COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 14 DÉCEMBRE 2017
N° 2017/ 447
Rôle N° 15/19352
[V] [W] [L] [A]
C/
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Bruno BOUCHOUCHA, avocat au barreau de TARASCON
- Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TARASCON en date du 04 Décembre 2014 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 14/00700.
APPELANT
Monsieur [V] [W] [L] [A]
né le [Date naissance 1] 1939 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Bruno BOUCHOUCHA, avocat au barreau de TARASCON
INTIMÉE
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)
(venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFFRA) dont le siège était sis [Adresse 2] suite à une fusion-absorption intervenue le 1er juin 2015),
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est [Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Germain LICCIONI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Octobre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise PETEL, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2017, prorogé au 14 Décembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Décembre 2017
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Lydie BERENGUIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par acte notarié des 29 et 30 juin 2006, la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne a consenti à M. [F] [P] et Mme [A] [A] un prêt, destiné à l'acquisition et l'aménagement d'une maison à usage locatif sise à [Localité 2], d'un montant de 465.660 euros, au taux de 3,90 %, remboursable en 300 mensualités.
En garantie de ce prêt, par acte sous seing privé du 18 juin 2006, M. [V] [A] s'est porté caution solidaire des emprunteurs envers la banque, dans la limite de la somme de 465.660 euros, et pour la durée de 300 mois.
M. [F] [P] et Mme [A] [A], qui n'étaient plus en mesure de rembourser le prêt, ont vendu le bien immobilier financé le 23 décembre 2013, et la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne a perçu une somme de 238.000 euros, venue en déduction des sommes qui lui étaient alors dues.
Par acte du 24 janvier 2014, la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne a fait assigner M. [V] [A], en sa qualité de caution des emprunteurs, en paiement de la somme de 257.019,12 euros devant le tribunal de grande instance de Tarascon.
Par jugement réputé contradictoire du 4 décembre 2014, ce tribunal a :
- condamné M. [V] [A] à payer au Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne la somme de 257.019,12 euros en principal, frais et accessoires,
- débouté le Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [V] [A] au paiement des entiers dépens.
Autorisé par ordonnance du premier président du 16 octobre 2015, qui l'a relevé de la forclusion résultant de l'expiration du délai d'appel, M. [V] [A] a, par déclaration du 31 octobre 2015, relevé appel du jugement rendu le 4 décembre 2014 par le tribunal de grande instance de Tarascon à l'encontre de la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées et déposées le 5 septembre 2017, auxquelles il convient de se référer par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, l'appelant demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Tarascon en date du 4 décembre 2014,
à titre principal :
- juger que son engagement de caution à l'égard de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne était lors de sa conclusion manifestement disproportionné,
- juger que le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne ne peut dès lors se prévaloir du contrat de cautionnement conclu avec lui le 18 juin 2006,
- débouter en conséquence le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits du Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne de toutes ses demandes,
à titre subsidiaire pour le cas où l'engagement de caution ne serait pas jugé manifestement disproportionné :
- constater qu'eu égard aux conditions économiques du prêt, la défaillance des emprunteurs était inévitable,
- juger que le Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne a commis une faute en ne le mettant pas en garde sur cette situation particulière,
- condamner en conséquence le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne à lui payer la somme totale de 257.019,12 euros outre intérêts,
- ordonner la compensation entre la somme due par lui au Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne et celle qui lui est due par cette dernière,
- débouter en conséquence le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne de toutes ses demandes,
à titre plus subsidiaire pour le cas où la somme allouée à la caution serait moindre que celle due par les débiteurs principaux :
- dire que la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal,
- surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il soit définitivement jugé de la somme que le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne doit à M. [F] [P] et Mme [A] [A],
en tout état de cause :
- constater que le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne ne justifie de la réception d'aucun avis à la caution de l'état des débiteurs principaux, ni de façon annuelle, ni dès le premier incident de paiement,
- juger en conséquence la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne déchue des pénalités et des intérêts de retard,
- lui enjoindre de communiquer un décompte des sommes dues expurgées des dits intérêts de retard et pénalités,
- condamner le Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Bruno Bouchoucha, avocat, par application des articles 696 et 699 du code de procédure civile,
à titre infiniment subsidiaire si par impossible il devait être condamné à quelque somme que ce soit :
- reporter le paiement des sommes dues de deux années afin qu'il puisse se mettre en mesure de régler ce qui serait dû,
- statuer ce que de droit au sujet des dépens.
