COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1ère Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 MARS 2018
D.D.
N° 2018/
Rôle N° N° RG 16/10431 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6XJR
Compagnie d'assurances GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE
C/
[O] [P]
[H] [T] épouse [P]
[R] [M]
[Y] [L] épouse [M]
[Z] [K]
[X] [L] épouse [K]
[D] [B] épouse [N]
SCP EYMARD ROUDEN PIONNIER CHATEL CHRETIEN BOSCH
Grosse délivrée
le :
à :Me Marin
Me Tollinchi
SCP Ermeneux
Me Guedj
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 17 Mai 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 11/01614.
APPELANTE
Compagnie d'assurances GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège. [Adresse 1]
représentée par Me Philippe MARIN de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON,
assistée par Me Christine SPOZIO, avocat au barreau de TOULON, plaidant
INTIMES
Monsieur [O] [P]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Pierre-Olivier LAMBERT, avocat au barreau de PARIS,plaidant
Madame [H] [T] épouse [P]
née le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 2] (ALGERIE), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Pierre-Olivier LAMBERT, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [R] [M]
né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 3], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE ARNAUD ET ASSOCIESS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Eric GOIRAND, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Thomas MEULIEN, avocat au barreau de TOULON, plaidant
Madame [Y] [L] épouse [M]
née le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 4] (ALGERIE),, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE ARNAUD ET ASSOCIESS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Eric GOIRAND, avocat au barreau de TOULON, substitué par Me Thomas MEULIEN, avocat au barreau de TOULON, plaidant
Monsieur [Z] [K], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE ARNAUD ET ASSOCIESS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Eric GOIRAND, avocat au barreau de TOULON,substitué par Me Thomas MEULIEN, avocat au barreau de TOULON, plaidant
Madame [X] [L] épouse [K]
née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 4] (ALGERIE),, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE ARNAUD ET ASSOCIESS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Eric GOIRAND, avocat au barreau de TOULON, substitué par Me Thomas MEULIEN, avocat au barreau de TOULON, plaidant
Madame [D] [B] épouse [N], agissant en sa qualité d'héritière de Madame [P] [B]
née le [Date naissance 6] 1947 à [Localité 5], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE ARNAUD ET ASSOCIESS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Eric GOIRAND, avocat au barreau de TOULON,substitué par Me Thomas MEULIEN, avocat au barreau de TOULON, plaidant
SCP EYMARD ROUDEN PIONNIER CHATEL CHRETIEN BOSCH, notaires, anciennement dénommée SCP SALPHATI-THIBAULT-LEBEAU-ROUDEN-PIONNER, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Jean-Michel GARRY, avocat au barreau de TOULON, substitué par Me Maria DA SILVA, avocat au barreau de TOULON, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame DEMONT, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2018 et qu'à cette date le délibéré par mise à disposition était prorogé au 20 mars 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2018,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige
Par acte authentique dressé par Me [S], notaire, en date du 10 février 1994 M. [P] et son épouse Mme [H] [P] née [T] ont acquis auprès de M. [R] [M], Mme [Y] [L] épouse [M], M. [Z] [K], Mme [X] [L] épouse [K] et Mme [P] [U] (les consorts [L] et autres), deux parcelles cadastrées section H n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] et la propriété bâtie sur l'emprise de cette seconde parcelle. Ils ont réalisé des travaux de rénovation et d'agrandissement du bâti.
Par arrêté du préfet [Localité 6] du 19 mai 2000 la parcelle mitoyenne H n° [Cadastre 3] a été déclarée vacante et sans maître. Par lettre du 22 avril 2002 du service des domaines de [Localité 7] a informé les époux [P] de sa mise en vente et ceux-ci ont décliné la proposition. La parcelle a été vendue aux enchères publiques le 17 novembre 2002 et acquise par M. [L] [O] au prix de 10'950€. Ce dernier a fait procéder à un bornage de sa parcelle H n° [Cadastre 3]. Le géomètre a indiqué que l'habitation des époux [P] était implantée sur sa parcelle.
Par jugement en date du 15 juin 2009, devenu irrévocable suite à rejet de pourvoi, le tribunal d'instance de Toulon a ordonné le bornage entre les parties selon les limites préconisées par l'expert [X] dans son rapport déposé le 16 octobre 2006, qui s'étaient révélées être les mêmes que celles du géomètre amiable.
Parallèlement, M. [O] avait également fait assigner les époux [P] par acte du 26 août 2005 en reconnaissance de sa propriété sur la parcelle litigieuse, en paiement d'une indemnité d'occupation et en expulsion.
Cette procédure avait donné lieu à un sursis à statuer dans l'attente du règlement de la procédure en bornage introduite concomitamment par M. [O], jusqu'au rejet du pourvoi en cassation.
Après reprise de l'instance, par jugement du 28 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Toulon a dit que M. [L] [O] est propriétaire de la parcelle cadastrée section H n° [Cadastre 3], a ordonné l'expulsion des époux [P] de la maison bâtie sur cette parcelle et les a condamnés au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 1000 € par mois à compter de l'arrêt de la cour d'appel du 15 juin 2009 jusqu'à leur départ des lieux.
Par arrêt de la cour de ce siège du 5 mars 2013, devenu irrévocable suite à rejet du pourvoi, le montant de l'indemnité d'occupation a été ramené à 200 € et M. [O] a été invité à préciser son choix quant à son option entre la conservation ou la destruction de l'ouvrage réalisé sur sa propriété. Il a déclaré qu'il souhaitait la démolition de la maison, à la charge des époux [P].
Par ailleurs, par jugement en date du 6 décembre 2013 les époux [P] ont été déboutés par le tribunal administratif de Toulon d'une action en recherche de responsabilité sans faute de l'État, le tribunal ayant considéré que le service du cadastre n'avait commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'État lorsqu'après vérification, en novembre 2001, il avait conclu à tort que la propriété la construction des époux [P] était implantée sur la parcelle n° [Cadastre 2].
Le tribunal a retenu également que la décision de mise en vente par le service des domaines ne présentait aucun lien de causalité directe avec le préjudice des époux [P], cette mise en vente ayant seulement permis la révélation de leur préjudice latent.
Par arrêt du 17 décembre 2015 la cour d'appel de ce siège a condamné in solidum les époux [P] à supprimer les ouvrages réalisés sur la parcelle d'autrui cadastrée H n° [Cadastre 3], à savoir l'étage complet de la maison, la charpente, la toiture, les portes-fenêtres et l'ensemble des ouvrages de second oeuvre et ce, sous astreinte de 200 € par jour pendant un délai de 3 mois, et a autorisé M. [O] passé le délai de 6 mois à supprimer lui-même ces ouvrages aux frais des époux [P].
Par exploit en date des 4 et 18 mars 2011 les époux [P] avaient précédemment fait assigner leurs vendeurs, le notaire, et la société d'assurance Groupama en sa qualité d'assureur de l'Agence immobilière Cuersoise qui leur avait présenté à la vente le bien immobilier litigieux, en responsabilité civile professionnelle, aux fins d'obtenir leur condamnation in solidum à leur payer la somme principale de 843'000 €.
Par jugement contradictoire en date du 17 mai 2016 le tribunal de grande instance de Toulon a condamné in solidum M. [R] [M], Mme [Y] [L] épouse [M], M. [Z] [K], Mme [X] [L] épousse [K] et Mme [P] [U], la SCP Salphati-Thibault-Lebeau-Rouden-Pionnier et la société Groupama Rhône Alpes-Auvergne à payer à M. [P] et à son épouse Mme [H] [P] née [T] la somme de 764'500 € à titre de dommages-intérêts et la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.
Le 6 juin 2016 la société Groupama Rhône Alpes-Auvergne a relevé appel de cette décision.
La SCP de notaires a également relevé appel le 10 juin 2016 et les consorts [L] et autres ont à leur tour relevé appel de la décision 13 juillet 2016.
