COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
10e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 21 DECEMBRE 2017
N° 2017/ 500
Rôle N° 16/13156
[V] [D]
C/
[M] [B]
CPAM DES ALPES-MARITIMES
Grosse délivrée
le :
à :
Me Marc PROVENZANI
Me Benoît VERIGNON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 30 Juin 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02472.
APPELANT
Monsieur [V] [D]
né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 1] - de nationalité Française,
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me David VERANY, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Monsieur [M] [B],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Marc PROVENZANI, avocat au barreau de GRASSE
CPAM DES ALPES-MARITIMES,
dont le siège social est : [Adresse 3]
représentée par Me Benoît VERIGNON, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier GOURSAUD, Président
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Madame Anne VELLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvaine MENGUY.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2017,
Signé par Monsieur Olivier GOURSAUD, Président et Madame Sylvaine MENGUY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 10 février 2009 M. [V] [D] a consulté M. [M] [B], qui était son dentiste habituel depuis l'année 2005, pour des douleurs sur la deuxième molaire supérieure droite ; M. [B] a prodigué divers soins jusqu'au 3 juin 2009.
Etant atteint d'une spondylodicite D9 - D10 et reprochant à M. [B] de ne pas avoir prescrit une antibiothérapie préventive qui aurait pu selon lui empêcher le développement d'une infection par un germe enterococcus faecalis, M. [D] a averti son assureur qui a mis en place une expertise confiée au docteur [I] qui après avoir pris l'avis d'un sapiteur, le docteur [Q], a rédigé son rapport le 16 juillet 2010.
M. [D] a ultérieurement saisi le juge des référés qui par ordonnance du 9 mars 2011 a désigné en qualité d'expert le docteur [P] qui a établi son rapport le 6 septembre 2011.
Par acte du 7 avril 2014 M. [D] a fait assigner M. [B] devant le tribunal de grande instance de Grasse, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes (CPAM), pour obtenir, sur le fondement des articles 1147 du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, la condamnation de M. [B] à réparer son préjudice corporel et à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 30 juin 2016 cette juridiction a, au visa des dispositions précitées :
- dit que M. [B] a commis des négligences fautives dans le cadre de la réalisation des soins dentaires prodigués à M. [D] au cours de l'année 2009,
- dit que M. [D] ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes commises par M. [B] et les préjudices allégués,
- dit que la responsabilité professionnelle de M. [B] n'est pas établie dans les soins prodigués au cours de l'année 2009 sur M. [D],
- débouté M. [D] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté en conséquence la CPAM de ses demandes à l'encontre de M. [B],
- condamné M. [D] à verser à M. [B] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné M. [D] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que si les rapports d'expertise démontraient que M. [B] avait commis des négligences en ne prescrivant pas d'antibiothérapie préventive pour la dévitalisation de la molaire douloureuse, le détartrage et l'extraction de cette molaire et en maintenant le traitement anticoagulant par Kardegic, le maintien de l'anticoagulant n'avait pas entraîné de suite hémorragique et il n'était pas démontré que l'absence d'antibiothérapie préventive était en lien de causalité avec les préjudices allégués par le patient car l'entérocoque retrouvé avait une faible probabilité d'être d'origine buccale dans la mesure où il est l'un des hôtes principaux de l'intestin et car le germe responsable de l'endocardite bactérienne n'avait pas été identifié de sorte qu'il était impossible de dire si celle-ci avait pour origine la spondylodiscite ou si elle était d'origine dentaire ou intestinale.
Par déclaration du 13 juillet 2016 M. [D] a interjeté appel général de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [D] demande à la cour dans ses conclusions du 7 octobre 2016, en application des articles 1147 et L. 1142-1 du code de la santé publique, de :
' infirmer le jugement en toutes ses dispositions
' statuant à nouveau
- juger que la responsabilité de M. [B] est engagée, ce dernier n'ayant pas prescrit d'antibiothérapie préventive,
- juger que ce manquement lui a occasionné une perte de chance,
- juger en conséquence qu'il a droit à l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice,
- condamner en conséquence, et sous réserve d'une nouvelle expertise à intervenir, M. [B] à lui verser les sommes suivantes :
°GTT : 800 €
° GTP à 50 % : 1 916,47 €
° GTP À 25 % : 291,63 €
° souffrances endurées : 5 300 €
° déficit fonctionnel permanent : 13'000 €,
' Ã titre subsidiaire
- désigner tel expert qu'il plaira avec pour mission de fixer les postes de préjudice suivants au contradictoire des parties :
° gêne temporaire totale
° gêne temporaire partielle
° souffrances endurées
° déficit fonctionnel permanent,
' en tout état de cause
- condamner M. [B] au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens.
Il soutient que :
- il est porteur d'une valve cardiaque et M. [B] n'a pas pris en compte cette particularité, il n'a pas prescrit de traitement antibiotique préventif et ne lui a pas fait signer un questionnaire médical préalablement aux soins,
- il est établi qu'un germe lui a occasionné des complications cardiaques,
- il a informé M. [B] qu'il avait subi des interventions cardiaques et qu'il prenait du Kardegic, ce qui aurait dû l'inciter à prescrire une antibiothérapie préventive qui aurait éradiqué le germe,
- le rapport d'expertise du docteur [P] doit être écarté dans la mesure où celui-ci a estimé que la perte de chance n'était pas indemnisable car M. [B] ne savait pas qu'il était porteur d'une valve cardiaque alors même qu'il lui appartenait en sa qualité de médecin de requérir auprès de son patient toute information à ce titre,
- la jurisprudence établie en matière d'infection nosocomiale ne distingue pas pour retenir la responsabilité des praticiens et des établissements de santé le caractère exogène ou endogène du germe à l'origine de l'infection,
- il ne lui appartient pas de rapporter la preuve du lien direct entre l'origine du germe et la complication survenue,
- il appartient à M. [B] pour s'exonérer de sa responsabilité de rapporter la preuve d'une cause étrangère ce qu'il ne fait pas,
- M. [B] lui a fait perdre une chance d'éviter la prolifération du germe responsable de la spondylodiscite et d'éviter par voie de conséquence les complications cardiaques qui ont nécessité des opérations ultérieures,
- la Cour de cassation considère que même une perte de chance très faible est indemnisable.
M. [B] demande à la cour dans ses conclusions du 14 novembre 2016, en application de l'article 1147 ancien du code civil, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. [D] à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner M. [D] aux dépens de première instance et d'appel avec distraction.
Il fait valoir que :
- M. [D] ne peut s'appuyer sur le rapport non contradictoire réalisé par le docteur [I],
- l'expert judiciaire a relevé qu'il est de règle maintenant de ne pas arrêter le traitement anticoagulant lors de petites interventions à risques légers hémorragiques et que les saignements ont été normaux,
- il a constaté qu'il n'avait pas été informé de la pathologie valvulaire de janvier 2008,
- s'il a considéré que l'on « pourrait » lui reprocher de n'avoir pas poussé plus avant son interrogatoire et de ne pas s'être demandé pourquoi son patient prenait du Kardégic, ce qui lui aurait permis, le sachant, de prescrire une antibiothérapie lors de chaque geste effectué, lors de la consultation du 10 février 2009 il a bien refait l'interrogatoire médical de M. [D] qu'il n'avait plus revu depuis janvier 2005 et a noté sur son dossier la prise de Kardégic étant rappelé que ce questionnement médical n'est pas une obligation mais une recommandation,
- M. [D] prenait du Kardégic depuis 2004 soit bien avant l'opération de janvier 2008 et il n'avait donc aucune possibilité d'en déduire que M. [D] avait été opéré ce que d'ailleurs ce dernier a reconnu dans un courrier du 6 janvier 2010 en indiquant « J'ai été opéré du c'ur en janvier 2008 avec remplacement d'une valve. Vous en avez été informé puisque vous m'avez demandé si j'étais sous anticoagulant et j'ai répondu Non uniquement Kardégic 75 mg et Coversyl »,
- la prescription d'une antibiothérapie préventive n'est pas systématique en cas de prise de Kardégic car ce médicament peut être prescrit pour d'autres pathologies que les atteintes vasculaires et les recommandations de bonnes pratiques sont de limiter les antibiothérapies trop fréquentes,
- M. [D] a donc une part de responsabilité dans son dommage puisqu'il ne l'a pas informé de l'intervention de l'aorte du mois de janvier 2008,
- M. [D] ne peut prétendre avoir été victime d'une infection nosocomiale car il aurait fallu que cette bactérie soit transmise par ses instruments et l'expert a estimé qu'il n'y a pas de lien de causalité direct et certain entre les soins dentaires et la bactériémie et ses conséquences et que le germe en cause n'est pas d'origine buccale mais fait partie de la flore intestinale,
- ce germe est passé dans le sang par des gestes simples (manger, brossage des dents...) chez un patient atteint de parondontite chronique.
La CPAM demande à la cour dans ses conclusions du 18 octobre 2017, en application des articles 548 et 909 du code de procédure civile et L. 376-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de :
- accueillir son appel incident,
- réformer le jugement du 30 juin 2016,
statuant à nouveau
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 25'443,50 € au titre de ses débours avec les intérêts légaux à compter du 4 décembre 2014, date de signification de ses premières écritures de première instance,
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 1 055 € au titre de l'indemnité forfaitaire due sur le fondement des articles 9 et 10 de l'ordonnance du 24 janvier 1996,
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel,
- condamner toute partie succombante aux entiers dépens avec distraction.
Elle indique qu'elle fait sienne l'argumentation développée par M. [D] permettant d'établir une faute dans l'acte thérapeutique de M. [B] et le lien causal entre ces agissements fautifs et le préjudice qui en découle de sorte que sa responsabilité est clairement engagée au sens des dispositions des articles 1147 du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité
Il est mentionné à l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, applicable, en vertu de la loi n°2002-1577 du 30 décembre 2002, aux actes de soins postérieurs au 5 septembre 2001, que :
I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
1. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
Il résulte de ces dispositions que M. [D] doit rapporter la preuve d'une part, de ce que M. [B] a commis une faute dans ses obligations de lui fournir des soins attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science et, d'autre part, de ce que cette faute a été à l'origine du dommage dont il demande la réparation.
