COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre B
ARRÊT
DU 29 JUIN 2017
(réouverture des débats au 06 décembre 2017 à 14h15)
N° 2017/208
Rôle N° 15/15979
SA CREDIPAR
C/
[P] [Z]
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Laurence DE SANTI de la SCP DRUJON D'ASTROS BALDO & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
- Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 13 Juillet 2015 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 13/00888.
APPELANTE
SA CREDIPAR
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Laurence DE SANTI de la SCP DRUJON D'ASTROS BALDO & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Virginie CADOUIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉ
Monsieur [P] [Z]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1] (06),
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Michel LOPRESTI, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Mai 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2017.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2017
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Lydie BERENGUIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
LA COUR
Par acte sous seing privé du 25 juin 2000, M. [P] [Z] s'est porté caution solidaire envers la société Credipar et deux de ses filiales, dans la limite de 15 000 000F, en garantie de toute somme due par la société [Adresse 3] (la société OCA) dont il était le dirigeant.
La société OCA a été mise en redressement judiciaire le 17 octobre 2002. Un plan de redressement par voie de cession totale a été arrêté le 28 novembre suivant.
Le 8 novembre 2002, la société Credipar a déclaré au passif de la procédure collective, au titre d'une ouverture de crédit, une créance chirographaire qui a été admise pour 1 108 061,63 € par une ordonnance du 20 novembre 2006, confirmée par un arrêt de cette cour du 22 novembre 2007.
Le 31 janvier 2013, la société Credipar a fait assigner M. [Z] en paiement de la créance.
M. [Z] a opposé la prescription de l'action.
Par jugement contradictoire du 13 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Grasse a déclaré la demande irrecevable comme prescrite. La société Credipar a été condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que la prescription décennale, prévue par l'article L 110-4 du code de commerce, a couru à compter du 17 octobre 2002, date de l'ouverture de la procédure collective, et qu'elle a expiré le 17 octobre 2012, en sorte qu'elle était acquise lorsque le créancier a assigné en paiement le 31 janvier 2013.
La société Credipar est appelante de ce jugement.
****
Par conclusions remises le 14 juin 2016, la société Credipar demande l'infirmation du jugement, le rejet de la fin de non-recevoir, la condamnation de M. [Z] à payer la somme de 1 108 061,63 €, avec intérêts 'de droit' à compter du 31 janvier 2013, l'allocation de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- qu'en vertu de l'article L 621-48 du code de commerce, dans sa rédaction applicable, la créance sur M. [Z] est devenue exigible à compter du 28 novembre 2002, date du jugement arrêtant le plan de cession ;
- qu'en vertu de l'article L 110-4 du code de commerce, le délai de prescription était de dix ans ;
- que ce délai a été interrompu le 27 décembre 2002 par la déclaration de la créance au passif du débiteur principal dont l'effet interruptif se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure ;
- qu'en cas de cession totale, la clôture de la procédure est prévue par l'article L 621-95 du code de commerce ;
- que la clôture n'ayant pas été prononcée, la prescription n'a pas recommencé à courir ;
- que la créance, qui a été admise au passif du débiteur principal par une décision irrévocable, ne peut être contestée par la caution, ni dans son principe, ni dans son montant ;
Par conclusions remises le 6 mai 2016, M. [Z] demande la confirmation du jugement attaqué et l'allocation de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir :
- que la créance est devenue exigible au plus tard le 28 novembre 2002, à la suite de l'arrêté du plan de cession ;
- que l'interruption de la prescription consécutive à la déclaration de la créance au passif du débiteur principal a fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ;
- qu'il en résulte que la prescription décennale a expiré, au plus tard, le 28 novembre 2012 ;
- que c'est ajouter à la loi que de considérer que l'interruption de la prescription se double d'une suspension jusqu'à la clôture de la procédure collective ;
- que rien n'interdit au créancier de poursuivre la caution au cours de la procédure collective du débiteur principal ;
- que la 'théorie' de la représentation mutuelle des coobligés n'est qu'une 'fiction périmée' ;
- que l'interversion de la prescription découlant de l'admission de la créance au passif du débiteur principal ne s'étend pas à l'action dirigée à l'encontre de la caution solidaire ;
- que retarder la reprise du cours de la prescription au jour de la clôture de la procédure collective aurait pour effet de rendre la créance quasiment imprescriptible puisqu'en pratique, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, les tribunaux ne prononçaient pas de décision de clôture en cas de plan de cession totale ;
- qu'en tout état de cause, il en résulte un délai de prescription excessif, contraire au principe de sécurité juridique et à l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 avril 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La durée de la prescription de l'obligation litigieuse était à l'origine de 10 ans ; elle a été réduite à 5 ans à compter de l'entrée en vigueur la loi N° 2008-561 du 17 juin 2008.
Le point de départ de la prescription se situe au 28 novembre 2002, date de l'arrêté du plan de redressement par voie de cession totale de la société OCA, puisqu'il en est résulté l'exigibilité de la créance.
En application des dispositions combinées des articles 1206 et 2241 du code civil, la prescription s'est trouvée immédiatement interrompue, à l'égard du débiteur principal et de la caution solidaire, par l'effet de la déclaration de la créance effectuée le 8 novembre 2002 au passif de la procédure collective.
Selon une règle de caractère jurisprudentiel, justifiée par l'impossibilité faite au créancier d'agir en recouvrement de sa créance à l'encontre du débiteur principal, l'effet interruptif de la déclaration de créance dure, non pas jusqu'à l'issue de la procédure tendant à l'admission de la créance, mais jusqu'à la clôture de la procédure collective.
La règle a désormais un fondement légal, depuis l'entrée en vigueur de l'article L 622-25-1 du code de commerce, issu de l'ordonnance N° 2014-326 du 12 mars 2014. Mais ce texte n'étant applicable qu'aux seules procédures collectives ouvertes à compter de son entrée en vigueur, ce qui n'est pas le cas du redressement judiciaire de la société OCA dont le régime relève de la loi du 25 janvier 1985, les effets de l'interruption de la déclaration de créance restent soumis, en ce qui la concerne, à l'appréciation du juge.
M. [Z], qui ne conteste pas qu'à l'égard de la société OCA, l'effet interruptif de la déclaration de créance se prolonge jusqu'à la clôture de sa procédure collective, soutient qu'il ne peut en être de même à l'égard la caution, dès lors que le créancier n'est pas privé de la faculté d'agir à son encontre.
Mais, selon l'article 1206 du code civil, les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l'égard de tous.
Les codébiteurs solidaires étant tenus d'un même droit de créance et se trouvant dans un lien de représentation mutuelle, les effets de l'interruption, indissociables de l'interruption elle-même, sont nécessairement identiques quel que soit le débiteur concerné.
Il résulte de cette unité de régime que l'interruption de la prescription consécutive à la déclaration de la créance à la procédure collective de la société OCA se prolonge, à l'égard de cette société, débiteur principal, comme à l'égard de M. [Z], caution solidaire, jusqu'à la clôture de la procédure collective, laquelle n'était pas intervenue au jour de l'assignation en paiement.
Le moyen selon lequel l'absence de clôture de la procédure collective aurait pour conséquence de rendre la créance imprescriptible doit être écarté, dès lors que toute personne intéressée peut solliciter la clôture d'une procédure collective, le cas échéant en demandant au tribunal de se saisir d'office.
Il doit en être de même du moyen tiré de la violation des dispositions relatives à l'accès au juge dans un délai raisonnable, prévues à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puisque la caution a la faculté de prendre l'initiative de faire trancher par voie d'action les contestations qu'elle entend opposer au créancier.
Il suit de ces motifs que la prescription de l'obligation litigieuse, qui a commencé à courir le 28 novembre 2002 et qui s'est trouvée immédiatement interrompue par la déclaration de la créance au passif du débiteur principal effectuée le 8 novembre précédent, n'était pas acquise au jour de l'acte introductif d'instance, délivré le 31 janvier 2013, puisqu'à cette date l'effet interruptif de la déclaration de la créance se poursuivait.
Le jugement attaqué est infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action formée par la société Credipar.
La cour estime de bonne justice de faire application de la faculté d'évocation prévue par l'article 568 du code de procédure civile.
M. [Z] n'ayant pas conclu au fond, il convient de l'inviter à le faire.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement attaqué,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action en paiement formée par la société Credipar à l'encontre de M. [P] [Z],
Evoque,
Avant dire droit,
Invite M. [P] [Z] à conclure au fond avant le 9 septembre 2017,
Dit que la société Credipar devra répliquer avant le 30 septembre 2017,
Renvoie l'affaire à l'audience du mercredi 6 décembre 2017 à 14 heures 15, la clôture étant prononcée le 7 novembre précédent.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT