] [W]
Madame [G] [W] réclame des dommages-intérêts pour résistance abusive.
Au regard des développements qui précèdent, de l'irrecevabilité de la demande en annulation du protocole et du rejet de la demande en restitution de sommes, il n'est pas démontré que les époux [M] auraient fait preuve de résistance abusive.
Le jugement sera dés lors confirmé en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
4 Sur la demande de dommages-intérêts des époux [M]
Les époux [M] réclament la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil, alléguant l'intention de nuire de l'appelante qui a porté atteinte à la réputation de monsieur [M], fonctionnaire territorial de la commune de [Localité 1] en l'état de la plainte déposée par la commune de [Localité 1] auprès de monsieur le Procureur de la République le 7 décembre 2012.
Madame [G] [W] ayant pu se méprendre sur l'étendue de ses droits en matière civile, l'intention de nuire afférente à la présente instance n'est pas caractérisée et la demande des intimés pour préjudice moral sera rejetée.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté les époux [M] de leur demande de dommages-intérêts.
5 Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Succombant sur son appel, madame [G] [W] doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à [O] [M] et [P] [E] épouse [M] la somme de 3000 euros au titre des frais non taxables que ceux-ci ont dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement du tribunal de grande instance de Toulon en date du 13 juillet 2015, mais seulement en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable l'action de [A] [G] [W] pour défaut de publication de l'assignation en nullité d'une constitution de servitude
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit et juge irrecevable comme prescrite, l'action en annulation du protocole d'accord du 26 novembre 2004 de [A] [G] [W],
Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne [A] [G] [W] aux dépens, ainsi qu'à payer à [O] [M] et [P] [E] épouse [M] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Le Greffier Le Président