L'expert le docteur [P] a établi un rapport de façon contradictoire, après examen de M. [D], recueil de ses doléances et consultation non seulement de son dossier médical mais également de l'expertise unilatérale du docteur [I] et de l'avis sapiteur du docteur [Q] dont M. [D] se prévaut.
Cet expert a étudié et répondu au dire de M. [D] et ses conclusions sont précises, détaillées et fondées sur des éléments techniques.
La demande de nouvelle expertise n'est donc pas justifiée et doit être rejetée.
L'expert [P] indique dans son rapport que :
- M. [B] a pratiqué sur M. [D] des interventions de parodontie non invasives, des détartrages et une extraction dentaire entre le 10 février 2009 et le 16 octobre 2009,
- M. [D] avait subi en 2008 une opération sur une valve aortique avec mise en place d'une bioprothèse et prenait au moment des interventions du Kardégic,
- M. [B] n'a pas arrêté le traitement par Kardégic,
- les soins dentaires et détartrage ont été effectués sans couverture antibiotique sauf les premiers soins de février 2009,
- dans les suites des soins de parodontie, les derniers en avril 2009, M. [D] a présenté des épisodes fébriles avec des douleurs dorsales,
- son médecin traitant a prescrit un bilan biologique le 23 juin 2009 qui a révélé une nette augmentation de la protéine C, témoin d'un épisode inflammatoire en cours,
- les épisodes fébriles se succédant le médecin traitant, connaissant l'existence d'une intervention valvulaire, l'a fait hospitaliser en service de cardiologie et au cours de ce séjour a été découverte la présence dans le sang d'un entérocoque fecalis,
- une spondylodiscite infectieuse entre les 9ème et 10ème vertèbres a été découverte le 22 août 2009,
- M. [D] a développé une endocardite sévère un an après qui a conduit à une nouvelle intervention cardiaque le 31 janvier 2011,
- sur le plan technique les actes pratiqués ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale,
- M. [B] a indiqué qu'il n'avait pas été averti de la pathologie valvulaire,
- on pourrait toutefois lui reprocher de ne pas avoir poussé plus avant l'interrogatoire de M. [D] et de rechercher le motif du traitement par Kardégic, ce qui lui aurait permis le sachant de prescrire une antibiothérapie lors de chaque geste effectué, et ceci est d'autant plus dommage que le germe retrouvé était sensible aux antibiotiques, recommandés dans l'antibio-prophylaxie préventive de l'endocardite infectieuse,
- est conforme à la pratique actuelle de ne pas arrêter un traitement par Kardégic lors de petites interventions à risque léger d'hémorragie et les saignements post-opératoires chez M. [D] n'ont pas été importants.
Si ces éléments établissent qu'aucune critique ne peut être faite à M. [B] de ne pas avoir arrêté la prescription de Kardégic ils démontrent une négligence fautive de celui-ci dans l'interrogatoire de son patient, car même non informé de l'existence d'une intervention valvulaire en 2008 il aurait dû rechercher les motifs de la prescription du Kardégic et interroger M. [D] sur ce point.
En revanche la preuve du lien de causalité entre cette faute et la spondylodiscite puis l'endocardite dont a été atteint M. [D] n'est pas rapportée.
En effet l'expert a relevé que :
- le germe responsable de la spondylodiscite n'a pas été identifié,
- il ne peut être dit qu'il était certainement d'origine buccale, il peut être dit qu'il l'était mais avec une faible probabilité,
- l'entérocoque est principalement l'hôte des intestins,
- ce fait est corroboré par la pièce n° 5 (compte-rendu d'échographie trans-oesophagienne sur lequel on ne note rien de particulier) qui démontre une probable translocation bactérienne d'origine diverticulaire et par la pièce n° 11 dans laquelle est notée la présence d'escarres fessiers,
- le germe responsable de l'endocardite n'a pas été identifié,
- il n'est pas possible de dire si l'endocardite a eu pour origine la spondylodiscite ou si elle est d'origine dentaire ou intestinale,
- l'endocardite est la conséquence d'une bactériémie survenue après le 3 août 2009 (car elle n'a pas été constatée lors du séjour à l'hôpital du mois de juin 2009 ) et vraisemblablement au cours de l'année 2010,
- la bactériémie à enterocoque fécal a de fortes probabilité d'avoir pour origine une translocation intestinale.
Il ressort des motifs qui précèdent que M. [D] doit être débouté de ses demandes ce qui ne permet pas de faire droit à celles de la CPAM, le jugement étant confirmé.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais rrépétibles doivent être confirmées.
M. [D] qui succombe en son recours supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme le jugement,
Y ajoutant,
- Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- Condamne M. [D] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT