COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
4e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 01 MARS 2018
bm
N° 2018/ 210
Rôle N° 16/14572
SCI CHEZ MANU
C/
[S] [H] épouse [U] DIT [W]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Aurore LLOPIS
Me Vincent PENARD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal d'Instance de MARTIGUES en date du 19 Juillet 2016 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15-000901.
APPELANTE
SCI CHEZ MANU
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Aurore LLOPIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Geraldine MEJEAN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [S] [H] épouse [U] DIT [W]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Vincent PENARD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Julie MULATERI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller
Madame Sophie LEONARDI, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Mars 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Mars 2018
Signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS et PROCÉDURE ' MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [S] [U] dit [W] est propriétaire de la parcelle section BE [Cadastre 1] commune de [Localité 1], acquise le 10 avril 1987 auprès de monsieur [K], anciennement cadastrée C [Cadastre 2].
La SCI chez Manu est propriétaire de parcelles contiguës, acquises le 28 avril 2005 auprès des époux [F], et figurant au cadastre sous les références BE [Cadastre 3] et [Cadastre 4].
Par exploit du 6 octobre 2015, madame [S] [U] dit [W] a fait assigner, devant le tribunal d'instance de Martigues, la SCI chez Manu, afin d'obtenir le bornage judiciaire et l'implantation des bornes conformément au rapport d'expertise de monsieur [M] du 6 novembre 1998 à l'éclairage des plans du géomètre [E], la condamnation de la SCI au paiement d'une somme de 1000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive outre indemnités accessoires.
Le tribunal, par jugement du 19 juillet 2016, a notamment :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SCI chez Manu
- dit que l'action en bornage de madame [S] [U] dit [W] est recevable et n'est pas prescrite
- débouté la SCI chez Manu de sa demande d'expertise
- fixé les limites des propriétés de madame [S] [U] dit [W] et de la SCI chez Manu, conformément aux traits rouges inscrits sur le plan de monsieur [E] géomètre expert à [Localité 1] (annexe 5 du rapport d'expertise établi par monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998)
- ordonné en conséquence l'implantation des bornes conformément aux traits rouges inscrits sur le plan de monsieur [E], géomètre expert à [Localité 1] (annexe 5 du rapport d'expertise établi par Monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998)
- dit que les bornes seront plantées et verbalisées par les soins de l'expert, monsieur [N] [M] qui dressera de cette opération procès-verbal, lequel sera déposé au greffe du tribunal, et qu'il sera statué sur son homologation en cas de contestation
- fixé la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de mille euros qui devra être consignée par madame [S] [U] dit [W] entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal de Martigues dans le délai d'un mois suivant le jugement
- débouté madame [S] [U] dit [W] de sa demande de dommages-intérêts
- ordonné l'exécution provisoire
- débouté madame [S] [U] dit [W] et la SCI chez Manu de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné madame [S] [U] dit [W] et la SCI chez Manu à la moitié des dépens de l'instance.
La SCI chez Manu a régulièrement relevé appel, le 5 août 2016, de ce jugement en vue de sa réformation.
Elle demande à la cour, selon conclusions déposées le 21 octobre 2016 par RPVA, de :
infirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de Martigues le 19 juillet 2016 dans l'ensemble de ses dispositions et statuant à nouveau,
- A titre principal
* dire et juger qu'il ressort du rapport d'expertise en date du 6 novembre 1998 que les limites séparatives entre les parcelles BE [Cadastre 1] et BE [Cadastre 3]/[Cadastre 4] et établies suivant tracé bleu dudit rapport d'expertise, existent depuis 1961 et sont demeurées inchangées à ce jour
* dire et juger que la SCI chez Manu justifie d'une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire au sens de l'article 2261 du code civil de sa parcelle dont les limites séparatives sont établies suivant le tracé bleu évoqué dans le rapport d'expertise du 6 novembre 1998
* dire et juger que la SCI chez Manu a acquis par l'effet de la prescription la propriété de la parcelle dont les limites séparatives sont établies suivant le tracé bleu évoqué dans le rapport d'expertise du 6 novembre 1998
* débouter madame [U] dit [W] de sa demande tendant à faire établir un bornage « à l'éclairage des plans du géomètre [E] », à savoir suivant le tracé rouge
* débouter madame [U] dit [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
* désigner tel géomètre qu'il plaira à la cour afin de procéder au bornage
* dire et juger que le bornage devra être établi suivant le tracé bleu évoqué par le rapport d'expertise du 6 novembre 1998 et repris par le rapport du géomètre du 9 juin 2010
- A titre subsidiaire
* désigner tel géomètre expert qu'il plaira à la cour avec mission de procéder au bornage des propriétés appartenant à madame [U] dit [W] (BE [Cadastre 1]) et à la SCI chez Manu (BE [Cadastre 3]/[Cadastre 4]) sises sur la commune de [Localité 1], suivant les limites séparatives définies par ledit géomètre expert
- En tout état de cause
* constater que madame [U] dit [W] était en possession d'un rapport d'expertise de 1998 qui faisait état de la prescription acquisitive au bénéfice de la parcelle de la SCI chez Manu
* dire et juger que cette dernière a attrait la SCI chez Manu devant la juridiction de céans en parfaite connaissance de la prescription acquisitive
* dire et juger comme abusive la procédure engagée par madame [U] dit [W]
* condamner madame [U] dit [W] à verser à la SCI chez Manu la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile
* condamner madame [U] dit [W] à verser à la SCI chez Manu la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
* condamner madame [U] dit [W] aux entiers dépens.
Formant appel incident, madame [S] [U] dit [W] sollicite de voir, selon conclusions déposées par RPVA le 15 décembre 2016 :
- dire l'appel de la SCI chez Manu irrecevable et subsidiairement mal fondé
- confirmer au besoin le jugement entrepris
- condamner la même SCI à payer une somme de 3000 euros à madame [S] [U] dit [W] en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la même SCI aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 8 janvier 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la SCI chez Manu
Madame [S] [U] dit [W] soutient que la SCI chez Manu a acquiescé à sa demande en première instance, dans le dernier état de ses écritures et observations orales.
Il ressort du jugement dont appel, qu'un jugement avant-dire droit a été rendu le 8 mars 2016 ordonnant la réouverture des débats, afin que la SCI chez Manu formule sa prétention subsidiaire quant à sa demande de bornage ; le premier juge indique que par un courrier reçu au greffe le 1er juin 2016, la SCI chez Manu a précisé avoir formulé une demande subsidiaire de désignation d'un expert afin de procéder au bornage des propriétés et qu'elle a confirmé ne pas s'opposer à l'établissement d'un bornage tel que sollicité par madame [S] [U] dit [W] ; le premier juge poursuit en indiquant qu'en défense, lors de l'audience du 7 juin 2016, la SCI chez Manu a réitéré les termes de ses demandes reprises dans son courrier du 1er juin 2016.
Le tribunal a cru à tort devoir en tirer un accord des parties non pas sur la tenue d'un bornage mais sur le tracé ; les termes du courrier du 1er juin 2016, tels que confirmés à l'audience du 7 juin 2016 s'analysent comme un accord de la SCI chez Manu, à titre subsidiaire, sur la demande de bornage sollicitée par madame [U] ; en revanche, il ne peut être constaté l'acceptation par la SCI du tracé proposé par madame [U] dit [W].
Par conséquent, l'intimée ne peut tirer argument d'un quelconque acquiescement à sa demande, pour conclure à l'irrecevabilité de l'appel de la SCI chez Manu.
Sur le bornage et les demandes subséquentes
En vertu de l'article 646 du code civil, tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës.
En l'espèce, à la demande de madame [U] et de ses enfants, une expertise judiciaire a été ordonnée le 15 octobre 1996 confiant à monsieur [N] [M] géomètre expert mission de proposer la délimitation des parcelles et l'implantation des bornes à planter, entre d'une part les parcelles BE [Cadastre 1] de madame [U] anciennement [Cadastre 2] et d'autre part, [Cadastre 3]/[Cadastre 4] des consorts [F], auteurs de la SCI chez Manu.
L'expert a déposé son rapport le 6 novembre 1998 ; aucune des parties n'a saisi la juridiction au fond et la limite divisoire n'a pas été fixée ni matérialisée.
La SCI chez Manu et madame [S] [U] dit [W] se prévalent chacune dans le cadre de la présente instance dudit rapport.
L'expert judiciaire relève qu'il a été établi en 1987 à la demande de monsieur [K] auteur de madame [U], un plan par monsieur [E] géomètre, faisant figurer en rouge la limite telle qu'elle devrait être pour respecter l'acte de monsieur [K] et, en bleu celle telle qu'elle existe avec un mur de clôture ; l'expert judiciaire ajoute que la limite en bleu correspond également à l'application du cadastre puisque lors de sa rénovation en 1961, le cadastre a pris comme limite la clôture visible sur le terrain.
L'expert judiciaire conclut en indiquant : « nous pouvons dire qu'effectivement la limite Nord de la propriété [U] devrait être telle que représentée en rouge sur le plan de monsieur [E] (voir plan annexe 5) ; toutefois, monsieur [Q] [T] et les témoins attestent que la limite Nord de la propriété [U] ou de son auteur monsieur [K], est matérialisée par une clôture qui est surlignée en bleu sur le plan de monsieur [E] et que cette clôture existe depuis 1960 ; ces témoignages sont confirmés par le cadastre qui lors de sa révision en 1961 a pris comme limite la clôture existante (tracé bleu de monsieur [E]) ».
Pour fonder sa demande en bornage suivant le tracé bleu évoqué par le rapport d'expertise judiciaire du 6 novembre 1998, la SCI chez Manu invoque une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire au sens de l'article 2261 du code civil de sa parcelle ; elle se prévaut également de sa bonne foi au sens de l'article 2272 du code civil et en tout état de cause d'une usucapion par 10 ans.
Si comme le soutient madame [U] dit [W], il ne peut être tiré argument de la limite cadastrale pour fixer la limite séparative des deux fonds, dans la mesure où les indications cadastrales ne constituent que de simples présomptions, il n'en demeure pas moins que la limite des fonds de la SCI chez Manu et de madame [U] est matérialisée depuis au moins 1961.
En outre, la SCI chez Manu est en droit d'invoquer la prescription acquisitive abrégée par 10 ans ; ainsi elle a acquis le 28 avril 2005 auprès des époux [F], ses parcelles BE [Cadastre 3] et [Cadastre 4] ; il n'est nullement allégué qu'elle aurait eu connaissance du précédent litige ayant abouti à l'expertise du 6 novembre 1998 lors de l'acquisition ; il ne peut lui être contesté la qualité d'acquéreur de bonne foi et d'ailleurs madame [U] dit [W] n'apporte aucun élément tendant à prouver sa mauvaise foi ; de plus, la SCI justifie d'un juste titre, en l'occurrence l'acte de vente qui a opéré un transfert de propriété consenti par les époux [F] ses auteurs, lesquels n'en étaient pas les véritables propriétaires.
Par conséquent, le moyen tiré de l'absence de prescription trentenaire est inopérant, la propriété déterminée suivant les limites séparatives telles que fixées par le tracé bleu ayant été acquise par l'effet de la prescription abrégée au 28 avril 2015, soit antérieurement à l'acte introductif d'instance.
Par suite, le bornage ne pourra s'effectuer que suivant la limite séparative correspondant au tracé bleu mentionné dans le rapport d'expertise judiciaire et repris en pièce 4 par le géomètre requis par la SCI chez Manu, selon plan du 9 juin 2010.
Le jugement dont appel qui a fixé comme limite de propriété les traits rouges inscrits sur le plan de monsieur [E], après avoir constaté à tort l'accord des parties sur ce tracé, sera réformé.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné l'implantation des bornes sous le contrôle d'un géomètre-expert, mais réformé en ce qu'il a ordonné cette implantation conformément aux traits rouges.
Par ailleurs, la demande subsidiaire de désignation d'un expert géomètre est sans objet au regard des éléments qui précèdent ; le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute la SCI chez Manu de sa demande d'expertise destinée à déterminer les limites séparatives des fonds litigieux.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
En cause d'appel, la SCI chez Manu sollicite la somme de 5000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive.
La mauvaise appréciation de ses droits par madame [U] [W] ne revêt pas un caractère abusif ; la demande de dommages-intérêts de la SCI chez Manu, fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile, sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant en cause d'appel, madame [S] [U] dit [W] doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la SCI chez Manu la somme de 2000 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déboute madame [S] [U] dit [W] de sa demande tendant à déclarer irrecevable l'appel de la SCI chez Manu,
Réforme le jugement du tribunal d'instance de Martigues en date du 19 juillet 2016, mais seulement en ce qu'il a :
- fixé les limites des propriétés de madame [S] [U] dit [W] et de la SCI chez Manu, conformément aux traits rouges inscrits sur le plan de monsieur [E] géomètre expert à [Localité 1] (annexe 5 du rapport d'expertise établi par monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998)
- ordonné en conséquence l'implantation des bornes conformément aux traits rouges inscrits sur le plan de monsieur [E], géomètre expert à [Localité 1] (annexe 5 du rapport d'expertise établi par Monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998),
Statuant à nouveau de ces chefs,
Fixe les limites des propriétés de madame [S] [U] dit [W] (parcelle BE [Cadastre 1] sise commune de [Localité 1]) et de la SCI chez Manu (parcelles BE [Cadastre 3] et [Cadastre 4] sises commune de [Localité 1]), conformément au tracé bleu mentionné dans le rapport d'expertise établi par monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998,
Ordonne en conséquence l'implantation des bornes conformément au tracé bleu mentionné dans le rapport d'expertise établi par monsieur [N] [M] le 6 novembre 1998,
Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,
Déboute madame [S] [U] dit [W] de ses demandes,
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par la SCI chez Manu,
Condamne madame [S] [U] dit [W] aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la SCI chez Manu la somme de 2000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président