Les trois procédures d'appel ont été jointes.
*
Par conclusions du 10 janvier 2018 la société d'assurance Groupama demande à la cour :
avant dire droit,
' de déclarer irrecevables les conclusions des époux [P] pour violation des articles 10 du code civil, et 58 et 59 du code de procédure civile ;
au fond,
' de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
à titre principal,
' de dire que les consorts [P] ne peuvent pas rechercher Groupama en sa qualité d'assureur de l'agent immobilier, tiers à l'acte de vente, en dédommagement de l'éviction dont ils sont victimes ;
' de déclarer l'action irrecevable comme manifestement prescrite en l'état de la résiliation du contrat qui la liait à l'agence immobilière Cuersoise ;
' de dire que l'agence immobilière régulièrement assurée à l'époque par Groupama, n'a pas manqué à son obligation d'information et de conseil et n'a commis aucune faute professionnelle ;
' de débouter les époux [P] de leurs demandes au titre du préjudice de perte de valeur de la maison;
' de dire que la société assurance ne saurait être tenue à réparation des préjudices annexes invoqués, notamment les frais de justice exposée par les consorts [P] dans le cadre des multiples procédures qu'ils ont opposées à M. [O] ;
' de dire que les honoraires d'avocat sont à exclure des « frais de procédure » réclamés et ne peuvent être seulement partiellement indemnisés et non remboursés, dans le cadre du pouvoir souverain d'appréciation de la cour sur le seul fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' de débouter les époux de leur appel incident après leur constaté d'une part l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation nouvelles en cause d'appel et d'autre part que par leur inaction vis-à-vis de leur propre créancier, les consorts [P] ont contribué à augmenter leur dette, ce à quoi Groupama ne serait tenue à garantie ;
' de condamner les époux [P] à rembourser à Groupama la somme de 383 750 € par elle payée en vertu de l'exécution provisoire, tous chefs de préjudice confondus ;
' de dire recevables l'action en répétition de l'indu formée par voie d'appel par Groupama sur le fondement de l'enrichissement sans cause en application des articles 1302 nouveau et suivants du code civil ;
à titre subsidiaire,
' de dire que la société d'assurance Groupama ne saurait être tenue à une contribution supérieure à 10 % des condamnations prononcées et ce, dans la limite du plafond de garantie de 150'000 € ;
à titre infiniment subsidiaire,
' d'ordonner une expertise foncière du bien pour en déterminer la valeur réelle ;
' et en tout état de cause de condamner tout succombant à lui payer la somme de 7000 €
au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.
Par conclusions du 18 janvier 2018 M. [P] et son épouse Mme [H] [P] née [T] demandent à la cour :
' de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que les consorts [L] et autres leur doivent la garantie contre l'éviction dont ils font l'objet, constaté la responsabilité pour faute de la SCP de notaires , jugé qu'ensemble les appelants ont également concouru à la réalisation du préjudice subi par les époux [P], condamné in solidum les consorts [L] et autres, la société Groupama et la société de notaires a indemnisé les époux [P] en leur versant la somme de 640'000 € au titre de leur préjudice matériel résultant de la perte de leur bien immobilier ;
' d'infirmer le jugement pour le surplus ;
statuant à nouveau
' de condamner in solidum les consorts, la société d'assurance et les notaires à leur verser les sommes suivantes :
- 17'000 € au titre de l'indemnité d'occupation
- 94'352,43 € au titre des frais de justice
- 200 000 € au titre de leur préjudice moral
- 7012,65 € pour les dépenses afférentes à l'acquisition du bien immobilier
- 15'337 € au titre des dépenses liées au paiement des taxes foncières de 1996 à 2014,
soit au total 973'702,08 € ;
' et de les condamner à lui payer la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions du 19 janvier 2018 M. [R] [M], Mme [Y] [L] épouse [M], M. [Z] [K], Mme [X] [L] épousse [K] et Mme [D] [B] en qualité d'héritière de Mme [P] [U] (les consorts [L] et autres) demandent à la cour :
' à titre liminaire de prendre acte de l'intervention volontaire de Mme [D] [B] en qualité d'héritière de feue [P] [U] et de mettre hors de cause MM. [Z] [K] et [R] [M] non concernés par le sort d'un bien propre appartenant à leurs conjoints ;
à titre principal
' d'infirmer le jugement entrepris ;
' de débouter les époux [P] de toutes leurs demandes ;
à titre subsidiaire
' de condamner la SCP de notaires et la société d'assurance Groupama à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre eux ;
à titre infiniment subsidiaire,
' de constater que les époux [P] n'ont pas fait savoir s'ils demandent la résolution de la vente ou son maintien en application de l'article 1636 du code civil ;
' de dire qu'ils ne sont pas recevables en leurs prétentions ;
' de constater que M. [O] a renoncé à la démolition de la maison en application de l'article 555 du code civil et en conséquence de dire que les époux [P] ne sont plus fondés à réclamer l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de la valeur de leur maison ;
' de dire que le préjudice de perte de la valeur de la maison n'est pas de 640'000 €;
' de dire que les époux [P] ont commis une faute de nature à exclure ou réduire leur droit à indemnisation au regard des nombreuses procédures qu'ils ont intentées ou soutenues ;
' de débouter les époux de leurs demandes à ce titre et au titre d'un préjudice moral non justifié ;
' de débouter les époux [P] de leur demande de condamnation au paiement de la taxe foncière et des frais d'acquisition de l'immeuble ;
et en toute hypothèse,
' de condamner les époux [P], la SCP de notaires et la société d'assurance Groupama à leur payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.
Par conclusions du 3 janvier 2018 la SCP de notaires Eymard-Rouden-Pionnier-Chatel-Chretien-Bosch, anciennement dénommée Salphati-Thibault-Lebeau-Rouden-Pionnier, demande à la cour :
' de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
' de débouter les époux [P] et les consorts [L] de toutes leurs demandes dirigées contre elle,
à titre subsidiaire,
' de dire leur demande en paiement de la somme de 913'702,02 €, injustifiée ;
à titre très subsidiaire,
' de dire que la responsabilité des notaires ne saurait excéder 10 % du préjudice ;
' de condamner les consorts [L] à lui payer la somme de 5000 € et les époux [P] celle de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
Motifs
Sur la procédure
Attendu qu'il convient de prendre acte de l'intervention volontaire de Mme [D] [B] épouse [N] en sa qualité d'héritière de feue [P] [U] épouse [B], décédée le [Date décès 1] 2015 ;
Que M. [Z] [K], époux de Mme [X] [L], doit être mis hors de cause dès lors que le bien vendu par celle-ci est un bien propre comme recueilli par voie de succession ;
Qu'il en est de même pour M. [R] [M], époux de Mme [Y] [L], seule propriétaire indivise des biens vendus aux époux [P], pour en avoir hérité de son père, feu [B] [L] ;
Attendu que la société d'assurance Groupama demande à la cour de déclarer irrecevables les conclusions des époux [P] pour violation des articles 10 du code civil et 58, 59 du code de procédure civile, en ce que M. [P] se déclare commerçant alors qu'il est retraité et en ce que les époux [P] continuent de se domicilier ensemble, dans le bien immobilier litigieux, alors qu'ils ont été expulsés et que le revendiquant a repris possession des lieux ;
Mais attendu que les dernières écritures des époux [P] notifiées le 18 janvier 2018 font mention de leur qualité de retraités et de leur nouvelle adresse à [Localité 8] ; que les irrégularités ont été réparées avant la clôture des débats, d'où il suit le rejet de la fin de non-recevoir soulevée en application des articles 960 al. 2 et 961 du code de procédure civile ;
Sur la garantie d'éviction
Attendu que le tribunal a exactement retenu que M. [L] [O] a été définitivement reconnu véritable propriétaire d'une partie de la parcelle H n° [Cadastre 2] acquise par les époux [P] le 10 février 1994, cette partie appartenant en réalité à la parcelle H n° [Cadastre 3] alors que sur cette partie se trouve leur maison à usage d'habitation qu'ils ont totalement rénovée, que l'éviction des époux [P] est actuelle et certaine en l'état des décisions judiciaires rendues, et qu'il ne s'agit pas d'une simple erreur d'indication sur la contenance de la parcelle puisqu'il s'agit d'un défaut de droit de propriété sur toute la partie de la parcelle sur laquelle la maison est bâtie ;
Attendu que les consorts [L] vendeurs refusent de garantir l'éviction des époux [P] en opposant aux acquéreurs la clause d'exonération de garantie contenue dans l'acte authentique de vente ;
Mais attendu que si en effet, aux termes de l'article 1627 du code civil, les parties peuvent, par des conventions particulières, diminuer l'effet de la garantie d'éviction du vendeur et même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, la clause stipulée par les parties au cas d'espèce ne prévoit qu'une non-garantie de désignation et de contenance ; que la clause signée par les parties n'exclut pas explicitement la garantie d'éviction du fait des tiers ; que les époux [P] n'ont jamais entendu accepter l'aléa d'une éviction de la totalité de la parcelle bâtie qui constitue la substance même de la vente et de son prix, puisque l'existence du bâti permettait aux acquéreurs de faire des travaux sur un terrain non constructible ; qu'il s'ensuit le rejet de ce moyen ;
Attendu que la bonne foi des consorts [L] n'est pas en cause ; que le moyen tiré de ce qu'il faudrait démontrer qu'ils connaissaient le défaut d'implantation de la maison est inopérant ;
Attendu que les époux [P] n'ont commis aucune faute dans la rénovation de la maison qu'ils ont acquise en ne vérifiant pas, avant de faire les travaux, si la maison était bien implantée sur la parcelle n° [Cadastre 2] qu'ils avaient acquise, dès lors que le certificat de conformité délivré par la DDE le 1er septembre 1980 visait la parcelle H[Cadastre 2] et qu'il n'est pas établi que leur demande d'autorisation de construire se serait heurtée à quelque difficulté que ce soit ;
Attendu ensuite que les consorts vendeurs invoquent les dispositions de l'article 1640 du code civil aux termes duquel la garantie pour cause d'éviction cesse lorsque l'acquéreur s'est laissé condamner par un jugement en dernier ressort, ou dont l'appel n'est plus recevable, sans appeler son vendeur, si celui-ci prouve qu'il existe des moyens suffisants pour faire rejeter la demande ;
Mais attendu que si les consorts [L] n'ont pas été appelés dans les procédures ayant opposé les époux [P] à M. [O], il n'est pas démontré qu'ils se seraient laissés condamner sans présenter des moyens pertinents ; que les consorts [L] n'indiquent pas quels seraient les moyens en défense qui auraient pu permettre d'éviter l'éviction ; qu'en ce qui concerne la procédure devant le tribunal administratif, elle est sans incidence sur l'éviction elle-même, s'agissant d'une action en responsabilité contre l'Etat qui n'avait pas pour vocation d'éviter l'éviction ;
Attendu que les consorts [L] font valoir à titre infiniment subsidiaire que les époux [P] ne sont pas recevables en leurs prétentions dans la mesure où ils n'ont pas fait savoir s'ils sollicitaient la résolution de la vente ou son maintien en application de l'article 1636 du code civil ;
Attendu que cet article dispose que « Si l'acquéreur n'est évincé que d'une partie de la chose, et qu'elle soit de telle conséquence, relativement au tout, que l'acquéreur n'eût point acheté sans la partie dont il a été évincé, il peut faire résilier la vente » ; que la circonstance que les époux [P] ne présentent pas de demande de résolution de la vente à raison de leur éviction partielle ne les prive pas d'obtenir l'indemnisation de l'éviction portant sur la maison et son terrain d'assiette ;
Attendu que le jugement qui a dit que les vendeurs étaient tenus de garantir les époux [P] pour cause d'éviction doit donc être approuvé ;
Sur la réparation des préjudices
Attendu qu'en application de l'article 1630 du code civil les époux [P], acquéreurs évincés, ont droit à la réparation de tout le préjudice causé par l'inexécution du contrat et d'abord la restitution du prix du bien dont ils ont été évincés, à savoir le prix de la maison, lequel doit être estimé, en application des dispositions combinées des articles 1626, 1630 et 1633, à hauteur de sa valeur au temps de l'éviction ;
Attendu que, pour le préjudice résultant de la perte de la maison, les époux [P] demandent la somme de 640'000 € ;
Attendu que les consorts [L], vendeurs, répondent que si les époux [P] venaient à réclamer au tiers revendiquant, M. [O], le remboursement des frais de matériaux et du coût de la main-d''uvre ou de la valeur dont le fonds a été augmenté en application de l'article 555 du code civil, il n'y aurait plus d'enrichissement sans cause de M. [O] lequel a indiqué s'être ravisé et ne plus réclamer de frais de démolition aux époux [P], ce qui aurait une incidence sur l'indemnisation qu'ils doivent aux acquéreurs ;
Mais attendu qu'il ne ressort d'aucun élément que les époux [P] auraient reçu ou puissent recevoir quelque indemnisation de la part de M. [O] ; qu'à l'opposé, ces époux évincés indiquent dans leurs écritures, sans être contredits, que si ce dernier a finalement renoncé à leur demander des frais de démolition, ils ne disposent plus d'aucun recours contre lui fondé sur l'article 555 du code civil, compte tenu des décisions définitives déjà rendues entre eux sur ce fondement ;
Attendu que si M. [O] va finalement conserver la propriété de la construction, sans rembourser aux époux [P] une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, ou bien le coût des matériaux et le prix de la main-d''uvre, alors que ces derniers sont des tiers évincés de bonne foi, l'enrichissement sans cause de M. [O] ne peut pas être utilement invoqué dans le cadre du présent litige opposant les époux [P] aux consorts [L] ; que le moyen doit en conséquence être écarté ;
Attendu qu'il y a lieu de fixer le prix de la maison reconnue propriété de M. [O] au regard de sa valeur au 5 mars 2013, date de la décision définitive d'éviction rendue par la cour d'appel de ce siège, la chose vendue ayant augmenté de valeur à l'époque de l'éviction par rapport au prix de vente de 1994 ;
Attendu que les estimations des agences immobilières produites par les époux [P] ne correspondent pas au véritable prix de la maison puisque les estimations incluent non seulement la maison, mais aussi la superficie totale de la parcelle de plus de 4 ha, même inconstructible, dont les époux demeurent propriétaires ;
Attendu que la propriété a été acquise en 1994 pour la somme de 390'000 Fr., soit 59'600 € ; que la maison est une villa de type Ph'nix de 150 m² environ et, d'après les clichés photographiques versés aux débats, il s'agit d'une villa sans cachet, sans vue particulière et sans piscine, dans un paysage de bois dépourvu d'agrément notable, que la cour estime, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise, au demeurant non réclamée par les consorts [L], être d'une valeur de 2 200 € seulement le mètre carré, soit une valeur de la villa s'élevant au total à 330'000 € ;
Attendu que les acquéreurs sollicitent ensuite la condamnation des vendeurs in solidum à leur verser les sommes suivantes :
- 17'000 € au titre de l'indemnité d'occupation,
- 94'352,43 € au titre des frais de justice,
- 200 000 € au titre de leur préjudice moral,
- 7012,65 € pour les dépenses afférentes à l'acquisition du bien immobilier
- et 15'337 € au titre des dépenses liées au paiement des taxes foncières de 1996 à 2014 ;
Attendu qu'il convient en premier lieu de relever que l'augmentation en cause d'appel des quantum réclamés ne correspond pas à des prétentions nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile, s'agissant de demandes qui ne sont que l'accessoire, la conséquence ou le complément des prétentions qui ont été soumises au premier juge au sens de l'article 566 du code de procédure civile ;
Attendu qu'en ce qui concerne la taxe foncière due pour les années 1994 à 2014, il s'agit de dépenses qui n'entrent pas dans la catégorie des réparations et améliorations utiles pour la chose vendue telles que prévues par l'article 1634 du code civil, de sorte que le paiement de cette taxe ne peut donner lieu à remboursement par les vendeurs aux époux [P] qui l'ont acquittée en ce temps en qualité de propriétaires de la villa ;
Attendu que les époux [P] ont été condamnés par arrêt du 5 mars 2013 à payer une indemnité d'occupation à M. [O] ; qu'ils sont bien fondés à en réclamer le remboursement à leurs vendeurs sur le fondement de l'article 1630 du code civil dès lors qu'il s'agit d'acquéreurs évincés de bonne foi ; qu'il doit cependant être observé que M. et [P] n'ont quitté les lieux que le 27 mars 2017 ; qu'ils savaient pourtant, depuis l'arrêt du 14 septembre 2010 de la Cour de cassation qui a rejeté leur pourvoi contre l'arrêt confirmatif de la cour d'Aix-en-Provence du 15 juin 2009, que leur maison est implantée sur la parcelle d'autrui ; que depuis que la démolition a été ordonnée sous astreinte par l'arrêt de la cour de ce siège le 17 décembre 2015, leur maintien dans les lieux n'est pas de bonne foi et ne saurait donner lieu à une indemnisation par les vendeurs ;
Attendu qu'en conséquence pour la période allant du 15 juin 2009 jusqu'au 15 décembre 2015, soit 78 mois, il sera fait droit à leur demande à hauteur de la somme de 15 600€ ( 78 X 200€ par mois);
Attendu enfin, s'agissant des frais de la vente, que les époux [P] demeurant propriétaires du terrain, ceux-ci n'ont pas été inutilement payés ; que le tribunal a encore fait une juste appréciation du montant des frais et honoraires des multiples procédures que les époux [P] ont dû exposer pour résister à l'action de M. [O] à hauteur des 70'000 € retenus, ainsi que du préjudice moral important subi par les acquéreurs évincés en leur accordant chacun la somme de 20'000 € de ce chef ;
Attendu qu'il s'ensuit la réformation, sur le quantum, du jugement déféré, et qu'il y a lieu d'allouer aux consorts [P] la somme totale de 455 600€ (330'000€ + 15'600 + 70'000 + 40'000) à titre de dommages et intérêts ;
Sur la responsabilité du notaire et de l'agent immobilier
Attendu que les époux [P] soutiennent que le notaire avait l'obligation, au titre de son devoir de conseil et d'information en amont de l'acte, de souligner l'intérêt d'un bornage ; que la parcelle H [Cadastre 1] et la parcelle H [Cadastre 2] bâtie que vendaient les consorts [L] n'en avaient jamais fait l'objet ; que le notaire n'a pas visé l'absence de bornage ni même évoqué les conséquences d'une telle absence ; que sans la faute du notaire, les époux à l'évidence n'auraient pas acquis de la parcelle en nature de bois inconstructible et le litige conduisant, après 22 ans, à leur expulsion eût été évité ;
Mais attendu que le bornage de parcelles n'est qu'une faculté ; qu'il n'est à conseiller que lorsqu'il existe une difficulté ou un soupçon de difficulté ;
Attendu que les documents d'urbanisme annexés par le notaire à l'acte de vente litigieux du 10 février 1994 n'en faisaient apparaître aucune ; que le titre de propriété de M. [B] [L] attestait que ce dernier avait acquis la parcelle H [Cadastre 1] et la parcelle H [Cadastre 2] en 1974 ; que le permis de construire du 9 septembre 1976 lui avait été délivré sur la parcelle H [Cadastre 2] ; que le certificat de conformité de la construction délivré par la DDE le 1er septembre 1980 visait la parcelle H [Cadastre 2];
Attendu qu'il en allait de même de la fiche cadastrale datant de 1992 laquelle mentionnait la présence de la maison sur la parcelle section H [Cadastre 2] lieudit [Localité 9], d'une contenance totale de 3 ha 46 a et 90 centiares ; que l'acte de vente dressé par le notaire vise exactement la même superficie que cette fiche ; que l'annexion de cette fiche n'aurait donc révélé aucune difficulté ;
Attendu que si sur l'extrait cadastral transmis par la commune de [Localité 8] le 11 juillet 2000 au service des domaines, la maison des époux [P] (en réalité un minuscule carré en pointillés) apparaît sur la parcelle voisine n° [Cadastre 3], cet extrait est postérieur à la vente litigieuse ;
Attendu qu'au moment de la vente rien ne permettait au notaire de suspecter le fait que la construction objet la vente était édifiée sur le terrain d'autrui et qu'il y avait une difficulté d'importance relative au droit de propriété des consorts [L] vendeurs ; que le notaire ne disposait ainsi d'aucun élément devant le conduire à soupçonner le caractère erroné des renseignements administratifs dont il disposait ; que par ailleurs il n'existait aucun litige justifiant un bornage avec le voisin, la propriété voisine étant alors vacante ;
Attendu que le jugement en ce qu'il a dit que le notaire avait manqué à son devoir d'information et de conseil et d'assurer l'efficacité de son acte doit donc être réformé ;
Attendu qu'il en va de même en ce que le premier juge a écarté la responsabilité professionnelle de l'agence immobilière Cuersoise ; qu'en effet l'agent immobilier n'a pas davantage que le notaire l'obligation de conseiller systématiquement un bornage ni d'informer les acquéreurs sur les risques qu'ils prendraient d'acquérir des parcelles en l'absence de bornage ;
Attendu en définitive qu'il y a lieu de réformer partiellement le jugement entrepris comme il est dit au dispositif infra ;
Et attendu qu'en ce qui concerne la demande de la société d'assurance Groupama de voir condamner les époux [P] à lui rembourser la somme de 383 750 € par elle payée en vertu de l'exécution provisoire, que le présent arrêt qui rejette toutes les demandes dirigées contre l'agent immobilier et l'assureur subrogé dans ses droits, infirmatif sur ce point , constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution du jugement et que les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ; qu' il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare recevables les conclusions des époux [P],
Donne acte à Mme [D] [B] de son intervention volontaire en sa qualité d'héritière de Mme [P] [U] ,
Met hors de cause MM. [Z] [K] et [R] [M],
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que Mme [Y] [L] épouse [M], Mme [X] [L] épouse [K] et [P] [U], aux droits de laquelle vient Mme [D] [B] en qualité d'héritière, doivent à M. [O] [P] et à Mme [H] [T] épouse [P] la garantie de l'éviction partielle dont ils ont fait l'objet au profit de M. [O] ;
L'infirme pour le surplus de ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'article 564 du code de procédure civile soulevée par la société d'assurance Groupama,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise foncière ;
Condamne in solidum Mme [Y] [L] épouse [M], Mme [X] [L] épouse [K] et Mme [D] [B] à payer à M. [P] et à son épouse Mme [H] [P] née [T] ensemble la somme de 455 600 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;
Déboute M. [O] [P] et Mme [H] [T] épouse [P] de toutes leurs demandes contre la SCP Eymard Rouden Pionnier Chatel Chretien Bosh venant aux droits de la SCP Salphati Thibault Lebeau Rouden Pionnier et contre la société Groupama Rhône Alpes-Auvergne,
Déboute Mme [Y] [L] épouse [M], Mme [X] [L] épousse [K] et Mme [D] [B] de leurs demandes en garantie dirigées contre la SCP Eymard Rouden Pionnier Chatel Chretien Bosh venant aux droits de la SCP Salphati Thibault Lebeau Rouden Pionnier et la société Groupama Rhône Alpes-Auvergne,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la société d'assurance Groupama de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,
Condamne in solidum Mme [Y] [L] épouse [M], Mme [X] [L] épouse [K] et Mme [D] [B] aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu de faire application de ce texte.
LE GREFFIERLE PRESIDENT