Par conclusions notifiées et déposées le 10 mars 2016, auxquelles il y a également lieu de se reporter en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la SA Crédit Immobilier de France Développement demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter M. [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [A] à régler la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Boulan Cherfils Imperatore conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 septembre 2017.
MOTIFS
Sur le grief de disproportion :
A titre principal, l'appelant invoque les dispositions de l'article L 341-4, devenu L 332-1 ou L343-4, du code de la consommation, aux termes duquel un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Il expose qu'il produit ses avis d'imposition qui démontrent que ses revenus étaient de l'ordre des mensualités du crédit.
Toutefois, ainsi que le fait justement valoir l'intimée, le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard, non seulement des revenus, mais des biens composant le patrimoine de la caution.
Et, à cet égard, il ne peut qu'être constaté que M. [V] [A] ne verse aucune pièce aux débats de nature à justifier de la consistance et de la valeur de son patrimoine tant immobilier que mobilier, dont l'existence est attestée par l'avis d'imposition sur les revenus qu'il produit, étant cependant observé que ledit avis ne concerne d'ailleurs que les revenus de l'année 2007, et non ceux dont il disposait à la date du cautionnement litigieux signé le 18 juin 2006 seuls susceptibles d'être pris en considération.
Etant en outre constaté que pour sa part la SA Crédit Immobilier de France Développement verse aux débats des documents justifiant de ce que l'appelant était propriétaire de plusieurs biens immobiliers dont un immeuble à usage locatif constitué d'appartements et de bureaux sis à [Localité 3], il apparaît que le caractère manifestement disproportionné du cautionnement
souscrit par M. [V] [A], auquel incombe la charge de la preuve, à ses biens et revenus n'est aucunement établi.
Dès lors, le moyen tiré de l'application des dispositions de l'article L 341-4, devenu L332-1, du code de la consommation, est écarté.
Sur l'information de la caution :
M. [V] [A], exposant n'avoir reçu aucun courrier de la banque avant la délivrance de l'assignation, sollicite la déchéance de la banque du droit aux pénalités et intérêts de retard, au visa des articles L341-1, devenu L331-1 et L343-5, et L341-6, devenu L332-2 et L343-6, du code de la consommation.
S'agissant des dispositions de l'ancien article L341-1, il ne peut qu'être constaté que, comme le soutient l'appelant, l'intimée, qui ne produit pas la moindre pièce à cet égard, n'a pas respecté l'obligation à laquelle elle était tenue en vertu de ce texte qui lui impose d'informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement.
En ce qui concerne l'information annuelle de la caution telle que prévue par les dispositions de l'ancien article L341-6 du code de la consommation, la SA Crédit Immobilier de France Développement ne justifie pas davantage avoir satisfait à l'obligation qui lui incombe en vertu de ce texte.
En effet, elle ne produit que des copies de lettres, simples et non recommandées contrairement à ce qui est indiqué sur son bordereau de communication de pièces ainsi que le relève à juste titre la caution, dont il n'est donc pas justifié de l'envoi, lesquelles, datées respectivement des 5 mars 2010, 15 mars 2011, 3 mars 2012, 19 février 2013, 18 février 2014, 24 février 2015 et 25 janvier 2016, ne distinguant pas le principal et les intérêts restant à courir, ne comportent pas au surplus les mentions exigées par le texte précité.
Il s'ensuit que, dans ses rapports avec M. [V] [A], la banque est déchue des pénalités ou intérêts de retard échus depuis le 31 mars 2007, date avant laquelle l'information devait être donnée pour la première fois.
En conséquence, au vu du décompte produit daté du 7 janvier 2014, la créance de la SA Crédit Immobilier de France Développement à l'égard de la caution s'élève, déduction faite en application des textes suscités des intérêts de retard et indemnité, à la somme de 220.176,09 euros.
Sur la faute de la banque :
A titre subsidiaire, invoquant un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, la défaillance des débiteurs principaux étant inévitable eu égard aux conditions économiques du prêt, l'appelant sollicite, aux fins de compensation, l'allocation d'une somme de 257.019,12 euros à titre de dommages et intérêts.
Contrairement à ce que soutient l'intimée, l'établissement bancaire qui consent un crédit peut être tenu, non seulement à l'égard du débiteur principal, mais aussi envers une caution d'une obligation de mise en garde, laquelle est cependant subordonnée à deux conditions, la qualité de caution non avertie et l'existence, au regard de ses capacités financières, ou de celles de l'emprunteur, d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
En l'espèce, le caractère non averti de l'appelant n'est pas même discuté par la SA Crédit Immobilier de France Développement, à laquelle incombe la charge de la preuve de ce que la caution serait avertie.
Ceci étant, compte tenu de ce qui a précédemment été dit quant à la situation financière et patrimoniale de M. [V] [A], il n'existait pas pour ce qui le concerne de risque d'endettement particulier à la date de souscription de l'engagement litigieux.
S'agissant des débiteurs principaux, l'appelant fait valoir que ces derniers, compte tenu de ce que le prêt était excessif et ne pouvait qu'entraîner leur défaillance, ont engagé la responsabilité de la banque, que le tribunal de Thonon-les-Bains puis la cour d'appel de Chambéry ont reconnu le défaut de mise en garde de l'établissement bancaire, la cour considérant que l'opération était nécessairement vouée à l'échec, que, s'il avait su au moment de contracter l'acte de caution que le projet immobilier de sa fille et du compagnon de celle-ci était voué à l'échec, il est évident qu'il n'aurait pas contracté, qu'il est dès lors bien fondé à solliciter la condamnation du prêteur à lui payer la somme de 257.019,12 euros, à titre subsidiaire 99% de la somme à laquelle il serait condamné, et, si par impossible il n'était pas fait droit totalement à sa demande, qu'il soit sursis à statuer suite au pourvoi formé par la SA Crédit Immobilier de France Développement à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Chambéry.
Mais, étant observé que, dans ledit arrêt que M. [V] [A] verse aux débats, cette cour rappelle que l'opération a eu lieu dans un contexte affectif particulier, qu'en effet, les parents de M. [P] exploitaient une colonie de vacances à Chatel, qu'à la vente des bâtiments, ils ont bénéficié d'un droit de préférence et ont acheté l'un des deux bâtiments alors que leur fils a entendu acheter le second, l'appelant ne démontre pas qu'existe, dans ce contexte, le préjudice qu'il invoque, lequel ne pourrait consister qu'en la perte d'une chance de ne pas cautionner les engagements pris par sa fille, Mme [A] [A].
Aussi, à supposer que l'intimée soit en l'espèce tenue à un devoir de mise en garde en raison du risque d'endettement, eu égard à leurs capacités financières, des débiteurs principaux, la caution, à défaut d'établir la réalité du préjudice qui résulterait à son égard du manquement à une telle obligation, ne saurait engager la responsabilité de la SA Crédit Immobilier de France Développement, et doit donc être déboutée de ses demandes en paiement de dommages et intérêts, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer.
Sur les délais de paiement :
A titre infiniment subsidiaire, M. [V] [A], qui invoque des revenus relativement modestes, demande, au visa de l'ancien article 1244-1 du code civil, que soit reporté le paiement des sommes dues de deux années, lui donnant « le temps d'assumer les conséquences d'un acte gratuit mais néanmoins irréfléchi ».
Cependant, ainsi que le soutient l'intimée, outre que l'appelant a de fait déjà bénéficié de larges délais au regard de la durée de la procédure, il est établi par les pièces produites que M. [V] [A] dispose d'un patrimoine conséquent lui permettant d'apurer sa dette.
La demande est rejetée.
Sur les frais irrépétibles :
En l'espèce, il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [V] [A],
L'infirme de ce chef, et statuant à nouveau,
Condamne M. [V] [A] à payer à la SA Crédit Immobilier de France Développement la somme de 220.176,09 euros,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne M. [V] [A] aux aux dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT